Contes arabes (Basset)/Histoire des dix vizirs/Septième histoire
SEPTIÈME HISTOIRE
n roi, nommé Behkerd, possédait des richesses considérables ; sa conduite était
cruelle ; il punissait la faute la plus légère et
ne pardonnait à personne. Un jour qu’il
était allé à la chasse, un de ses serviteurs
lança une flèche qui l’atteignit à l’oreille.
« Cherchez qui a tiré cette flèche, » commanda
le roi. On lui amena le serviteur qui se
nommait Nirou41 ; la frayeur renversa celui-ci à terre, presque évanoui. « Tuez-le, »
ordonna Behkerd. « Prince, dit le condamné, cet accident n’est pas arrivé par ma
volonté, pardonne-moi, puisque tu es tout-puissant sur moi. Le pardon est la plus belle
action ; il peut être utile et avantageux quelque jour pendant cette vie et, dans l’autre,
c’est un trésor auprès de Dieu. Pardonne-moi donc et détourne de moi le mal ; le
Très-Haut le détournera de toi. » — À ces
mots, Behkerd fut étonné et fit grâce à Nirou, lui qui n’avait jamais pardonné auparavant.
Ce serviteur était un fils de roi, qui s’était enfui d’auprès de son père pour quelque faute qu’il avait commise et était allé se mettre au service de Behkerd chez qui cette aventure lui arriva. Il advint que quelqu’un, l’ayant reconnu, informa son père qui lui envoya une lettre, rassura son cœur et son esprit et lui demanda de revenir auprès de lui. Le jeune homme obéit, alla trouver son père, se réjouit beaucoup et fut en faveur auprès de lui.
Il arriva qu’un jour, Behkerd s’étant embarqué pour aller pêcher sur mer, le vent se mit à souffler et le vaisseau fut submergé. Le roi monta sur une planche, à l’insu de tout le monde, et fut jeté sur une plage quelconque. Par hasard, il aborda dans le pays qui appartenait à son ancien serviteur et à son père ; il atteignit, la nuit, la porte de la ville et s’arrêta près d’un cimetière. Le jour venu, les gens entrèrent et trouvèrent, non loin de là, le cadavre d’un homme qui avait été tué cette nuit-là. À cette vue, ils pensèrent que le meurtrier était le naufragé qui se trouvait au milieu des tombeaux ; ils se saisirent de lui et l’amenèrent au roi en disant : « Cet homme a commis un assassinat. » Le prince fit jeter Behkerd en prison. Alors il pensa : « Tout cela m’arrive à cause de mes nombreux péchés et de mes fréquentes injustices ; j’ai tué beaucoup de personnes et c’est là le châtiment de ma conduite tyrannique. » Tandis qu’il était plongé dans ces réflexions, un oiseau vint se poser à l’angle de la prison ; poussé par sa passion pour la chasse, le captif prit une pierre et la lui jeta. Le fils du roi était à se divertir sur l’hippodrome, à jouer à la balle et à la pomme ; la pierre l’atteignit à l’oreille et le renversa évanoui. L’auteur de cet accident fut recherché et amené au prince qui ordonna de le mettre à mort. On lui ôta son turban et on allait lui bander les yeux quand Nirou s’aperçut qu’il lui manquait une oreille.
« Ce sont tes méfaits qui t’ont privé de ton oreille ? 42 » demanda-t-il.
« Non, répondit Behkerd, mais cela m’est arrivé en telle et telle circonstance. » Puis il ajouta : « J’ai pardonné à celui qui m’avait décoché une flèche et enlevé l’oreille. »
Alors le prince regarda sa figure, le reconnut et poussa un cri : « Tu es Behkerd ? »
« Oui, » dit-il.
« Et voici celui qui t’a atteint. »
Puis il lui raconta tout ce qui était arrivé ; les gens pleins d’admiration louèrent Dieu très haut ; Nirou embrassa son ancien maître, lui témoigna de grands égards, le fit asseoir sur son trône, le revêtit de pelisses d’honneur et le conduisit à son père en disant : « Voici celui qui m’a pardonné et voici la place de l’oreille que j’ai atteinte d’une flèche ; le pardon qu’il m’a accordé exige que je lui fasse grâce. » Puis, s’adressant à Behkerd : « Le résultat de ta clémence t’a été avantageux. » Ensuite tous deux le comblèrent de bienfaits et le renvoyèrent dans son pays.
Sache, ô prince, qu’il n’y a rien de plus beau que le pardon et que tout ce que tu fais dans cette voie, tu le retrouveras comme un trésor amassé par toi.
Lorsque le roi eut entendu cette histoire, sa fureur se calma et il dit : « Ramenez ce jeune homme en prison jusqu’à demain, afin que nous examinions son affaire. »