Chronique de la quinzaine - 31 octobre 1895

Chronique n° 1525
31 octobre 1895


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 octobre.


Les Chambres se sont réunies le 22 octobre, et le ministère a été renversé le 28. Cela n’a pas été long, comme on voit. Personne ne s’attendait à un dénouement aussi rapide : on croyait généralement que le ministère rencontrerait les premières difficultés réelles dans la discussion du budget, mais qu’il traverserait sans beaucoup de peine le fouillis d’interpellations dont on avait embarrassé ses premiers pas. Il y en avait une quarantaine, et, dans le nombre, beaucoup paraissaient plus sérieuses et plus dangereuses que celle de M. Rouanet. M. Rouanet interpellait sur les chemins de fer du Sud de la France, triste affaire, mais en somme assez vulgaire. On aurait compris, sans l’excuser, que le gouvernement fût renversé sur la grève de Carmaux, et, malgré le succès final de l’expédition malgache, beaucoup de ses adversaires l’attendaient aussi sur ce terrain. Les fautes initiales qui ont été commises à Madagascar avaient produit dans le pays tout entier une émotion très vive, et la nouvelle du traité de Tananarive ne l’avait pas complètement dissipée. Nous connaissons ce traité aujourd’hui ; il est excellent ; mais on a créé artificiellement dans les esprits une telle confusion au sujet des avantages ou des désavantages respectifs de l’annexion et du protectorat, que l’opinion est restée incertaine et qu’un débat approfondi était nécessaire pour l’éclairer et la fixer. Si le gouvernement avait sombré à propos de l’expédition de Madagascar, ou même du traité de Tananarive, encore une fois nous l’aurions déploré, mais le sujet en aurait valu la peine. Mais l’interpellation sur Madagascar n’a pas eu le temps de se produire, et le gouvernement a traversé victorieusement celle de M. Jaurès sur la grève de Carmaux. Après trois jours de discussion, où beaucoup d’éloquence a été dépensée, où beaucoup de passions se sont déchaînées, il est resté maître du terrain. Qui aurait pu croire qu’il s’écroulerait le lendemain sur une interpellation où les assaillans n’ont montré ni éloquence, ni même de passion, et qui paraissait devoir aboutir à l’ordre du jour pur et simple ? S’il est tombé, c’est évidemment qu’il était peu solide, soit qu’il eût été plus ébranlé encore qu’on ne le croyait par le travail qui s’était fait dans les esprits pendant les vacances, soit que l’assiette parlementaire sur laquelle il s’appuyait fût des plus instables. Et peut-être aussi ces deux motifs se sont-ils réunis pour déterminer sa chute.

Il y a vraiment peu de chose à dire de l’interpellation de M. Rouanet sur les chemins de fer du Sud de la France. L’affaire est bien connue, puisqu’elle a été portée deux fois devant la cour d’assises de la Seine, et qu’elle a abouti, d’abord à l’acquittement de MM. Martin, André et Bobin, puis à la condamnation de M. Magnier. On a prétendu qu’il y avait contradiction entre ces deux verdicts ; si cela est vrai, il faut s’en prendre à l’institution du jury. Il y a des jurys trop indulgens, il y en a de plus sévères, et on passe des uns aux autres sans qu’il soit possible d’assigner aucune règle à ces variations infiniment plus capricieuses que celles de l’atmosphère. Cela ne veut pas dire que l’institution du jury soit mauvaise. Sans doute, elle présentera toujours un peu de hasard dans ses résultats ; mais ces hasards seraient moindres si la liste des jurés était dressée autrement qu’elle ne l’est, et si on ne semblait pas quelquefois en éliminer par système les élémens intelligens et, dès lors, indépendans des surprises de l’audience. Les choses étant ce qu’elles sont, que pouvait faire le gouvernement, sinon ce qu’il a fait ? Il a exercé des poursuites contre tous ceux qui avaient encouru des responsabilités pénales, et il n’a pas lui-même plus de responsabilité dans les acquittemens que dans les condamnations prononcés. A toutes les questions qui lui ont été posées par M. Rouanet d’un côté et par M. Binder de l’autre, M. le garde des sceaux a répondu avec une clarté qui ne laissait rien à désirer. La Chambre, un peu dépaysée, a assisté à un débat qui aurait été mieux à sa place dans un prétoire. Les orateurs parlaient comme des avoués beaucoup plus que comme des hommes politiques. Il fallait être du métier pour s’y reconnaître. Qui pourrait dire s’il y a eu vraiment des fautes dans la conduite de la procédure ? Les orateurs de l’opposition l’ont affirmé, M. le garde des sceaux l’a nié : la Chambre était un juge incompétent en pareille matière. On lui demandait d’évoquer par devers elle, de rouvrir, de juger sommairement et par à peu près, non pas à la lumière de la raison juridique, mais à la lueur confuse et trompeuse de passions politiques, des procès qui avaient reçu ailleurs une solution définitive. La chose jugée n’existe-t-elle donc pas pour elle ? Les lois qu’elle fait pour les autres ne l’obligent-elles pas aussi ? A-t-elle le droit de s’ériger en autorité souveraine qui casse à son gré les sentences, les jugemens, les verdicts, et en impose de nouveaux ? Telle est la question qui s’agitait. Elle n’est pas nouvelle. Elle a reçu déjà, suivant les cas, les circonstances, l’humeur du moment, le degré de sympathie qu’inspirait tel ou tel ministère, l’habileté de ses orateurs ou l’énergie de leur attitude, des réponses très différentes. Lundi dernier la réponse a été de telle nature que le ministère a dû se retirer.

L’ordre du jour qui a été voté est dû à la collaboration de M. Marcel Habert et de M. Rouanet. Chacun de ces députés en avait rédigé un ; mais, à la lecture, ils se sont aperçus qu’ils se complétaient fort bien, et M. Rouanet a demandé que son texte fût joint à celui de son collègue. On est arrivé ainsi à la rédaction suivante : « La Chambre, considérant qu’il importe d’interdire aux membres du Parlement de participer à des syndicats financiers, » — ceci est l’œuvre de M. Marcel Habert, — « et résolue à faire la lumière complète sur l’affaire des chemins de fer du Sud, invite le ministre de la justice à poursuivre toutes les responsabilités. » Ce dernier membre de phrase est de M. Rouanet. Sur le premier, aucune opposition ne s’est manifestée dans la Chambre, ni dans le gouvernement ; ce qui ne veut pas dire qu’il soit clair, ni qu’il puisse devenir tel quel un texte de loi ; mais il indique une tendance, il exprime un vœu auquel la Chambre presque tout entière a voulu s’associer. Il n’en était pas de même de l’addition de M. Rouanet. Comment le ministère aurait-il pu l’accepter ? Il aurait reconnu par là n’avoir pas fait toute la lumière, n’avoir pas poursuivi déjà toutes les responsabilités. Il se serait donné un démenti et infligé un blâme à lui-même. M. Ribot, président du Conseil, est monté à la tribune pour déclarer qu’il repoussait cette seconde partie de l’ordre du jour. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait avec plus de force ? Pourquoi n’a-t-il pas posé plus nettement la question de confiance ? Le ministère a paru fatigué, un peu découragé, peut-être dégoûté : il s’est abandonné lui-même. Peut-être aussi n’a-t-il pas bien calculé la force de pénétration et d’entraînement qu’ont toujours sur une Chambre, même lorsqu’elles sont employées mal à propos, les expressions que M. Rouanet avait données comme sauf-conduit à son ordre du jour. Que demandait-il, en effet ? Qu’on fît plus de lumière, et n’est-ce pas toujours chose à dire ? Quoi encore ? Qu’on poursuivît toutes les responsabilités, et n’est-ce pas toujours chose à faire ? Le malheureux député d’arrondissement, soucieux avant tout des conversations de son village, s’est demandé s’il pouvait repousser ces formules honnêtes et vagues, adéquates à tant d’esprits. Le soupçon, ce poids menaçant et terrible qui plane déjà sur tant de têtes, ne s’appesantirait-il pas sur la sienne ? S’il votait pour le gouvernement, pour un gouvernement déjà ébranlé, entamé, peu sûr de son lendemain, trouverait-il en lui un appui plus solide que celui qu’il lui donnerait ? La question qui était posée est de celles qui ne laissent pas une assemblée dans son sang-froid. Il s’agissait pour chacun de la vertu des autres, excellente occasion de montrer la délicatesse intransigeante de la sienne propre. Cela coûte si peu cher. Cela ne coûte, en effet, qu’un ministère. Hélas ! que j’en ai vu mourir, de ministères ! N’est-ce pas le destin ?

Cette fois pourtant, l’accident dépasse la portée ordinaire. Bien que sa politique ne se soit jamais nettement dessinée, — ce qui était impossible de la part d’un gouvernement de concentration, combinaison nécessairement provisoire et condamnée à osciller tantôt dans un sens et tantôt dans un autre, — le ministère de M. Ribot avait eu, sur les points essentiels, une bonne et ferme attitude. Son empirisme a été intelligent et souvent courageux. Tout en ménageant les socialistes dans la forme, il leur a résisté dans le fond. Son malheur est qu’il ne s’appuyait sur aucune majorité homogène et compacte, parce que, ni avant de prendre en main les affaires, ni depuis qu’il les détenait, il ne s’était donné la peine de faire cette majorité, de la grouper, de la maintenir sous les attaques, de l’habituer à soutenir le feu parlementaire. L’action du cabinet sur la Chambre a été intermittente, parfois heureuse, presque toujours assez faible, et tout à fait nulle au dernier moment. Nous avons vu autrefois des hommes politiques, des chefs de parti, et nous prenons ce mot dans le meilleur sens, se donner une peine extrême pour former une majorité, et refuser le pouvoir jusqu’au moment où ils avaient achevé cette première et indispensable partie de leur tâche. Lorsqu’ils étaient aux prises avec une Chambre nouvelle, pleine de bonnes intentions mais aussi d’inexpérience, ils entreprenaient avant tout de faire son éducation politique, et ils n’y ménageaient ni leurs forces, ni leur temps. Optimistes quand même, — car il faut une grande provision d’optimisme, et aujourd’hui plus que jamais, pour faire de la politique, — ils ne connaissaient ni lassitude, ni découragement. Toujours sur la brèche, ils croyaient qu’il y avait toujours quelque chose à faire, même dans les circonstances les plus troublées, ou les plus désespérées. Ils étaient sans cesse au premier rang du combat. Ils finissaient sans doute par succomber, mais non pas sans laisser quelque chose après eux, car ils avaient lutté pour une idée et ils continuaient de la représenter. Si l’idée contraire à la leur avait prévalu, du moins elle aussi s’était dégagée de la lutte avec des lignes et quelquefois des arêtes nettes et distinctes. Le chef irresponsable du pouvoir exécutif, qu’il fût roi ou président, lorsqu’il se trouvait en présence d’une crise, savait ce qu’elle voulait dire et quels hommes il devait faire appeler. Un cabinet, en tombant, rendait encore service au gouvernement parlementaire. En est-il de même aujourd’hui ? Bien grand doit être l’embarras de M. le Président de la République ! Les orateurs qui, dans la journée de lundi dernier, ont remporté la plus stérile des victoires sont M. Rouanet, de la gauche socialiste, et M. Binder, de la droite. Le scrutin, lorsqu’on le dépouille, présente un embrouillement inextricable des noms les plus divers. Il était naturel que, sur le terrain de la vertu, tout le monde voulût occuper une place ; mais il en résulte la plus fâcheuse confusion. Jamais, en demandant plus de lumière, on n’a fait plus d’obscurité. Il n’y avait pas, il ne pouvait pas y avoir de majorité à la Chambre, puisqu’il n’y avait pas de partis tranchés, de programmes opposés, de politique définie, et c’était un grand mal ; mais ce mal a encore empiré à la suite du vote de l’ordre du jour Marcel Habert-Rouanet. Peut-être sortira-t-il de là un nouveau ministère qui, après s’être livré sur les divers groupes de la Chambre à un travail d’arpentage, de pesage et de soupesage, prendra des moyennes, tirera des résultantes et aboutira à un nouveau compromis. La logique semble indiquer qu’il penchera plus à gauche, puisque la grande victoire de lundi a été remportée par les socialistes. On les connaît assez pour savoir qu’ils se feront payer très cher leurs services, et que leurs exigences ne s’arrêteront pas à moitié chemin. Nous serions surpris si la question de Carmaux, qui paraissait avoir été définitivement réglée samedi dernier, ne se trouvait pas posée à nouveau après la séance de lundi. M. Jaurès, en effet, bien qu’il n’ait pris aucune part à la dernière bataille, est appelé à en profiter grandement. On imagine sans peine quelle joie il a dû éprouver lorsque, arrivé à Carmaux où il était allé se consoler avec les grévistes de la victoire que le gouvernement avait remportée sur lui, — nous nous gardons bien de dire sur eux, — il a reçu un télégramme lui annonçant que ce même gouvernement avait mordu la poussière sous les coups du redoutable M. Rouanet, et que déjà il n’était plus. Les journaux socialistes intitulent leurs articles sur la chute du cabinet : La revanche de Carmaux.

Le ministère s’était fait beaucoup d’honneur par l’attitude qu’il a prise dans la grève de Carmaux, et par la manière dont il l’avait expliquée et défendue devant la Chambre. Il faut bien revenir sur ces incidens, puisque notre chronique embrasse une quinzaine. Au reste, parmi les choses qui paraissent déjà vieilles, à cause des catastrophes ministérielles qui se sont produites depuis et de l’intérêt momentanément exclusif qui s’y attache, beaucoup reprendront plus tard leur importance propre. Un ministère de plus ou de moins n’est peut-être pas une grande affaire, mais la grève de Carmaux restera une des pages les plus curieuses de notre histoire économique, politique et parlementaire. Les traits principaux méritent d’en être fixés : on les retrouvera d’ailleurs, avec beaucoup de précision et d’exactitude, dans le discours qu’a prononcé M. le ministre de l’intérieur. M. Georges Leygues a tracé de M. Rességuier un portrait bien différent de celui que nous avaient présenté les socialistes. M. Rességuier est un homme de soixante-quatorze ans, ancien ouvrier verrier, qui s’est élevé par son intelligence et son travail au-dessus de sa condition première, mais qui en est resté fier, ne l’a jamais oubliée, et en a conservé pour ses ouvriers, qu’il regarde comme ses collaborateurs et ses amis, des sentimens affectueux et dévoués. On lui a reproché quelquefois d’avoir fait de la politique, et, en effet, il a été républicain toute sa vie ; il a été un des adversaires de l’Empire à un moment où ce régime en avait fort peu ; mais il a toujours eu soin de porter son action politique en dehors de Carmaux, parce que là, dans ce milieu particulier où il avait mis ses intérêts les plus chers, il voulait que rien ne vînt troubler les rapports de simple patron qu’il entendait conserver avec ses ouvriers. Il a fait de la politique à Toulouse, et de la meilleure ; il n’a fait à Carmaux que de l’industrie. Très en avant des réformes qui n’ont été législativement réalisées que plus tard, il a spontanément et depuis longtemps créé autour de son usine toutes les institutions qui devaient améliorer le sort de ses ouvriers et assurer leur avenir. Les premiers fonds versés dans leurs caisses sortaient toujours de sa poche. Enfin il a recherché dans toute la France quels étaient les salaires les plus élevés que ses concurrens donnaient à leurs ouvriers, et, pour les siens, il les a majorés de 3 pour 100. Voilà l’homme qu’on a dénoncé comme un exploiteur égoïste et un affameur du peuple. Pendant trente années consécutives, l’harmonie la plus complète n’a pas cessé de régner dans son usine. Pas un nuage n’a obscurci la sérénité du ciel. M. Jaurès a reconnu lui-même que M. Rességuier avait été autrefois un bon patron.

Trente ans sont, en effet, un long espace dans la vie de toute une génération. Le caractère d’un homme a le temps de s’y dessiner et de s’y fixer avec des traits qui ne changent plus. Comment donc un accord qui s’était maintenu si longtemps a-t-il pu être troublé ? C’est ce que M. Jaurès n’a pas dit. Il y a eu, à cet endroit de son récit, une véritable solution de continuité. Du jour au lendemain, tout s’est trouvé changé à Carmaux, sans qu’il ait expliqué cette brusque métamorphose. Heureusement, M. Leygues a été plus complet ; il a fait comprendre l’évolution. Entre temps la loi de 1884 était survenue, loi excellente lorsqu’elle est bien appliquée, détestable lorsqu’elle l’est mal. Elle a, comme on le sait, créé les syndicats ouvriers. M. Rességuier s’en est-il ému ? Au contraire : il a le premier conseillé à ses ouvriers de former un syndicat, et, suivant sa généreuse habitude, il a versé les premiers fonds dans la caisse qui s’ouvrait. Pourquoi se serait-il méfié ? Les ouvriers et lui n’avaient-ils pas l’habitude de s’entendre toujours et sur tout ? Et en effet, le bon accord s’est maintenu pendant quelques années. Puis, à la suite d’une grève des ouvriers mineurs de Carmaux, M. Jaurès a été élu député de l’arrondissement. Carmaux est devenu un des centres socialistes les plus actifs, les plus remuans, les plus surchauffés. Peu à peu, le syndicat des ouvriers verriers a été entraîné dans le mouvement qu’on s’efforçait de rendre général. La politique, avec les élémens de discorde qu’elle apporte si souvent avec elle et que M. Rességuier avait réussi jusqu’à ce moment à écarter de son usine, la politique y est entrée tyranniquement. L’œuvre de paix qui, au bout de trente ans, semblait avoir atteint l’âge de la prescription et la consécration de la durée, a été aussitôt compromise. Le syndicat a voulu être le maître, le seul maître à Carmaux, devenir le régulateur de la discipline, donner des congés ou les refuser, embaucher les ouvriers ou les congédier, et cela à l’exclusion du patron, qui devenait un simple ouvrier comme les autres. La lutte a été vive. M. Rességuier a réclamé ses droits et annoncé l’intention de les exercer intégralement. Avec sa loyauté ordinaire, il a averti les ouvriers des conséquences de leur conduite. Il a dit par avance tout ce qu’il ferait dans telle et telle circonstance déterminée, et il l’a fait ensuite comme il l’avait annoncé. Sa seconde manière a été aussi nette que la première. La surprise a été grande quand on a vu le spectacle extraordinaire d’un patron qui se défendait. On s’était habitué à regarder le patron comme quelque chose de mou, de cotonneux, de non résistant. Lorsqu’un conflit éclatait entre un patron et ses ouvriers, sans doute le premier ne consentait pas docilement à sa ruine ; il savait attendre ; il usait de toutes les forces de l’inertie, jusqu’à ce que les ouvriers lui fussent ramenés par le découragement et par la faim ; mais alors il se montrait trop heureux, au prix d’une transaction quelconque, de rouvrir son usine et d’accueillir tous les revenans. C’est toujours lui qui avait l’air de capituler. Avons-nous besoin de dire ce qu’il y avait, dans cette attitude, de mépris mal dissimulé pour les ouvriers ? M. Rességuier a d’autres sentimens. Ayant été ouvrier, il traite ses ouvriers comme des hommes. S’il les rudoie, il les respecte. Il a la prétention d’élever leur intelligence jusqu’à la notion et à la conscience de ce que c’est qu’un contrat. Il aspire à leur inculquer, par les leçons de l’expérience, le sentiment de leur responsabilité. Quoi ! les ouvriers auraient donc une responsabilité ? On croyait jusqu’ici que les patrons seuls en avaient une. M. Rességuier a lutté droit contre droit, et s’il a usé largement du sien, il ne l’a jamais dépassé. Cet homme si bienveillant a montré un courage d’esprit, une résolution, une ténacité qu’on ne lui connaissait pas. Tout le monde a compris qu’il y avait à Carmaux, grâce à lui, quelque chose qu’on n’avait pas encore vu ailleurs et qui méritait grande attention. Mais comment tout cela se terminerait-il ? Les uns suivaient les péripéties de l’événement avec une surprise un peu scandalisée, les autres avec sympathie, tous avec une curiosité ardente. On sortait enfin de la routine des grèves antérieures. Il y avait, cette fois, de l’inopiné, de l’inédit, de l’incertain dans le résultat. Quelque opinion que l’on eût sur M. Rességuier, il renouvelait un genre épuisé ; il se montrait original ; on ne pouvait pas lui refuser l’intérêt qui s’attache toujours, dans notre époque banale, à un homme qui fait preuve de caractère et de tempérament. Le mot qu’on a prêté à un ouvrier : « Nous avions cru avoir affaire à un patron, et nous sommes tombés sur un artiste, » peint assez bien la situation.

Mais une pièce de ce genre ne vaut que par le dénouement. Malgré tous les efforts qu’ont faits les députés socialistes pour prolonger la grève jusqu’à la rentrée de la Chambre, elle était, en fait, terminée au moment où la discussion s’est ouverte. Deux fours étaient rallumés, un troisième sur le point de l’être. A force d’énergie, et, si on le veut, d’obstination, M. Rességuier avait atteint son but. Que signifiait, dès lors, la proposition d’arbitrage par laquelle M. Jaurès a terminé sa harangue ? Entre autres objections contre l’arbitrage, il y en avait une plus forte que toutes les autres : c’est qu’il arriverait trop tard. Les questions soulevées par la grève sont résolues : l’arbitrage n’aurait d’autre résultat que de les remettre en cause. Il ferait croire que la grève n’est pas terminée, et elle l’est, ou du moins elle l’était au moment où M. Jaurès parlait : peut-être la chute du ministère la fera-t-elle renaître. Faut-il rappeler d’ailleurs qu’elle a été provoquée par une question de discipline, et que les questions de ce genre ne sont pas de celles que l’on peut soumettre à un arbitre ?

Cet arbitrage après la grève était la surprise finale que M. Jaurès réservait à la Chambre comme péroraison de son discours. Il a pris soin, au préalable, d’énumérer tout ce que les ouvriers accepteraient et tout ce qu’ils n’accepteraient pas, puis, après avoir ainsi limité, enchaîné la liberté de l’arbitre éventuel, il s’est tourné vers le président de la Chambre et il lui a demandé d’en jouer le rôle. Qui pourrait soupçonner M. Brisson de partialité ? Ne connaît-on pas sa loyauté parfaite ? N’a-t-on pas confiance dans ses lumières et dans son indépendance ? Son autorité n’est-elle pas universellement respectée, — en dehors du Palais-Bourbon bien entendu, car, au dedans, elle vient d’être soumise à de cruelles épreuves ? Quelque inacceptable que soit, dans son principe même, la proposition de M. Jaurès, la manière habile dont il l’a présentée a jeté d’abord quelque désarroi dans la Chambre et même dans le langage de son président. Terminer la grève par une réconciliation générale, quel beau rêve ! Pourquoi ne serait-il pas réalisable ? Il y avait sur tous les bancs, à cette pensée, de l’émotion et de la confusion. Si on pouvait pourtant ?… M. Brisson s’est levé de son fauteuil au milieu d’un silence solennel. Il a donné, en termes graves, de très bonnes raisons pour ne pas accepter la tâche qu’on voulait lui imposer ; après quoi, il a conclu qu’il l’assumerait tout de même si la Chambre était de cet avis. Partagé entre sa raison et son cœur, son attitude a paru embarrassée. Heureusement, la prolongation du débat jusqu’à la séance du lendemain a laissé à M. Brisson le temps de réfléchir davantage et de s’arrêter à un parti plus ferme. Après avoir lu divers ordres du jour, parmi lesquels figurait celui de M. Jaurès, il a, cette fois, décliné nettement la mission dangereuse qu’on voulait lui confier. Oh ! combien dangereuse ! Quel précédent aurait créé une assemblée politique en évoquant par devers elle une cause toute privée, pour confier à son président le soin de juger entre les intérêts en présence et de prononcer d’office une sentence arbitrale ! De tous les empiétemens d’une Chambre en dehors de son domaine propre, celui-là aurait été le plus monstrueux. Il l’aurait été, s’il avait pu s’accomplir jusqu’au bout. Mais M. Jaurès méconnaissait, il affectait d’oublier la nature même de l’arbitrage, qui ne peut jamais être imposé aux parties, et qui doit être d’avance demandé par elles ou librement accepté. Il se portait fort pour les ouvriers de Carmaux qu’ils acceptaient M. Brisson pour arbitre et qu’ils s’inclineraient devant sa sentence quelle qu’elle fût ; mais personne ne parlait pour M. Rességuier, et personne ne pouvait le faire. Il y a trois ans, à propos d’une autre grève de Carmaux, celle des ouvriers mineurs, une situation en partie analogue à celle-ci s’était déjà produite. M. Clemenceau, pour dénouer le conflit entre ouvriers et patrons, avait proposé à cette époque, demandé, exigé, arraché l’arbitrage Comme M. Jaurès, il parlait au nom des ouvriers, mais il avait en face de lui, dans la Chambre même, le président du Conseil d’administration des mines de Carmaux, M. le baron Reille. Les deux parties étaient donc en présence, et l’accord avait pu se faire entre elles, séance tenante, sur l’acceptation de l’arbitrage. « Acceptez-le, disait M. Clemenceau à M. Reille, et tout sera fini. » M. Reille a accepté, et rien n’a été fini. Les ouvriers, on s’en souvient, une fois la sentence rendue, ont refusé de s’y soumettre. Ils ont manqué à la parole donnée par M. Clemenceau. Mais il faut rendre à celui-ci la justice que, dans un sentiment plus juste de la réserve que ses fonctions imposaient au président de la Chambre, ce n’est pas à lui, comme l’a fait M. Jaurès, mais au ministre de l’intérieur, président du Conseil, agissant d’ailleurs à titre privé et comme simple citoyen, qu’il confiait la mission de dénouer arbitralement le conflit. La proposition de M. Jaurès accentuait, aggravait, dénaturait celle de M. Clemenceau.

Au surplus, M. Jaurès pouvait-il se faire illusion sur la réponse de M. Rességuier si on lui proposait l’arbitrage ? Il savait fort bien qu’elle serait négative. Que voulait-il donc, sinon engager la Chambre dans une démarche sans issue, compromettre son président, fausser l’institution de l’arbitrage, tout cela pour jeter aux yeux des âmes simples un peu d’odieux sur M. Rességuier dont il escomptait le refus, sans tenir compte de ce qu’il y a de cruel dans ce jeu trop longtemps prolongé qui consiste, après avoir donné un encouragement de plus aux grévistes, à leur ménager une nouvelle et plus amère déception ? Le gouvernement n’a pas laissé la Chambre tomber dans le piège qui lui était tendu. Il a combattu et fait repousser l’arbitrage. Il a défendu tous ses agens. On a relevé contre quelques-uns d’entre eux un grand nombre de faits dont la plupart ont été démontrés inexacts, et dont quelques-uns seulement sont restés incertains. M. Leygues a promis de rechercher sur tous la vérité, bien qu’elle ne soit pas toujours facile à démêler. Les instructions qu’il avait données, et qu’il a lues à la tribune, avaient toujours été parfaites ; elles recommandaient sans cesse le calme, le sang-froid, le respect scrupuleux des procédés légaux. Mais s’il y a eu quelques écarts commis, est-ce donc là un crime impardonnable ? Les agens sont des hommes, comme l’a dit M. Ribot. A voir les passions déchaînées sur les bancs de la Chambre, on peut se faire une idée de celles qui se sont donné carrière à Carmaux. Pendant trois mois, agens administratifs, fonctionnaires et magistrats, ont été soumis au régime d’injures, d’outrages, de calomnies, auquel les ministres à leur tour ont été en butte pendant trois jours. Qu’ils aient quelquefois perdu patience, cela est possible, et même probable. Il faut les avertir sans doute, les remettre dans la voie d’où ils n’auraient pas dû sortir, les réprimander s’il y a lieu, mais seuls M. Jaurès et ses amis peuvent les juger sans excuses. Ce sont en effet M. Jaurès et ses amis qui ont fait dégénérer un conflit originellement peu grave en une lutte politique, où s’agitaient tout ce que les préoccupations électorales apportent avec elles de troubles véhémens et d’âpres colères : si, là aussi, on poursuivait toutes les responsabilités, les leurs seraient les premières en cause.

L’interpellation sur Carmaux était donc bien terminée, et la grève paraissait l’être du même coup : on n’oserait plus répondre qu’elle le soit encore maintenant. Le gouvernement qui avait, au milieu des séances les plus orageuses et les plus passionnées, guidé la majorité jusqu’à son vote final, a été, nous l’avons dit, renversé le surlendemain. Le vote de la Chambre subsiste, et on ne voit pas trop comment il serait possible de l’effacer. Et d’ailleurs, aujourd’hui comme hier, l’arbitrage n’a plus d’objet. Il en a même moins que jamais, car M. Rességuier a annoncé l’intention d’allumer le quatrième et dernier four de son usine, four qui ne fonctionnait pas avant la grève, afin de pouvoir embaucher deux cents ouvriers de plus. Qui sait pourtant ce qui se passera à Carmaux à la suite de la nouvelle que le ministère Ribot a succombé ? Tout ne sera-t-il pas remis en question ? Les grévistes ne voudront-ils pas attendre le cabinet de demain ? Qui sait s’ils n’auront pas quelque chose de mieux à obtenir de lui ? Les inquiétudes qui se manifestent déjà de ce côté augmentent encore la gravité d’une crise que rien n’explique, que rien ne justifie. Qu’adviendra-t-il du budget qu’il serait si urgent de discuter ? Qu’adviendra-t-il du traité de Madagascar qui vient d’être publié et qu’il serait si important de voir expliqué et défendu par les ministres qui l’ont conclu ? Jamais crise n’a été plus inopportune, et n’a jeté plus d’ombres sur l’avenir immédiat. Nous dirons dans quinze jours quel en aura été le dénouement.


On aime à se détourner un moment de l’arène bruyante de la Chambre des députés pour parler des spectacles bien différens qu’a offerts le centenaire de l’Institut. Il y a plus longtemps que nous avons des académies, mais il y a un siècle qu’elles ont été réunies en un faisceau qui porte le nom d’Institut de France. Cette création unique au monde correspond à cette idée si juste, que l’esprit humain est un sous ses manifestations multiples, et que les lettres, les sciences, les arts, se prêtent un mutuel appui lorsqu’ils se rapprochent dans une synthèse où ils trouvent plus de force, de profondeur et d’éclat. De toutes les institutions issues de la Révolution française, il n’en est aucune qui ait, si on nous permet le mot, aussi bien réussi que l’Institut, ni qui ait rendu de plus grands services. Célébrer son centenaire était chose naturelle et presque nécessaire. Il y avait là, pour l’Institut, une occasion précieuse d’appeler à lui, en un jour de solidarité universelle, ses associés étrangers et les correspondans qu’il a en province et dans le monde entier. La plupart ont répondu à cet appel, et jamais peut-être Paris n’avait réuni un aussi grand nombre d’hommes distingués ou éminens dans les genres les plus divers. Il en est venu d’Angleterre, il en est venu d’Allemagne, il en est venu d’Italie, il en est venu de partout. Un même sentiment les animait, l’amour du vrai et du beau, et la sympathie que la France inspire et qu’elle mérite pour les initiatives intelligentes prises par elle et pour les succès qu’elle a remportés au profit de tous.

Cette fête de l’esprit humain a eu, dans sa simplicité, un véritable caractère de grandeur. Elle a duré plusieurs jours, elle a traversé plusieurs phases, mais c’est peut-être dans la réunion de la Sorbonne qu’elle a revêtu le caractère le plus élevé. M. le Président de la République, entouré du Corps diplomatique, avait tenu à y assister. Une foule brillante se pressait dans l’amphithéâtre au-delà duquel l’admirable fresque de M. Puvis de Chavannes semble découvrir sous un ciel éclatant un horizon infini. M. Gréard, vice-recteur de Paris, avait tout organisé avec un tact parfait. M. Ambroise Thomas, qui est cette année président de l’Institut, a ouvert la séance par un discours éloquent et sobre ; puis il a donné la parole à M. Jules Simon, et quel autre mieux que celui-ci pouvait, en traits larges et fermes, raconter l’histoire de l’Institut, remonter à ses origines, faire assister à sa création, rappeler tout ce que nous lui avons dû depuis cent ans ? Son discours survivra à la circonstance qui l’a provoqué. Ce siècle qui s’achève y trouvera l’énumération de ses gloires les plus pures et de ses travaux les plus féconds ; il y a là comme un testament à l’adresse de la postérité, si on peut donner le nom de testament à ce qui est pardessus tout une œuvre de vie. Il était difficile de succéder à M. Jules Simon ; M. le ministre de l’instruction publique a montré de nouveau, dans cette épreuve, la souplesse et la vigueur de talent qu’on avait admirées déjà aux obsèques de Pasteur. Il a dit à son tour ce qu’il y avait à dire sur l’inspiration d’où est sorti l’Institut, sur l’étroite intimité de toutes les manifestations de l’intelligence humaine, sur le surcroît de puissance et de lumière qu’elles trouvent dans leur rapprochement. L’auditoire a éclaté en applaudissemens unanimes. Que pouvait-on ajouter à cette belle solennité ? Une représentation des chefs-d’œuvre de notre théâtre, interprétés à la Comédie-Française par nos meilleurs artistes, s’est terminée par la lecture de beaux vers, pénétrans et harmonieux, de M. Sully Prudhomme. Ce poète de l’âme sait aussi parler aux foules assemblées par une grande idée. Enfin, l’Institut, par une belle journée d’automne, s’est transporté à Chantilly, et M. le duc d’Aumale, directeur de l’Académie française, l’a reçu dans ce château qu’il lui a si généreusement donné. N’est-ce pas, comme l’a dit M. Gaston Boissier, le plus beau legs qui ait jamais été fait ? Tout a une fin. Après quatre jours, la célébration du centenaire de l’Institut s’est terminée, mais le souvenir en restera. Les écrivains, les savans, les artistes les plus illustres s’y sont rencontrés, oubliant les frontières qui les séparent les uns des autres, pour habiter en commun les templa serena où ils servent tous le même idéal. Une telle fête fait moins de bruit et remue moins de matière qu’une Exposition universelle, mais elle est à tous égards plus rare, et peut-être est-elle aussi plus bienfaisante pour l’avenir de l’humanité.


Les affaires d’extrême-Orient ont pris depuis quelques jours meilleure tournure, et l’on peut enfin espérer que l’évacuation du Liao-Tung par le Japon se fera à une date prochaine. La France, la Russie et l’Allemagne en avaient obtenu la promesse, mais on sait qu’en fait d’évacuation une promesse peut rester longtemps sans se réaliser, et la première condition pour lui donner un commencement d’efficacité est d’attribuer à son exécution une date fixe. Les négociations entre les trois puissances occidentales et le Japon ont duré assez longtemps ; elles viennent enfin d’aboutir, au moment même ou au lendemain du jour où une révolution de palais s’est produite à Séoul, avec des circonstances restées obscures, qui ont causé en Europe une émotion mêlée d’inquiétude quand on a su que la reine avait été assassinée. La reine de Corée passait pour intelligente et résolue ; elle avait une grande influence sur son mari, d’un caractère plus faible que le sien. Le père du roi conspirait contre son fils, qu’il désirait remplacer. Comme il arrive toujours dans des pays plus ou moins livrés à l’anarchie, les deux partis cherchaient à l’étranger un concours et un appui, la reine du côté de la Chine, et le père du roi du côté du Japon. Cette situation connue devait inspirer des doutes au sujet des intrigues japonaises qui, très actives et, comme on le voit, peu scrupuleuses en Corée, ne faisaient pas pressentir dans le voisinage de ce pays des intentions conciliantes. Mais peut-être aussi le Japon eût-il voulu asseoir solidement et à tout prix sa prépondérance en Corée avant d’abandonner le Liao-Tung. Quoi qu’il en soit, il a pris vis-à-vis des trois puissances l’engagement de procéder à l’évacuation de la péninsule aussitôt après le paiement d’une indemnité de 30 millions de taëls qui viendra s’ajouter à celle que la Chine a déjà consentie. D’après les dispositions prises par celle-ci, et les facilités qui lui ont été données, le versement de l’indemnité aura lieu à la fin de janvier : c’est donc à ce moment, ou au plus tard au commencement de février, que l’évacuation aura lieu.

La Russie, l’Allemagne et la France, auxquelles l’Espagne est aussi venue se joindre, ont donc mené à bonne fin l’œuvre diplomatique qu’elles avaient entreprise, et confirmé le premier succès qu’elles avaient déjà obtenu. Il semble que toute l’Europe devrait accueillir avec satisfaction un fait de cette nature. L’Angleterre, toutefois, a montré plutôt de la mauvaise humeur, et quelques-uns de ses journaux, le Times en particulier, manifestent encore des appréhensions qu’il est difficile de partager. Le Times a lancé il y a quelques jours la nouvelle à sensation que-la Russie aurait fait avec la Chine un traité contre lequel il s’empressait de protester : elle aurait obtenu le droit de construire directement un chemin de fer à travers la Mandchourie, de Nertchinsk à Vladivostock, et d’y rattacher, à la hauteur de Tsitsikar, un embranchement qui viendrait aboutir à Port-Arthur. Là, elle aurait encore obtenu le droit d’ancrage pour sa flotte, sans parler d’autres avantages commerciaux d’autant plus menaçans qu’on ne les énumère pas, le tout sous la seule réserve que la Chine pourrait racheter les lignes ferrées au bout de vingt-cinq ans, à un prix à débattre ultérieurement. Nous souhaitons que la première partie de la nouvelle du Times soit exacte, et que la Russie puisse, en effet, pousser en droite ligne son chemin de fer transsibérien jusqu’à Vladivostock ; quant au reste, il mérite confirmation. La dépêche du Times n’a d’ailleurs pas tardé à être démentie, et le journal de la Cité se montre maintenant un peu plus rassuré, personne n’ayant consenti à partager ses craintes. Le seul fait certain est que le Liao-Tung sera évacué dans trois mois, et que notre diplomatie a utilement contribué à cette précieuse garantie du maintien de la paix en extrême-Orient.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.

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