Contes épiques/Don Ruy Diaz

PoésiesBibliothèque-CharpentierTome second (p. 68-70).


Don Ruy Diaz


 
Bardé de fer, botté de cuir et casqué d’or,
Don Ruy Diaz appelé le Cid Campéador,
Etant à Rome, entra pour dire une prière
Dans l’église du chef des saints apôtres, Pierre.
Sept fauteuils étaient la pour les sept rois chrétiens
Conviés par le pape à de longs entretiens
Touchant les intérêts de l’Église et sa gloire.
Un fauteuil, le plus haut de tous, était d’ivoire,

Et, s’approchant, don Ruy, le bon justicier,
Vit les trois fleurs de lys peintes sur le dossier,
Dont il conçut dans l’âme une amère souffrance.
« Quoi ! dit-il, on verrait siéger le roi de France
Sur ce trône, tandis que mon roi s’assiérait,
Lui, le fier Castillan, sur un vil tabouret ? »
Et le Cid, secouant, car son courroux s’allume,
Tout son habit de fer comme un oiseau sa plume,
Vers le siège éclatant sous les sombres arceaux
Marche, et d’un coup de poing en fait quatre morceaux.
Un duc — ce fut, dit-on, le bon duc de Savoie —
Etant présent, lui dit : « Maudite soit la voie
Où tes pieds ont marché pour te mettre en ce lieu,
Car tu viens d’offenser mon roi, le pape, et Dieu. »
Mais Ruy Diaz lui répond d’une telle poussée
Que l’autre roule à terre, une côte cassée,
Et, sans plus demander ni comment ni pourquoi,
Rajuste son habit et, prudent, se tient coi.

Le lendemain, le pape ayant su la nouvelle,
Dit tout haut : « Ce Ruy Diaz est fou par la cervelle, »

Et l’excommunia, s’étant fâché très fort.
Mais don Ruy Diaz jugea que le Pape avait tort.
Il l’alla voir. « Salut, Pape. Je te conseille
De m’absoudre. Les gens de la Castille-Vieille,
Pape, sont violents parfois, quoique très doux.
— Je t’absous de bon gré, don Ruy Diaz ! je t’absous. »