Concours de Fay-le-Froid en 1879
CONCOURS
DES ANIMAUX REPRODUCTEURS
DE LA RACE BOVINE DU MEZENC
TENU À FAY-LE-FROID LE 7 SEPTEMBRE 1879.
Le Comice agricole qui se tient annuellement à Fay-le-Froid dans le but de favoriser l’amélioration de la race bovine du Mezenc, a eu lieu dimanche dernier, 7 septembre.
Plusieurs membres du Comice agricole du Puy, délégués par la Société des Amis des sciences, se sont rendus samedi à Fay-le-Froid pour procéder à l’examen des sujets exposés et décerner les récompenses d’usage. M. le conseiller de préfecture Sagebien représentait M. le Préfet : qu’il nous permette de le complimenter de l’aménité courtoise dont il n’a cessé de faire preuve et du vif intérêt qu’il a manifesté pour les opérations du Comice dont il avait la présidence d’honneur.
Le départ du Comice pour Fay a eu lieu samedi, à neuf heures du matin : à onze heures et demie, arrivée à Saint-Julien où le Comice est attendu par son sympathique et dévoué président, M. Émile Mauras.
Après déjeuner, la caravane fait à l’église restaurée de Saint-Julien une visite pleine d’intérêt ; elle s’arrête avec une satisfaction mêlée de surprise devant une Assomption qu’on dit être de Lemoine et dont la maëstria ne semble pas indigne d’une si noble origine.
Mais l’heure presse ; il faut gravir l’âpre montée de Boussoulet, qui serpente autour de la pittoresque Tortue, puis traverser le long plateau désolé qui a nom la Champ du Pin, puis en finir avec l’interminable rampe qui surplombe le cours supérieur du Lignon, et à l’extrémité de laquelle nous apercevons depuis 6 kilomètres les maisons blanches de Fay-le-Froid.
Il est six heures au moment où la voiture passe sous l’arc de triomphe élevé à l’entrée de la place ; le Comice descend à l’hôtel Dupré au son des boîtes tirées en son honneur ; il est reçu par M. Peyrot, le digne maire de Fay, qui le dirige avec beaucoup d’amabilité à travers les rues de la ville.
À tous les carrefours se dressent des arcs de verdure ; l’un porte sur son fronton : Vive la République ! — un autre : Honneur à M. le Préfet ! — un troisième : Honneur à M. Morel ! — À l’entrée du champ de foire on lit, sur un écusson resplendissant : Honneur à l’agriculture ! De toutes parts, entre des branches de sapin, des drapeaux et des lanternes vénitiennes s’étalent les deux lettres R. F., lesquelles, en dépit des quolibets qu’on leur a prodigués, font bonne et fière figure.
Le lendemain, dimanche, tout au matin, les boîtes annoncent, l’ouverture de la fête ; la place est, dès sept heures, couverte de groupes animés dans lesquels on devise de l’emploi de la journée. Le soleil s’est montré bon prince : le ciel est pur et dans le lointain les yeux émerveillés suivent la ligne majestueuse des Alpes, plus près, dans la direction de l’Ardèche, la masse floconneuse des brouillards du Rhône, enfin plus près encore, les trois sommets classiques du Mezenc, de l’Ambre et du Lignon. En faisant le tour du plateau phonolithique qui porte Fay, on aperçoit encore, de l’autre côté du Lignon, les trachytes de Rouffiac, d’où sort la source qui alimente la fontaine publique de la petite ville.
Tandis que nous admirons le paysage, notre député, M. le docteur Morel, fait son entrée dans Fay, accompagné de MM. Ernest Bonnet, adjoint de la ville du Puy, et Léon Mauras, conseiller général pour le canton de Saint-Julien : ils reçoivent, au son des boîtes, le plus chaleureux accueil.
À onze heures, les produits du Mezenc qui affrontent le concours sont rangés sur le champ de foire dans une enceinte improvisée.
M. le conseiller de préfecture déclare le concours ouvert ; le jury commence ses opérations ; MM. É. Mauras, Couderchet, Nicolas, Giraud, etc., etc., rivalisent d’ardeur pour arriver à une exacte et judicieuse appréciation de chacun des sujets proposés à leur examen.
À quatre heures, ils étaient encore en séance et ni le tir au pistolet, ni la double course à cheval, organisée par la jeunesse du canton, ni les curieux exercices du cheval fondu, n’ont détourné leur attention, ni interrompu leur inspection.
Le nombre des animaux exposés était supérieur à celui du précédent concours. En voici le détail :
Taureaux du premier et du second âge : 49 ; — génisses : 48 ; — vaches de tout âge : 50 ; — bœufs de travail : 18.
L’exhibition, généralement belle, était surtout satisfaisante pour les taureaux du premier âge et pour les vaches de tout âge ; le jury a donné 7 prix à cette dernière catégorie, en regrettant de ne pouvoir pas lui en accorder davantage. Les génisses présentent un bon ensemble ; quelques-unes se font remarquer par leur finesse ; cependant, il faut reconnaître que les éleveurs ne donnent pas encore des soins assez persévérants à la sélection de la race, ni à l’hygiène des étables : la conformation laisse à désirer chez les reproducteurs, la queue est trop relevée, la poitrine est sanglée au lieu d’être cylindrique elle est alourdie par l’excès du fanon. Le jury, qui a prodigué, sur le terrain, observations et conseils, espère qu’il pourra constater d’année en année une sérieuse amélioration, un dégagement de plus en plus complet des formes originales de notre race du Mezenc.
À cinq heures, sur la place de la mairie, a eu lieu la distribution des prix : à l’appel de son nom, chaque lauréat venait recevoir des mains de M. Alix, notre incomparable trésorier, une somme désignée par le jury. On pourra lire ci-après la liste des éleveurs récompensés.
Après que M. le conseiller de préfecture eut levé la séance, la foule considérable accourue de tous les points du canton s’écoula satisfaite ; alors commencèrent les danses champêtres dont nos montagnards conservent précieusement la tradition et le pittoresque.
À sept heures, un banquet réunissait les membres du Comice, la municipalité et la plupart des premiers prix du concours, que le jury avait tenu à inviter tous, sans exception, pour montrer l’estime qu’il sait faire des éleveurs du canton de Fay. Les dames de Saint-Joseph avaient bien voulu prêter pour le banquet une des salles de leur couvent ; l’assistance les en a remerciées en faisant, pour l’entretien de leur chapelle, une quête fructueuse.
Vers la fin du dîner, pour lequel nous devons de justes compliments à Mme Dupré, les toasts ont commencé.
M. le conseiller Sagebien, après avoir exprimé le regret qu’avait éprouvé M. le Préfet de ne pouvoir présider lui-même cette fête, fait ingénieusement justice des préventions que l’homme de la plaine nourrit contre l’habitant des montagnes : « Ces préventions, dit-il, tombent devant des spectacles comme celui que nous a offert le concours d’aujourd’hui » ; à celui qui voudrait médire de l’éleveur des montagnes, M. Sagebien dirait : « Allez à Fay ! » On pense bien que les applaudissements n’ont pas manqué à cet heureux mouvement ; ils ont redoublé lorsque, d’une voix ferme, M. le conseiller a porté la santé de celui qui est le sûr et fidèle gardien de nos libertés, de M. Grévy, président de la République française.
M. André, président du tribunal d’Yssingeaux, qui avait bien voulu, ainsi que son frère, M. A. André, prendre part au banquet, a répondu en portant la santé de M. Sagebien et de M. le Préfet.
Après lui, M. le docteur Morel a prononcé le discours suivant qui a été accueilli par les applaudissements les plus sympathiques :
« Messieurs,
En l’absence de M. Aymard, l’éminent président de la Société des amis des sciences, de l’industrie et des arts de la Haute-Loire, permettez-moi, comme vice-président de cette Société, jeune encore, mais déjà forte et prospère, de porter un toast aux agriculteurs et particulièrement aux éleveurs du canton de Fay-le-Froid.
Chaque année on peut constater, grâce à leurs soins assidus et éclairés, une amélioration sensible dans cette robuste et magnifique race du Mezenc. Ces progrès sont dus non-seulement à une sélection bien entendue, mais encore à d’importantes modifications apportées à la construction et à l’aménagement des étables.
Ce n’est pas toutefois qu’il ne reste plus rien à faire : que les éleveurs plus modestes imitent l’exemple qui leur est donné par les grands éleveurs ; qu’ils fassent pénétrer dans leurs étables l’air et la lumière ; qu’ils appellent à leur aide les sages lois de l’hygiène et se mettent dans les meilleures conditions physiques pour tirer parti de leurs excellents fourrages la prospérité et la fortune récompenseront leurs efforts.
En terminant, permettez-moi, Messieurs, de boire à la santé de notre cher président, de M. Aymard, qui a tant contribué à faire classer cette belle et bonne race du Mezenc, issue du bos primigenius, comme il se plaît à nous le dire dans son savant et pittoresque langage.
Je bois aussi à la santé de M. Émile Mauras, le zélé président du Comice agricole, à celle de M. Couderchet, son vice-président, à celle enfin de tous les membres du jury d’examen, chez lesquels on ne sait ce qu’il faut le plus admirer de la compétence spéciale ou de la rectitude et de la loyauté du jugement. »
M. É. Mauras s’est alors levé pour porter un toast au député de la Haute-Loire au nom du Comice. Il a également donné lecture de plusieurs lettres par lesquelles les sénateurs et députés du département s’excusent de n’avoir pu se rendre au concours.
M. E. Bonnet a bu à la municipalité de Fay et particulièrement au maire, M. Peyrot, l’un des premiers, a-t-il dit, avec lesquels il a salué l’aurore de notre jeune République.
M. Sagebien, en sa qualité de président, a clos la série des toasts en buvant à la ville hospitalière de Fay-le-Froid.
À ce moment, les jeunes gens de la localité, armés de torches, sont venus prendre les convives officiels, et les ont accompagnés jusqu’au pied du Montgardit où devait se tirer le feu d’artifice. Malgré le vent qui contrariait le mouvement de ses pièces, le feu d’artifice était très intéressant ; les habitants de Fay témoignaient d’ailleurs, par leurs exclamations de surprise, qu’ils en étaient ravis. Ainsi s’est terminée cette belle journée que n’oublieront ni la ville de Fay, ni ses hôtes.
Le lendemain, lundi, il fallut songer au départ ; le temps, si clément la veille, avait changé ; le vent soufflait avec force et secouait violemment la belle croix qui décore la place de Fay. On arriva pourtant sans encombre jusqu’au Prat-Cros où Mme Émile Mauras fit au Comice, avec une grâce parfaite, les honneurs d’un déjeuner de choix.
À Saint-Julien, la pluie commença à tomber en abondance pour ne cesser qu’à notre entrée au Puy : nous nous sommes consolés du désagrément qu’elle nous causait en pensant qu’elle était utile au laboureur et au vigneron.