Contes et légendes annamites/Légendes/085 Métamorphoses du corbeau et du coq de pagode


LXXXV

MÉTAMORPHOSES DU CORBEAU
ET DU COQ DE PAGODE.



Autrefois le corbeau et le coq de pagode étaient des hommes et demeuraient avec le Saint. Un jour le Saint employa cent ouvriers à construire un bateau. Quand ce bateau fut construit il envoya le corbeau au fleuve pour voir si l’eau était haute et si l’on pourrait lancer le bateau. Le corbeau voyant là beaucoup de crevettes et de poisson se mit à en manger et ne revint pas à la maison.

Le Saint ne le voyant pas revenir et las de l’attendre, envoya le coq de pagode à sa recherche. Le coq de pagode trouva bientôt le corbeau. Celui-ci lui dit : « Il y a ici beaucoup de crevettes et de poisson, reste un peu à manger avec moi, rien ne presse. » Le coq de pagode écouta le corbeau et se mit aussi à manger.

Le Saint envoya alors le pigeon sur le fleuve pour les chercher. Le pigeon les vit occupés à manger du poisson et des crevettes ; il ne leur dit rien mais prit une feuille sur laquelle il écrivit avec son bec ce qu’il avait vu et il la rapporta au Saint. Celui-ci fut très irrité et lança tout seul son bateau.

Le corbeau et le coq de pagode eurent peur et n’osèrent revenir. Ils allèrent demeurer dans un hospice[1] où quelques personnes avaient écrit et laissé un peu d’encre. Le corbeau dit au coq de pagode : « Je vais me frotter tout le corps de cette encre et je reviendrai à la maison, cela fera rire le Saint et il ne me battra pas. » Il se barbouilla donc tout le corps d’encre. Le coq de pagode l’imita, mais il n’y eut pas assez d’encre pour lui et il ne put se noircir que la moitié du corps. Il barbouilla le reste avec de l’encre rouge.

Cela fait, ils retournèrent à la maison. Le Saint rit de leur étrange figure et ne les battit pas. Mais quand il s’embarqua il les chassa et les changea, le premier en corbeau et le second en coq de pagode. Voilà pourquoi le corbeau est tout noir, et le coq de pagode moitié rouge moitié noir.



  1. Nhà nhi-ti (nghi dia en annamite mandarin.) Cette transcription chinoise me fait supposer que ce récit, où l’on retrouve évidemment un reste altéré des traditions bibliques pourrait nous être venu par la Chine où il aurait été porté sous cette forme par les musulmans.