Contes de l’Ille-et-Vilaine/Les trois Rencontres

Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 22-29).


LES TROIS RENCONTRES

Un vieux bûcheron et sa femme habitaient une cabane au fond d’un bois, et travaillaient du matin au soir pour élever leur famille composée de trois garçons.

Lorsque ceux-ci furent suffisamment grands et forts pour gagner leur vie leur père les réunit tous trois et leur dit : « Mes enfants, le moment est venu pour vous de quitter la maison paternelle afin d’aller apprendre un métier. Nous vieillissons, votre mère et moi, et nous ne pouvons plus que difficilement pourvoir à votre existence. »

— Moi, répondit l’aîné, je veux être soldat.

— Moi, dit le second, je veux être laboureur.

— Et moi, ajouta le plus jeune, je veux parcourir le monde pour voir les pays lointains.

Lorsqu’il fallut se séparer, tous versèrent d’abondantes larmes, puis bientôt les jeunes gens, un bâton de houx à la main, un petit sac sur le dos contenant une chemise et quelques hardes, s’éloignèrent chacun dans une direction différente.

Nous ne nous occuperons que du plus jeune, appelé Jean, qui s’en va, lui, à la recherche d’aventures.

C’était en été, le petit voyageur trouvait par les chemins les fruits tombés des arbres, et sur les haies les mûres sauvages qui suffisaient à sa nourriture. Il couchait, le plus souvent, sur la mousse au pied des arbres, et lorsqu’il pleuvait les paysans ne lui refusaient jamais un abri, dans la paille de l’étable ou dans le foin du grenier.

Un jour qu’il s’était endormi dans un creux de rocher au bord de la mer, il découvrit, à son réveil, un gros poisson qui allait mourir parce que les vagues, en se retirant trop précipitamment, l’avaient abandonné sur le sable.

N’écoutant que son bon cœur il reporta le poisson dans les flots.

Une autre fois, en regardant à ses pieds, il vit une fourmi qui, malgré des efforts inouïs, ne parvenait pas, à cause de l’irrégularité du sol, à transporter son œuf dans une fourmilière. Il eut pitié d’elle et lui présenta un brin de paille sur lequel elle monta, et il la porta, avec son œuf, où elle voulait se rendre.

Enfin, en longeant une haie, il entendit des cris déchirants dans un champ voisin.

Il s’y rendit aussitôt et vit un malheureux corbeau qui s’était laissé prendre dans les mailles d’un filet. Il courut bien vite à son secours, coupa les fils qui le retenaient prisonnier et lui donna la liberté.

L’oiseau noir, en s’envolant, poussa un cri joyeux de délivrance qui remplit de joie le cœur du voyageur.

Longtemps après ces trois rencontres, Jean, en traversant les rues de la capitale d’un petit royaume, inconnu de nos jours, entendit des archers qui publiaient, à son de trompe, que la fille du roi avait laissé tomber dans la mer une bague d’une immense valeur, et que le souverain promettait la main de sa fille au jeune homme qui rapporterait le bijou perdu.

Bien malin sera celui qui trouvera une bague au fond de la mer, pensait Jean, et cependant il suivit la foule qui se dirigeait vers le rivage.

Après s’être amusé à regarder tout le monde fouillant le sable, il dirigea ses pas vers un endroit désert où son attention fut attirée par un poisson qui frappait l’eau de sa queue, et qui levait, de temps en temps, la tête pour faire voir une bague qu’il tenait dans sa gueule.

Jean s’en empara et caressa le poisson qui lui dit : « Tu m’as sauvé la vie, et pour te récompenser je veux contribuer à assurer ton bonheur. »

Ravi de son sort, le jeune garçon s’empressa de porter le bijou au roi, qui fut très heureux de rentrer en possession d’un objet d’un prix considérable, et en même temps contrarié de voir qu’il avait été trouvé par un garçon d’aussi basse extraction.

— Tu n’as pas été longtemps à découvrir cette bague, s’écria le roi, et par conséquent ta peine n’a pas été grande ; aussi tu vas être soumis à une seconde épreuve. Je vais faire verser sur la pelouse du jardin six sacs de sable, et tu n’épouseras ma fille que si tu peux, la nuit prochaine, ramasser ce sable avec les mains, sans en oublier un seul grain, et le remettre dans les sacs.

— Ce que vous me demandez est impossible, répondit Jean, autant m’envoyer prendre la lune avec les dents.

— Tu peux toujours essayer ; mais si tu ne réussis pas, il sera inutile de te représenter au Palais.

Le pauvre voyageur s’en alla, tout déconfit, s’asseoir sur un banc du jardin, regardant le sable que des valets, en riant, étendaient devant lui avec un rateau. Il n’eut même pas le courage de bouger et bientôt s’endormit.

Grande fut sa surprise, le lendemain matin, de voir la pelouse nettoyée, et tout le sable enfermé dans les sacs. Il n’osait en croire ses yeux.

Tout à coup il aperçut une fourmi qui vint à lui en disant : « Tu m’as rendu service un jour, et comme le poisson de la mer, je veux contribuer à assurer ton bonheur. J’ai prié toutes mes amies les fourmis de venir à mon aide, et nous avons fait ta besogne pendant ton sommeil. »

Rempli de joie, Jean alla prévenir le roi que son travail était achevé.

— C’est bien, lui dit le roi avec ironie, il ne te reste plus qu’à aller me chercher les deux pommes d’or, qui pendent aux branches d’un pommier sur la montagne de la Mort, et que garde un dragon.

Jean, comprenant enfin que le roi ne voulait pas lui donner sa fille, ne répondit rien. Il salua et reprit son bissac et son bâton pour continuer ses voyages.

Il marchait la tête basse, songeant à l’ingratitude des hommes, lorsqu’il entendit voler un oiseau au-dessus sa tête. Il leva les yeux et aperçut un corbeau qui tenait en son bec un rameau de pommier auquel pendaient deux pommes d’or.

L’oiseau déposa son précieux fardeau aux pieds de Jean et répéta, lui aussi : « Je veux, moi, l’oiseau de l’air, comme le poisson de la mer, et la fourmi de terre, contribuer à ton bonheur. »

Le voyageur s’empara du rameau et hésita un instant à aller le porter au roi. En examinant cependant ces pommes, d’or massif, d’une valeur immense, il résolut de retourner à la cour.

Qu’on juge de l’étonnement du souverain en voyant ces merveilles, convoitées du monde entier, et qui avaient coûté la vie à des milliers de personnes assez téméraires pour avoir cherché à s’en emparer.

« Ce garçon, réfléchit-il, qui retrouve un bijou au fond de la mer, qui, en une nuit, ramasse une grande quantité de sable répandu dans l’herbe, qui dérobe au dragon les pommes d’or de la montagne de la Mort, n’est pas le premier venu. Il le regarda attentivement, lui trouva la figure distinguée, franche et bonne.

— Je vais te faire habiller par mon tailleur, lui dit-il, et demain je te présenterai à ma fille.

Jean ne parut nullement emprunté sous ses habits de velours galonnés d’or, et, comme il était joli garçon, il fut très bien accueilli de la princesse qui lui trouva beaucoup d’esprit.

La noce ne tarda pas à avoir lieu, et jamais fêtes et réjouissances ne furent plus belles.

(Conté par la mère Chevalier,
cuisinière à Bain-de-Bretagne).