Conte sous-marin ; Annette et Doric ; Fanfreluche ; Papillon, Roi de Ruthie/2


ANNETTE ET DORIC




IL y avait une fois un jeune prince qui s’en revenait à travers la forêt, très en gaieté, car il venait de quitter une charmante et belle princesse, qui lui avait passé au doigt l’anneau des fiançailles. Quand il franchit le seuil de son palais, il vit son père accourir à lui : « Eh bien ! mon fils, qu’est-il donc advenu de votre visite ?

— « Sire le Roi, celle que j’aime m’a mis au doigt la bague qu’on donne aux fiancés.

— « Voyons cette bague. »

Le prince saute de cheval et tend la main d’un geste triomphant.

— « Mais, mon fils, il n’y a là ni or ni pierre précieuse ! »

En effet, l’anneau avait disparu. Aussitôt éclata la colère du vieux roi :

— « Voyez dans quel état vous me mettez : cette jeune fille viendra ici dans quelques jours, revêtue de ses plus beaux atours et prête à l’hyménée. Et moi, comment avouerai-je à son père votre négligence ? »

Le prince baissait la tête, pensant, sans oser le dire, qu’il était le plus à plaindre des deux.

Cependant, on commence à s’assembler autour d’eux.

Les courtisans se font expliquer l’affaire et aussitôt voilà toute une armée d’hommes qui se précipitent dans la forêt, toute une nuée d’oiseaux en habits brodés, le nez à terre, munis de lunettes et de grosses loupes, qui s’abattent et fourmillent.

La nuit vient, on cherche toujours à la lueur des chandelles.

La nuit vient, on cherche toujours à la lueur des chandelles. Le lendemain aussi, le surlendemain encore. On n’aperçoit que des corps pliés en deux, des yeux dardés vers le sol ; il s’en faut de peu que les nez ne s’allongent à cet exercice.

Et l’anneau rusé restait dans sa cachette. Il se riait de ces gens qui faisaient tondre l’herbe avec férocité, détourner les rivières, assécher les étangs.

Un jour, pourtant, on voit arriver un jeune garçon qui marche la tête levée vers le ciel. On crie au scandale.

Les malédictions redoublent quand on s’aperçoit qu’il porte une chemise de lin et va pieds nus, tout simplement.

« Quel est ce moucheron ? »

« Hors d’ici, vagabond ! »

Mais le petit suit des yeux, depuis un moment, un oiseau en demi-deuil, qui sautille de branche en branche en relevant chaque fois la queue, comme s’il avait peur de la perdre en route.

« Qu’est-ce donc ? Il s’amuse à regarder une bestiole ! »

La pie prend tout à coup son vol et le jeune garçon aussi agile qu’un chat, grimpe à sa poursuite jusqu’au haut d’un chêne.

« Il va se casser le cou ! »

« Tant mieux ! »

Mais pourquoi tous ces habits de velours se mettent-ils à grommeler ?

C’est que l’enfant, du haut de son arbre a crié quelque chose qui ressemble à : « J’ai trouvé ! » Et il redescend au plus vite, tenant un bel anneau d’or reluisant.

Il s’approche du plus respectable des courtisans :

« Veuillez remettre ceci de ma part au fils du Roi. »

Et il s’en va modestement rejoindre une fillette aux cheveux ébouriffés, qui le regarde avec des yeux candides et émerveillés.

Les chercheurs désappointés ramassèrent leurs lunettes et tous leurs instruments : chacun s’injuriait à part soi de n’avoir pas trouvé. Le vieillard qui tenait en main l’objet précieux réfléchissait que s’il eût été seul, il eût bel et bien fait croire... mais malheureusement, ils étaient plus de mille !

Le petit garçon avait donc rejoint sa compagne : une petite fille frêle comme une tige de blé et qui n’était jolie que par la grâce de son visage. Elle s’appelait Annette, lui Doric. Ils s’aimaient tendrement et vivaient ensemble comme frère et sœur ; ils étaient orphelins tous les deux.

Annette et Doric revinrent chez eux comme si rien n’était arrivé, et pourtant Doric avait sauvé le fils du Roi !

« Frérot ! dit seulement la petite fille avant de s’endormir, je t’admire bien d’avoir osé grimper jusqu’au faîte de cet arbre. »

Le jour vint vite : on était en été. Annette s’en alla à la fontaine et revint en courant.

« Il y a, dit-elle, des cavaliers qui viennent de ce côté. »

Un moment après, des hommes étaient là qui disaient :

« Viens, marmot. Le Roi a demandé de te voir pour te donner une récompense. »

« Je n’ai pas besoin de récompense ! »

« Allons, il faut obéir. »

L’un d’eux enleva Doric avec une grande force, et le plaça devant lui sur son cheval. Ils prirent alors le galop dans un tourbillon de poussière, et Annette resta au milieu de la route, ne sachant si elle devait rire ou pleurer.

Celui qui avait enlevé Doric était un beau jeune homme aux longues mains. Le petit garçon regardait avec ravissement ses ongles roses et sa peau de satin.

Il admirait aussi la dentelle délicate qui s’échappait de sa manche, le brocart magnifique qui serrait son poignet, ses bottes en cuir souple, la plume de son chapeau, qui, parfois, lui caressait le front.

« Cela doit être agréable de porter ces belles choses, » se dit-il.

On arriva au château. Doric traversa des salles qui l’éblouirent et le charmèrent. Il trouva les tapis plus moelleux que les cailloux de la terre. Le roi était assis sur un trône somptueux. Il toisa le petit bonhomme, et, après beaucoup de paroles aimables, lui annonça qu’il recevrait un château, avec le titre de gouverneur de province.

« Je veux bien, Monsieur le Roi, s’il m’est permis de partir avec Annette. »

« Non, mon ami. Dès aujourd’hui, vous êtes noble et grand seigneur. Vous êtes riche. Vous ne parlez plus aux filles de paysans. »

Doric allait réclamer, mais des serviteurs entraient avec des eaux parfumées, des habits brodés, des souliers à boucles, des chapeaux hauts comme des tours.

« Choisissez, » disaient-ils d’un air engageant.

Et Doric se vit, en quelques minutes, paré magnifiquement.

« En route, maintenant, dit le Roi. Il faut partir dès ce matin pour votre nouveau domaine. Mille fois merci encore. Vous nous avez sauvés. »

Doric monta sur un cheval blanc comme l'écume, qui piaffait en l’attendant.

La bonne aubaine qu’un château tout de marbre et d’or qui vous tombe ainsi sur le nez d’un jour à l’autre !

Doric se promène parmi des chambres ornées comme des bijoux. Il admire, il admire encore. Il se jette sur les fauteuils, essaye la douceur des lits, ouvre des armoires pleines de bibelots, des bonbonnières débordantes de pralines. Il s’examine curieusement dans chaque miroir.

Si seulement Annette était ici !

« Monsieur Doric, lui chuchote sa conscience d’un air de reproche, n’est-ce pas méchant d’avoir ainsi abandonné la petite fille pour habiter un riche palais, quand elle couche sous le chaume ? » — L’intéressante question, quand voici une étagère remplie de pots de confitures !

« Elle se consolera, ma chère, elle se consolera ! »

Le temps passe gaiement. Doric se prélasse au milieu d’une foule de serviteurs attentifs. Mais, chaque soir, la voix chuchotante et timide reprend le même refrain. Alors, un jour, Doric se hasarde : « Monsieur, dit-il à son grand chambellan, faites, je vous prie, venir ici ma petite amie : nous jouerons une bonne fois ensemble. »

Mais le grand chambellan éclate de rire : « Une fille à pieds nus, s’esclaffe-t-il, non ! mais vous n’y pensez pas ? »

Doric se retire très mortifié, mais pénétré de ces paroles. « Il est vrai, se dit-il, qu’Annette ferait une drôle de mine ici. » Et il se résigne.

L’hiver frileux arriva. Il faisait froid, jadis, dans la cabane, mais dans le château, de grands feux brûlent jour et nuit avec un crépitement amusant à entendre.

« C’est l’époque où l’on ramassait du bois mort, » pense le petit gouverneur en croquant une cerise rouge venue à prix d’or d’un pays lointain. (Elle était enfouie dans des ouates blanches, au fond d’une caisse en bois parfumé.)

Comme les journées sont longues ! Doric connaît à présent tous les recoins de son domaine ; il s’est habitué au luxe qui l’entoure. D’ailleurs, on se fait vite à cela.

Il n’ose trop sortir : les culottes de velours ne supportent pas la boue des chemins. Il se lasse des histoires que des hommes monotones viennent lui lire pour le distraire et... à quoi bon le cacher : il s’ennuie !

Doric est habillé chaque matin par le beau jeune homme qui vint le chercher pour le mener auprès du roi. Il a l’air aimable, plein d’esprit et de bonté : aussi l’aime-t-il bien.

Annette apparut, toute menue et charmante, dans sa robe à traîne.

Un jour que la triste pluie battait aux vitres comme pour demander d’entrer dans les maisons, Doric se mit à parler d’Annette à son ami : « Te rappelles-tu, lui dit-il, une fillette qui t’a reçue avec moi ? C’est ma petite amie. On m’a défendu de la voir. Mais, si tu le veux, tu l’amèneras ici malgré tout, et de façon à ce qu’on la prenne pour une princesse de haut rang. J’ai des vêtements dont tu la couvriras. Tu lui diras de n’avoir l’air étonnée de rien, quand elle entrera ici, et de ne pas m’embrasser, puisque ce n’est pas la mode. Surtout, recommande-lui de parler avec finesse et distinction. Elle est gentille, vois-tu, mais ce n’est qu’une paysanne, peu habituée, comme moi, aux belles manières. »

Doric alla chercher un paquet emballé dans du papier de soie.

« Voilà ces habits. Je les ai fait confectionner par ma vieille servante. Ils sont souples et beaux. Ne les froisse pas en route. »

L’ami partit avec un sourire indulgent, et le petit gouverneur annonça à tout le château que la princesse Anne de la Tour arriverait bientôt pour lui faire visite, et qu’on lui devait mille égards. Il se tint à la fenêtre et attendit. Ce ne fut pas long. Un galop de cheval, d’abord éloigné, se rapprocha. Annette apparut, toute menue et charmante, dans sa robe à traîne.

Doric descendit pour la recevoir. Il eut bien envie de se jeter à son cou, en l’embrassant sur les deux joues, mais il se contraignit et s’inclina profondément. En se relevant, il vit qu’elle rougissait et baissait les yeux.

Tout le palais s’était mis en grande tenue pour recevoir l’auguste visiteuse. Quand elle se mit à marcher, une foule de gens se saisirent de sa traîne avec des murmures de respect. On arriva au salon d’honneur.

Annette voulut s’asseoir sur un modeste tabouret caché honteusement derrière un pouf. On l’arrêta à temps.

« Quelle aimable simplicité ! » chuchotèrent les courtisans.

On passa des rafraîchissements. Annette dit à un laquais :

« Merci, mon bon Monsieur. »

« Quelle bienveillance ! » se dirent entre eux les laquais.

Une vieille intendante plaça un coussin sous les pieds de la princesse : « A vous plutôt, Madame, » dit Annette, en le lui remettant en mains.

« Quelle politesse ! Quelle exquise politesse ! » s’exclamèrent les intendantes.

Mais ce fut autre chose quand on s’avisa d’engager la conversation avec la princesse. Quand on lui demanda des nouvelles du roi, son père, de son vaste royaume, de ses sujets, on la vit muette, confuse, interloquée.

Doric aurait aimé rentrer sous terre.

Des propos désobligeants se mirent à parcourir le salon :

« C’est une fausse princesse ! C’est une intrigante ! »

Il regarda Annette et il remarqua que ses mains étaient rouges et ses joues gercées. Oui, c’était bien la petite fille qui courait avec lui dans la forêt, mais une princesse, oh ! non ! Elle injuriait de sa présence le moindre meuble de la chambre. On eût dit que le château splendide se rebiffait à son seul contact.

Et comme elle se tenait d’une façon guindée sur sa chaise ! Comme sa pose était peu gracieuse ! Comme ses pieds se regardaient d’une façon choquante ! Le lendemain, Doric vit venir à lui un vieillard irrité, qu’il connaissait pour être le chancelier :

« Monsieur le Gouverneur, la petite fille qui était hier ici ne s’appelle-t-elle pas Annette tout court, comme certaine paysanne de vos connaissances ? »

« Hélas ! oui, » répondit le pauvre gouverneur en tremblant de tous ses membres.

« Vous auriez pu nous priver d’une telle visite ! N’avez-vous pas vu ?… »

« Oui, j’ai bien vu que je ne devais plus songer à ma petite amie, interrompit Doric ; elle se tient trop mal en société. »

« Elle n’est plus de votre rang », conclut le chancelier d’un ton sec. Et il plissa sa bouche en signe de mépris.

Pour clore l’hiver, on donna des fêtes magnifiques. Toute la noblesse y fut conviée. C’étaient des festins qui duraient trois jours, des bals où l’on dansait des nuits entières, des représentations où figuraient les plus célèbres artistes.

Le printemps vint, hâtif et lumineux. On fit des feux d’artifice dont les fusées dépassaient les plus hauts arbres. On organisa des fêtes champêtres où des barques pavoisées de lanternes et de fleurs voguaient par les nuits bleues, pleines de chansons.

Les nobles dames amenaient leurs filles, dans le secret espoir qu’elles charmeraient le riche gouverneur. C’était une procession de carrosses qui serpentait le long des allées pour se perdre dans la campagne.

On logeait les arrivants dans les salles innombrables du palais. Il avait même fallu construire, en quelques jours, un pavillon spécial pour héberger le trop plein du palais.

La floraison d’avril arrivait des quatre coins du pays, dans de lourds chariots, pour orner le corsage des dames. Les sorbets étaient si nombreux qu’on était à court de neiges éternelles.

Doric vivait dans un tourbillon comme ces mouches qui dansent, le soir, en se grisant de lumière.

Une lettre lui était parvenue de la part du roi.

Elle le priait de choisir une épouse parmi ses invitées sans nombre.

Doric leur trouvait à toutes un défaut : celle-ci avait le nez de travers ; celle-là portait mal ses toilettes ; cette autre n’était qu’une simple duchesse.

Il fit écrire au roi : « Sire, elles ne me satisfont point. Quoi ! pas une qui soit parfaite ! »

Peu après, il fit cesser toute réjouissance, et chaque jeune fille s’en retourna fort déconfite.

« Donnez-moi, Sire, écrivit-il au roi, une belle dame qui soit en tous points comme je la désire. » Mais aucune ne vint, car il ne restait plus d’autres filles à marier dans tout le royaume.

Alors, Doric s’impatienta. Il devint de fort méchante humeur envers ceux qui l’approchaient, trouvant qu’on mettait trop peu d’empressement à combler ses désirs.

Il s’endormit un soir les poings serrés, ayant encore des paroles de colère à la bouche. Un coup léger heurta sa porte. « Va-t-en, sacripant ! » cria-t-il à ce maudit domestique.

Mais la porte s’ouvrit : une fée aussi jolie que le Printemps en fleurs glissa jusqu’à son lit : « J’ai eu pitié de toi, Doric. Je comprends qu’étant si beau, si puissant, si parfait, tu dédaignes ces filles, indignes de toi. »

Je m’appelle Yveline. Adieu, Doric !

Doric se souleva sur sa couche. Sa mauvaise humeur s’était dissipée.

« Sors de ton domaine, parcours le monde, que tu ne connais pas. Puises-y les éléments qui te paraîtront les plus admirables pour créer une jeune fille à ton goût et qui devienne la bienheureuse élue. Quand tu l’auras conçue dans ton esprit, je l’animerai de mon souffle. »

« Merci, bonne fée. Dites-moi votre nom ? »

« Je m’appele Yveline. Adieu, Doric ! »

Le gouverneur se leva promptement, sans attendre le jour.

« Holà ! mes gens ! Vite, que l’on prépare mon cheval de parade et mon page Frisotin. Nous partons, vous dis-je. Hâtez-vous ! »

Des hommes en bonnet de nuit et des femmes en papillotes s’empressent, tout ébahis : ils croient rêver...

Mais non, car voici le maître en grand apparat qui passe la grille du parc.

La nuit est fraîche et délicieuse. Des millions d’étoiles se font des clins d’œil pour se désigner le cavalier, si matinal ou si tardif, qui laisse derrière lui flotter son manteau de fourrure.

Aux approches de l’aurore, un frémissement courut parmi les branches. La mystérieuse forêt se peupla de bruissements. On eût dit que les arbres s’étiraient paresseusement. Des lapins se faufilaient dans les broussailles et tenaient conseil dans les clairières.

Doric atteignit l’orée du bois. Le ciel était ravissant à voir. Le bleu intense de la nuit s’était fondu délicatement en mauve indécis. Vers l’orient, une lueur d’abord hésitante caressait l’horizon : elle était d’un rose tendre, frêle et velouté.

« Fée Yveline, s’écria Doric, je veux que les joues de ma fiancée soient pareilles à cette clarté qui annonce le soleil. »

Doric donna un coup d’étrier. Il traversa des prairies et des champs. Il piétina d’humbles plantes couvertes de rosée, dont la senteur rustique montait à ses narines.

Vers midi, la chaleur devint accablante.

Le page Frisotin demandait à boire en gémissant, mais Doric allait toujours.

Une source apparut. Frisotin supplia de s’y arrêter : il fallut céder. Pendant qu’il buvait, Doric laissa errer ses yeux sur l’eau claire qui jasait en courant sur la mousse ; il fut ravi. Mille reflets scintillaient sur la nappe limpide, mille aigrettes, mille queues de flammes. Des soleils y tournoyaient en se fuyant et se rapprochant tour à tour.

La source était d’argent, d’or vif, de turquoise ; elle miroitait. Rien qu’à la voir, on se sentait désaltéré.

« Fée Yveline, s’écria Doric, je veux que ses yeux soient pareils à cette eau charmante. »

Doric secoua son paresseux écuyer, qui tentait tout bonnement de se laisser gagner par le sommeil. Ils reprirent leur route. La journée était radieuse et tissée de chants d’oiseaux. Cependant la campagne devint aride. Plus que de maigres arbres courbés dans le même sens, comme des suppliants.

« Frisotin, où sommes-nous ? »

Frisotin, très fier d’être interrogé, étendit le bras vers l’horizon : « La mer ! » murmura-t-il.

Doric se sentit une nouvelle ardeur. Il s’élança.

La mer était bien là, étendue nonchalemment derrière une rangée de dunes. Des voiles blanches s’y balançaient, l’ombre des nuages s’y promenait avec lenteur.

Doric se coucha sur une dune. Le soleil la criblait de lumière ; elle était plus jaune que lui, presque aussi ardente. Elle se creusait en plis onduleux.

Un peu de sable que le vent soulevait en poudroiement d’or fin lui faisait comme une auréole.

« Fée Yveline, s’écria Doric, je veux que ses cheveux soient pareils à ce sable blond. »

Doric traversa des landes incultes aux teintes mélancoliques. « Qu’il fait sombre et méchant ici ! » disait Frisotin. L’air était âpre et salé. Les chants d’oiseaux s’étaient tus. « Qu’il fait triste ! » répétait Frisotin d’un ton pleurard.

Mais derrière un repli de terrain apparut tout à coup la neige vaporeuse de pommiers en fleurs : tout un verger joyeux et léger comme une chanson. De vieux arbres tordus et rabougris couverts d’une toison fragile, à peine éclose.

« Fée Yveline, s’écria Doric, que son sourire soit aussi joyeux que les pommiers fleuris ! »

La lune se leva au-dessus de la cime des arbres. « Dormons ! » dit Doric ; et ils se reposèrent jusqu’au lendemain.

« Prends mon cheval, Frisotin. Retourne au château. Je continuerai seul mon voyage. »

Frisotin ne se le fit pas dire deux fois : il en avait assez de l’équipée.

Doric attendit le jour. Les prés étaient couverts d’une épaisse buée blanche. Quand le soleil parut, elle se déchira peu à peu en écharpes, qui s’allongeaient dans de souples mouvements.

« Fée Yveline, je veux que ma fiancée porte une écharpe pareille à celles-ci ! » Doric entra dans une cabane : une vieille femme y tissait, pliée en deux comme une branche sèche.

« Chut ! chut ! moins de bruit ! dit-elle en le voyant entrer. Vous allez les effaroucher. Là, voyez-vous, ils se sont enfuis… »

Elle expliqua que, depuis des temps immémoriaux, elle travaillait, aidée par une légion d’esprits bienfaisants, qui guidaient ses mains tremblantes. Tout le monde la connaissait : on se disputait ses étoffes merveilleuses. Elles étaient quelquefois légères au point qu’il fallait mettre un poids sur elles pour les empêcher de s’envoler ; quelquefois lourdes au point qu’il fallait un attelage pour en transporter une seule aune.

Des écheveaux aux teintes éclatantes étaient pendus aux murs, et la vieille semblait un chiffon égaré parmi tant de richesses.

« Il n’y a, dit-elle, qu’un tissu qui dépasse mes moyens. A le chercher, j’ai usé mes yeux et mes meilleures aiguilles. Il s’appelle : Celui-qui-est-trop-beau-pour-exister-sur-la-terre. Personne n’a jamais su le reproduire ; le secret de sa fabrication est gardé jalousement dans un monde inaccessible. »

« Comment donc est-il, bonne vieille ? »

« Il est si beau qu’on ne peut se le représenter. »

Elle travaillait, aidée par une légion d’esprits bienfaisants.

« Fée Yveline, s’écria Doric, je veux que ma fiancée porte une robe de cette étoffe. Je n’ai plus rien à ajouter. Faites-moi voir celle en qui j’ai mis tout mon idéal ! »

Il continua sa route et arriva devant un ruisseau. Une jeune fille était là qui l’attendait. Elle était nimbée d’une lumière surnaturelle. Doric la reconnut : c’était sa fiancée. Il l’appela des plus doux noms :

« Je viens vers toi, Reine de grâce, Fleur du ciel. C’est moi qui t’ai créée pour te chérir. Je te donnerai la richesse après t’avoir donné le jour. »

Il s’agenouilla, lui prit la main pour la baiser..

La belle souriait sans paraître le voir.

Il leur fallait traverser le ruisseau.

Doric vit une grosse pierre qui surnageait : « J’y saute, dit-il. Je t’aiderai à l’atteindre après moi. »

Mais la pierre était glissante : il fit un faux pas, voulut se raccrocher et se déchira la main. Il disparut dans l’eau. Le courant était rapide. « Tends-moi la main, supplia-t-il ; sauve-moi… par pitié ! » La jeune fille souriait toujours, impassible ; ses yeux clairs suivaient le corps de son ami, que l’eau allait engloutir.

Doric perdit connaissance. Un peu plus tard il se réveilla, déposé comme par enchantement sur une prairie aux herbes molles.

« Fée Yveline, dit-il, j’ai compris. Dans ma fiancée, j’ai veillé à tout, sauf au principal. J’ai désiré une figure jolie à voir, sans me soucier des sentiments qu’elle cachait. Fée Yveline, ma fiancée n’avait pas d’âme, et c’est la seule chose qu’il faut aimer... Pardon, pardon, je suis un mauvais petit garçon !...»

Il pleurait de tout son cœur. La chaleur avait achevé de sécher ses vêtements. Il s’étonna de voir sa main emmaillotée soigneusement dans un linge encore taché de sang.

Qui l’avait soigné ? La fée, sans doute ?...

Doric entra dans une forêt de chênes touffus. Il marchait en baissant la tête, comme un repentant.

Soudain, il tressaillit ; son cœur se mit à battre très fort.

Sur la poussière d’un chemin, il venait de reconnaître l’empreinte de deux petits pieds. Deux pieds nus, que ceux-là, et jamais embarrassés de souliers de satin.

« Annette a passé par ici... Hier ? Aujourd’hui ? Tantôt ? Il y a des jours, peut-être, car il n’a pas plu depuis une semaine... A quoi pensait-elle, en foulant ce chemin ? A son ami ? Elle l’a sans doute oublié... Non, elle l’aimait trop tendrement. Ah ! comme elle était bonne ! Comme elle savait vous dire des choses gentilles et touchantes ! Comme elle savait chanter ! Comme elle savait rire ! Comme elle savait consoler ! »

Doric marche plus lentement : il se sent triste à mourir. Il lui a fait de la peine ! Il l’a méprisée ! Comme il se repent !

Doric tressaille à nouveau : voici maintenant une pauvre petite couronne de pâquerettes abandonnée sur un talus... une couronne comme elle aimait à s’en tresser.

Doric s’approche. Oh ! surprise ! les fleurs sont fraîches ; elles viennent d’être cueillies !

Doric marche encore... Annette est assise sur un tronc d’arbre, les mains croisées sur les genoux.

Il l’appelle doucement. Elle se lève et dit craintivement :

« Êtes-vous guéri, Monsieur le Gouverneur ? »

« Non, répondit-il ; c’est « Doric » qui est guéri ; c’est Doric qui a été soigné par sa petite amie. »

Annette n’y tient plus : elle se jette à son cou.

« Annette, veux-tu, nous serons mari et femme ? Le roi m’a ordonné de me marier. »

La petite regarde sa robe de coton d’un air de regret.

« Sois tranquille, Annette, je t’aime telle que tu es ! Je redeviendrai le Doric d’autrefois ! Nous ferons tant de bien autour de nous que chacun apprendra à aimer notre simplicité. Nous administrerons notre province aussi sagement que nous élevions nos poules et nos pigeons. Dis, veux-tu ? »

Et voilà l’histoire : Annette épousa Doric, et jamais on ne vit meilleurs gouverneurs, ni plus compatissants.


Juillet 1912.


Ceci montre comment Doric retrouva Annette.