Contes des landes et des grèves/Les poissons et le pêcheur

Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 75-78).

V

LES POISSONS ET LE PÊCHEUR


Il était une fois un vieux pêcheur qui jetait de l’appât autour de son bateau pour attirer le poisson ; mais il avait beau faire, il n’en voyait venir aucun. Comme il allait lever l’ancre pour chercher un meilleur endroit, il vit approcher une troupe nombreuse, qui s’arrêta près de son bateau. Il tendit ses filets, et quand il les retira, il y avait au fond un petit poisson doré, qui lui dit :

— Ah ! pêcheur, j’ai voulu voler l’appât qui était accroché à ton hameçon ; c’est pour cela que tu m’as pris. Si tu veux me remettre à l’eau, tu pêcheras tous les poissons que tu voudras ; tu n’auras qu’à m’appeler, et moi, qui suis le roi des poissons, je te les enverrai.

Le pêcheur remit à l’eau le petit poisson doré, et depuis, toutes les fois qu’il allait à la pêche, il prenait du poisson tant qu’il voulait, et l’on disait qu’il avait fait un pacte avec le diable.

Un jour que le bonhomme était en mer, il s’éleva une forte tempête et le bateau chavira. Le pêcheur allait se noyer quand il vit venir le petit poisson doré qui lui dit :

— N’aie pas peur, pêcheur, je viens te tirer d’affaire. Bois un peu de cette liqueur.

Dès que le bonhomme eut goûté à la bouteille que le poisson lui présentait, il sentit qu’il enfonçait dans la mer, et il s’y trouvait aussi à l’aise que sur terre. Il arriva bientôt avec le roi des poissons dans sa ville capitale, une belle ville bâtie sous les flots. On y voyait des poissons de toutes sortes, et les rues étaient pavées d’or, de pierreries et de diamants. Le pêcheur en remplit ses poches, puis le roi des poissons lui dit :

— Pêcheur, quand tu seras fatigué d’être avec nous, tu n’auras qu’à le dire.

— Hélas ! répondit le pêcheur, je resterais bien ici, car tout y est beau, mais j’ai là-haut ma femme et mes petits enfants, et ils doivent me croire perdu.

Le roi donna un coup de sifflet, et aussitôt il vit apparaître un gros thon.

— Thon, lui dit le roi, ce pêcheur va monter sur ton dos, et tu iras le déposer sur un rocher, de façon à ce que les autres pêcheurs l’aperçoivent et viennent le recueillir.

Quand il quitta la ville des poissons, les habitants vinrent lui faire leurs adieux, et leur roi lui remit une bourse en lui disant :

— Voici une bourse pleine d’or que je te donne ; à mesure que tu prendras dedans un louis, il en reviendra un autre, de sorte que tu ne pourras jamais l’épuiser.

Le pêcheur remercia le roi, puis il monta sur le dos du thon, qui alla le déposer sur un rocher en vue de son village. Il se mit à faire de grands signes avec les bras ; les pêcheurs l’aperçurent et ils mirent à l’eau un bateau pour aller chercher le naufragé. Quand ils arrivèrent près de lui, ils crurent d’abord que c’était un revenant, parce qu’il avait disparu en mer, il y avait plus de six mois. Il fut bien surpris en les entendant ; car il croyait n’avoir passé qu’un jour dans le monde sous-marin.

Il leur raconta qu’il avait vu la ville capitale des poissons, et, pour célébrer son retour, on fit dans le village des repas et des danses qui durèrent huit jours. Comme il possédait la bourse inépuisable, il ne voulut plus mettre le pied sur un bateau ; il resta à terre avec sa famille ; et s’il n’est pas mort il vit encore.


(Conté en 1885 par François Marquer, de Saint-Cast).