Contes épiques/La Bonne Infante

PoésiesBibliothèque-CharpentierTome second (p. 71-73).


La Bonne Infante


 
Un jour (que Dieu les veuille absoudre du péché !)
Un jeune More avec la reine était couché.
Ils folâtraient, croyant le lieu sûr. Mais l’infante,
Au mur collant son front, les voit par une fente.
Elle entre et dit : « Ma mère ! il sied mal, sur ma foi,
Que, mon père vivant, mon père, le bon roi,
Tu t’accouples avec ce juif de Morérie.
Eh ! l’infante, viens çà. N’en dis rien, je te prie,

Et sache, mon doux œil, que je te donnerai
Une cape écarlate au revers bien doré,
Pour qu’à Noël tu sois jolie et triomphante.

— Gardez votre manteau, répond la bonne infante,
Et quant à celui-ci qui te requiert d’amour
Dans le propre lit, mère, où tu m’as mise au jour,
Il se peut bien qu’avant une heure Dieu m’accorde
De le voir, roide et long, pendre au bout d’une corde. »

Là-dessus, les laissant muets et gourds d’effroi,
L’infante alla trouver son père, le bon roi.

« Je venais de m’asseoir devant la nappe blanche,
Quand un More, passant par là, d’un coup de hanche
Jette à terre escabeau, vaisselle et gobelet.
Bon père, châtiez ce païen, s’il vous plaît.

— Infante, je suis roi. Je suis chrétien, ma fille.
Ce More, fils d’un prince, est otage en Castille,
Et le punir d’un mal léger comme le tien,
Certes, ne serait pas le fait d’un roi chrétien.


— Je ne demande rien, bon roi, que d’équitable.
Je suis tombée avec la vaisselle et la table,
Et ce païen maudit (sachez la vérité,
Père !) a cueilli la fleur de ma virginité.

— L’infâme ! il expira sa lâche effronterie ! »
Voilà comment Tarfé, ce juif de Morérie,
Avec la reine ayant, comme j’ai dit, couché,
Fut pendu. Dieu les veuille absoudre du péché !