§ 15. — ÊTRES SURHUMAINS

À la magie se rattache, en partie, l’existence de personnages qui nous sont décrits dans des conditions extraordinaires, par exemple : l’homme et la femme du 6e récit, décapités et rappelés à la vie ; l’homme blessé, soigné par Vikramâditya et qui expire en lui remettant un talisman (12), — la Rânî dont on acquiert la possession en sautant dans un bassin d’huile bouillante (14). Ces détails conviennent bien à la physionomie populaire de nos récits ; la nature des personnages est quelque peu ambiguë. Mais il en est d’autres qui rentrent dans la nomenclature des êtres surhumains figurant d’ordinaire dans les livres classiques de l’Inde ; tels sont les Nâgas, les Yaxas et les Raxasas.

Les Nâgas sont des serpents qui vivent sous terre dans les eaux, et ont le pouvoir de se transformer. Les huit jeunes filles du récit 20e qui sont autant de perfections, passant la nuit en prières auprès d’un autel et le jour au fond d’un lac dans leur ville de Pâtâla, appartiennent à cette race. La même race reparaît au récit 23e ; Çâlivâhana, l’adversaire de Vikramâditya, est fils d’un Nâga ; c’est par le pouvoir magique dont il est armé en cette qualité qu’il fait apparaître une armée imaginaire, et il se sert du venin qu’il tient de son père pour empoisonner l’armée de Vikramâditya ; mais voici que le roi des Nâgas, Vâsuki, guérit les malades. Ce récit nous montre donc la guerre, ou, tout au moins, la rivalité dans la race des Nâgas.

Les Yaxas ne paraissent qu’une seule fois dans ce recueil, et ils ne sont pas dépeints avec leurs traits caractéristiques. Ceux dont il s’agit sont d’anciens poissons qui témoignent leur reconnaissance à celui qui les avait jadis sauvés de la mort, en employant leur puissance surnaturelle pour le sauver d’une catastrophe.

Quant aux Râxasas, ils paraissent plusieurs fois dans nos récits, toujours avec leurs habitudes de violence, de brutalité et d’anthropophagie. Le premier, Durjaya, de Kanci, tient captive la jeune Naramohinî, et s’en sert pour amorcer les étrangers : tous ceux qui sont séduits par les charmes de la jeune fille tombent sous la dent du monstre (8) ; le deuxième mange chaque jour un homme, le troisième, anonyme comme le précédent, opprime une femme qu’il bat à tour de bras. Vikramâditya tue le premier de ces monstres et le troisième ; quant au deuxième, il l’adoucit en s’offrant à lui comme pâture, et le force ainsi de renoncer à ses habitudes perverses.

Les Nâgas, les Yaxas, les Râxasas sont familiers à la littérature classique de l’Inde ; les Vetâlas le sont beaucoup moins. Il semble que ce qui se rapporte à eux appartienne davantage aux croyances populaires. Ils sont dépeints tantôt comme une race puissante et féroce, tantôt comme des génies qui hantent les cimetières. Dès l’introduction, cette race se fait connaître par les exploits du Vetâla Agni, anthropophage, glouton, qui sait tout, qui peut tout, et dont le roi, par son courage et sa fermeté, a obtenu l’amitié. C’est lui qui est le héros ou plutôt le narrateur des vingt-cinq contes du Vetâla. Le Vetâla est donc, de ce chef, inséparable des 32 récits du trône. À cela près, il n’est pas très souvent question de Vetâlas ; mais, chaque fois qu’on en parle, c’est pour donner l’idée de la plus grande atrocité ou du pouvoir merveilleux le plus étendu. C’est à eux qu’on attribue les sacrifices humains ; d’après le récit 27, il existe une ville de Vetâlas où de tels sacrifices se célèbrent ; et Vikramâditya les fait cesser. La fantasmagorie du récit 29e, l’apparition de cet homme imaginaire qui meurt pour reparaîtra peu après et de cette femme, non moins imaginaire, qui se brûle, croyant être devenue veuve, est l’œuvre d’un Vaitâlika, c’est-à-dire d’un homme de la race des Vetâla, ou d’un disciple des Vetâla, qui se présente devant le roi armé d’une canne (une baguette magique !) et accomplit ce prodige dont l’unique résultat est de mettre en relief l’abnégation de Vikramâditya. Le narrateur semble avoir voulu montrer par l’intervention des Vetâla que la plus grande puissance magique comme la plus grande férocité sont employées à faire éclater les vertus du roi.