Contes de Pantruche et d’ailleurs/Gangrène des paletots et Névrose des bottines


Gangrène des paletots
et Névrose des bottines.


Une récente chronique scientifique du Temps signalait, dans un journal industriel, « une étude pleine d’aperçus nouveaux sur une maladie connue et inexpliquée des chaudières à vapeur : on la nomme la corrosion par pustules ».

« C’est là, ajoute notre confrère, une vraie maladie, analogue à la variole des humains… Vos bouillottes se garnissent d’ampoules ou de pustules… Les ampoules crèvent, grêlant la tôle… Il arrive souvent qu’une chaudière au repos contracte de sa voisine une maladie pustuleuse. »

Courteline nous a dit jadis l’histoire réjouissante d’un aliéné qui « fait des blagues » à des objets domestiques. Ne raillons plus, désormais, puisque ces compagnons inanimés de notre existence ont, eux aussi, leurs souffrances et leurs deuils.

Le savant Gugli Meyer, au cours de sa vie d’étudiant, a recueilli d’intéressantes observations sur la maladie poisseuse des tables de café, cette affection terrible qui se communique aux paletots par les coudes.

Il résulte de nombreuses expériences faites par le docteur Saint-Crasy sur les prisonniers du Dépôt, que le séjour des fortifications, arches des ponts et bancs de gare, est moins favorable aux vestons et aux redingotes que la fréquentation exclusive des salons d’ambassades.

On sait, d’autre part, que les longues veilles et les orgies ne conviennent pas toujours au tempérament un peu fragile des devants de chemise. À la suite de repas prolongés, ils contractent diverses maladies cutanées (plaques vineuses, etc.). Les chapeaux hauts de forme, eux aussi, s’accommodent assez mal des expéditions nocturnes dans les brasseries et lieux de plaisir.

Certaines personnes ont l’habitude de mettre leurs semelles de bottines en contact avec le trottoir. Il en résulte à la longue un danger réel. En effet, plusieurs de nos correspondants ont remarqué qu’il se produisait un amincissement progressif de la semelle, susceptible de dégénérer en une ulcération très grave.

On a constaté, dans un autre ordre d’idées, que les pardessus d’hiver finissaient par devenir très impressionnables, malgré leur rude aspect. J’en ai connu un qui s’est mis à dépérir tout à fait, faute d’avoir pu se consoler de la perte successive de tous ses boutons, dont chacun laissait en s’en allant un grand vide…

J’ai observé, pour mon compte, un phénomène étrange, qui relève plutôt de l’étude des maladies mentales : c’est l’effet du beau temps sur l’état cérébral des parapluies. J’ai essayé, à diverses reprises, d’acclimater chez moi un parapluie. Dans les premiers temps il revenait régulièrement au logis, avec la docilité exemplaire d’un caleçon ou d’un gilet de flanelle. Mais, si le temps se mettait au beau au cours de notre promenade, il se produisait, chez mon parapluie, une amnésie bizarre : il oubliait totalement le chemin de la maison.

Ne terminons pas cette courte étude sans signaler le pouvoir d’hypnotisme que peuvent acquérir certains individus sur les objets domestiques. Une dame, qui demeurait sur mon palier, charmait absolument les ombrelles, les mouchoirs de batiste et les presse-papiers, qui quittaient un à un les grands magasins pour la suivre jusque chez elle. Ce cas intéressant lui valut la visite de quelques curieux, et même de notre commissaire de police, lequel s’intéressait beaucoup à ces questions spéciales.