IV. — MAGIE

§ 14. — CHAUSSURES MAGIQUES ET TRANSFORMATIONS

De la morale nous passons à la religion. Mais nous rencontrons sur notre chemin des cléments spéciaux qui se rattachent à la religion et ne sont pas étrangers à la morale, sans appartenir véritablement soit à l’une, soit à l’autre. Je veux parler du merveilleux et de la puissance magique qui est la récompense de la vertu et nous transporte dans un monde fantastique dont les héros et les scènes imaginaires se combinent d’une étrange manière avec les personnages et les événements du monde réel. Nous tâcherons d’énumérer en les groupant le mieux possible, mais sans prétendre ici plus qu’ailleurs à une classification irréprochable et complète, les manifestations magiques dont quelques-unes reviennent fréquemment.

Nous avons déjà parlé des chaussures magiques avec lesquelles Vikramâditya fait rapidement des excursions lointaines : elles ont, sans doute, donné naissance à nos « bottes de sept lieues ». Les joyaux merveilleux sont un des procédés les plus usités de l’auteur de nos contes. Dès l’introduction, un fruit magique qui affranchit de la maladie et de la mort fait son apparition. Le même fruit ou son analogue reparaît dans le neuvième récit. Dans le troisième, nous voyons quatre joyaux donner respectivement des mets, des richesses, une armée, des ornements. D’après le vingtième récit, huit autres joyaux donnent la réalisation de ce qu’on a dans l’esprit, des mets, une armée, la divinité, les chaussures magiques, la faculté de tout immobiliser, l’omniscience, le contentement parfait. L’objet appelé Mûlikâ (12e récit) permet d’obtenir tout ce qu’on désire. Deux autres objets, Rasa et Rasâyana (récit 17), assurent également la possession et la jouissance de tous les biens, Rasa, celles des biens extérieurs, Rasâyana, celle des biens spirituels, des biens du monde supérieur. Le 19e récit nous entretient de trois talismans, Kanthâ, Khandika, Danda ; le premier procure des richesses et des ornements, le deuxième une armée, le troisième rend la vie à un corps mort. Dans les récits 13 et 32, il est question de l’incomparable joyau Cintamani. Nous pouvons ranger parmi les joyaux le Siddhi-mantra de Sarasvatî cité dans le 8e récit, quoique les mantras soient non des joyaux, mais des paroles d’une vertu magique. Sarasvatî est la déesse de l’éloquence. Son Siddhi-Mantra (Mantra de la réussite) fait obtenir les 18 sciences. Ainsi l’acquisition de la science elle-même est l’objet d’opérations magiques ! Ce Siddhi-Mantra et Sarasvatî dont il émane nous rapprochent des traditions classiques, comme deux autres talismans bien connus Kâmadhenu (25) « la vache du désir » qu’il suffit de traire pour voir tous ses souhaits réalisés, et l’Amrita, le breuvage d’immortalité, employé comme une sorte de cordial pour faire reprendre connaissance à ceux qui sont à bout de forces et par lequel une armée entière tombée en léthargie recouvre sa vigueur (23).

Nos récits décrivent des scènes fantastiques dues à la puissance magique dont sont doués certains personnages : au récit 25, deux divinités, pour éprouver Vikramâditya, prennent l’une la forme d’une vache, l’autre la forme d’un tigre. Les scènes du récit 29 auxquelles nous avons fait allusion en parlant du devoir des veuves : cette veuve qui se brûle croyant son mari mort, ce mari qui réclame sa femme, tout cela est imaginaire, et résulte d’une fantasmagorie produite à l’aide du talisman appelé la « science du réseau d’Indra ». L’armée avec laquelle Çâlivâhana soutient les efforts de Vikramâditya est aussi une apparition fantastique. La grotte où Vikramâditya acquiert les talismans Rasa et Rasâyana (17), le palais où tombe une pluie d’or (30) semblent être, quoiqu’on ne le dise pas, des effets de la magie. Enfin notons, parmi les plus curieux effets de cette puissance si souvent mise en action, la matérialisation, l’apparition sous forme concrète de certaines abstractions, savoir : des neuf sentiments (21) dont il a été parlé ci-dessus et des vertus de Vikramâditya qui l’abandonnent, puis reviennent à lui (31).