Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1889

Chronique no 1363
31 janvier 1889


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 janvier.

Quand la raison s’éclipse, toutes les passions entrent en scène et les peuples n’ont plus qu’à se bien tenir, à veiller sur leurs trésors mis en péril : leurs trésors sont leur sécurité et leur liberté qui ne sont jamais plus menacées que dans ces momens de trouble où tout est livré au hasard, où la fortune d’un pays semble dépendre d’un coup de dé, d’une mobilité ou d’un emportement de l’opinion.

Ce serait sans doute une faiblesse singulière que de s’effaroucher trop vite pour une élection ou une manifestation, de céder aux paniques, mauvaises conseillères. La France, dans son orageuse carrière, en a vu bien d’autres et elle a eu la chance de se tirer de bien d’autres épreuves. Il n’est pas moins certain que cette élection qui vient de s’accomplir à Paris, qui marque d’un sceau ineffaçable la journée du 27 janvier, a sa gravité : elle dévoile toute une situation ! Jusqu’ici, le héros du jour, M. le général Boulanger, avait pour ainsi dire rôdé dans les départemens, allant du nord au sud, de l’est à l’ouest : il n’était que l’élu des provinces, de quelques provinces. On semblait même le défier d’affronter la lutte sur un autre terrain, dans des départemens où les républicains croyaient encore être inexpugnables. Il a pris son parti en joueur audacieux. Il a tenté la fortune à Paris même, et c’est en plein Paris qu’il a eu 80, 000 voix de majorité. On peut tant qu’on voudra épiloguer, interpréter, atténuer, décomposer le scrutin, le fait est là, et, comme on l’a dit, il est inutile de se fâcher contre les faits parce que cela leur est égal. M. le général Boulanger est l’élu de Paris, les électeurs de Belleville aussi bien que ceux des Champs-Elysées l’ont voulu ainsi ! Comment s’explique cet étrange et dangereux succès ? Quelle est la signification de cette popularité grandissante et certainement toujours peu rassurante ? Quels moyens a-t-on pour détourner ce mouvement d’irréflexion populaire, pour éclairer et apaiser les masses électorales, pour ramener l’opinion abusée et entraînée ? C’est toute la question.

Elle est désormais devant nous, cette redoutable question ; on ne peut plus l’éluder, et on se tirerait encore moins d’affaire avec des illusions, des déclamations, des récriminations ou des subterfuges. Ce qu’il y a de bien clair d’abord, c’est que M. le général Boulanger est un homme heureux, et que, s’il compte un succès retentissant de plus, c’est qu’on l’a bien voulu, c’est qu’on n’a rien négligé pour donner à cette élection du 27 janvier un caractère tout exceptionnel de gravité. On aurait pu sans aucun doute, — rien n’eût été plus prudent, — montrer moins d’impatience, prendre un peu plus son temps pour ouvrir ce scrutin, et surtout éviter de laisser un simple incident électoral devenir une sorte d’événement, une façon de manifestation plébiscitaire de Paris. Il n’y avait qu’à se désintéresser d’avance d’une lutte qui, réduite aux proportions ordinaires, ne décidait rien, — où le succès de M. le général Boulanger pouvait être un ennui sans ressembler à une défaite accablante. C’était le meilleur moyen de diminuer l’importance d’une candidature importune et de l’avantage qu’elle aurait pu obtenir. Au lieu d’agir ainsi, on a voulu évidemment jouer la partie. On a cru le moment et l’occasion favorables pour en finir avec une fortune irritante par une grande manifestation républicaine et radicale de Paris, de ce Paris révolutionnaire dont on croyait avoir gardé les faveurs. On s’est jeté à corps perdu dans cette mêlée où toutes les forces du parti républicain, du gouvernement, de l’administration, du régime se sont trouvées confondues, coalisées contre un seul homme. On a tenu à ne pas laisser ignorer que la République était engagée, qu’elle avait son candidat officiel. On l’a affiché sur tous les murs. La lutte s’est trouvée ainsi forcément agrandie. Il n’est point douteux que si le gouvernement et ses amis des comités radicaux avaient réussi à faire élire leur candidat, M. Jacques, on se serait empressé le lendemain de représenter le vote de Paris comme le plébiscite de la grande ville, comme la sanction souveraine de la politique radicale qui règne aujourd’hui, comme un succès pour M. Floquet. C’est le contraire qui est arrivé, et par cela même la victoire de M. le général Boulanger est la défaite éclatante de M. Floquet, du gouvernement, de la chambre, des comités radicaux, du conseil municipal, de toutes les influences coalisées dans l’élection du 27 janvier. On l’a voulu, on a récolté ce qu’on avait semé ; on s’est réveillé en face de l’humiliation cruelle de ce désaveu qu’on s’est attiré par une fausse tactique.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que les républicains, étourdis de ce coup imprévu, saisis d’une sorte d’ahurissement, accusent tout le monde hormis eux-mêmes, et prétendent expliquer leur défaite par toute sorte de causes, excepté par celles qu’ils pourraient trouver dans leurs propres fautes. Ils accusent Paris, qu’ils appelaient hier encore la ville-lumière, qui continuerait probablement à être pour eux la ville-lumière s’il avait élu M. Jacques, et qui n’est plus, à ce qu’il paraît, qu’une ville déshonorée. Ils ne cessent de s’escrimer contre les conservateurs, qu’ils accusent de s’être alliés à M. le général Boulanger, de s’être faits les auxiliaires du candidat de la dictature. D’abord les conservateurs n’ont pas eu visiblement un rôle aussi décisif qu’on le dit dans le scrutin du 27 janvier; s’ils avaient pu décider de l’élection, ils auraient probablement choisi un autre candidat. Au lieu de se perdre en récriminations stériles, de faire la confession des autres et d’accuser tout le monde, les républicains feraient beaucoup mieux de s’interroger eux-mêmes et de faire leur propre confession. Ils feraient mieux de reconnaître que, s’ils ont décidé au dernier moment le coup de théâtre du 27 janvier par une fausse manœuvre électorale, ils préparent cet étonnant réveil des idées de dictature depuis dix ans par une série d’excès, par toute une politique. On ne peut se lasser de le redire, parce que c’est une vérité plus criante que jamais. Cette fortune devenue irritante, menaçante, elle est leur œuvre. Ce sont les radicaux qui ont conduit l’élu du 27 janvier au ministère de la guerre, qui l’ont soutenu, même quand sa présence devenait un danger, même, quand il n’était plus d jà qu’un soldat indiscipliné. Ils lui ont fait son rôle et ont ouvert la voie à son ambition. S’il y a dans le pays tous ces mécontentemens, ces dégoûts, ces irritations, ces mécomptes qui ont fini par se tourner vers M. le général Boulanger et lui ont fait une armée jusque dans Paris, ce sont les républicains, les radicaux qui seuls, par leur politique, ont créé cet état moral où tout est devenu possible. M. le général Boulanger est leur œuvre, leur création : ils ne peuvent le regarder sans voir en lui l’image vivante et ironique de leurs fautes. C’est le gouvernement avec ses vexations et ses procédés désorganisateurs, c’est la chambre avec son impuissance et ses agitations stériles, ce sont tous les complices de la politique de dix ans qui ont été les premiers et grands électeurs du 27 janvier !

Que des conservateurs poussés à bout aient pu aller, comme d’autres, grossir l’armée des mécontens et porter leurs voix à M. le général Boulanger, c’est possible, c’est même vraisemblable. C’est, dans tous les cas, de leur part une dangereuse impatience ; mais enfin, de bonne foi, qu’ont fait les républicains pour rassurer et rallier tous ces conservateurs, dont l’alliance ne leur serait peut-être pas inutile aujourd’hui? Ils n’ont cessé de les traiter en ennemis, de les offenser, de les exclure, sans prendre garde qu’ils offensaient et qu’ils excluaient près de la moitié du pays. Toutes les fois qu’une occasion s’est présentée où les républicains auraient pu, dans un intérêt public, renouer quelque intelligence utile avec les conservateurs, ils se sont refusés aux plus légères concessions. Ils ont prétendu maintenir leurs lois de parti, leurs procédés exclusifs de gouvernement, leur politique de vexations religieuses et de déficit dans les finances, toujours arrogans, toujours également satisfaits. M. Jules Ferry lui-même proclamait récemment encore la grandeur de ces lois scolaires, qui ne sont pas seulement une atteinte aux croyances d’une partie de la population française, qui seront une charge accablante pour le budget, il n’y a que quelques jours, M. Floquet faisait afficher dans toutes les communes un discours qui n’était qu’une divagation anti-cléricale, une diatribe de club indigne d’un président du conseil. Au moment où la dernière élection est venue, qu’ont fait les républicains? ils ont choisi un candidat qui, à part son obscurité, — l’obscurité n’est point un crime, — ne représentait manifestement que la mairie centrale, l’autonomie communale, l’impôt sur le revenu, toutes les fantaisies du conseil municipal, — enfin, un candidat auquel des conservateurs ne pouvaient se rallier. Le résultat le voilà : c’est ce mouvement croissant de dégoût public qui fait la fortune de M. le général Boulanger. Et le plus sérieux grief des conservateurs, des libéraux, c’est justement que les républicains, par leur obstination, par leur aveuglement, aient préparé cette situation où se rouvrent les perspectives d’une dictature mêlée d’anarchie. Aujourd’hui, le mal est fait : le scrutin du 27 janvier en a dévoilé toute la gravité!

Et maintenant comment sortir de là? Les médecins sont réunis au Palais-Bourbon comme au Luxembourg, et il faut avouer qu’il y a parmi eux plus de pessimistes que d’optimistes, qu’ils commencent par ne pas trop s’entendre sur ce qu’il y aurait à faire pour remédier à une crise si étrangement compliquée. Les conseils ne manquent pas, et le malheur est que la plupart des propositions qui se pressent ou se croisent ressemblent à une représaille contre le scrutin de Paris, contre le suffrage universel lui-même. Les uns, dans leur effarement, ne vont à rien moins qu’à réclamer des mesures violentes, des répressions, la guerre aux conspirateurs, des lois d’exception, — Comme si la violence n’était pas le meilleur moyen d’irriter les mécontentemens et d’enflammer les instincts d’opposition. Les autres se bornent modestement à proposer de revenir sans plus de retard au scrutin d’arrondissement pour fractionner et atténuer autant que possible le mouvement plébiscitaire qu’ils redoutent. Ceux-ci sont pour la dissolution de la chambre et des élections prochaines; ceux-là, en tacticiens temporisateurs, préfèrent ajourner les élections à l’automne, comptant sur l’influence pacificatrice de l’exposition et du temps. Il en est enfin, et ce sont les plus nombreux, qui avant tout croient que le ministère vaincu, battu, humilié dans l’élection dernière, ne peut plus rester au pouvoir et doit disparaître devant un ministère moins compromis. Depuis quatre jours, les consultations, les conversations se succèdent sans qu’on en soit plus avancé. La question va peut-être s’éclaircir aujourd’hui. M. Floquet paraît vouloir saisir l’occasion d’une interpellation pour exposer ses idées, réclamer un vote de confiance et proposer le scrutin d’arrondissement. Il en sera ce qui pourra; mais ce serait assurément une puérile illusion de se figurer qu’il peut suffire aujourd’hui de proposer des moyens répressifs, de substituer le scrutin d’arrondissement au scrutin de liste, de mettre à la place de M. Floquet M. Tirard, de varier l’amalgame des opportunistes et des radicaux dans un ministère.

Le temps de ces médiocres expédiens est passé. Quelles que soient les lois qu’on votera, quel que soit le ministère qui sera formé, la première condition désormais est de changer de conduite, d’en revenir résolument à une politique réparatrice, — celle que M. Challemel-Lacour conseillait avec éloquence avant l’élection, celle que M. Bardoux vient d’exposer encore avec une raison persuasive après l’élection. L’entreprise est difficile et tardive, dit-on; elle ne peut réussir, elle ne suffirait plus pour rallier les conservateurs, et elle ne trouverait pas une majorité dans une chambre impénitente jusqu’au bout. C’est possible. Ce qui est bien plus certain encore, c’est que la république compromise, diminuée et suspecte, ne peut plus se relever qu’avec une politique nouvelle, une assemblée animée d’un esprit nouveau et des pouvoirs résolus à rendre au pays la sécurité qu’il n’a plus, les garanties d’un régime d’équité, de tolérance et de modération.

Après cela, à quoi peut servir maintenant cette chambre usée et épuisée, dévorée de divisions intestines et d’anarchie vulgaire qui, au lieu d’être la force d’un régime en péril, n’est qu’une faiblesse de plus dans des circonstances difficiles? Qu’elle aille jusqu’au bout, qu’elle doive mourir d’une mort prématurée par une dissolution plus ou moins prochaine, elle est destinée à finir comme elle a vécu, après avoir tout agité et tout compromis, les finances aussi bien que la paix morale, l’intégrité des institutions aussi bien que la dignité parlementaire. On se plaisait récemment à exposer ce qu’elle a fait durant cette législature, à retracer en termes presque pompeux ce qu’on pourrait appeler son bilan ou son testament. La vérité est que tout ce qu’aura fait cette assemblée se réduit à peu près à des actes de violence ou de désorganisation, et une de ses dernières œuvres est cette loi militaire qu’elle vient de voter, qui, après être allée de la chambre au sénat, du sénat à la chambre, va revenir encore une fois au Luxembourg tout aussi incohérente, toujours marquée du même sceau de l’esprit de parti. Où donc était la nécessité de toucher à une organisation militaire éprouvée, à cette loi de 1872 qui reste la vraie et grande réforme, qui a produit les meilleurs résultats, qui a donné à la France une armée sérieuse, solide et dévouée? Quelle innovation prétend-on réaliser? Il ne s’agit pas d’introduire dans notre organisation militaire le principe du service obligatoire ; il y est, il est consacré et universellement accepté. Il ne s’agit pas non plus de s’assurer l’avantage du nombre, comme l’a dit M. le ministre de la guerre; il n’est point douteux qu’avec la loi de 1872 on pourra avoir autant d’hommes qu’on le voudra, même plus qu’on ne pourra en encadrer utilement. Il ne s’agit pas davantage d’établir le service de trois ans; la loi de 1872 n’a apparemment rien d’incompatible dans la pratique avec le service limité, puisque c’est une expérience qui se fait tous les jours, puisque la plupart de nos soldats ne restent pas plus de trois ans au régiment. Tout ce qu’il y a de sérieux est donc acquis, tout ce qui peut faire la force de l’armée est à la disposition de M. le ministre de la guerre; mais ce n’était pas là ce qu’on voulait. Ce qu’on désirait avant tout, c’était une bonne loi radicale supprimant toute dispense sous prétexte d’égalité, flattant les passions d’une démagogie envieuse, et surtout enrôlant tout ce qui porte une robe de prêtre.

On veut mettre l’égalité dans la loi nouvelle, faire passer indistinctement toute la jeunesse française sous le même niveau, par la caserne et la chambrée. C’est l’idéal démocratique! et cette égalité, réussit-on du moins à l’établir? Ce n’est évidemment qu’une chimère puérile, c’est une impossibilité absolue : il n’y a pas de budget au monde qui pût suffire à cet enrôlement universel, et, de toute façon, il faut bien en revenir à des catégories, à des dispenses temporaires, à des exemptions conditionnelles. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, il y aura des jeunes gens qui feront trois années de service, d’autres un an, quelques-uns même six mois. L’égalité n’existe pas plus avec la loi nouvelle qu’avec la loi de 1872; mais c’est ici que se manifeste dans tout son éclat le génie des entrepreneurs de réformes démocratiques! L’égalité qu’ils rêvent, ils ne peuvent pas l’établir, ils sont bien obligés de subir la nécessité des choses; seulement là où il y avait des dispenses prévues, définies, réglées par la loi de 1872, ils prétendent créer des dispenses discrétionnaires, ils remettent à l’arbitraire la désignation des exemptés ou des dispensés. L’arbitraire dans la loi constitutive de l’armée, la confusion et la mobilité indéfinie dans le service militaire, voilà le grand progrès !

Au fond, qu’il y ait un peu plus ou un peu moins d’arbitraire, c’est ce dont les radicaux ne s’inquiètent guère. Ils ne font pas une loi d’équité, de prévoyance et d’utilité militaire; ils font tout simplement une loi de parti et de secte. L’essentiel pour eux est de satisfaire leurs passions, d’atteindre, par la suppression des dispenses légales, les classes libérales, les fils de bourgeois et les prêtres, même les curés de paroisse, même les évêques, soumis, comme les autres, au service militaire. On n’a jamais pu faire comprendre à ces réformateurs que ces dispenses qu’ils prétendent proscrire, qui ont existé jusqu’ici, n’ont rien de personnel, rien qui ressemble à un privilège pour certaines classes, que, si elles ont existé de tout temps, c’est que dans une société comme la société française, il y a des intérêts de toute sorte, des intérêts de culture intellectuelle, des intérêts d’un ordre moral et religieux, dont on doit tenir compte. Vainement M. Lefèvre-Pontalis, dans un langage aussi sensé que décisif, a essayé de rappeler ces vérités et a proposé de reprendre un article qui avait été voté par le sénat, qui mettait certaines conditions à l’appel des ministres du culte ou les affectait tout au moins aux services hospitaliers. Ni M. Lefèvre-Pontalis, ni M. Reille, ni M. Keller n’ont été écoutés. La chambre a tenu à aller jusqu’au bout, à tout voter au plus vite, comme si elle sentait le temps et le pouvoir lui échapper. Le résultat est une loi qui ne répond ni à l’intérêt militaire ni aux intérêts moraux du pays, qui ne serait qu’une vaste désorganisation. La compensation, c’est que cette loi est très vraisemblablement destinée à n’être jamais exécutée, à rester le témoignage éphémère des passions, de l’ignorance d’une chambre vouée aux œuvres stériles. La chance encore heureuse, c’est qu’en dehors des vaines agitations et des efforts des partis, notre armée, telle que l’a faite une loi prévoyante, reste ce qu’elle est, solide, discrète, laborieuse, dévouée, — Toujours prête à remplir ses devoirs pour la France !

Oui, sans doute, à moins que des événemens imprévus ne viennent confondre tous les calculs, à condition qu’on ne se fie qu’à demi aux apparences et qu’on ait l’œil toujours ouvert, l’Europe est à la paix. Telle est même l’émulation de discours, de déclarations pacifiques, que cet empressement à tranquilliser le monde semble quelquefois être l’effet d’un mot d’ordre concerté entre les gouvernemens.

C’est entendu, si la situation reste à peu près toujours la même sur l’échiquier européen, les intentions ne cessent pas d’être rassurantes, et si l’on reste de toutes parts sous les armes, c’est pour mieux protéger la paix. D’aucun côté, on ne voit pour le moment les signes de conflits si prochains! L’empereur Guillaume II l’a déclaré il y a quelques semaines à l’ouverture de l’empire allemand; il l’a répété il n’y a que quelques jours en ouvrant le parlement particulier du royaume de Prusse et en confiant aux députés prussiens ses impressions sur ses voyages d’automne. L’empereur Guillaume paraît satisfait de tout ce qu’il a vu, de tout ce qu’il a recueilli sur les dispositions des alliés de l’Allemagne. Peut-être attendait-on de M. de Bismarck, qui est rentré récemment à Berlin, quelques explications de plus, un de ces discours qui éclairent ou troublent l’Europe, en lui faisant sentir ce que coûte cette paix dans laquelle elle a provisoirement la chance de se reposer. M. de Bismarck n’a rien dit jusqu’ici, au moins sur les affaires générales du continent, sur les rapports des grandes puissances entre lesquelles s’agitent les questions souveraines. A dire vrai, le chancelier paraît depuis quelque temps occupé de bien d’autres choses, de M. Geffcken, de sir Robert Morier, — ou de la politique coloniale. Ce sont-ses obsessions du moment. Ce qui paraît surtout occuper aujourd’hui M. de Bismarck, et l’occupation est certes des plus sérieuses, c’est la politique coloniale, qui devient décidément, qui peut tout au moins devenir une grosse et embarrassante affaire pour l’Allemagne.

Comment l’Allemagne, qui a des ambitions proportionnées à ses succès et à son rang dans le monde, réussira-t-elle à réaliser ce qu’elle désire, à être une grande puissance maritime et colonisatrice, à s’assurer des stations dans toutes les mers? C’est l’œuvre qu’elle poursuit depuis quelques années, et qui n’est point visiblement sans rencontrer des difficultés assez sérieuses. Elle n’en est encore qu’aux débuts, et elle se trouve déjà engagée dans deux affaires passablement compliquées, l’une sur les côtes de Zanzibar, l’autre dans l’archipel de Samoa. Attirée par l’esprit aventureux d’une compagnie particulière de colonisation à Zanzibar, elle veut maintenant rester là où ses pionniers ont planté le drapeau allemand, c’est bien clair. Elle a réussi à obtenir le concours du gouvernement anglais, et, de concert avec l’Angleterre, elle a organisé le blocus de la côte orientale d’Afrique. Le prétexte habilement choisi a été la répression du trafic des esclaves ; en réalité, l’unique objet des Allemands est la prise de possession d’une partie de ces régions de l’Afrique orientale. Seulement tout s’est compliqué par degrés. Les indigènes ont opposé une résistance acharnée à l’invasion étrangère; des colons allemands ont été massacrés. Ce qui n’était d’abord qu’une affaire privée est devenu rapidement une affaire d’état. Aujourd’hui c’est l’empire lui-même qui se substitue à la compagnie primitive de colonisation, qui se croit obligé d’intervenir pour ses protégés, pour ses nationaux, et se trouve insensiblement engagé dans une campagne dont on ne peut mesurer ni l’étendue ni les conséquences. A Samoa, l’Allemagne se trouve mêlée à une guerre civile qu’elle a excitée, dont elle a espéré profiter pour établir sa domination ou son protectorat, et, ici encore, elle se rencontre avec l’Angleterre d’abord, — surtout avec les États-Unis, surveillans jaloux de tout ce qui se passe dans l’Océan-Pacifique. C’est sur tous ces faits, sur ce travail d’expansion de l’Allemagne, que s’est récemment ouvert devant le Reichstag un débat où M. de Bismarck est intervenu avec son autorité de vieil athlète. Muet sur les affaires de l’Europe, le chancelier s’est jeté dans la mêlée pour Zanzibar, pour la défense d’une politique où il voit aujourd’hui un intérêt supérieur de l’empire.

Deux fois en peu de jours, la discussion s’est engagée au parlement de Berlin, et par deux fois le chancelier, animé au feu de la controverse, émoustillé par les critiques du chef des progressistes, M. Richter, de M. Bamberger, s’est mis à disserter sur cette politique coloniale pour laquelle il demande quelques millions. La discussion a certes son intérêt, et parce qu’elle dit et parce qu’elle ne dit pas. Chose bizarre ! loin de procéder avec la brusquerie de son génie hautain, le chancelier a mis cette fois tout son art à pallier les inconvéniens des expéditions lointaines, à atténuer ses responsabilités. Oh ! ce n’est pas lui, on peut l’en croire, qui a inventé la politique coloniale; il n’a fait que suivre l’inspiration de l’Allemagne, le mouvement national favorable à l’expansion allemande. Il est le plus soumis des chanceliers, il ne fera que ce que le parlement voudra, il ne dépassera pas d’une ligne la limite qui lui aura été tracée! Il n’y a que les progressistes, M. Richter en tête, qui, avec leur malignité, puissent l’accuser d’imposer ses volontés, d’entraîner l’Allemagne dans des conquêtes lointaines ou dans une croisade pour l’abolition de l’esclavage. Il n’a pas de ces arrogances ou de ces naïvetés ; l’abolition de l’esclavage le laisse bien tranquille : il ne voit que l’intérêt de l’empire, l’ascendant nécessaire de l’Allemagne à côté des puissances qui règnent sur les mers. Deux millions, c’est tout ce qu’il demande aujourd’hui pour maintenir cet ascendant ! Le chancelier met surtout son habileté à bien démontrer au Reichstag qu’il est en parfaite intelligence avec l’Angleterre à Zanzibar comme à Samoa. L’Angleterre, mais c’est l’alliée traditionnelle depuis cinquante ans ! Il ne veut pas se séparer d’elle, il ne veut rien faire que d’accord avec elle. Le blocus n’est qu’une forme sensible et visible de cet accord. M. de Bismarck s’étudie en un mot à rassurer tout le monde sur ses intentions, aussi bien que sur les conditions et les conséquences des entreprises coloniales qu’il poursuit.

Voilà qui est au mieux. Il reste à savoir si tout est aussi simple et aussi facile que le laisserait croire le langage de M. de Bismarck, si toutes ces déclarations de bonne amitié prodiguées avec un peu d’affectation à l’Angleterre ne sont pas une tactique destinée à déguiser d’intimes froissemens. Les Anglais ne s’y méprennent peut-être pas. Ils peuvent avoir l’air de sacrifier leurs ressentimens et leurs griefs pour garder l’apparence d’une entente avec le grand empire continental: ils savent bien qu’au moment même où le chancelier les flatte de ses plus caressantes paroles, un de leurs agens les plus estimés, sir Robert Morier, est publiquement, officiellement l’objet des plus violentes attaques à Berlin; ils ne peuvent pas oublier que, s’ils ont consenti au blocus de Zanzibar, ils ne sont pas intéressés à voir les Allemands prendre position sur la côte orientale d’Afrique, étendre des opérations dont ils souffriront dans leur commerce et dans leurs missions. A Samoa, c’est bien autrement grave. Ici il y a entre Allemands, Anglais et Américains une sorte de traité pour reconnaître la neutralité de l’archipel de Samoa. Les Allemands n’ont pas moins tenté par tous les moyens, par la création d’un petit roi de leur façon, par des excitations de guerre civile, même par des interventions à main armée, d’introduire leur protectorat. L’Angleterre fût-elle résignée à ne rien dire, les États-Unis sont là, et ils ne paraissent pas disposés à laisser les Allemands s’établir à Samoa. Les Américains, toujours pleins de susceptibilités jalouses, n’ont pas caché leur intention d’augmenter leurs forces navales dans l’archipel de l’Océan-Pacifique, et ils ont déjà réclamé diplomatiquement. De sorte qu’en dépit de ses déclarations rassurantes, M. de Bismarck pourrait bien se créer de grosses difficultés avec cette politique coloniale, qui est certes fort légitime pour un grand empire, qui ne laisse pas aussi quelquefois d’être assez compromettante.

Ce n’est pas tout de tenter les grandes entreprises, de s’engager dans les expéditions lointaines ou dans les alliances continentales. Les politiques à grandes prétentions ne vont pas sans les grands armemens, sans des dépenses toujours croissantes : tout le monde l’éprouve aujourd’hui, et ce n’est pas sans peine que les états les plus puissans suffisent à l’excès de leurs charges, arrivent à se créer les ressources extraordinaires dont ils ont besoin.

Les gouvernemens proposent, les parlemens qui représentent les peuples disposent, et les peuples, qui disent toujours le dernier mot par l’impôt, commencent à trouver que les politiques coloniales, les alliances fondées sur le développement continu, outré des forces militaires, coûtent cher. Ce n’est point peut-être la bonne volonté qui manque à beaucoup d’Italiens pour se mettre à la hauteur du rôle assez chimérique que leurs chefs officiels du moment rêvent pour eux. Il n’est pas moins aisé de distinguer que l’Italie, déjà éprouvée par une crise économique des plus graves, commence à se lasser d’une politique dont elle sent le danger et de dépenses auxquelles ses ressources ne peuvent plus suffire. Sans attacher plus d’importance qu’il ne faut à des meetings organisés sous des influences assez confuses, on pourrait dire que ces manifestations qui se succèdent à Milan, à Naples, même à Rome, sont le signe d’un état d’esprit entièrement favorable à la paix, aux économies. Cet état d’esprit, en dehors des excentricités des réunions populaires, il existe visiblement dans la nation; il se révélera peut-être demain dans le parlement qui vient de se rouvrir, et il peut créer plus d’une difficulté à M. Crispi, si le premier ministre du roi Humbert a, lui aussi, de nouveaux projets militaires et financiers à proposer. L’Italie vraie, celle qui ne suit pas les mots d’ordre ministériels, cette Italie veut bien avoir une belle armée, une belle marine, elle veut bien être l’alliée des grands empires, elle ne paraît plus trop disposée à tout sacrifier, même ses relations avec la France, à une politique qui ne lui a valu jusqu’ici que quelques mécomptes, des visites décevantes et des charges nouvelles.

A voir les choses de près, des armemens et des impôts, c’est toujours le dernier mot de la politique régnante, et l’Autriche, à son tour, a quelque peine aujourd’hui à faire accepter la nouvelle loi militaire qu’elle s’est crue obligée de proposer. Cette loi nouvelle, destinée à augmenter l’armée autrichienne, elle a été assez facilement votée à Vienne, au centre de l’empire; elle a rencontré une opposition plus vive à Pesth, où elle a soulevé les susceptibilités magyares, où elle est apparue comme une œuvre de centralisation allemande, et elle ne sortira pas sans blessure des discussions passionnées engagées depuis quelques jours déjà dans le parlement hongrois. Le chef du cabinet de Pesth s’était flatté d’abord d’enlever d’autorité la loi nouvelle, de la faire accepter tout entière par sa majorité, et il comptait si bien sur son ascendant, qu’il avait commencé par se refuser à toute transaction, en déclarant qu’il n’accepterait ni modification ni amendement, que c’était pour le ministère une question de confiance. L’autorité de M. Tisza et ses menaces de démission n’ont pas suffi pour décourager les résistances. La loi nouvelle a rencontré aussitôt une ardente opposition, non-seulement dans l’extrême gauche et dans ce qu’on appelle le parti de l’indépendance, mais encore dans le parti plus modéré dont le comte Albert Apponyi est le chef, et même dans une fraction libérale de la majorité ministérielle dont le principal orateur est M. Horvath. On accuse la loi de manquer à la constitution, d’annuler les prérogatives du parlement en fixant pour dix ans le chiffre du contingent annuel dont le gouvernement peut seul disposer ; on lui reproche de faire une part trop large à l’élément allemand, d’imposer aux volontaires d’un an, aux officiers de réserve, des conditions excessives dans leurs examens sur la langue allemande, de méconnaître les droits de la langue hongroise.

C’est sur tous ces points que s’est engagée une discussion passionnée, orageuse, parfois entrecoupée d’incidens violens. M. Tisza, malgré sa raideur, a bien été obligé de faire quelques concessions, sinon sur le fond, du moins dans la forme, par des explications qui ont atténué ses déclarations premières, même par des engagemens pris au nom de la couronne. Et en faisant des concessions, le président du conseil hongrois a-t-il du moins réussi à rallier les dissidens, à apaiser quelque peu ses adversaires ? Bien au contraire, on dirait que les résistances ne font que s’enhardir et s’aggraver. Les manifestations publiques se succèdent. Les discussions du parlement, à mesure qu’elles se prolongent, semblent s’envenimer et devenir de jour en jour plus passionnées, plus tumultueuses. M. Tisza finira sans doute par triompher de toutes les oppositions ; mais il est fort exposé à voir du coup sa popularité compromise, et ce serait au moins curieux de voir un des plus chauds partisans de l’Allemagne et de la triple alliance perdre le pouvoir en défendant une loi proposée par l’Autriche pour faire honneur à la politique de la triple alliance !

Et voilà comment l’imprévu se mêle toujours aux affaires humaines. Au moment même où la loi militaire est si vivement agitée à Pesth, l’empire d’Autriche se trouve atteint par l’événement le plus inopiné, la mort soudaine de l’archiduc Rodolphe, héritier de la couronne, enlevé dans l’éclat et la force de la jeunesse. L’archiduc Rodolphe était populaire à Vienne, aimé dans tout l’empire. Sa mort si brusque, si imprévue, ne change rien sans doute dans un état où les traditions sont si fortes, où la maison des Hapsbourg est si profondément identifiée aux destinées de l’empire ; elle n’est pas moins un deuil, une épreuve douloureuse pour l’Autriche, qui voyait dans les qualités du jeune prince les présages heureux du règne de l’avenir.


CH. DE MAZADE.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Notre marché financier a fait bonne contenance devant le résultat de l’élection du 27 janvier. La rente française ne s’était guère éloignée, depuis le commencement du mois, du cours de 83 francs. Quelques spéculateurs ont cru pouvoir vendre impunément sur un événement qui, dans leur pensée, devait provoquer, au point de vue de nos affaires intérieures, d’assez sérieuses complications, conduire à des élections générales anticipées, peut-être à des troubles dans la rue. Mais ces imprudens n’ont pas été suivis. Les petits porteurs d’inscriptions n’ont manifesté aucune alarme, et la haute banque, intéressée au maintien des prix, à cause des grandes opérations financières en cours ou en préparation, a enrayé tout mouvement de recul. La rente française reste donc très ferme à 82.90, et la liquidation ne paraît devoir, d’une manière générale, présenter aucune difficulté.

Sur un point cependant, elle donnera lieu à de grosses différences. Il y a quinze jours, nous signalions ici les embarras devant lesquels se trouvait le syndicat du cuivre, à cause de l’accroissement constant des stocks du métal à Londres et à Paris. On a expliqué, il est vrai, cet accroissement par le fait que, depuis la hausse si brusque des prix à la fin de 1887, la consommation a été alimentée en partie par tout ce que le commerce des métaux a pu ramasser de vieux cuivre, non compris dans les stocks connus, et qu’ainsi le syndicat a dû se charger d’une fraction importante de la production nouvelle de cuivre par les compagnies en exploitation dans le monde entier. La consommation n’aurait donc nullement diminué comme on le pensait, et toutes les réserves de vieux cuivre étant aujourd’hui épuisées, c’est au syndicat seul qu’elle devrait désormais adresser ses demandes. Quoi qu’il en soit de cette explication, la spéculation si fortement engagée à la hausse, tant sur les actions de la Société des Métaux que sur celles de la compagnie de Rio-Tinto, a cherché à se dégager, et il en est résulté une chute violente des deux valeurs. La première a reculé de 730 à 490, en baisse de 240 francs; la seconde, à 510, perd 115 francs.

Ces mouvemens de cours si extraordinaires n’ont exercé sur l’ensemble du marché qu’une influence restreinte et momentanée, la baisse n’affectant, dans ce cas particulier, qu’un groupe de spéculateurs très aventureux. D’ailleurs, la détente qui s’est produite au cours du mois dans la situation monétaire, la grande abondance des capitaux, l’abaissement du taux de l’escompte, ont contre-balancé l’influence fâcheuse que pouvaient exercer les incidens politiques et les agitations de cours de quelques valeurs.

La conversion hongroise a réussi, et les souscriptions en espèces ont considérablement dépassé le montant des litres disponibles. Malgré ce succès, le 4 pour 100 a reculé vivement dans les deux dernières journées, à cause des troubles dont la ville de Pest est le théâtre et de la nouvelle, connue vers la fin de la bourse du 30 janvier, de la mort subite du prince impérial d’Autriche, archiduc Rodolphe. La rente hongroise reste en réaction de deux unités à 83 3/4.

Les fonds russes au contraire ont progressé lentement, et l’emprunt 4 pour 100 émis par la Banque de Paris il y a six semaines à 86.45 est aujourd’hui coté 89.60. Les autres catégories ont vu également leurs cours s’améliorer.

L’Italien est resté à peu près immobile à 95.50. Le roi Humbert a ouvert le 28 la session du parlement par un discours très pacifique. Mais la situation financière du royaume est très embarrassée. Le cabinet va proposer de nouveaux impôts et des remaniemens de taxes qui seront fort mal accueillis, et il faut en même temps recourir à l’emprunt pour couvrir les déficits existans ou à prévoir. Un accord a été conclu entre le ministère des finances de Rome et la maison Bleichrœder à Berlin pour le placement en Allemagne d’obligations des chemins de fer italiens, au nombre de 500,000 ou 600,000.

L’extérieure d’Espagne, les fonds turcs, l’Unifiée égyptienne, le 3 pour 100 portugais, les rentes helléniques, les emprunts argentins, ont donné lieu à un courant régulier de transactions, sans modifications de cours bien sensibles.

La tenue des litres des sociétés de crédit a été bonne en général. Cependant il faut noter la baisse importante subie encore par les actions de la Banque de France, conséquence naturelle de la diminution du (aux de l’escompte. La Banque de Paris a reculé de 25 francs à 885.

Le Crédit foncier a gagné quelques francs à 1,343.75. Le Crédit lyonnais s’est avancé de 633.75 à 643.75. La Banque parisienne, qui procède en ce moment à l’émission des actions de la Société nouvelle de Panama, a reculé de 427.50 à 410. On craint que cette Banque n’ait entrepris une tâche supérieure à ses forces. La Société générale, qui ne fait que bien peu parler d’elle, a été portée de 470 à 480 fr.

Le mouvement de hausse s’est poursuivi sur les actions de nos grandes compagnies de chemins de fer, que la spéculation délaissait depuis si longtemps. Le Lyon a progressé de 1,315 à 1,330, pour revenir à 1,322.50. Le Nord s’est élevé de 1,655 à 1,692.50 et finit à 1,680. Le Midi garde une avance de 20 francs pour la quinzaine, l’Orléans une avance de 12.50. L’Est et l’Ouest, qui ne se négocient qu’au comptant, sont restés aux cours de 800 et 930.

Sur le marché des valeurs autrichiennes, les actions des chemins ont été l’objet de réalisations qui ont ramené la Staatsbahn de 540 à 533 75 et la Sudbahn ou Lombards de 230 à 222.50. La Banque des Pays autrichiens se tient à 595 ; les actions dites Alpines ont été portées de 100 à 115 francs, sur la probabilité de la répartition d’un dividende de 2 à 2 florins 1/2 pour 1888.

Les Omnibus sont en hausse de 15 francs à 1,240, les Voitures de 50 francs à 835. On escompte pour cette valeur les résultats exceptionnels que pourra donner l’exploitation pendant la période de l’Exposition. Le Gaz a progressé de 20 francs à 1,432.50, la compagnie Transatlantique de 10 francs à 575.

Les actions de Panama ont baissé de 122 à 106 francs, les obligations des diverses catégories ont subi un recul variant de 20 à 40 fr. Samedi dernier a été tenue l’assemblée générale des actionnaires de la compagnie. Ceux-ci ne se sont pas trouvés en nombre pour délibérer valablement. Mais ils ont été invités, après que lecture leur eut été faite de deux rapports, l’un des administrateurs provisoires, l’autre de M. de Lesseps, à émettre le vœu que la Compagnie fût dissoute et que l’autorité judiciaire en confiât la liquidation à une personne désignée par la compagnie elle-même, M. Brunet, Ce vœu a été émis à l’unanimité. M. de Lesseps a accepté d’être le fondateur d’une société nouvelle, dont le capital est fixé à 30 millions, divisé en 60,000 actions de 500 francs. La Banque parisienne, avec laquelle M. de Lesseps a traité, a ouvert la souscription dont elle supportera les frais et qui sera close samedi. C’est ce même jour que doit être prononcée par le tribunal la mise en liquidation de la compagnie actuelle. Si la souscription réussit, la nouvelle société prendra l’actif de l’ancienne et se chargera de l’achèvement du Canal, abandonnant aux porteurs des anciens titres 80 pour 100 des recettes nettes de l’exploitation, après acquittement de toutes charges, y compris celles des nouveaux capitaux à emprunter. D’après M. de Lesseps, il faudrait encore 450 millions pour achever le Canal. On sait malheureusement ce qu’il est advenu des évaluations de dépenses énoncées au début de l’entreprise.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.