Coin d'Alger (Guaita)

Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 209-210).


Coin d'Alger


À Charles Buet.


L’azur incandescent vibre et pèse en silence
Sur Alger. — Les grands quais sont déserts. — Dans le port,
Une forêt de mâts inégaux se balance,
Indolente, au roulis des flots crépitant d’or.

Le soleil fait pleuvoir à pic, sur les mosquées,
Avec sa fureur blanche, un calme assoupissant,
Et les hauts minarets dont elles sont flanquées
Portent jusques au ciel leur faste éblouissant.


Mais plus loin, dans la rue étroite et mal bâtie
Qui grimpe en escalier de maison en maison,
Sous une porte basse où l’ombre s’est blottie,
Un visage fané fleure la trahison :

Un maure est accroupi, patelin et qui semble
Scruter l’âpre ruelle avec l’œil d’un busard,
Tandis que, devers lui, ses trois filles ensemble
Provoquent, en chantant, aux amours de hasard.

— Tremble, étranger, qui pénétrant au vil repaire,
Viens vautrer ton désir sur la natte d’alfa !
Crains, dans l’ombre sanglante et mal hospitalière,
L’éclair du yatagan caché sous un sopha !

L’attraction des yeux de bistre te fascine,
— Noirs diamants de flamme au fond du réduit noir
Mais le Vice et le Meurtre ont un même terroir,
Et la chatte grivoise a la griffe assassine !


Septembre 1884.