Comment j’ai retrouvé Livingstone (Stanley, 1884)/10


CHAPITRE X

Toujours dans l’Ounyanyembé.


Pas un des chefs arabes ne pensa que je pusse avoir contre eux un sujet de plainte. Il ne leur vint pas à l’esprit que j’eusse le droit de me formaliser du lâche abandon qu’ils avaient fait d’un homme dont le concours avait été purement amical. La première fois que je les revis, leurs salaams furent les mêmes que si nos relations n’avaient pas dû s’altérer.

Mais je ne tardai pas à leur dire que la guerre leur étant personnelle, et qu’ayant quitté leurs blessés et leurs malades pour ne songer qu’à eux-mêmes, ils ne devaient plus compter sur mon alliance. Qu’avec leur manière de combattre, il leur avait fallu cinq ans pour triompher de Manoua-Séra ; que les blancs se battaient d’une toute autre façon ; que je connaissais la guerre, et que je n’avais jamais vu les miens fuir au premier échec, fuir d’une place forte telle que Zimbiso, et par un motif aussi mince. Qu’en se retirant, ils appelaient l’ennemi chez eux ; qu’ils en auraient d’ailleurs pour plus d’un an à lutter contre Mirambo, et que je n’avais pas de temps à perdre.

Ils m’affirmèrent l’un après l’autre qu’ils n’avaient pas eu l’intention de m’abandonner ; qu’ils me croyaient parti ; que les Vouanyamouézi avaient crié : « Le Mousongou s’en va ! » Qu’à cette nouvelle, leurs gens, pris de panique, s’étaient enfuis et que rien n’avait pu les rallier.

Dans la journée, ils continuèrent leur route sur Tabora, qui est à vingt-deux milles de Mfouto. Moins pressé de me rendre, je ne partis que le lendemain ; et, chargés de tous nos bagages, nous arrivâmes à Kouihara trois jours après notre fuite de Zimbiso.

Les extraits suivants de mon journal montreront mieux que tout ce que je pourrais dire la situation d’esprit où je me trouvais alors.

Kouihara, 11 août 1871. Arrivé aujourd’hui de Zimbili, village de Bomboma. Quel désappointement ! Je suis presque découragé. Toutefois j’ai une consolation : j’ai fait mon devoir à l’égard des Arabes ; un devoir que m’imposait la reconnaissance. Maintenant que j’ai payé ma dette, je peux continuer ma route.

Je suis heureux d’en être quitte à ce prix-là. Je pouvais être tué dans cette guerre, et j’aurais été justement puni d’y avoir pris part. Cependant, outre l’obligation où j’étais de soutenir les Arabes, après l’accueil que j’en avais reçu, il y avait la nécessité de me frayer un passage. À trente jours de marche d’ici, la route est fermée. Si, avec moi, on pouvait la rouvrir plus tôt, pourquoi eussé-je refusé mon concours ?

Deux fois on a essayé de passer, deux fois il a fallu revenir. La route est décidément interdite ; il faut en prendre une autre. Mais laquelle ? Au nord se trouvent les Vouasouhi et la mère de Mirambo, sans parler des Vouatouta, alliés de celui-ci, et détrousseurs de caravanes. Le chemin du sud paraît plus praticable ; mais peu de gens le connaissent, et les quelques individus capables de me renseigner y représentent le manque d’eau et les Vouazavira comme de sérieux obstacles. Ils disent en outre que les villages y sont rares et très-loin les uns des autres.

Toutefois, avant de prendre un chemin quelconque, il faut relouer des porteurs ; les miens se considèrent comme libérés par notre course à Mfouto, et la perte de cinq d’entre eux a plus que refroidi leur amour des voyages. Il n’y a pas à compter sur les Vouanyamouézi, qui ne partent jamais en temps de guerre.

Ma position est des plus critiques ; j’aurais une bonne excuse pour retourner à la côte. Mais après tant de déboursés, tant d’espoir mis en moi, je ne peux pas : ma conscience me le défend ; je dois mourir plutôt que de retourner.

12 août. Mes pagazis m’ont quitté, ainsi que je m’y attendais. Je les avais pris, disent-ils, pour aller dans l’Oujiji par la route ordinaire ; la chose n’étant pas possible, les voilà dégagés.

Il ne me reste plus que treize de mes gens d’autrefois. Que puis-je faire avec si peu d’hommes et plus de cent charges en magasin ? Je ne parle pas de la cargaison du docteur : dix-sept ballots d’étoffe, six de verroterie et douze caisses. Ses gens continuent à faire bombance et mangent ce qu’il y a de meilleur dans la province.

Si Livingstone est dans l’Oujiji, il ne peut pas plus en sortir que moi de l’Ounyanyembé. La guerre qui me retient à Kouihara lui ferme la route de Zanzibar, et la pauvreté lui interdit celle du Nil. Avec des forces suffisantes, il pourrait peut-être rejoindre Baker, en traversant l’Ouroundi, le Rouanda, le Karagoueh, l’Ouganda, l’Ounyoro et l’Oubari jusqu’à Gondokoro, mais il ne peut pas former de caravane, puisque ses valeurs sont avec les miennes ; et quelle que soit son énergie, il lui est impossible de traverser l’Afrique sans moyens d’existence.

Comme il se dirigeait vers le Tanganika, en venant du Nyassa, Livingstone, d’après, un homme que j’ai vu ce matin, a rencontré la caravane de Séid ben Omar, qui se rendait dans l’Oulamba. C’était à l’époque où l’on a dit qu’il avait été assassiné. Il voyageait alors avec Mohammed ben Ghérib. Celui-ci, qui venait de l’Ouroungou, avait trouvé le docteur dans le pays de Chi-Cambi ou Koua-Chi-Kambi ; ils se rendirent ensemble dans le Manyéma, province qui est à quarante marches de la rive nord du Nyassa. Livingstone voyageait à pied et vêtu de calicot américain. Toute son étoffe avait été perdue dans la traversée du Liemba. Il était sur ce lac avec trois pirogues ; dans l’une se trouvaient ses caisses et plusieurs de ses hommes ; il en montait une autre avec ses domestiques et deux pêcheurs : la troisième portait sa cotonnade et chavira. Du Nyassa il avait gagné l’Oubissa, puis l’Ouhemba, et ensuite l’Ouroungou. Il était coiffé d’une casquette, avait deux revolvers, une carabine à deux coups se chargeant par la culasse, et des balles explosibles.

Les Vouahiyou qui étaient avec Livingstone ont dit, à celui qui m’a donné ces détails, que leur maître avait eu d’abord une suite nombreuse, mais qu’un grand nombre de ses gens avaient déserté.

13 août. Une caravane est arrivée aujourd’hui, venant de la côte ; elle m’a appris la mort de Farquhar et celle du cuisinier que j’avais laissé auprès de lui. Mon premier mouvement a été un désir de vengeance : j’ai soupçonné Leucolé de s’être défait de son pensionnaire soit par le poison, soit par un meurtre quelconque. Mais l’entretien que j’ai eu avec le chef de la caravane a dissipé mon erreur ; Farquhar a succombé peu de temps après notre séparation à l’effroyable maladie qui l’a empêché de nous suivre. Autant que j’ai pu le comprendre, il se trouvait beaucoup mieux, assez bien même, disait-il, pour partir ; mais en voulant se lever, il tomba à la renverse et mourut aussitôt.

Les Vouasagara, qui ont à ce qu’il parait une crainte superstitieuse des morts, ont donné l’ordre à Iako de l’enterrer immédiatement. Iako, n’ayant pas la force de le porter, l’a traîné dans la jungle, où, d’après ce qui m’a été dit, il l’a laissé, dépouillé de tout vêtement et sans le recouvrir même d’un peu de terre. Quelques semaines plus tard, Iako avait cessé de vivre.

« L’un de nous trois est parti, mon pauvre Shaw ! qui maintenant le suivra ? » ai-je dit ce soir à mon compagnon.

14 août. Écrit plusieurs lettres. Shaw a été fort malade toute la nuit. Je ne crois pas que ce soit la fièvre ; je pense plutôt que c’est une crise aiguë d’une maladie vénérienne. Je n’ai pas de médicaments pour ce genre d’affection ; il a donc fallu en envoyer chercher. Trois de mes soldats sont partis pour Zanzibar, avec la promesse de cinquante dollars qu’ils recevront, chacun à leur retour, si le voyage s’est fait rapidement.

19 août. Mes soldats enfilent des perles. Shaw ne quitte pas son lit. On dit que Mirambo est en marche pour l’Ounyanyembé. Des Arabes sont partis ce matin pour Mfouto, avec leurs esclaves, afin d’en rapporter la poudre que Séid ben Sélim y a laissée.

21 août. Shaw est toujours malade. Cent foundos (mille rangs de perles) ont été enfilés. Ce matin, l’approche de Mirambo a été démentie par Ben Sélim, gouverneur des établissements arabes.

22 août. Mes soldats et moi, nous enfilions des perles, quand vers dix heures, un bruit d’artillerie s’est fait entendre dans la direction de Tabora. Nous avons couru à la porte ; les volées continuaient. C’était Mirambo qui, avec deux mille hommes, assiégeait Tabora d’un côté, pendant qu’un millier de Vouatouta, venus dans l’espoir du pillage, attaquaient la ville sur d’autres points.

Vers midi, les fugitifs sont accourus en foule, nous demandant protection. Ils nous ont appris que cinq Arabes des plus marquants ont été tués, et que parmi les morts est le brave Khamis ben Abdallah. J’ai voulu avoir des détails ; on m’a dit qu’au premier coup de feu, Khamis, accompagné de quelques Arabes qui se trouvaient alors chez lui, était monté sur sa terrasse et avait tourné sa lunette d’approche du côté de la fusillade. À sa grande surprise, il avait vu la plaine couverte de sauvages en marche, et à deux milles environ, près de Kazima, une tente dressée qu’il ne pouvait méconnaître, car c’étaient les Arabes qui l’avaient donnée à Mirambo, à l’époque où ils étaient bien ensemble.

Khamis était descendu, et, trouvant chez lui d’autres Arabes, leur avait crié : « Allons à sa rencontre ! Armez-vous et partons ! » Ses amis lui avaient, au contraire, fortement conseillé de ne pas sortir, lui disant, avec raison, que derrière leurs murailles ils n’avaient rien à redouter. Mais il avait répondu violemment : « Rester dans nos murs par crainte de ce païen ! Qui vient avec moi ? »

Le petit Khamis, son protégé, l’enfant d’un ami qui n’était plus, demanda la permission de le suivre en qualité de servant d’armes ; Mohammed ben Abdallah, Ibrahim ben Raschid et Séif ben Ali, jeunes arabes de bonne famille, qui étaient fiers de vivre sous le toit du noble Khamis, offrirent de l’accompagner.

Il arma à la hâte quatre-vingts esclaves ; et sans écouter les prudents amis qui insistaient pour le retenir, il sortit et fut promptement vis-à-vis de Mirambo. Celui-ci, non moins rusé qu’audacieux, voyant arriver les Arabes, donna l’ordre à ses troupes de se retirer lentement. Khamis, trompé par cette manœuvre, entraîna les siens à la poursuite de l’ennemi. Tout à coup, faisant volte-face, Mirambo jeta ses bandes, en un seul corps, sur le petit groupe qui arrivait.

À ce retour imprévu, les gens de Khamis prirent la fuite, sans même regarder en arrière. Les sauvages entourèrent les Arabes. Khamis, qui marchait le premier, reçut une balle dans la jambe et tomba sur les genoux ; il s’aperçut alors de la désertion de ses esclaves. Malgré sa blessure il continua de tirer ; mais bientôt une balle lui traversa le cœur. En le voyant tomber, le petit Khamis s’écria : « Mon père adoptif est mort, je veux mourir avec lui. » Il se battit en désespéré et ne tarda pas à recevoir le coup mortel. Quelques minutes après, des cinq Arabes pas un n’était vivant.

Dans la soirée nous avons eu d’autres détails. J’ai su par des gens, qui ont vu les cadavres, que celui de Khamis, qui était un homme d’une beauté majestueuse, a eu la peau du front et celle du bas de la figure enlevée, ainsi que la barbe. On y a pris également la partie saillante du nez, la graisse qui couvrait l’estomac et l’abdomen, les parties sexuelles et un morceau de chaque talon. Les corps des autres Arabes ont été mis dans le même état.

Ces mutilations, pratiquées par les sauvages alliés de Mirambo, sont naturellement le fait des Vouaganga ou magiciens, qui, avec les morceaux de chair qu’ils se procurent ainsi, composent une drogue puissante destinée aux guerriers. On met dans le potage ou dans le riz une certaine dose de cette potion magique, et, prise de la sorte avec une foi profonde, elle persuade à ceux qui l’ont achetée, qu’elle rend invulnérable, et que, désormais, ils peuvent braver les projectiles de toute espèce.

Triste chose à voir : Tabora livrée aux flammes et ses habitants nous arrivant de toute part.

Voyant que mes hommes étaient disposés à me soutenir, j’ai fait percer des meurtrières dans les murailles de notre tembé. L’exécution en a été prompte et notre demeure a bientôt paru en si bon état de défense, que mes gens se montrent pleins de courage. Des Vouangouana, bien armés, ont sollicité d’y être admis ; les gens de Livingstone ont été priés de se joindre aux nôtres, et ce soir j’ai dans ma cour cent cinquante hommes, distribués sur tous les points où l’on peut craindre une attaque. Mirambo a menacé de venir demain à Kouihara. Dieu veuille qu’il arrive, et qu’il soit à portée de ma carabine, il verra de quelle force est une balle américaine,

23 août. Nous avons passé une triste journée ; tout le monde dans la plus vive inquiétude, les yeux constamment dirigés vers Tabora. On dit qu’il n’y a que trois tembés qui aient résisté à l’attaque. La demeure d’Abid a été détruite, et plus de deux cents dents d’éléphant qui s’y trouvaient sont devenues la proie du Bonaparte africain.

Mon tembé est en aussi bon état de défense que le permettent son genre de construction et les moyens dont je puis disposer. L’enceinte a une ligne continue de meurtrières ; les huttes indigènes qui masquaient la vue ont été rasées, et j’ai fait abattre les buissons et les arbres qui pouvaient abriter l’ennemi. Nous avons de l’eau et des vivres pour six jours, des munitions pour plus d’une quinzaine ; et bien que pour quatre ou cinq cents Européens la chose ne serait pas malaisée ; bien qu’avec du canon, cinquante hommes de race blanche en viendraient facilement à bout, je ne crois pas que dix mille Africains puissent le prendre. Les murs ont trois pieds d’épaisseur ; les chambres sont comme emboîtées à la file les unes des autres, et des gens désespérés s’y battraient jusqu’à ce que la dernière fût prise.

Autour de moi les Arabes s’efforcent de paraître braves, mais il est évident qu’ils ont la mort dans l’âme. J’ai entendu dire que si Tabora était pris, ils partiraient en masse et abandonneraient le pays à Mirambo. Si telle est leur intention et s’ils l’exécutent, je me trouverai dans une belle passe ! Dans tous les cas, Mirambo ne profitera pas de mes valeurs, ni de celles de Livingstone. Si les Arabes déguerpissent, je mettrai le feu à la maison et à tout ce qu’elle renferme ; c’est un parti pris. Mais, au nom du ciel ! que deviendra Shaw dans une pareille crise ? Personne ne voudra le prendre sur ses épaules.

24 août. Le drapeau américain flotte toujours sur notre tembé, et les Arabes sont encore dans le pays.

Vers dix heures, un émissaire des gens de Tabora est venu, de la part de ceux-ci, me demander si je n’allais pas leur prêter assistance. J’en ai eu le vif désir ; mais après de longs débats avec moi-même, après avoir étudié le pour et te contre, examiné si la chose était prudente, si elle m’était permise ; ce que deviendraient
Vue en face de mon tembé.
mes gens si j’étais tué, moi-même s’ils désertaient ; après m’être rappelé le sort qu’avait eu le brave Khamis, je répondis que je n’irais pas ; que les Arabes n’avaient rien à craindre en restant dans leurs demeures, que je serais enchanté s’ils m’envoyaient l’ennemi à Kouihara, que j’en ferais alors mon affaire, mais que je n’irais pas à sa rencontre.

On dit que Mirambo et son lieutenant portent des parasols ; on ajoute que ce chef redoutable a les cheveux longs et de la barbe comme un pagazi. Si son armée se présente, tous ceux qui auront des ombrelles seront visés avec une attention spéciale, dans l’espoir d’un bon coup. D’après la croyance populaire, je devrais me fondre une balle d’argent ; mais il n’y a pas moyen : je n’ai que de l’or.

À midi, j’ai laissé le tembé sous la garde d’environ cent hommes, et je suis allé voir Ben Nasib. Ce vieux cheik m’avait toujours paru philosophe ; je l’aurais même nommé professeur de philosophie usuelle, tant il était sentencieux, amoureux d’aphorismes, et d’un caractère plein de sagesse. J’ai été fort surpris de le trouver au désespoir ; ses aphorismes l’ont abandonné ; sa philosophie n’a pas tenu contre la mauvaise fortune, il m’a écouté de l’air d’un moribond, plutôt qu’en homme disposé à se défendre. Je lui ai chargé son petit canon, une pièce d’une couple de livres, avec des balles, de la mitraille, de menus lingots de fer, et je lui ai conseillé de ne tirer que quand l’ennemi serait à sa porte.

Sur les quatre heures, j’ai appris que Mirambo s’est retranché dans Kasima, qui est à deux milles de Tabora, du côté du nord-ouest.

26 août. Les Arabes sont partis ce matin avec l’intention d’attaquer l’ennemi, et n’en ont rien fait, Mirambo leur ayant demandé un jour de grâce pour manger la viande qu’il leur a prise. Il a eu l’impudence de les prier de revenir demain, ajoutant qu’alors il serait prêt à se battre et à leur en donner tout leur saoûl.

Notre village a recouvré son air paisible ; les fugitifs effarés ne se pressent plus dans ses étroites limites.

27 août. Mirambo s’est retiré cette nuit. Ce matin, quand les Arabes sont revenus devant Kasima, la place était vide.

Tous les jours il y a des conseils de guerre, meetings belliqueux dont nos cheiks paraissent très-épris. Je ne connais pas d’hommes plus prompts aux discours et plus lents dans les actes. Ils devaient s’allier les Vouatouta ; Mirambo les a prévenus. Ils parlaient de réenvahir les États de l’ennemi ; c’est Mirambo qui est venu chez eux promener le fer et la flamme, et tuer les plus nobles des leurs.

Ils discutent ; et, pendant qu’ils pérorent, la route de l’Oujiji et celle du Karagoueh se ferment plus que jamais à leur commerce. Beaucoup des plus influents parlent de retourner à Zanzibar, disant que le pays est ruiné. Je n’ai plus aucun respect pour eux.

En attendant ce qui arrivera, je m’occupe de mes affaires, bien qu’avec peu de succès. À défaut de Vouanyamouézi, je suis en train de louer des Vouangouana qui sont établis dans l’Ounyanyembé. J’offre à chacun trente dotis, plus du triple de ce qu’on donne habituellement. En temps ordinaire le prix est de cinq à dit dotis pour le même trajet. Mon intention est de laisser à Kouihara soixante ou soixante-dix charges, et presque tout mon bagage personnel, dont je ne prendrai qu’un porte-manteau. Malgré cela j’ai besoin de cinquante hommes.

28 août. Pas de nouvelles de Mirambo.

Shaw est remis sur pied.

Ben Nasib est venu me rendre ma visite ; mais il n’a parlé que de philosophie d’ordre inférieur.

Après avoir étudié le pays, je suis résolu à prendre la route du sud, et à gagner le Tanganika en traversant le nord de l’Oukonongo et de l’Oukahouendi. J’ai informé Ben Nasib de cette détermination.

29 août. Shaw a fait aujourd’hui un léger travail.

Hélas ! tous mes plans si bien ourdis, mes beaux projets de traversée du Victoria N’Yanza et de descente du Nil sont, j’en ai bien peur, mis à néant par cette maudite guerre. Déjà deux mois de perdus. Les Arabes sont tellement longs à prendre un parti ! Des propositions, des conseils en masse, des paroles aussi nombreuses que les herbes de la vallée ; rien ne leur manque que de savoir agir. Khamis n’est plus là pour les entraîner. Ils ont perdu en lui leur guide et leur soutien. Où sont les autres guerriers, dont les bardes indigènes célèbrent les exploits ? Où est le puissant Kisésa, le grand Abdallah ben Nasib ? Où est Séid, fils de Médjid ? Kisésa est à Zanzibar, et Séid dans l’Oujiji, où il ignore que son fils, le brave Saoud, a été tué dans la forêt de Vouilyankourou.

Shaw se remet rapidement.

Je n’ai toujours pas de soldats. Il y a des heures où je désespère de pouvoir m’en aller. On est ici tellement lent, tellement endormi. C’est le pays du rêve. Zanzibarites, Arabes et indigènes, tous sont les mêmes : sans nul souci du temps qui passe. Leur demain signifie dans un mois ; c’est à en perdre la tête.

30 août. Shaw ne veut rien faire. Impossible d’en obtenir le moindre mouvement. Je le supplie, je le gâte, je lui prépare moi-même de petites friandises ; et pendant que je travaille de toutes mes forces, les nerfs et l’esprit tendus, pour activer notre départ, il reste là, les yeux plongés dans le vide. Un homme que j’ai vu si prompt, si adroit, si disposé à tout entreprendre !

Tantôt je suis allé m’asseoir à côté de lui, avec ma paumelle et mon aiguille ; et pour la première fois je lui ai parlé de ma véritable mission ; j’espérais l’encourager. « Vous croyez sans doute, lui ai-je dit, qu’on m’envoie au Tanganika pour en reconnaître la profondeur ? Pas du tout, cher camarade ; la géographie n’est pour moi que tout à fait secondaire. J’ai l’ordre de trouver Livingstone ! Oui, mon pauvre Shaw, c’est pour le trouver que je suis ici, pour le trouver que nous nous remettrons en marche. Vous comprenez toute l’importance de cette mission. Et ne voyez-vous pas la récompense que vous donnera M. Bennett pour l’aide que vous m’aurez prêtée ? Si vous venez à New-York, vous ne manquerez jamais, j’en suis certain, d’un billet de cinquante dollars. Allons ! secouez-vous un peu ; n’ayez pas cet air morne ; allez et venez ; moquez-vous de la fièvre ; je vous garantis contre elle ; j’ai de la quinine pour tout un régiment. »

Bah ! comme si j’avais parlé à une momie. Ses yeux ont repris un peu d’éclat ; mais l’affaire d’un instant ; une minute après la lueur avait disparu, le regard était mort.

Je suis resté confondu ; puis, voulant le voir revivre, j’ai fait un punch d’une force à lui incendier les veines. « Buvez-moi cela, cher camarade ; j’y ai mis du sucre et des œufs, du citron et des épices. Buvez cela, mon pauvre Shaw, et oubliez toutes vos misères. Voyons ! ne me soufflez pas à la face comme si vous alliez mourir. Trêve à cette pantomime. Vous n’êtes pas malade, mon cher ; c’est l’ennui qui vous tient. Regardez Sélim : je parie tout ce qu’on veut qu’il ne mourra pas. Je le ramènerai sain et sauf à Jérusalem ; et vous aussi, je vous reconduirai chez vous, si vous me laissez faire. »

Pouff ! pouff ! de sa vilaine pipe. Entendez-le respirer, vous croyez qu’il va mourir ; il n’est même pas malade. Il m’a dit l’autre jour qu’il savait toutes les ruses qu’emploient les matelots pour éluder le service. Je suis persuadé qu’il me joue un de ses tours. La fièvre le dévore, dit-il. La fièvre ! j’en connais toutes les phases ; et je suis persuadé qu’il ne l’a pas. Si je prenais un bâton, je suis sûr que je le guérirais tout de suite..

Ier septembre. D’après Thani ben Abdallah, que je suis allé voir aujourd’hui à Maroro, Tabora n’a perdu que trois tembés ; ce sont les huttes des indigènes qui ont alimenté les flammes ; plus d’une centaine de cases ont été détruites. Les Arabes ont à regretter cinq des leurs, treize Vouangouana et huit esclaves. On leur a pris en outre deux cent quatre-vingts dents d’éléphant et soixante têtes de gros bétail. Les pertes de Mirambo s’élèvent à deux cents hommes.

3 septembre. Reçu de Zanzibar un paquet de lettres et des journaux que m’envoie le capitaine Webb. La belle et bonne chose que des amis, qui sont en Amérique, si loin, si loin, pensent à un absent perdu au bout du monde ! Personne, à ce qu’ils me disent, ne me croit sur la terre africaine ; on pense que je ne suis pas encore arrivé.

J’ai demandé aujourd’hui à Ben Nasib d’autoriser la caravane de Livingstone à se rendre avec moi dans l’Oujiji. Il n’a pas même voulu m’écouter, disant que je courais à une mort certaine.

4 septembre. Shaw va bien aujourd’hui, même de son propre aveu ; mais Sélim a la fièvre. Pour moi, la force me revient ; quant à mes pauvres soldats, ils déclinent rapidement : Oumgaréza est aveugle, Barati a la petite vérole, Sadala une fièvre intermittente, et Bilati un mal étrange, un ulcère, ou quelque chose à l’arrière-train.

5 septembre. Barati est mort ce matin ; c’était l’un des fidèles de Speke et l’un des meilleurs sujets de mon escorte. J’avais déjà perdu six de mes anciens askaris ; il fait le septième.

J’ai eu toute la journée les oreilles empoisonnées par les rapports des Arabes au sujet du pays que nous avons à franchir : « Les routes sont mauvaises ; elles sont toutes fermées ; les Rouga-Rouga infestent les bois ; les Vouakonongo arrivent du sud pour rejoindre Mirambo, les Vouashenzi se font la guerre. » Bref mes gens sont abattus ; ils se sont pénétrés de ces récits, et partagent l’effroi de ceux qui les répandent. Bombay commence à penser que je ferais mieux de revenir à la côte, et de remettre mon voyage à des temps plus heureux.

Nous avons enterré Barati sous un figuier-banian, à quelques pas et à l’ouest du tembé. Une fosse de quatre pieds et demi de profondeur sur trois de large a d’abord été creusée ; au fond de cette excavation, et près de l’une des parois, on a ouvert une tranchée étroite dans laquelle le défunt a été mis sur le côté, la face tournée vers la Mecque. On avait enveloppé le corps de six mètres de calicot tout neuf. Après l’avoir déposé dans ce lit étroit, on a fait dans la tombe une toiture inclinée avec des bâtons, recouverts d’une natte, afin de préserver le mort du contact de la terre. La fosse a été gaiement comblée, aux sons des éclats de rire. On y a planté un arbuste ; et dans un petit trou, fait avec la main, on a versé de l’eau, pour que le défunt puisse se désaltérer, s’il a soif en allant au paradis. Finalement la tombe a été aspergée d’eau claire ; et la gourde qui avait contenu le liquide a été brisée. La cérémonie achevée, il y a eu récitation générale du fathha[1], puis mes hommes se sont éloignés du défunt en l’oubliant pour toujours.

7 septembre. Un Arabe appelé Mohammed m’a fait présent d’un petit garçon nommé Ndougou-M’hali, ou Richesse-de-mon-frère. Ce nom m’a déplu ; j’ai réuni mes vétérans et je les ai priés d’en choisir un qui fût plus exact. L’un a proposé Simba, qui signifie lion ; un autre a pensé à Ngombé, qui veut dire vache ; un troisième a soufflé Mirambo, ce qui a fait rire aux éclats. Bombay a suggéré Bombay-Mdogo (Petit-Bombay). Mais après l’avoir examiné, Oulimengo a trouvé que l’enfant devait s’appeler Kaloulou, parce que, a-t-il fait remarquer : « Voyez comme ses yeux brillent ; voyez son petit corps, si fluet, regardez ses mouvements. Comme il est agile, comme il est souple ! Kaloulou est bien son nom.

— Oui, Bana, ont dit tous les autres, nommez-le Kaloulou. »

En kisahouahili, c’est le nom du faon de l’antilope pygmée (A. perpusilla).

J’ai fait apporter un baquet plein d’eau. Sélim, qui ne demandait pas mieux que d’être parrain, a tenu l’enfant au-dessus du baquet, et j’ai prononcé les paroles suivantes : « Que désormais son nom soit Kaloulou, et que personne ne le lui enlève. » C’est ainsi que le négrillon de Mohammed a reçu le nom qu’il porte.

Notre bande est maintenant composée de trente-six personnes :

002 blancs,
001 jeune Arabe,
001 Hindi,
029 Vouangouana,
001 enfant du Londa (province de Cazembé),
001 enntde l’Ouganda,
001 enntde l’Ouhouemba ou Liemba.

Ce soir nous avons eu une vive alerte : un feu nourri a éclaté, venant de Tabora, et nous a fait croire à l’attaque de notre village. C’était une salve d’honneur qui annonçait à Mkasihoua, chef de l’Ounyanyembé, la visite de Kitambi.

8 septembre. Dans la soirée, Ben Nasib a reçu une lettre d’un Arabe de Mfouto, lui annonçant que Mirambo et les Vouatouta viennent d’arriver sous les murs de cette place ; on lui recommande de nous faire mettre sur la défensive. Il parait que si Mfouto est pris, Mirambo doit marcher directement sur Kouihara.

9 septembre. L’ennemi a éprouvé hier une défaite sérieuse. Il avait d’abord enlevé d’assaut un petit village aux Vouanvamouézi ; mais il a été repoussé vigoureusement sous les murs de Mfouto. Mirambo a perdu trois de ses principaux feudataires. Obligé de lever le siège, il a été poursuivi jusque dans la forêt d’Oumanda, où son armée a été mise en déroute, et où lui-même a fui du champ de bataille.

Les têtes des chefs qu’il a perdus viennent d’être apportées à Kouikourou, boma de Mkasikoua.

11 septembre. Shaw est un hâbleur sentimental, avec une large dose des principes de Joseph Surface[2]. Il y a des moments où il s’enflamme, et fait une sortie éloquente sur les vices de l’humanité, particulièrement sur ceux des riches. Ses philippiques, à cet égard, seraient dignes d’un meilleur auditoire que celui que je peux lui offrir.

Il a des habitudes d’absorption en lui-même, une excentricité absolument contraire à celle de Jack Bunsby. Au lieu de contempler l’horizon, il regarde à ses pieds d’un air qui semble dire : Quelque chose va de travers ; je suis en train de chercher où cela peut être, et comment on peut le rectifier.

Il m’a raconté aujourd’hui que son père avait été capitaine dans la marine royale, et que lui-même avait assisté quatre fois aux réceptions de la reine Victoria. Ce n’est guère possible ; je ne peux pas me figurer le fils d’un capitaine de vaisseau ignorant au point de savoir à peine écrire son nom ; et je ne vois pas comment il aurait pu être présenté à la reine ; j’ai entendu dire que la cour de Saint-James était la plus aristocratique d’Europe.

Toujours est-il qu’il m’en veut énormément parce que je n’ai pas l’air de le croire ; et il a ouvert sur moi le feu d’une batterie sentimentale qui me fait presque pleurer de dépit, tant je suis vexé de m’être affublé d’un pareil homme.

14 septembre. Sélim a constamment la fièvre ; le délire ne le quitte pas. Shaw est retombé dans ses misères ; me voilà tout à fait garde-malade. Je n’ai personne pour me seconder ; Abdou-lKader a l’esprit tellement enfumé par l’odieux tabac du pays, que si je lui demande un service il va à l’aventure, ne sait pas ce qu’il fait, brise les plats, renverse les écuelles, et m’exaspère au point que j’en ai pour une heure à me remettre. Si je veux employer Férajji, qui est maintenant mon cuisinier, je ne trouve qu’une tête de bois, incapable de recevoir une idée, et je suis obligé de tout faire.

15 septembre. Trois mois bientôt que je suis ici ! Mais j’espère ne plus y être dans huit jours.

Mes soldats ont passé toute la nuit, jusqu’à neuf heures du matin, à chanter et à danser en l’honneur de ceux de leurs camarades dont les os blanchissent dans la forêt de Vouilyankourou.

Deux ou trois énormes jarres de pombé n’ont pas suffi à éteindre la soif qu’a fait naître ce violent exercice ; on est venu de très-bonne heure me mettre à contribution d’une choukka, afin de se procurer une nouvelle potée de bière.

J’ai passé toute ma journée à choisir les bagages que nous devons prendre, et à les faire mettre en ballots. La charge a été réduite à cinquante livres dans l’espoir que cela nous permettra d’aller un peu plus vite. Deux ou trois de mes porteurs sont très-malades ; il est à peu près sûr qu’ils ne pourront pas faire leur service ; mais d’ici à notre départ, j’espère pouvoir les remplacer ; j’ai trouvé depuis deux jours à louer dix pagazis.

16 septembre. Nos préparatifs sont presque terminés. Que Dieu le permette, et nous serons en marche avant la fin de la semaine. J’ai engagé deux nouveaux porteurs et deux guides : Asmani et Mabrouki. Si l’énormité du corps humain peut inspirer la frayeur, Asmani doit produire un effet terrifiant ; il a beaucoup plus de six pieds, sans chaussure, et des épaules à défrayer une couple d’hommes ordinaires.

Je donne demain un grand repas à mes gens, pour célébrer leur départ de cette malheureuse contrée.

17 septembre. Le banquet est fini. J’avais fait tuer deux bouvillons, et nous avons eu une barbacue[3]. Trois moutons, deux chèvres, quinze volailles, cent vingt livres de riz, vingt gros pains de maïs, cent œufs, dix livrés de beurre, plus, vingt-trois litres de lait, ont complété le menu. Mes gens avaient invité leurs amis et leurs voisins, et une centaine de femmes et d’enfants ont pris part à la fête.

Après le repas sont arrivées cinq grandes cruches de bière ; puis la danse a commencé ; elle dure encore.

19 septembre. Un accès de fièvre que j’ai eu aujourd’hui m’a obligé de remettre à demain notre départ. Sélim est rétabli ; Shaw également. Ce dernier paraît avoir dit que j’allais mourir ; qu’aussitôt que je serais mort, il prendrait mon journal, mes caisses et le reste, et qu’il partirait pour la côte. Dans tous les cas, il a exprimé la ferme résolution de ne pas venir dans l’Oujiji. Si je ne meurs pas, je m’en irai ; et dès que je serai en route, il emplira la cour de volailles, achètera une vache, et aura tous les jours des œufs frais et du laitage.

Ce soir, pendant que ma fièvre était dans toute sa force, il est venu me demander mes dernières volontés, et m’a proposé de les mettre en écrit : « car, a-t-il ajouté, d’un air sombre, les plus vigoureux d’entre nous peuvent mourir. » Je l’ai prié d’aller à ses affaires, et de ne pas venir croasser autour de moi.

Sur les huit heures j’ai eu la visite de Ben Nasib, qui m’a supplié de ne pas partir dans l’état « si grave » où je me trouve ; Thani Sakhbari qui l’accompagnait, a insinué que j’avais besoin d’un mois de repos. À cela, j’ai répondu que les hommes de race blanche ne manquaient jamais à leur parole, que j’avais dit que je partirais demain, et que rien ne m’en empêcherait.

Voyant que je ne céderais pas, Ben Nasib m’a quitté en disant qu’il allait écrire à Sa Hautesse pour lui dire combien j’étais opiniâtre et que j’avais résolu ma propre mort. C’était la flèche du Parthe.

Il est dix heures ; ma fièvre a cessé. Tout le monde dort excepté moi. Je pense à ce que je dois faire, je réfléchis à ma position. Une tristesse inénarrable m’envahit. — La désolation de l’isolement. Nulle sympathie, nul intérêt. Shaw lui-même, un homme de ma race, auquel j’ai prodigué mes soins, a moins d’attachement pour moi que le petit Kaloulou.

Il faudrait plus de force que je n’en possède pour écarter les noirs pressentiments qui m’assiègent.

Mais peut-être ce que je nomme pressentiments n’est il que l’effet des pronostics des Arabes ; l’impression due aux sinistres paroles de ces gens au cœur faux. Ma tristesse a probablement la même cause. Les ténèbres qui emplissent ma chambre, et que me fait voir la seule bougie qui m’éclaire, ne sont pas faites pour m’égayer. Je me sens comme entre deux murs de pierre, dans une prison sans issue.

Mais pourquoi me laisser prendre aux croassements de ces Arabes ? Un soupçon m’est déjà venu et se représente ; il y a là quelque motif caché ; ne s’efforcent-ils pas de me retenir, dans l’espoir que je les soutiendrai contre Mirambo ? Si tel est leur calcul, ils se trompent ; j’ai juré, et je tiendrai mon serment, j’ai juré de ne me laisser détourner de mon entreprise par quoi que ce soit, juré de poursuivre ma recherche jusqu’à ce que j’aie retrouvé Livingstone ; de ne revenir qu’avec un témoignage incontestable de son existence, ou avec la preuve qu’il a cessé de vivre. Personne au monde ne m’arrêtera ; la mort seule pourrait… mais non ; pas même la mort ; car je ne mourrai pas ; je ne veux pas, je ne peux pas mourir. Quelque chose me dit — je ne sais pas ce que c’est, — peut-être cette espérance vivace qui est en moi, peut-être cette présomption naturelle à une vitalité exubérante, ou un excès de confiance en moi-même, — je ne sais pas, — mais quelque chose me dit que je le trouverai. Écrivons cela plus gros : Je le trouverai ! je le trouverai ! Ces mots sont fortifiants. Je me sens mieux. Ai-je dit une prière… ? Je dormirai bien cette nuit. »

J’ai cru devoir donner ces pages telles qu’elles ont été senties à l’heure oh elles furent écrites. Mieux que toutes les descriptions que j’en pourrais faire, elles peignent le genre de vie que j’avais alors, et l’état moral qui en résultait. Elles n’ont rien d’exagéré ; c’est littéralement ce que j’éprouvais à cette époque ; elles témoignent d’accès de fièvre sans nombre, subis par moi et par mon entourage ; elles racontent nos périls et nos joies, nos ennuis et nos plaisirs tels qu’ils se sont produits.

  1. Premier chapitre du Koran, d’où le nom de Fathha, qui signifie ouverture. D’après les Musulmans ce chapitre a des vertus merveilleuses. Les paroles, du reste, en sont fort belles. (Note du traducteur.)
  2. Tartufe de mœurs ; personnage de l’École de la médisance (The School for scandal), la plus célèbre des comédies de Shéridan. (Note du traducteur.)
  3. Ce mot désigne un cochon, un bœuf, n’importe quel animal mis tout entier sur le gril, après avoir été ouvert dans toute sa longueur, ou de barbe-à-queue. On l’a ensuite appliqué aux festins où se mangeaient ces énormes crapaudines ; et, par extension, ou l’emploie aux États-Unis (dans l’Ouest et dans le Sud) pour désigner un meeting auquel s’ajoute un repas en plein air. Il est possible que notre auteur lui ait donné toutes ces acceptions d’accommodement de la bête, de réunion et de festin à découvert. Si le mot devait se rapporter aux bouvillons, peut-être au lieu de dire : I had a barbacue, le texte porterait-il : I had them barbacued (je les ai eu barbacués). (Note du traducteur.)