Constantinople (Gautier)/Chapitre XVI

Fasquelle (p. 195-206).

XVI

LES FEMMES


La première question que l’on adresse à tout voyageur qui revient d’Orient est celle-ci : — « Et les femmes ? » — Chacun y répond avec un sourire plus ou moins mystérieux selon son degré de fatuité, de manière à faire sous-entendre un respectable nombre de bonnes fortunes. Quoi qu’il en coûte à mon amour-propre, j’avouerai humblement que je n’ai pas la moindre indiscrétion de ce genre à commettre, et je serai forcé, à mon grand regret, de priver ma relation du récit de toute aventure amoureuse et romanesque. Cela eût pourtant été très-utile pour varier mes descriptions de cimetières, de tekkés, de mosquées, de palais et de kiosques : rien n’orne mieux un voyage d’Orient qu’une vieille qui, au détour d’une ruelle déserte, vous fait signe de marcher derrière elle et vous introduit par une porte secrète dans un appartement paré de toutes les recherches du luxe asiatique, où vous attend, assise sur des carreaux de brocart, une sultane ruisselante d’or et de pierreries, dont le sourire vous fait des promesses voluptueuses bientôt réalisées. Ordinairement l’intrigue se dénoue par l’arrivée soudaine du maître, qui vous laisse à peine le temps de fuir par une issue dérobée, à moins que la chose ne se termine plus tragiquement par une lutte à main armée et la chute, au fond du Bosphore, d’un sac où s’agite vaguement une forme humaine.

Ce lieu commun oriental, convenablement brodé, intéresse toujours le lecteur, et surtout la lectrice. — Sans doute, il n’est pas sans exemple qu’un giaour beau, jeune, riche, sachant à fond la langue du pays, et possédant une petite maison accommodée aux mœurs turques, n’arrive, en courant les plus grands périls et en exposant la vie de la femme, à nouer une intrigue d’amour avec une musulmane ; mais cela est extrêmement rare, et pour plusieurs raisons : d’abord, quoi qu’en dise Molière, les verrous et les grilles, obstacles assez matériellement efficaces ; ensuite la différence de religion et le mépris sincère de tout croyant pour les infidèles, motifs auxquels il faut joindre la difficulté ou plutôt l’impossibilité de ces relations préalables qui déterminent l’amour. De plus, en France, il y a une conspiration tacite contre le mari ; tout le monde favorise le couple amoureux, au moins de son silence, et personne ne songe à s’ériger en vengeur de la morale publique. En Turquie, ce n’est pas la même chose : un cawas, un hammal, un homme du peuple qui voit dans la rue une musulmane parler à un Franc ou seulement lui faire des signes d’intelligence, tombe dessus à coups de pied, à coups de poing, à coups de bâton, brutalité qui ne trouve que des approbateurs, même parmi les femmes. Personne n’entend raillerie sur la fidélité conjugale ; la jalousie toute corporelle des Turcs les préserve presque assurément des accidents matrimoniaux, si fréquents chez nous, — quoique la plaisanterie des cornes soit aussi connue à la baraque de Karagheuz qu’au Théâtre-Français, et que le mot kerata (cornard) revienne à tout propos dans les disputes comiques.

Il est vrai que les femmes turques sortent librement, vont se promener aux eaux douces d’Asie et d’Europe, défilent en voiture à Hyder-Pacha, ou sur la place du Sultan-Bayezid ; s’assoient au bord des terre-pleins du Champ-des-Morts de Péra et de Scutari, passent les journées entières au bain ou en visite chez leurs amies, assistent aux comédies de Kadi-Keuï, aux tours de force des jongleurs de Psammathia, causent sous les arcades des mosquées, s’arrêtent aux boutiques du Bezestein, parcourent le Bosphore en caïque ou en bateau à vapeur ; mais elles ont toujours avec elles soit deux ou trois compagnes, soit une négresse ou une vieille faisant office de duègne, et, si elles sont riches, un eunuque souvent jaloux pour son compte ; lorsqu’elles sont seules, ce qui est rare, un enfant leur sert de porte-respect, et, à défaut d’enfant, les mœurs publiques les surveillent et les protègent peut-être même plus qu’elles ne le voudraient. La liberté d’aller et de venir dont elles jouissent n’est qu’apparente.

Les étrangers ont pu croire à quelques bonnes fortunes, parce qu’ils ont confondu les Arméniennes avec les Turques, dont elles portent le costume, sauf les bottes jaunes, et imitent assez bien les allures pour tromper quelqu’un qui n’est pas du pays ; il suffit, pour cela, d’une vieille entremetteuse qui s’entende avec une jolie intrigante, d’un jeune homme crédule et d’un rendez-vous pris dans une maison isolée ; la vanité fait le reste, et l’aventure se dénoue toujours par l’extorsion de quelque somme plus ou moins forte, détail omis par le giaour dupé, qui voit dans toute coureuse au moins une favorite du pacha, s’il ne rêve même d’aller sur les brisées du Grand-Seigneur. Mais, en réalité, la vie turque n’en est pas moins murée hermétiquement, et il est très-difficile de savoir ce qui se passe derrière ces fenêtres finement treillissées, où sont pratiques des œils-de-bœuf comme aux toiles de théâtre, pour regarder du dedans au dehors.

Il ne faut pas penser à se procurer des renseignements auprès des naturels du pays. Comme dit Alfred de Musset au début de Namouna :

Un silence parfait règne dans cette histoire.

Parler à un Turc de ses femmes est commettre la plus grossière inconvenance ; on ne doit jamais faire la moindre allusion, même détournée, à ce sujet délicat. — Ainsi se trouvent bannies de la conversation ces phrases banales : « Comment se porte madame ? » et autres du même goût ; l’Osmanli le plus farouchement barbu rougirait comme une jeune fille s’il entendait une pareille énormité. — La femme de l’ambassadeur de France, ayant voulu faire présent à Reschid-Pacha de quelques belles soieries de Lyon pour son harem, les lui remit en disant : « Voici des étoffes dont vous saurez, mieux que personne, trouver l’emploi. » — Exprimer plus nettement l’intention du cadeau eût été une incongruité, même aux yeux de Reschid, habitué aux mœurs françaises, et le tact exquis de la marquise lui fit choisir une forme gracieusement vague qui ne pouvait blesser en rien la susceptibilité orientale.

On comprend, d’après des idées pareilles, qu’on serait mal venu à demander à un Turc des détails sur la vie intime du harem, sur le caractère et les mœurs des femmes musulmanes ; l’eussiez-vous connu familièrement à Paris, eût-il pris deux cents tasses de café et fumé autant de pipes sur le même divan que vous, il balbutiera, répondra d’une manière évasive, ou se fâchera tout rouge et vous évitera par la suite ; la civilisation, sous ce rapport, n’a pas fait un pas. Les seuls moyens à employer, c’est de prier quelque dame européenne bien recommandée et admise en visite dans un harem, de vous raconter fidèlement ce qu’elle aura vu. Pour un homme, il doit renoncer à connaître autre chose de la beauté turque que le domino ou ce qu’il aura pu saisir par surprise sous la bâche des arabas, derrière la fenêtre des talikas, à l’ombre des cyprès dans le cimetière, lorsque la chaleur et la solitude conseillent d’écarter un peu le voile.

Encore, si l’on approche trop et qu’il y ait par là quelque Turc, on s’attire des compliments de ce goût : « Chien de chrétien ! mécréant ! giaour ! que les oiseaux du ciel te souillent le menton, que la peste habite chez toi ! Que ta femme reste stérile ! » Malédiction biblique et musulmane de la plus grande gravité. Cependant cette colère est plutôt feinte que réelle, et se joue principalement pour la galerie. — Une femme, même turque, n’est jamais fâchée qu’on la regarde, et le secret de sa beauté lui pèse toujours un peu.

Aux eaux douces d’Asie, en me tenant immobile contre un arbre ou adossé à la fontaine comme quelqu’un qui s’endort dans quelque vague rêverie, j’ai pu voir plus d’un charmant profil qu’estompait à peine une vapeur de gaze, plus d’une gorge pure et blanche comme un marbre de Paros s’arrondissant sous le pli d’un feredgé entr’ouvert, tandis que l’eunuque se promenait à quelques pas ou regardait passer les bateaux à vapeur sur le Bosphore, rassuré par mon air distrait et morne.

D’ailleurs, les Turcs n’en voient pas plus que les giaours ; ils ne pénètrent jamais au delà du Selamlick, dans la maison de leurs plus intimes amis, et ils ne connaissent que leurs propres femmes. — Quand un harem en visite un autre, les pantoufles des étrangères, placées sur le seuil, interdisent l’entrée de l’odalick même au maître du logis, qui se trouve ainsi mis à la porte de chez lui. Une immense population féminine, anonyme et inconnue, circule dans cette ville mystérieuse, changée en bal de l’Opéra perpétuel, où les dominos n’ont pas la permission de se démasquer. Le père et le frère ont seuls le droit de voir à découvert le visage de leurs filles et de leurs sœurs ; on se voile pour les parents moins proches ; ainsi un Turc pourrait n’avoir vu dans sa vie que cinq ou six figures de femmes musulmanes. Les harems nombreux sont l’apanage des vizirs, des pachas, des beys et autres personnes riches, car ils coûtent excessivement cher, chaque femme devenue mère devant avoir sa maison séparée et ses esclaves à elle ; les Turcs de condition ordinaire n’ont guère qu’une femme légitime, bien qu’ils puissent en épouser quatre, et une ou deux concubines achetées. Le surplus du sexe reste pour eux à l’état de fantôme et de chimère ; il est vrai qu’ils se peuvent dédommager en regardant les Grecques, les Juives, les Arméniennes, les Pérotes et les rares voyageuses qui viennent visiter Constantinople.

Si leurs jouissances positives sont mieux assurées que les nôtres, ils n’ont aucun plaisir d’imagination. Comment s’enflammer pour des beautés à peine entrevues, avec qui toute relation suivie est impossible, et dont les formes même de la vie nous séparent invinciblement ? Tout cela n’empêche pas, sans doute, que quelque jeune Osmanli ne s’éprenne d’une khanoun (dame) ou d’une odalisque à la suite d’un hasard heureux ou d’une rencontre fortuite, et que celle-ci ne le lui rende, malgré tous les obstacles ; mais l’exception prouve la règle.

Un Turc, pour se marier, a recours à quelque femme d’âge mûr, faisant le métier d’entremetteuse, profession honorable à Constantinople. La vieille, qui fréquente les bains, lui décrit minutieusement un certain nombre d’Asmé, de Rouchen, de Nourmahal, de Pembé-Haré, de Leila, de Mihri-Mahr, et autre beautés vierges et nubiles, en ayant soin d’orner de plus de métaphores orientales le portrait de la jeune fille qu’elle favorise. L’effendi devient amoureux sur description, sème de bouquets d’hyacinthes la route où doit passer l’idole voilée de son cœur, et après quelques œillades échangées, la demande à son père, lui assure une dot proportionnée à sa passion et à sa fortune, et voit enfin tomber, pour la première fois, dans la chambre nuptiale, le yachmack importun qui dérobait des traits ordinairement purs et réguliers. Ces mariages par procuration ne donnent pas lieu à plus de méprises et de déception que les nôtres.

Je pourrais copier ici, dans les voyageurs qui m’ont précédé, une foule de détails sur la Validé, sur les Hassakis, les sultanes, les odalisques et l’aménagement intérieur du sérail ; les livres d’où je tirerais ces notions sont aux mains de tout le monde, et il est inutile de les transcrire. Passons à quelque chose de plus précis, et donnons un intérieur turc d’après le récit d’une dame invitée à dîner chez la femme de l’ex-pacha du Kurdistan dont j’ai déjà parlé.

Cette femme avait fait partie du sérail avant d’épouser le pacha. Lorsqu’elles ont atteint l’âge de trente ans, le sultan donne la liberté à certaines de ses esclaves, qui trouvent à se marier très-avantageusement, à cause des relations qu’elles conservent dans le palais et du crédit qu’on leur suppose. Elles ont d’ailleurs reçu une très-bonne éducation ; elles savent lire, écrire, faire des vers, danser, jouer des instruments, et se distinguent par ces grandes manières qu’on ne prend qu’à la cour ; elles possèdent aussi, à un haut degré, l’intelligence des intrigues et des cabales, et souvent apprennent, par leurs amies restées au harem, des secrets politiques dont leurs maris profitent, soit pour obtenir une faveur, soit pour éviter une disgrâce. Épouser une fille du sérail est donc un très-bon calcul pour un ambitieux ou un homme prudent.

L’appartement dans lequel la femme du pacha reçut son invitée était aussi élégant que riche, et contrastait avec la sévère nudité du selamlick, que j’ai décrit dans le chapitre précédent. Une rangée de fenêtres en occupait les trois pans extérieurs, de façon à admettre le plus d’air et de lumière possible ; — une serre donne l’idée la plus juste de ces chambres, où l’on garde aussi des fleurs précieuses. — Un magnifique tapis de Smyrne couvrait moelleusement le plancher ; des arabesques et des entrelacs peints et dorés décoraient le plafond ; un long divan de satin jaune et bleu régnait sur deux faces de la muraille ; un autre petit divan très-bas s’étalait dans un entre-deux de croisées d’où l’on découvrait en plein l’admirable perspective du Bosphore ; des carreaux de damas bleu jonchaient çà et là le tapis.

Dans un angle scintillait, placée sur un plateau de même matière, une grande aiguière de verre de Bohême, couleur d’émeraude, ramagée de dessins d’or ; dans l’autre était placé un coffre de cuir gaufré, historié, piqué et doré, d’un goût charmant, et rappelant, pour l’invention des ornements, ces coffres du Maroc que Delacroix ne manque jamais d’introduire dans ses tableaux de vie africaine. Malheureusement, ce luxe oriental était entremêlé d’une commode en acajou sur le marbre de laquelle pyramidait une pendule recouverte de son globe entre deux vases de fleurs artificielles sous verre, ni plus ni moins que sur la cheminée d’un honnête rentier du Marais. Ces dissonances qui affligent l’artiste se retrouvent dans toutes les maisons turques qui ont des prétentions au bon goût. — Une pièce plus simplement décorée, attenant à la première, servait de salle à manger, et communiquait avec l’escalier de l’office.

La khanoun était somptueusement parée, comme le sont chez elles les dames turques, surtout lorsqu’elles attendent quelque visite, Ses cheveux noirs, divisés en une infinité de petites nattes, lui tombaient sur les épaules et le long des joues. Le sommet de sa tête étincelait comme coiffé d’un casque de diamants formé par les quadruples chaînettes d’une rivière et par des pierres d’une eau admirable cousues sur une petite calotte en satin bleu-de-ciel qu’elles recouvraient presque entièrement. — Cette splendide parure allait bien à son caractère de beauté sévère et noble, à ses yeux noirs brillants, à son mince nez aquilin, à sa bouche rouge, à son ovale allongé, à toute sa physionomie de grande dame hautaine et affable.

Son cou un peu long était entouré d’un collier de grosses perles, et sa chemise de soie entr’ouverte laissait voir une naissance de gorge mignonne et bien formée qui n’empruntait pas le secours du corset, instrument de gêne inconnu en Orient ; elle portait une robe de soie grenat foncé ouverte sur le devant comme une pelisse d’homme, fendue sur les côtés à hauteur du genou, et par derrière formant la queue comme une robe de cour. Cette robe était bordée d’un ruban blanc bouillonné en étoiles de distance en distance ; un châle de Perse serrait le haut de larges pantalons de taffetas blanc, dont les plis recouvraient de petites babouches de maroquin jaune qui ne montraient que leur pointe recourbée en sabot chinois.

Elle fit placer l’étrangère auprès d’elle sur le petit divan avec beaucoup de grâce, après lui avoir toutefois présenté une chaise pour s’asseoir à l’européenne si le siége turc lui semblait incommode, et elle examina curieusement sa toilette, sans affectation marquée cependant, comme une personne bien élevée peut le faire quand un objet nouveau se présente à elle. La conversation, entre gens qui ne parlent pas la même langue et en sont réduits à la pantomime, ne saurait être bien variée : la Turque demanda à l’Européenne si elle avait eu des enfants, et lui fit comprendre qu’elle était elle-même privée à son grand regret de ce bonheur.

Quand l’heure du repas fut arrivée, l’on passa dans la chambre voisine, également entourée de divans, et l’on apporta le guéridon de cuivre poli chargé de mets à peu près semblables à ceux dont j’ai déjà donné la description, sauf que les plats de viande y étaient en moindre proportion et les sucreries plus nombreuses et plus variées. — Une esclave favorite de la khanoun prenait part au repas à côté de sa maîtresse.

C’était une belle fille de dix-sept ou dix-huit ans, robuste, vivace, superbement épanouie, mais de beaucoup inférieure, comme race, à l’ex-odalisque du sérail ; elle avait de grands yeux noirs surmontés de larges sourcils, une bouche pourprée, des joues rondes, un éclat de santé un peu rustique sur tout le visage, les bras blancs et charnus, la gorge forte et une opulence de contours que son costume dégagé permettait d’apprécier librement. Elle était coiffée d’un petit bonnet grec dont ses cheveux bruns s’échappaient en deux grosses tresses, et vêtue d’une veste de ce jaune-pistache que nos teinturiers ne peuvent attraper, d’un ton très-clair et très-doux. Cette veste, tailladée sur les côtés et par derrière, de façon à former des espèces de basques comme les par-dessus des Parisiennes, avait des manches courtes qui en laissaient échapper d’autres en gaze de soie, et accusait, en marquant la taille, une croupe qui ne devait rien aux mensonges de la crinoline ; de vastes pantalons bouffants en mousseline opaque complétaient cet habillement aussi leste que gracieux.

Une mulâtresse couleur de bronze neuf, un bout de draperie blanche tournée autour du front, négligemment roulée dans un habbarah blanc qui faisait admirablement ressortir le ton sombre de sa peau, se tenait debout et pieds nus contre la porte, prenant les plats des mains du domestique qui les montait de la cuisine située à l’étage inférieur.

Après le dîner, la cadine se leva et passa dans le salon, où elle promena de divan en divan sa gracieuse nonchalance. Elle fuma ensuite une cigarette au lieu du narghilé traditionnel ; la cigarette est maintenant à la mode en Orient, et l’on fume autant de papelitos à Constantinople qu’à Séville ; c’est un amusement pour l’oisiveté des femmes turques de rouler les blonds cheveux du latakyé dans la mince papillote de papel de hilo.

Le maître du logis vint rendre visite à sa femme et à la dame d’Europe ; mais, en l’entendant venir, la jeune esclave s’enfuit avec une extrême précipitation, car, appartenant en propre à la khanoun, et déjà fiancée, elle ne pouvait paraître à visage découvert devant l’ex-pacha de Kurdistan, qui, du reste, n’avait qu’une femme, comme beaucoup de Turcs.

Au bout de quelques minutes, le pacha se retira pour faire ses dévotions dans la pièce voisine, et la khanoun rappela son esclave.

L’heure de prendre congé était arrivée ; l’étrangère se levait pour sortir ; son hôtesse lui fit signe de rester encore un peu et dit quelques mots à l’oreille de la jeune esclave, qui se mit à fouiller les tiroirs de la commode avec beaucoup d’activité, jusqu’à ce qu’elle eût trouvé un petit objet enfermé dans un étui que la femme du pacha remit à la visiteuse comme gracieux souvenir de la bonne soirée passée ensemble.

Cet étui de carton lilas glacé d’argent contenait un petit flacon de cristal sur lequel se lisait la légende suivante : « Extrait pour le mouchoir. — Paris. — Miel. » Et sur le revers : « Extrait double, qualité garantie de miel. — L.-T. Piver, 103, rue Saint-Martin, Paris. »