Contes de Pantruche et d’ailleurs/Qu’est-ce qu’ils peuvent bien nous dire ?

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Qu’est-ce qu’ils peuvent bien nous dire ?


Telle était la question que se posaient les savants, réunis au congrès de Pampelune pour chercher les moyens de communication possibles entre la planète Terre et la planète Mars. L’accord s’était fait sur ce point, que les signes lumineux observés à la surface de Mars étaient bien des signaux à notre adresse, dont il s’agissait de trouver le sens. Et ce n’était pas douteux : pourquoi voulez-vous qu’une planète perde son temps à s’éclairer ainsi a giorno, si ce n’est pour converser avec d’autres planètes ?

Le docteur Isidorus présenta une motion, qui fut adoptée à l’unanimité.

« Admettons, disait ce savant docteur, que les Martiens sont beaucoup plus avancés que nous dans la voie du progrès et qu’ils se sont rendu compte, par des moyens perfectionnés de téléphonie et de téléphotie, de tout ce qui se passe à bord de notre planète. Risquons donc le coup et écrivons-leur en français. Ça ne nous coûtera jamais que vingt-deux milliards !

Pour écrire à des gens qui habitaient si loin, il fallait se procurer une feuille de papier énorme et surtout un endroit très plat pour l’étaler. On choisit l’endroit classique pour une expérience de ce genre, les déserts de l’Afrique centrale ; on supprima des oasis, on rasa des villages de nègres, pour empêcher que l’immense feuille fît des plis. Par la même occasion, on civilisa des quantités de noirs, et l’on convertit au végétarisme tous les cannibales de l’Ouandsi, de l’Ouandgé et de l’Ouandga, si friands jusque-là de chair humaine qu’ils nourrissaient de leurs propres oreilles leurs ventres affamés.

On réquisitionna tous les produits des fabriques d’encre, si bien qu’en Europe l’encre manqua. Mme Séverine dut écrire sur l’écorce des arbres ses éloquents appels à la charité publique, durant que des tambours de ville, pareils aux anciens rapsodes, déclamaient dans les carrefours de Limoges, des Andelys ou de Loudéac les alexandrins de M. François Coppée.

Quand on eut rendu, par des procédés chimiques, l’encre parfaitement lumineuse, d’immenses rouleaux, traînés par des bœufs, l’étalèrent pour former les lettres sur la feuille de papier. Ce travail dura près de quatre mois. Comme les signaux de Mars continuaient de plus belle, on avait décidé d’envoyer d’abord cette brève interrogation :

Plaît-il ?

Chacune de ces lettres mesurait cent lieues de hauteur. Et l’on prit soin de mettre sur les i des points d’un diamètre tel, qu’une armée tout entière y pouvait évoluer.

L’inscription terminée, on attendit au grand observatoire du Gabon la réponse de la planète Mars. On n’attendit pas longtemps. Vingt-quatre heures après, courrier par courrier, la réponse de Mars arriva par lettres lumineuses isolées, qui apparaissaient l’une après l’autre, de quart d’heure en quart d’heure. L’observatoire les télégraphiait aux Terriens surexcités.

Or, la réponse à la question : Plaît-il ? disait simplement :

Rien.

On étala dans l’Afrique centrale une nouvelle feuille de papier, sur laquelle on écrivit ces mots (le travail dura sept mois) :

Alors, pourquoi nous faites-vous des signes ?

Mars répondit :

Ce n’est pas à vous que nous parlons. C’est à des gens de la planète Saturne.