Conte sous-marin ; Annette et Doric ; Fanfreluche ; Papillon, Roi de Ruthie/3


FANFRELUCHE



OR, voici comment la Fée Fanfreluche apprit à travailler.

Fanfreluche s’ennuyait ; elle passait ses journées à bâiller en tournant ses pouces.

La Fée Viviane, sa maman, avait beau la prier de faire un ouvrage quelconque, Fanfreluche s’entêtait à bâiller et à tourner ses pouces. « Bon, bon ! se dit la sage Fée Viviane. Il faut corriger cette petite paresseuse : je vais l’envoyer sur la Terre. »

Aussitôt, elle jeta sur Fanfreluche un charme qui l’endormit, et, faisant atteler son char léger, se mit en route.

Elle l’embrassa avant de la quitter.

La Terre n’est pas fort éloignée du Royaume des Fées. Viviane déposa Fanfreluche au milieu d’une forêt de chênes. Elle l’embrassa avant de la quitter et lui commanda de dormir jusqu’au matin. Ce que fit Fanfreluche. En se réveillant dans une contrée inconnue, elle pleura de tout son cœur.

Sa maman avait, de plus, remplacé sa belle robe de brocart par une pauvre petite robe de laine ; autour de sa baguette magique, elle avait demandé aux fougères de pousser très haut pet les fougères avaient obéi. De sorte que Fanfreluche ne retrouva plus sa baguette.

Un paysan qui passait par là entendit des sanglots ; il s’approcha d’elle et, la croyant abandonnée, la prit dans ses bras et la porta dans sa cabane.

Sa femme et lui, caressèrent Fanfreluche et lui demandèrent qui elle était.

— « Je suis la Fée Fanfreluche. Bonnes gens, rendez-moi ma baguette, afin que je regagne le Royaume des Fées. »

« Une fée ne porte pas une jupe trouée, lui fut-il répondu. Petite fille, dis-nous ton vrai nom ? »

Fanfreluche se mit à trépigner en voyant qu’on ne la croyait pas. Les paysans se dirent qu’elle était simple d’esprit. Ils étaient bons et l’invitèrent à demeurer avec eux.

Dorénavant, Fanfreluche garderait les vaches dans la prairie ; on l’appellerait Marie : c’était plus court.

Le paysan alla donc chercher ses trois vaches, dont l’une était rousse, l’autre noire et la troisième blanche.

Il installa Fanfreluche dans le pré, mit une longe à ses pieds, un tricot entre ses mains.

« Il faut, lui dit-il, veiller à ce que les vaches n’aillent pas brouter l’herbe du pré voisin, car la clôture fait défaut en plusieurs endroits. Tu tricoteras, tout en levant le nez de temps en temps. »

Fanfreluche ne répondit pas, elle réfléchit : « Je n’ai plus de baguette magique, mais je suis fée encore. »

Elle monta sur une grosse pierre et prononça d’une voix impérieuse : « O laine grise, sache te transformer en bas sans l’aide de mes doigts. Et vous, vaches paisibles, restez obéissantes sans que j’aie besoin de vous surveiller. Ainsi le veut la Fée Fanfreluche. »

Elle s’assit par terre et se mit à appeler : « Maman ! Maman ! » Mais aucune voix ne lui répondit.

Le soir vint… Fanfreluche rêvait en regardant s’allumer les étoiles, quand le paysan lui tapa sur l’épaule.

« Eh bien ! Il est temps de rentrer. Rassemble les bêtes, petite ! » Il regarda à terre, vit le tricot inachevé. « Comment ? C’est ainsi que tu fais ta besogne ! »

Quand il s’agit de retrouver les vaches, ce fut une autre affaire : elles étaient bel et bien occupées à tondre l’herbe du voisin.

En voyant ce qui était arrivé, Fanfreluche se désola.

— « Hélas ! hélas ! ne suis-je donc plus Fée ? »

« Tu ne 1’as jamais été, petite sotte ! »

Fanfreluche rentra au logis la tête basse.

Viviane apporta la paix et la résignation dans le cœur de sa fille, pendant qu’elle sommeillait, sur sa couche de paille.

Fanfreluche se réveilla joyeuse.

Le soleil brillait : il faisait si délicieux qu’on avait envie de danser. « Marie, il est temps de partir au pré ! »

Marie trouva que l’étable sentait bon ; elle admira les yeux doux et confiants de ses vaches. Elle se sentait si à l’aise dans sa petite robe de laine qu’elle commençait à la préférer aux riches étoffes du Royaume des Fées.

Marie se fit montrer comment, d’un peloton de laine, on pouvait faire sortir un bas. Marie caressa l’échine soyeuse de Roussette, Noirette et Blanchette, en les priant gentiment de ne plus désobéir, comme la veille.

Marie travailla en chantant, et jamais elle ne fut aussi gaie ; jamais le temps ne lui parut aussi court.

Mais… Fanfreluche reprit le dessus dans l’après-midi. Tout semblait s’être donné le mot contre elle : le ciel s’était voilé de gros nuages, la laine avait roulé dans le ruisseau, les vaches se sentaient de tyranniques envies de goûter l’herbe plus drue du voisin.

Fanfreluche abandonna tout et s’enfuit chez le paysan raconter son infortune.

« Allons, tu ne sais pas ce que c’est que travailler, lui dit la femme en souriant : il faut avoir de la patience. »

Le jour suivant, Fanfreluche tâcha d’avoir de la patience, et le ciel eut beau être menaçant, les vaches indociles, la laine eut beau rouler dans le ruisseau, Marie travailla sans se lasser.

La soupe qu’on lui servit lui parut un nectar. Elle avait faim, et c’était un plaisir, en rentrant du dehors, de humer les bonnes odeurs de la cuisine.

« Tiens, se dit-elle en se couchant, voilà le premier jour de ma vie où je ne me suis pas ennuyée. »

Elle bâilla. « Je ne savais pas qu’on pût bâiller seulement de fatigue. » Elle rêva toute la nuit qu’elle avait cent vaches à garder, cent bas à tricoter, et qu’elle en venait à bout, à force de persévérance. Et tout le monde l’admirait ; sa maman la pressait sur son cœur.

Marie se dit : « Puisque je sais travailler, si j’essayais de regagner le Royaume des Fées ? Il est dans le ciel, là-bas ! Je me ferais deux ailes… oui, deux ailes, c’est une bonne idée… »

Aussitôt, Fanfreluche ajouta : « Je demanderai plutôt à un oiseau complaisant de me prêter les siennes pour une journée. »

Elle entendit un petit cri tout près d’elle, au milieu des herbes. Une alouette s’élança, les ailes brillantes de rosée.

— « Jolie alouette, tes ailes, je t’en prie !… Madame l’Alouette, 47 arrêtez-vous un instant, écoutez-moi. Je suis une pauvre petite… ne partez pas !… »

Mais l’alouette n’était déjà plus qu’un point noir dans l’immensité du ciel : on n’entendait plus son chant.

Fanfreluche se dit, découragée : « Les oiseaux ne parlent pas sur la Terre, jamais je ne saurai me faire comprendre d’eux. »

J’ai mal agi, se dit-elle.

En menant ses vaches au pré, elle trouva par terre le cadavre d’une mésange. Elle s’en saisit avec joie, en détacha les ailes et se les fixa au dos.

Elle attendit un souffle de vent.

Or, le vent eut beau souffler en agitant les arbres, les ailes de mésange restèrent immobiles.

« Elles sont trop petites, » pensa Fanfreluche. Et elle les jeta dédaigneusement.

Le lendemain, elle remarqua un objet inconnu suspendu au mur. « C’est un arc, » lui dit le paysan. Et il lui expliqua la façon de s’en servir.

Fanfreluche eut une idée : elle s’exerça à tirer à l’arc en visant une planche. Quand elle eut acquis une certaine adresse, elle tua de pauvres petits moineaux, des rouges-gorges, des sansonnets, et les rapporta chez elle.

Fanfreluche les examina afin de choisir lequel des oiseaux lui conviendrait le mieux. Mais ils avaient tous l’aile cassée par la flèche qui les avait atteints. Elle se fâcha et les lança par la fenêtre. Au lieu de retomber sur le pavé de la cour, ils reprirent vie et s’envolèrent en pépiant.

Fanfreluche se mit à trembler : « J’ai mal agi, se dit-elle. La Reine des Fées me donne une leçon. J’ai tué de pauvres bêtes innocentes. » Et elle eut honte.

Fanfreluche résolut de fabriquer elle-même les ailes qui l’aideraient à revoir sa chère maman et sa patrie.

« Je veux ramasser les plumes des oiseaux : souvent j’en ai vu sur l’herbe ou accrochées aux buissons. Je les récolterai jusqu’à ce qu’il y en ait assez pour m’en faire deux ailes aussi larges que celles du vautour. Ce sera long, mais peu importe. »

Marie se mit à l’œuvre pendant ses moments de loisir et les jours passèrent l’un après l’autre en cortège interminable. Elle marchait toujours la tête baissée, inlassable dans sa recherche. Elle avait réservé un coin de sa chambre pour amasser les plumes : il y en avait de toutes couleurs. Elle veillait sur elles comme sur des enfants et les lissait avec amour.

L’hiver allait venir. Elle se sentait triste à mourir, à l’idée de devoir le passer sur la terre. Elle avait froid ; ses petits doigts étaient raides. Cependant, elle ne perdait pas courage : Fanfreluche n’existait plus.

Un soir qu’elle revenait au logis en soupirant (sa récolte de plumes n’avait pas été bonne), elle vit les hirondelles se réunir avec des cris d’espoir. L’horizon doré semblait les appeler vers la chaleur et la lumière.

Le soleil disparaissait ; elles allaient le suivre au delà des plaines et des plaines…

Le vent était froid. Marie contemplait avec envie les oiseaux heureux. Les hirondelles qui couvraient les arbres se levèrent par centaines et Marie crut entendre chuchoter de mystérieuses paroles.

« Fanfreluche…uche…uche… » Cela se répercutait à l’infini. « Retourne… ourne.,.ourne… au Royaume des Fées…ées…ées… »

Alors chaque oiseau laissa tomber une de ses plumes, avant de prendre son vol. Le sol en était jonché ; elles se posaient sur les brins d’herbe sans les courber.

Marie envoya un baiser aux voyageuses. Elle ramassa les plumes jusqu’à la nuit, si bien qu’elle en avait le dos courbaturé.

« Ma bonne maîtresse, dit-elle à la paysanne, préparez-moi, je vous en prie, un pot de colle aussi grand que votre plus grande casserole. »

— « Et pour quoi faire, petite ? »

Marie s’expliqua, ajoutant qu’elle reviendrait souvent les visiter, et que, du Royaume des Fées, elles les protégerait en souvenir de leur bonté pour elle.

La paysanne regarda son mari en haussant les épaules. Il sourit indulgemment et lui murmura à l’oreille :

« Fais ce qu’elle désire : elle est simplotte, mais inoffensive. Si c’est son idée… »

La femme prépara donc un énorme pot de colle, que Marie monta triomphalement dans sa chambre.

Elle colla, toute la nuit, les plumes rebelles, qui s’envolaient par la chambre au moindre coup de vent.

Elle travailla dans un rayon de lune, et le soleil levant la trouva toujours occupée. Les ailes terminées — deux grandes ailes multicolores — elle enleva sa robe et les cousit dessus avec son plus gros fil.

Elle sanglota, la tête contre la terre dure.

Il faisait à peine jour, quand elle sortit de la cabane sur la pointe des pieds. Elle était si émue que son cœur frétillait comme une souris.

« Maman ! Maman ! pensait-elle. Je vais te revoir. »

Elle atteignit le verger, grimpa sur la plus haute branche d’un pommier et compta : « Une, deux, trois ! » Elle s’élança en étendant les bras, la tête tournée vers le ciel. Les ailes ne se déployèrent pas… les ailes lourdes l’entraînèrent sur le sol. Elle ne se fit pas grand mal, mais en voyant tout son ouvrage perdu, elle n’eut plus d’espoir.

Elle sanglota, la tête contre la terre dure et le grandes ailes la couvraient d’un étrange manteau.

Le soleil monta dans le ciel : les fleurs s’ouvrirent et la rumeur confuse des vies qui se réveillent s’éleva de la nature matinale.

Là-bas, sur le chemin, des sons clairs se mirent à sautiller avec allégresse. Un petit paysan s’avançait, tenant entre ses doigts une flûte en bois doré.

Fanfreluche leva la tête et poussa un cri : « Ma baguette magique ! »

— « Comment ;  ! s’exclama le petit garçon, c’était une baguette magique ! »

— « Oui, oui, c’est bien la mienne. Où l’as-tu trouvée, dis-moi ? »

— « Dans la forêt. J’allais cueillir des myrtilles. Je m’en suis taillé une flûte. Oh ! si j’avais su !… »

— « Il est temps encore. Que désires-tu ? »

— « Voir maman guérie et papa revenu de la guerre. »

— « Rends-moi ma baguette et retourne chez toi : tes vœux sont accomplis. »

— « Oh ! si j’avais su ! répétait encore le petit en s’éloignant.

Dès que Fanfreluche tint la baguette magique, ses ailes palpitèrent en se gonflant de vent.

Le ciel s’illumina : la fée Viviane apparut. Elle tendait les bras : « Viens, Fanfreluche ! Tu as appris à travailler. Viens, ma fille chérie ! »

Et Fanfreluche s’envola comme un joli oiseau fantastique.