Contes indiens (Feer)/Récit/25

(p. 167-172).


RÉCIT DE LA 25e FIGURE




Un autre jour encore le roi Bhoja s’efforçait de monter sur le trône, quand la vingt-cinquième figure, pour l’en détourner, lui dit : « Eh ! roi Bhoja, nul n’est capable de monter sur ce trône, s’il ne ressemble à l’auguste Vikramâditya. — Comment donc était l’auguste Vikramâditya ? » répondit le roi. — La figure reprit : « Écoute.

« Le bruit de l’héroïsme, de la fermeté, de la profondeur (d’esprit), de la magnificence, de la vigueur de l’auguste Vikramâditya et de la prospérité dont tous ces avantages étaient accompagnés, était allé jusqu’au monde des dieux ; et les divinités du Svarga, dans leurs entretiens et leurs récits, célébraient ordinairement la gloire de Vikramâditya. Un jour, le roi suprême de tous les dieux, le dieu Indra, entouré de félicité, assis, au milieu du cercle des dieux, sur son trône fait de diverses pierres précieuses, réclama l’attention des divinités, et dit : Aujourd’hui, sur la surface de la terre, nul n’est comparable à Vikramâditya pour l’aspiration au bien de toutes les créatures, pour le zèle à pratiquer constamment la vertu, pour le mépris de sa propre vie, pour le soin de protéger les autres êtres, pour la fidélité à une bonne conduite, pour les dispositions d’un esprit tout imprégné de pitié. — À l’ouïe de ce discours d’Indra, parmi toutes les divinités présentes dans l’assemblée, il y en eut deux dont l’esprit ne put s’en rendre bien compte. Afin de déterminer ce qu’il y avait d’exact et d’inexact dans l’éloge de l’auguste Vikramâditya, ces deux divinités se rendirent dans la ville d’Avantî.

« L’auguste Vikramâditya, monté sur le meilleur des chevaux habile dans les cinq manières d’aller, la marche, le trot, l’amble, le galop, le saut, se promenait solitairement dans le jardin de plaisance qui était à l’extrémité de la ville. Sur ces entrefaites, l’une des deux divinités prit la forme d’une vieille vache, l’autre celle d’un tigre puissant et terrible. En voyant le tigre, la vieille vache eut peur de la mort et prit la fuite ; le tigre courut après elle. La vache, arrivée au bord d’un étang, y sauta et resta empêtrée dans la vase.

« À cet instant, l’auguste Vikramâditya, faisant sa promenade, arriva en ce lieu. La vache tombée dans la vase, voyant le tigre non loin d’elle, fut excessivement troublée et se mit à pousser des cris de détresse ; elle attira l’attention de l’auguste Vikramâditya par ses hauts cris et ses mugissements redoublés. Le roi, voyant la position et l’embarras de cette vache, sauta promptement en bas de son cheval, saisit son glaive de la main droite, tandis que de la gauche il saisissait la vache, puis resta là debout dans le lac. Il se mit alors à examiner en lui-même cette alternative : si je tire cette vache de la vase et que je m’en aille, se disait-il, cette vieille vache ne sera pas en état de s’échapper ; le tigre la saisira sans peine et la mangera : si j’abandonne la vache et que je m’en aille après avoir tué le tigre, cette vache, par suite de sa chute dans la vase, n’aura plus la force de marcher ; et, si quelque être nuisible survient, il la fera périr. — Dans cette perplexité, le roi tenant toujours la vache, le glaive en main, passa toute la nuit exposé au froid, au vent, à l’humidité, seul et plongé dans l’eau.

« Quand le matin fut venu, les deux divinités abandonnant les formes magiques qu’elles avaient prises, (l’une) la forme de vache, (l’autre) la forme de tigre, reprirent leur forme propre et dirent à l’auguste Vikramâditya : Eh ! Vikramâditya, grand roi des rois, nous sommes des divinités qui, pour savoir jusqu’où va ta fidélité à la loi, doublée de pitié, avons pris ces formes au moyen de la magie ; nous sommes éclairées. De même que les dieux, barattant la mer de lait, ont créé le disque de la lune avec une portion du suc de (ce lait), ainsi le créateur, en barattant la mer qui a la forme de la pitié, a créé ton cœur avec une portion du suc de cette (pitié)[1]. Quel éloge ferons-nous de toi ? Notre roi, le dieu Indra, fait habituellement ton éloge dans l’assemblée des dieux ; mais, en ce jour, nous avons constaté l’exactitude de ses dires. Fais une demande à ton choix. — Le roi répondit : Je n’ai rien à demander à votre faveur ; j’ai obtenu toutes les félicités ; pourquoi les altérer par une demande faite à la légère ? — Les divinités reprirent : Ce n’est pas en vain que nous nous montrons. Aussi, nous te donnons cette kâmadhenu (vache du désir), sans que tu l’aies demandée. Chaque fois qu’il te viendra envie de quelque chose, tu n’auras qu’à en faire la demande à cette kâmadhenu.

« Après avoir ainsi donné kâmadhenu au roi, les divinités disparurent.

« Le roi, ayant reçu kâmadhenu, s’en retournait, quand, sur le chemin, un pauvre approcha de lui et demanda l’aumône. Le roi lui donna cette kâmadhenu et s’en retourna dans sa capitale. »

L’auguste roi Bhoja, après avoir entendu le récit de la vingt-cinquième figure, s’en alla tout bouleversé.


  1. Le barattement de la mer de lait avec les nombreux incidents auxquels il a donné naissance est un des plus célèbres épisodes de la mythologie hindoue.