Contes et légendes annamites/Légendes/070 Mademoiselle Ut

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 174-175).


LXX

MADEMOISELLE UT.



Deux époux qui n’avaient pas d’enfants firent des prières au Ciel et au Bouddha pour en obtenir. La femme devint enceinte. Elle accoucha par le front d’une petite fille, toute petite, grande comme le doigt. On l’appela Nang Ût.[1].

Ses parents, voyant ce petit monstre, résolurent de l’abandonner dans la forêt. Son père l’y mena et lui dit : « Reste-là pendant que je vais couper du bois, tout à l’heure je reviendrai te prendre et je te ramènerai à la maison. » Le père partit et Ût resta couchée dans cet endroit.

Un corbeau qui avait mangé une pastèque rendit une graine à l’endroit où était couchée Ût. La graine germa et il poussa un pied de pastèques. Ût se cacha sous les feuilles et quand il y eut un fruit elle le conserva dans son sein pour le faire manger à son père qu’elle attendait toujours.

Le fils du roi était allé à la chasse, il vit cette pastèque, en mangea la chair et remit l’écorce en place[2]. Ût mangea l’écorce et devint enceinte. Elle donna le jour à un fils qu’elle coucha sur des feuilles de da. Le fils du roi, cependant, rentré dans son palais, était tourmenté du désir de revenir dans la forêt manger des pastèques.

Quand il y retourna il vit Ût qui berçait son enfant, montée sur les branches du da. Il prit la mère et l’enfant, les mit dans une pochette et les emporta. Le roi apprit par la renommée le mariage de son fils, il le fit venir pour l’interroger et se montra mécontent de ce qui était arrivé.

Le roi, cependant, fit une proclamation pour annoncer que toutes les filles du royaume devraient lui faire chacune une paire de vêtements sans pouvoir prendre mesure. Celle dont les vêtements lui iraient bien deviendrait sa bru. Ût seule réussit dans cette épreuve. Le roi alors en imposa une autre qui consistait à faire cuire un plat à son goût et la victoire appartint encore à Ût. Le roi ordonna de rassembler les filles du royaume, promettant la main de son fils à la plus belle, à celle qui aurait les plus longs cheveux, la peau la plus blanche.

Le fils du roi fut très affligé de cette résolution, car il ne pensait pas que sa femme pût aller affronter la comparaison. Ût le consola et lui dit de la laisser faire. Au milieu de la nuit elle éleva un autel en plein air, et demanda au Ciel de la rendre belle. Aussitôt un génie descendit du ciel lui donna une longue chevelure et un corps d’une beauté céleste. Le lendemain elle l’emporta sans peine sur toutes les beautés du pays et le roi la reçut avec joie pour sa bru.



  1. Ût désigne le dernier né. Ngon ût est le petit doigt ; nàng ût a donc quelque chose du sens de petit poucet.
  2. Après y avoir uriné. Cette vertu fécondante de l’urine, de la salive, se retrouve dans d’autres histoires. Voir LXII.