Contes de l’Ille-et-Vilaine/Les Bêtes qui causent


LES BÊTES QUI CAUSENT.

La fermière Jeanne Gautier, qui demeurait au Plessis-Godard, dans la paroisse de Pancé, avait son homme depuis longtemps malade, lorsqu’elle fut invitée à une noce, au village de la Boufetière.

Cette femme, jeune encore, aimait beaucoup la danse, et bien que son mari fut plus souffrant que de coutume, elle n’hésita pas à se rendre à la fête.

Elle chargea sa voisine, Mélanie Robin, de garder le malade et de soigner sa vache, son coq, sa jument, son veau et son cochon, promettant de revenir à trois heures de la vêprée, et de donner à la gardienne un boisseau de grain râtis.

— Je veux bien vous remplacer, avait dit la voisine ; mais jusqu’à trois heures seulement. J’ai besoin d’être de retour chez moi à cette heure-là.

— Oui, oui, c’est entendu, je reviendrai de bonne heure.

Mais entraînée par le plaisir de la danse, elle disait en elle-même : « Bah ! Mélanie restera bien jusqu’à six heures ; on est en juin, les jours sont longs, elle aura tout le temps de faire sa besogne, puis je la récompenserai ; je lui ai promis un boisseau de grain râtis, je le lui donnerai chupé.

La malheureuse ne rentra qu’à sept heures du soir, et ne trouva plus la gardienne. Celle-ci, ennuyée de l’attendre, était partie.

Le pauvre moribond avait trépassé, et de ses yeux, restés ouverts, semblait suivre tous les mouvements de celle qui l’avait abandonné.

Les animaux, qui n’avaient rien à manger, poussaient des cris déchirants.

Dans l’étable elle crut entendre sa vache l’appeler. En effet, la bête, en beuglant, disait : « Jeanne ! Jeanne ! »

Le coq, dans la cour, en grattant le fumier, répondait : « Elle reviendra tantôt ! elle reviendra tantôt ! »

La jument hennissait : « Elle va v’ni ! elle va v’ni ! »

Le veau geignait : « Je meurs ! je meurs ! »

Le cochon, dans sa soue, grognait : « Hé ben ! Hé ben ! »

En voyant son homme défunt et tout ce désarroi chez elle, la fermière du Plessix-Godard se mit à braire à son tour et à maudire sa voisine : « Je lui avais promis un boisseau de grain râtis, puis chupé, mais la mâtine n’aura ren du tout. »

(Conté par Marguerite Courtillon,
fermière à Montru en Poligné).