(p. XXII-XXVII).


§ 5. — SCIENCE

La science est ce qui distingue l’homme de la bête ; car l’homme et la bête accomplissent les mêmes fonctions vitales. Donc, l’homme qui réduit son activité à ces fonctions, sans s’élever par la science, est une bête dès cette vie, et il retournera à l’animalité dans les existences futures (8 et 20). — La science peut aussi être assimilée à la vie ; vivre sans la science, c’est être mort ; et un fils mort vaut mieux qu’un fils ignorant. Que mettre au-dessus de la science ? elle est supérieure à tous les autres avantages : — à la royauté, car le savant est aussi considéré à l’étranger que dans son propre pays ; — aux richesses, car on ne peut l’enlever à celui qui la possède ; — aux ornements qui ne brillent que sur les jeunes gens, car, à tout âge, la science reluit en l’homme qui en est doué (8).

Qu’est-ce que cette science si enviable ? C’est celle qui est contenue dans les livres (Çâstra). Il faut donc lire ces livres et les étudier à fond pour en extraire le suc, la moelle, en un mot pour y puiser la science. Mais dans quel esprit convient-il de le faire ? Le conte 12 nous offre, à ce sujet, une curieuse discussion. Vikramâditya reproche à un groupe de pandits ou savants qui débattaient entre eux le sens d’un texte, de disputer non pour saisir la pensée du texte, pour en pénétrer le sens, mais pour y trouver la justification de leurs opinions personnelles. C’est donc avec un entier désintéressement, un pur et sincère amour de la vérité, qu’il convient d’aborder l’étude de ces Çâstras, qui sont le dépôt de la science.

Les Çâstras[1] forment une masse considérable de volumes : c’est toute la littérature indienne. Aussi ne songerions-nous pas à les classer et à les énumérer ici, si l’auteur de nos récits n’avait exécuté lui-même ce travail dont nous n’avons qu’à faire connaître le résultat.

Selon lui et selon d’autres aussi (car il ne s’agit pas ici d’une opinion individuelle, mais d’une donnée généralement admise), la science contenue dans les Çâstras se subdivise en 18 parties citées en bloc plusieurs fois et énumérées en détail dans le récit quatrième. Cette énumération n’est pas d’une clarté parfaite, parce qu’on y trouve plus de 18 intitulés et que, par conséquent, il faut comprendre sous un seul chef plusieurs noms. La portée de ces noms n’est pas toujours facile à saisir ; les uns désignent certainement un recueil, un ouvrage déterminé, d’autres doivent s’appliquer à des séries tout entières de livres. Après avoir essayé sur cette nomenclature un petit travail de classement, nous croyons pouvoir donner le tableau des 18 sciences. Elles se divisent en deux catégories : les « sciences dont l’objet est invisible » (adrishthârtha), au nombre de 14, et les « sciences dont l’objet est visible » (Drishthârtha), au nombre de 4.


SCIENCE DE L’INVISIBLE
LIVRES SACRÉS
  Veda Vedanga
1 Rig Cixa.
2 Yajur Kalpa.
3 Sâma Vyâkarana.
  Atharvan Nirutka.
    Jyotisha.
    Chanda.
PHILOSOPHIE
Mîmamsa
5 Pûrva-M. 9 Rûpa-Nyâya.
6 Uttara-M. 10 Vaiçeskika.
7 Rûpa-M. 11 Sânkhya.
8 Nyâya. 12 Patânjala.


TRADITION
13 Smriti-Çâstra. 14 Purâna.


SCIENCE DU VISIBLE

15 Ayur (médecine).

16 Dhanur (arc et armes : sciences militaires).

17 Gândharva (musique).

18 Çilpa (arts manuels).


Quelques ouvrages cités dans nos contes doivent se ranger sous l’une ou l’autre de ces 18 rubriques ; tels sont : le Râja-nîti ou « la conduite des rois » (Intr., 13, 19, 22), traité de politique, et le Danda-çâstra ou « Livre de châtiments », le code pénal (17, 19, 22). Il est probable qu’ils appartiennent aux sections du tableau ci-dessus, numérotées 13 et 14, qui doivent comprendre un nombre considérable de légendes, d’histoires et de préceptes moraux. Le Nîti-çâstra, cité également, ne doit pas différer du Râja-nîti[2], de même que le Danda-çastra est aussi appelé Danda-niti. Le 24e récit renferme une allusion au Jyotisha, l’un des Vedanga, qui ne porte pas de numéro dans le tableau ci-dessus. Il y est question d’un signe céleste interprété comme annonçant la famine ; c’est en effet un ouvrage d’astronomie et d’astrologie. Nos récits parlent aussi deux fois (21 et 28) d’un livre, intitulé Sâmudraka-çâstra, qui énumère, décrit et explique 20 signes susceptibles de se trouver sur le corps d’une personne et servant à indiquer sa condition. Parmi ces signes on cite l’étendard, le diamant (ou la foudre) et l’aiguillon, sans en dire la valeur. La marque du lotus sous le pied droit annonce la royauté ; mais le signe du « pied du corbeau » à l’arrière du palais, détruit les effets de cet indice favorable. Le signe appelé « réseau du mantra d’or », au flanc droit, à l’intérieur du corps, est le signe de la royauté. C’est celui que possédait Vikramâditya, car il ne portait sur son corps aucun signe extérieur qui décelât la royauté. Sous quelle rubrique ce livre doit-il être mis ? Apparemment sous la quinzième, la première des sciences du visible, l’Ayur (médecine), la science de la vie.

  1. Çâstra signifie proprement « instrument pour apprendre ».
  2. On pourrait admettre que le Nîti-çâstra est un livre de morale à l’usage des particuliers, tandis que le Râja-nîti serait un livre de politique à l’usage des rois : mais le texte semble parler de ces deux ouvrages comme s’il n’y avait entre eux aucune différence.