Impression de souvenir (Guaita)

Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 211-212).


Impression de souvenir

(SPLEEN)


Tel soir, la pleine lune élargissait dans l’ombre
Son orbe pâle et doux. — Les vieux sapins vert-sombre
Tamisaient sur le sol des rêves lumineux ;
Et, sur leurs troncs roidis tout bossues de nœuds,
Les saules nus sentaient courir et se répandre
Un frisson de lueur vague, laiteuse et tendre,
Quelque chose comme un baiser venu d’en haut. —
La Seille serpentait dans les fleurs, et son eau
Qu’un reflet gris-d’acier trahissait très profonde,
Semblait ridée au souffle errant d’un autre monde.

Un calme suggestif planait sur ce décor

Oh ! cette nuit d’été, je la revois encor ;
Mais les temps sont si loin, où, dans les prés nocturnes,
J’égarais la lenteur de mes pas taciturnes !
Il est si loin de moi, le désir obsédant
D’errer jusqu’au matin dans l’herbe — cependant
Que tout dort alentour !… — La Lune et sa magie
N’évoquent plus en moi d’ardente nostalgie…

Ton charme despotique a perdu son pouvoir,
Nuit sereine — et ta voix ne sait plus m’émouvoir,
Ta voix molle et qui pleure, ivre de nonchalance,
Ta belle voix de blanc mystère et de silence !


Octobre 1884.