Concours départemental tenu à Brioude en 1879
CONCOURS DÉPARTEMENTAL
D’ANIMAUX REPRODUCTEURS
DES ESPÈCES CHEVALINE, BOVINE, OVINE ET PORCINE
TENU À BRIOUDE LES 30 ET 31 AOÛT 1879.
La Société des amis des sciences a tenu, les 30 et 31 août, le concours départemental, sous la présidence d’honneur de M. le Préfet de la Haute-Loire.
De longtemps on n’avait vu de réjouissances publiques animées d’un meilleur esprit. L’expansion sincère, la bonne humeur, une cordialité et une bienveillance joyeuses ont fait les frais de cette réunion pacifique d’amis et de compatriotes. Aucune dissonance ne s’est produite : tout a marché à ravir, et chacun s’est mis à l’œuvre avec entrain. Fonctionnaires, exposants, acteurs et spectateurs, c’était à qui ferait preuve de zèle et de bon goût. La ville de Brioude s’est signalée par l’hospitalité la plus généreuse. En un mot, le concours des 30 et 31 août laissera dans tous les cœurs un souvenir aimable et sans arrière-pensée.
Le jury d’examen, composé de MM. Aymard, Mauras, Couderchet, Chorand, Nicolas, Alix, Lascombe, Teyssonneyre-Paulet, Rachel, Giraud, Bard et Pialoux, est arrivé en gare à Brioude vendredi soir et a été reçu par les délégués du comice agricole. Au nombre des hôtes bienveillants qui ont souhaité la bienvenue aux membres du jury, nous devons citer, en première ligne, MM. Faure-Pomier, Antoine Vernière et Robert-Blanc, auxquels est due surtout l’organisation du concours.
Samedi matin, à neuf heures, le jury s’est rendu sur la place de l’Hôtel-de-Ville où se trouvaient déjà MM. de Lafayette et Vissaguet, sénateurs ; J. Maigne, Morel et Binachon, députés ; M. Vaussanges, sous-préfet ; M. de Saint-Ferréol, maire, et les comices agricoles de Brioude et du Puy.
À dix heures, le cortège s’est mis en marche, précédé de l’excellente fanfare de Brioude. Arrivé sur le boulevard de Clermont, le jury a procédé à l’examen des divers animaux, envoyés des divers points du département. Nous ne reviendrons pas sur l’appréciation déjà faite mardi dernier sur les diverses races soumises au contrôle du jury. Nous avons écouté, sur les lieux, les jugements émanés de personnes compétentes et voici, en somme, quelle a été l’impression générale : dans l’espèce chevaline, les animaux exposés, comprenant en tout une cinquantaine de sujets, laissaient un peu à désirer. Les étalons surtout manquaient de finesse et de distinction ; les juments suitées et pouliches présentaient une conformation satisfaisante : il y avait parmi les poulains non hongrés des spécimens remarquables.
Dans l’espèce bovine, représentée par les races de Salers et d’Aubrac, le jury a été, en général, fort content des animaux exposés. Les taureaux seuls faisaient tache et offraient de notables défectuosités. Les génisses se trouvaient en parfait état et promettaient de bons reproducteurs. Les vaches étaient, sans contredit, les plus belles pièces de la bande : leur engraissement précoce, leur peau fine, témoignaient de qualités exceptionnelles comme laitières.
Dans l’espèce ovine, la commission a eu la bonne fortune de couronner un superbe lot de moutons dit bizets de Chilhac. Cette race est magnifique et elle est de tous points appropriée aux ressources et aux besoins des agriculteurs de notre département.
L’espèce porcine présentait des sujets assez médiocres, issus du croisement avec des races anglaises : aussi le jury s’est-il vu, à son très grand regret, contraint de réserver plusieurs prix attribués à cette catégorie.
Les opérations de la commission se sont terminées par l’examen des animaux de basse-cour qui formaient une exposition aussi variée qu’intéressante.
À sept heures, un banquet, offert par le Comice agricole de Brioude, réunissait dans la grande salle du collège quatre-vingt-quatorze convives à la tête desquels on remarquait M. le Préfet, président d’honneur, la représentation entière de la Haute-Loire, M. le maire et M. le sous-préfet de Brioude, le digne M. Lachenal, receveur des finances, qui a si bien mérité de l’érudition vellave, M. Vernière, un autre chercheur, bien connu de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du pays, les membres du jury et beaucoup d’autres qui nous pardonneront de les passer sous silence. Le repas a été très animé, très gai ; de plus, il était admirablement confectionné et servi, ce qui ne gâte rien dans les agapes fraternelles. Il n’y a eu dans toute la soirée qu’une note triste : l’excellent M. Faure-Pomier manquait à l’appel. Une indisposition subite, et fort heureusement sans gravité, le retenait au logis. Il n’y a eu qu’une voix pour déplorer l’absence d’un homme dont l’activité féconde et l’abnégation incessante honorent la ville de Brioude.
Divers toasts ont été portés et M. le Préfet en a ouvert la série. Nous regrettons vivement qu’un sténographe n’ait pu recueillir les allocutions improvisées. Nous en sommes réduit à nos souvenirs personnels et ne pouvons donner que le sens des discours. M. le Préfet, M. de Saint-Ferréol, M. Binachon et M. Aymard nous excuseront de ne fournir qu’une analyse, faite de mémoire, des bonnes paroles qu’ils ont prononcées. Quant aux autres toasts, leurs auteurs ont bien voulu nous les remettre en manuscrit, et voilà pourquoi nous avons l’heureuse fortune de les reproduire in extenso.
M. le Préfet s’est inspiré de la noble devise inscrite à l’entrée de l’exposition : Amitié, travail. Ces deux mots ont servi de thème à sa chaude improvisation. L’orateur a reporté au gouvernement, qu’il représente d’une manière si brillante au milieu de nous, l’honneur de sa présidence et il a terminé, au bruit des applaudissements universels, par un hommage à l’illustre M. Grévy, président de la République.
M. de Saint-Ferréol, maire, a salué, au nom de la population si patriotique et si républicaine de Brioude, le représentant du pouvoir, les sénateurs et les députés, et il a offert les affectueux hommages de ses concitoyens à tous les hôtes de la ville et, entre autres, aux agriculteurs et exposants.
M. Morel, député et maire de la ville du Puy, s’est alors levé et a parlé en ces termes
« Comme maire de la ville du Puy, permettez-moi, Messieurs, au nom de tous mes concitoyens, de remercier mon collègue, M. de Saint-Ferréol, maire de Brioude, des bonnes paroles qu’il vient de nous adresser et de la manière gracieuse dont il vient de nous souhaiter la bienvenue.
Merci également aux habitants de Brioude de leur franche, cordiale et sympathique réception !
Nous n’emporterons pas seulement de votre ville le souvenir d’un bon et brillant concours agricole, mais nous nous rappellerons toujours avec bonheur et les bonnes paroles généreuses que nous venons d’entendre et la réception qui nous a été faite. Nous n’oublierons jamais que, par delà les montagnes de Fix, aujourd’hui franchies en tunnel, se trouve une population vigoureuse, généreuse, amie du progrès, de tous les progrès, et marchant toujours à l’avant-garde.
À la santé donc de M. de Saint-Ferréol, maire, et de toute la municipalité ; à la santé et à la prospérité des habitants de la ville de Brioude, aux habitants de tout l’arrondissement, à la Haute-Loire, fière de les compter au nombre de ses enfants. »
M. Émile Mauras, président du Comice agricole du Puy, s’est levé à son tour et a porté le toast suivant :
« Messieurs,
Permettez-moi, au nom des membres du jury, d’exprimer notre satisfaction sur la réussite et la beauté du concours départemental. Nous n’attendions pas moins de l’arrondissement de Brioude, qui toujours a tenu la tête dans la voie du progrès.
Je viens donc porter un toast au président du comice de Brioude, qui, dans cette circonstance, a eu tous les soucis de l’organisation de cette fête.
Nous remercions M. Faure-Pomier du zèle qu’il a déployé dans l’intérêt de notre petite patrie agricole.
Je ne terminerai pas sans exprimer notre reconnaissance à nos honorables et sympathiques sénateur et député, MM. Edmond de Lafayette et Jules Maigne : c’est à eux que nous devons d’avoir obtenu du ministre une médaille en or et deux médailles en argent pour le concours.
Je bois donc au comice de Brioude, à son président, à M. Edmond de Lafayette et M. Jules Maigne. »
M. Antoine Vernière s’est, d’abord, rendu l’organe des regrets universels inspirés par l’absence de M. Faure-Pomier, puis il a adressé de chaleureux remerciements à tous ceux dont l’initiative a permis l’organisation de ce beau concours :
« Messieurs,
Chacun de vous comprendra que ma première parole soit l’expression d’un regret pour l’absence de notre zélé président. Ceux de mes collègues du comice qui ont vu M. Faure à la peine, se prodiguant sans ménagement pour le succès de l’œuvre à laquelle il s’est dévoué, seront heureux d’apprendre que la maladie, ou plutôt l’indisposition qui l’éloigne de nous et que lui cause un excès de fatigue, a déjà cédé devant des soins aussi éclairés qu’affectueux.
Et maintenant, au nom du bureau du Comice, au nom du Comice tout entier, laissez-moi remercier le premier administrateur du département, MM. les sénateurs et MM. les députés d’avoir bien voulu assister à cette fête. Laissez-moi exprimer plus particulièrement notre reconnaissance à ceux de nos représentants qui tiennent à notre arrondissement par le double lien de la naissance et du suffrage, à MM. Edmond de Lafayette et Jules Maigne. Nous devons à leurs démarches bienveillantes auprès de M. le Ministre de l’Agriculture une médaille d’or et deux médailles d’argent. Merci à MM. les membres de la Société des amis des sciences et du Comice agricole du Puy de leur concours si actif et si intelligent. Merci à M. Mauras des paroles sympathiques qu’il vient de prononcer. Merci également à notre municipalité de Brioude.
Le labourage et le pâturage sont encore aujourd’hui comme au temps de Sully les deux mamelles de la France. Notre France, nous la voulons tous grande et prospère, travaillons donc tous à développer sa richesse en faisant progresser la culture du sol.
Fidèle à la devise du Comice qui vient d’être rappelée par M. le Préfet, Amitié et Travail, je bois, Messieurs, à l’union de tous les hommes de bonne volonté pour le progrès de l’agriculture dans notre pays. »
M. Aymard, le vétéran du travail et l’ouvrier de la première heure, avait à dire son mot dans cette réunion où ses longs services à la cause du progrès et de la science lui assuraient un auditoire des plus sympathiques. Les années ont passé sur le vieil athlète sans lui ravir un atome de son énergie et de son tenace vouloir. Il vient de couronner sa robuste et infatigable vieillesse par une œuvre, destinée à un long avenir : La Société des amis des sciences, et c’est au nom de cette création récente, mais signalée déjà par de nobles efforts, qu’il a fait un historique, plein d’humour et de verve, des conquêtes opérées par l’agriculture locale. « Nous avançons, a-t-il dit, nous faisons chaque jour un nouveau pas dans cette belle carrière. L’outillage agricole se perfectionne, les saines méthodes se propagent, notre sol s’enrichit, la misère recule, et l’aisance, l’instruction, l’épargne, la bonne hygiène se coalisent à l’envi pour améliorer le sort de nos chères campagnes. C’est à la science qu’est due cette ère nouvelle de prospérité, mais c’est aussi aux qualités viriles de nos cultivateurs, à leur moralité héréditaire, à leur courage quotidien qu’il faut reporter le juste tribut de ces progrès incessants, de cette ascension vers la lumière et le bien-être physique et moral. » L’allocution de M. Aymard s’est terminée par un tonnerre d’applaudissements. M. Aymard a eu bien des succès dans sa longue existence : il n’en a guère obtenu de plus francs et de plus légitimes.
M. Jules Maigne a fait entendre de hautes pensées, revêtues de cette forme élégante et pure, qui est le cachet original de son beau talent :
« Messieurs,
Le ministre de l’agriculture et du commerce a bien voulu accorder à notre concours départemental deux médailles d’argent et une médaille d’or.
Les organes aussi bienveillants qu’autorisés de vos comices nous ont adressé, à M. Edmond de Lafayette et à moi, des remerciements pour nos démarches à l’effet d’obtenir ces médailles.
Permettez-moi de vous dire, au nom de notre excellent sénateur comme au mien, combien nous sommes touchés de vos remerciements, si précieux, si honorables pour nous.
Mais après cela, messieurs, nous croyons devoir ajouter que nos démarches nous étaient commandées par notre devoir envers nos commettants et par un sentiment de gratitude bien naturelle envers ceux qui nous ont si souvent honorés de leurs suffrages.
Parmi eux, messieurs, nous ne l’oublions pas, les agriculteurs sont en très grand nombre, et aussi nous semble-t-il qu’aux remerciements des comices agricoles, nous ne saurions mieux répondre que par le toast suivant :
À l’agriculture et aux agriculteurs. À l’agriculture qui, par son importance, a le premier rang parmi les arts utiles, et qui, lorsqu’elle aura atteint la hauteur où la République veut l’élever, sera le plus noble et le plus beau des arts.
Personne parmi nous, messieurs, n’a la pensée de rabaisser l’industrie. Pour vouloir le faire, il faudrait n’avoir jamais pénétré dans une de ces grandes usines, dont nous parlait à l’instant l’honorable président de la Société des amis des arts, et où le génie de l’homme éclate dans toute sa force et sa fécondité.
Mais, l’agriculture le manifeste aussi ce génie, et dans quelles merveilleuses conditions ! Non pas dans l’atelier fermé, enfumé et souvent insalubre ; mais dans de vastes et riantes campagnes, à la splendeur des cieux, pour rendre, dans une foule de cas, la force, la santé, à ceux qui respirent l’air pur du grand atelier agricole, pour expliquer la vigueur de cette race, capable de toutes les fatigues de la guerre, de tous les labeurs de la paix, de cette ruche puissante, dont les essaims vont combler les vides ouverts dans les grandes villes par une vie de plaisirs ou par les conditions excessives ou insalubres de l’industrie.
À l’agriculture donc, et aussi aux agriculteurs.
Les agriculteurs sont pour nous le fonds même de la nation, le très-fonds de cette nation gauloise à laquelle les inondations barbares ont pu mêler leurs alluvions, mais qui les absorbe et reparait toujours avec ses caractères propres.
Les agriculteurs ont formé et forment encore la grande masse de ce peuple français, que ses ennemis et ses jaloux accusent d’inconstance, de mobilité, et que l’histoire nous montre cependant toujours occupé, pendant de longs siècles, à soulever le lourd suaire d’une triple tyrannie, l’usant, l’élargissant par d’incessants efforts, jusqu’au jour où, par un mouvement sublime, il le déchire, le rejette loin de lui et se montre au monde étonné, éclairé et affranchi dans tout l’éclat de sa force et de sa beauté.
Et de nos jours, messieurs, a-t-on lassé la constance de nos agriculteurs ? A-t-on abusé une ignorance qu’on leur reproche, comme si elle était toujours de leur fait ? Leur a-t-on imposé par d’arrogantes injonctions ? Les a-t-on effrayés par de coupables menaces ?
Les élections du 14 octobre, comme celles du 5 janvier, ont répondu pour nous.
À l’agriculture ! aux agriculteurs ! »
M. Binachon, député, a célébré l’union désormais indissoluble des deux arrondissements d’Yssingeaux et de Brioude : il a fait appel aux sentiments de concorde et de fraternité entre les fils d’un même pays, et a convié toutes les énergies, tous les dévouements sur le terrain commun de la République.
M. le Préfet a clos la séance par un dernier toast à la ville de Brioude.
Dimanche matin, à huit heures, le jury a procédé à la visite de l’exposition agricole et industrielle, organisée avec la plus remarquable entente de l’ensemble et des détails dans la cour et les diverses salles du collège. La cour, transformée en jardin, avec pelouse et corbeille de fleurs, produisait un effet saisissant. Autour des fleurs et des fruits on voyait, rangés avec art, les instruments aratoires, vannoirs, herses, trieurs, charrues vigneronnes et autres, et quelques beaux spécimens d’orge et de seigle. Dans les salles où se pressait un nombreux public, on admirait surtout la magnifique exposition horticole de M. Miaille-Achon, jardinier à Brioude.
À la même heure, l’Orphéon du Velay, impatiemment attendu, arrivait en gare et, après une réception des plus chaudes par la municipalité brivadoise et les sénateurs et députés, débouchait dans les rues, bannière au vent, au son d’une musique entraînante. Les bravos et les acclamations pleuvaient sur nos orphéonistes : il va sans dire qu’une bonne part de cet accueil enthousiaste était réservée à l’honorable et sympathique président, M. Chabanes, et à ses collaborateurs dévoués, MM. Franceschini et Pitarch. De l’aveu de tous, l’Orphéon du Velay a été le lion de la journée.
On a vu alors les jeux et les divertissements se partager les places publiques. Une foule bruyante et joyeuse n’a cessé de s’ébattre, mais avec le plus grand ordre et sans la moindre mésaventure.
À quatre heures a eu lieu la distribution des prix, sous la présidence de M. Aymard, qui, dans une brève allocution, a complimenté les vainqueurs. La belle compagnie des sapeurs-pompiers de Brioude entourait l’estrade : la proclamation des prix a été maintes fois interrompue par divers morceaux qu’exécutaient tour à tour l’Orphéon et la fanfare du Velay et l’Harmonie de Brioude.
Voici la liste des lauréats :
Le soir, un brillant feu d’artifice a clos cette heureuse journée.
Lundi matin, l’Orphéon et le jury ont été accompagnés à la gare par un nombreux cortège. On s’est serré la main avec empressement et surtout l’on s’est dit : au revoir.
Telle a été cette solennité fraternelle, destinée à resserrer les liens qui unissent les fractions de notre département. Nous aimons à le redire : Il n’y a eu dans les réjouissances aucun choc, aucune amertume. Tout s’est passé avec ordre, de la façon la plus cordiale, et si nous-même, humble historien de ce mémorable concours, avons commis quelque oubli au préjudice d’un ou plusieurs des héros de ces belles fêtes, nous prions nos amis connus ou inconnus de nous excuser en faveur de notre méchante mémoire et de notre bonne volonté.