Contes et légendes annamites/Légendes/019 Histoire de Nguyen dang giai


XIX

HISTOIRE DE NGUYÉN DÀNG GIAI.



Au village de Lôc thành, dans la province de Quâng bînh, vivait un mandarin nommé Nguyén dang tuân qui avait rempli les fonctions de Thâi sir. Il avait déjà dépassé quarante ans ainsi que sa femme sans qu’ils eussent eu d’enfant. Nguyén dan tuân dit à sa femme : « Le Ciel nous a donné la richesse, mais nous n’avons pas d’enfants ; la fortune nous est donc inutile ; allons à la pagode de Thiên mô pour demander un fils[1] par nos prières ; peut-être le Ciel exaucera-t-il nos vœux. Les deux époux se rendirent à la pagode et demandèrent au supérieur de faire des prières pour qu’ils eussent un fils. Le supérieur ordonna à Tuân de venir chaque jour à la pagode faire deux offrandes d’encens. Tuân obéit mais sans résultat pendant plus de trois ans.

Une nuit enfin il rêva que son esprit montait à la pagode, et, se tenant debout à côté de la porte, voyait les trois Bouddhas assis sur l’autel. Celui qui était assis à gauche dit : « Nguyèn dang tuân demande un fils depuis longtemps sans avoir pu l’obtenir. Il y a là, devant la grande porte un mendiant mort, donnons-le-lui pour fils. » Celui des Bouddhas qui était assis à droite dit : « Nguyèn dang tuân est un homme vertueux et plein de piété, pourquoi lui donner un mendiant pour fils ? » Le Bouddha du milieu dit : « Puisque vous voulez lui donner ce mendiant pour fils, j’y consens, seulement arrangeons-lui un peu les yeux. » Les trois Bouddhas alors sortirent de la pagode et se rendirent au lieu où était étendu le cadavre du mendiant.

L’un d’eux prit un pinceau et du manche déprima l’œil du mendiant.

À cette vue, Tuân se réveilla et dit à sa femme : « J’ai été fonctionnaire pendant longtemps et je n’ai jamais fait rien de mal ; je présentais pieusement mes vœux au Ciel et au Bouddha. Comment se fait-il que cette nuit j’aie vu en rêve les trois Bouddhas me donner pour fils un mendiant. À quoi bon ? »

Sa femme lui répondit : « Vous avez fait ce rêve, mais nous ne savons si ce que vous avez vu est arrivé. Demain matin allez à la pagode pour voir ce qui s’est passé. » Tuàn fit ce que lui disait sa femme et le lendemain vit le mendiant étendu devant la grande porte. Il alla trouver le supérieur et lui demanda pourquoi il n’avait pas fait enterrer ce mort. Le supérieur n’en connaissait pas l’existence ; il ordonna aussitôt de l’ensevelir. Tuân auparavant regarda les yeux du mort et les trouva enfoncés comme le lui avait annoncé son rêve. Tuân revint raconter à sa femme ce qu’il avait vu, que les yeux avaient été retouchés et que, par conséquent, la prédiction avait chance de s’accomplir.

La femme de Tuân devint enceinte, et le mari continua à se rendre chaque jour à la pagode pour prier, se plaignant au Bouddha et disant : Vous m’avez donné un fils, mais vous avez choisi pour me le donner un mendiant ; c’est là une honte pour moi. Je n’ai commis aucune faute, pourquoi me traitez-vous ainsi ?

Une nuit il fit un autre rêve. Il vit le génie du lieu[2] qui lui disait : « Les Bouddhas vous ont donné pour fils un mendiant, mais ils lui ont arrangé les yeux. Par la suite, ce fils remplira de grandes charges. Ayant passé l’âge de dix ans il sera tellement savant qu’il sera reçu aux examens ; à vingt ans, il entrera dans la carrière des emplois et chaque jour deviendra plus honoré. »

Tuân se réveilla et raconta son rêve à sa femme. Les deux époux furent transportés de joie et cessèrent de se plaindre. Quand vint le terme de la grossesse, la femme mit au monde un fils qu’ils appelèrent Giai. Il avait tous les traits du mendiant et ses yeux enfoncés. Un devin[3] du Nord, qui se trouvait dans le pays, fut appelé pour l’examiner. Il dit que tous les traits de cet enfant étaient ceux d’un mendiant, mais que ses yeux étaient admirables ; qu’à partir de l’âge de dix ans, il serait d’une intelligence remarquable, qu’à vingt ans, il serait docteur, à trente gouverneur de province, qu’il serait élevé à la dignité de thiéu bâo[4] et mourrait à l’âge de soixante-treize ans.

Nguyèn dang giai fut donc un enfant donné par le Bouddha. Aussi, quand il eut été élevé aux honneurs, se fit il faire en or les statues des trois Bouddhas ; il leur rendait partout un culte et le soir psalmodiait ses prières (comme un bonze). Où qu’il allât exercer ses fonctions, il les emportait avec lui. Par la suite, quand il fut devenu gouverneur de Hà nôi, il leur bâtit une très belle pagode où se trouvent aussi sa statue et celle de sa femme.



  1. Héritier du culte.
  2. Thô thân. Génie domestique ou plutôt local à qui l’on érige une petite tablette devant tous les tombeaux.
  3. Thây twong. Devin qui prédit l’avenir par l’inspection des traits de la physionomie ou de certaines marques extérieures du corps.
  4. Thiéu bâo, petit protecteur. Ce titre paraît emprunté à l’antiquité chinoise ; il désignerait l’aide précepteur du prince héritier, tandis que thai bâo, grand protecteur, désigne le précepteur même.