Chronique de la quinzaine - 31 décembre 1869

Chronique no 905
31 décembre 1869


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 décembre 1869.

Non, elle n’aura pas été stérile, cette année, dont les dernières et froides heures se confondent avec les bruits à peine apaisés d’une tardive vérification de pouvoirs dans le corps législatif, avec l’enfantement, quelque peu laborieux, d’un ministère premier-né d’un régime nouveau, de cette résurrection libérale dont nous sommes les témoins. Bien des années ont défilé obscurément, sans avoir rien produit ou en ne laissant que des déceptions ; d’autres ont été marquées par de grands événemens extérieurs. Celle-ci restera l’année d’une sérieuse et profonde transformation intérieure ; elle a vu se dérouler tous ces faits qui s’engendrent par une logique invincible, les élections, le message de juillet, le sénatus-consulte de septembre, une amnistie complète, une instructive expérience de la liberté illimitée de la parole ; elle a vu s’accomplir cette révolution, commencée par le pays, secondée et acceptée par ceux qui le représentent, continuée et pratiquement sanctionnée par cette lettre d’il y a trois jours où l’empereur, en chargeant M. Émile Ollivier de former un cabinet, consacre l’intervention du parlement dans la direction des affaires publiques. Le résultat est une situation qui a ses faiblesses sans nul doute, mais qui a aussi sa force propre, sa nouveauté dans l’histoire des métamorphoses politiques de la France.

Que serait-il arrivé si, au lieu de cette transformation pacifique qui s’accomplit, il y avait eu tout de suite une explosion née d’une résistance systématique du gouvernement ou d’une impatience irritée du pays ? Nous ne le savons guère. La vérité est que les choses ne se sont point passées ainsi, et ce n’est point à coup sûr le fait le moins curieux que ce complet déplacement de pouvoir s’opérant en quelque sorte régulièrement par une gradation continue. Un chef d’état qui plie, qui se dépouille lui-même de ses prérogatives sous la pression de l’opinion publique, à laquelle il a rendu lui-même l’hommage de dire qu’elle devait toujours avoir le dernier mot, un pays très ferme quand il s’agit de revendiquer ses libertés et s’arrêtent quand on lui parle de révolutions violentes, c’est là le phénomène absolument nouveau qui s’est produit sous nos yeux. Le pays a voulu la liberté, il n’a pas voulu une révolution : voilà tout le secret de ce qui se passe depuis six mois, voilà ce qui domine la situation, — et en définitive c’est la France qui a eu raison. Est-ce donc que la France ait perdu sa flamme d’autrefois, qu’elle soit devenue sceptique, et qu’elle oublie tout pour s’adonner à ses intérêts matériels ? Eh ! sans doute il y a un peu de cela, et ceux qui ne le voient pas en sont punis par l’impuissance de leurs déclamations.

La France de 1869 n’est point évidemment la France d’il y a quatre-vingts ans ou même d’il y a quarante ans. La France a une antipathie marquée contre toute révolution violente, parce que depuis un demi-siècle les intérêts se sont immensément accrus, parce que les petits propriétaires se sont indéfiniment multipliés, parce qu’au lieu de cinq cent mille porteurs de titres de rente qu’il y avait il y a vingt ans, il y en a aujourd’hui douze cent mille, dont le plus grand nombre est dans les départemens. La France a peu de goût pour les aventures parce qu’elle travaille, parce qu’elle vit de son intelligence et de son industrie, parce que le travail et les intérêts sont les premières victimes des crises publiques ; mais, dans cette antipathie qui s’est manifestée avec une énergie presque imprévue contre les violences révolutionnaires, il y a un sentiment plus élevé. Ce sentiment, c’est que les agitations périodiques qui bouleversent le pays depuis longtemps ont exercé une action profondément démoralisatrice ; elles ont été, selon le mot de M. Royer-Collard, « une grande école d’immoralité. » Elles ont altéré les consciences, obscurci les notions les plus simples, si bien que tout naïvement, sans croire rien dire d’extraordinaire, on parle d’un serment comme de la chose la plus légère ; on se moque de ceux qui seraient capables de le tenir et encore plus de l’ingénuité de ceux qui hésiteraient à le prêter. La France a surtout compris enfin que toutes les révolutions lui avaient promis la liberté, et qu’aucune ne la lui avait donnée d’une manière durable. Chaque crise nouvelle n’a fait qu’ajouter une maille de plus au réseau des despotismes qui l’enveloppent, de telle sorte que nous sommes un peu moins avancés que le premier jour sur quelques points essentiels. La France s’est dit naturellement alors que l’heure était venue de secouer cette tyrannie corruptrice des fatalités de la force révolutionnaire, que la première question était la liberté, que la seule chose qu’elle n’eût point essayée jusqu’ici, c’était une virile et pacifique revendication sans parti-pris de destruction et de renversement. Elle a été peut-être tout d’abord conduite à cette manière d’agir par nécessité ; elle en est venue à s’y attacher par goût et par réflexion, parce qu’elle en a senti la puissance bienfaisante et inévitablement efficace. Voilà ce qui a fait la nouveauté, la force de ce mouvement de 1869, arrivé aujourd’hui à cette période critique et décisive où il ne s’agit plus de réclamations vagues et de récriminations stériles, mais où il faut mettre la main à l’œuvre pour affermir sans trouble et sans réactions nouvelles ce qu’on a conquis sans violence.

Ce n’est donc pas une situation mauvaise par elle-même, et c’est là justement ce que nous voulions préciser. Elle offre un terrain à la fois très large et nettement défini, où peut se déployer une politique s’inspirant des sentimens mêmes du pays, répondant aux grandes nécessités de cette transformation pacifique ; mais cette situation, qu’en fera-t-on ? Il faut évidemment, avant tout, éviter de la gaspiller, de la laisser se perdre dans de vagues et irritans débats ou dans des conflits d’ambitions et de vanités. On a malheureusement commencé par l’ensevelir sous un monceau de procédures parlementaires à propos de la vérification des pouvoirs. Pendant tout un mois, nous avons vu défiler les protestations, les contre-protestations, les circulaires, les signatures données, retirées, disputées par les uns et les autres. Dire que cette révision pénible d’une cinquantaine de scrutins vieux de sept mois a été d’un souverain intérêt, ce serait se hasarder beaucoup. Elle pouvait être instructive, elle a fini par fatiguer. Nos députés n’y ont pas songé, ils ont couru plus d’une fois le risque d’être des politiques peu amusans, surtout quand M. Bancel y ajoutait son éloquence sonore et théâtrale, très disproportionnée dans tous les cas avec le sujet. Mieux eût valu de toute manière une sérieuse et forte discussion se concentrant sur deux ou trois questions essentielles, celle des circonscriptions électorales, celle des candidatures officielles, et rejetant dans un juste oubli une multitude de détails subalternes, qui ont le tort de faire le procès du suffrage universel au moins autant que de l’administration et des candidats. Dans ce déluge de minuties et de discours, quatre ou cinq élections ont fait naufrage ; d’autres auraient mérité sans nul doute le même sort, et, si une parole aussi vive que juste eût suffi, M. Thiers eût notamment fait casser cette élection de Toulouse où les bizarreries ne manquaient pas, où M. Paul de Rémusat n’a été distancé d’ailleurs par son concurrent que d’un petit nombre de voix. Cela dit, prolonger ces débats, surtout quand l’esprit de parti commençait à s’en mêler, lorsqu’on en venait à condamner ou à innocenter les mêmes faits selon la couleur du candidat mis sur la sellette, c’était prendre la question par le petit bout et perdre son temps, lorsqu’il fallait arriver le plus promptement possible à la seule chose essentielle, la mise en pratique du régime nouveau, la formation d’un gouvernement. C’était là le point capital ; le reste n’était plus que d’une importance secondaire, et avait en outre l’inconvénient de faire naître des occasions de dissidence dans des groupes politiques encore assez mal liés. Sous ce rapport, la vérification des pouvoirs a été moins une chose utile qu’un embarras, puisqu’elle n’a servi qu’à obscurcir un peu plus l’état réel des partis en aggravant d’avance les difficultés d’une œuvre de réorganisation qui ne pouvait commencer qu’après le dernier acte de la révision électorale.

Ce jour-là seulement en effet commençait l’ère nouvelle ; il n’y avait plus à reculer, la question se posait nettement pour le chef de l’état aussi bien que pour les hommes engagés dans ce mouvement qui s’accomplit depuis six mois. Ce jour-là, la responsabilité a commencé pour tous, et ce moment venu, il faut l’avouer, l’empereur s’est exécuté avec la correction d’un souverain constitutionnel. La lettre qu’il a écrite à M. Ollivier est l’expression la plus caractéristique de cette révolution qui nous ramène au régime parlementaire. M. Ollivier est chargé de désigner à l’empereur « les personnes qui peuvent former avec lui un cabinet homogène, représentant fidèlement la majorité du corps législatif. » Le but est de « faire fonctionner régulièrement le régime constitutionnel. » On a voulu voir dans une autre lettre impériale adressée à M. de Forcade une sorte de correctif de la lettre à M. Ollivier. C’est simplement ignorer les choses. La lettre à M. de Forcade, si nous ne nous trompons, n’a été écrite qu’après coup, peut-être sur l’observation que le congé donné aux anciens ministres sans un seul mot public semblerait assez dur, et dans aucun cas elle ne peut diminuer la signification de la lettre à M. Émile Ollivier. Il faudrait éviter en de pareils momens de se perdre dans des interprétations par trop fines. En définitive, l’empereur a fait son devoir en écrivant sa lettre ; il a dégagé sa responsabilité dans la circonstance actuelle, et maintenant, qu’on ne s’y trompe pas, c’est la responsabilité des hommes du parlement qui est en jeu. Ils sont les premiers intéressés au succès des efforts qui se font aujourd’hui. Chose curieuse cependant, lorsqu’on ne voyait cette crise qu’à distance, les listes ministérielles couraient partout, chaque jour dans les couloirs de la chambre on faisait et on défaisait des cabinets ; rien ne semblait plus simple, il ne pouvait y avoir que l’embarras du choix. Depuis que la crise est ouverte, tout est changé, il n’y a plus que des impossibilités. Le centre gauche refuse, et le centre droit a des hésitations. M. Segris ne peut accepter sans M. de Talhouët, qui à son tour ne veut point entrer au pouvoir sans M. Daru et M. Buffet, lesquels de leur côté sont retenus par d’autres scrupules, — si bien que très décidément M. Émile Ollivier éprouve les plus grandes difficultés à former son cabinet, même en gardant quelques-uns des anciens ministres tels que M. Magne, le général Lebœuf, l’amiral Rigault de Genouilly, peut-être aussi M. de Chasseloup-Laubat.

À quoi tiennent ces difficultés ? Allons-nous donc avoir sous les yeux une expérience nouvelle de ce que peuvent les tiers-partis ? Nous ne doutons certes pas que les hommes à qui on aurait offert une part du pouvoir et qui l’auraient refusée n’aient eu leurs raisons. Malheureusement, et c’est là une vieille histoire, il est trop vrai aussi que par leur nature les tiers-partis sont toujours plus propres à préparer les situations qu’à les dominer et à les gouverner au moment voulu. Ils se composent habituellement d’hommes honnêtes et agités de toute sorte de perplexités, assez difficiles à vivre selon le mot vulgaire, souvent portés à créer des nuances dans des nuances, — et s’exposant à manquer le coche à l’heure où il passe, lorsqu’il serait le plus utile de se mettre résolument en voyage. Ce qui est certain, ce qui doit frapper tout esprit clairvoyant, c’est qu’à un moment comme celui où nous sommes le meilleur moyen était de subordonner toutes les considérations secondaires à la nécessité souveraine de fonder un gouvernement, de ne pas se diviser, de rassembler en faisceau toutes ces forces qui se sont beaucoup trop disséminées depuis quelques mois. La meilleure politique en un mot, c’était de prendre le coche en faisant monter avec soi la fortune libérale de la France.

Si M. Émile Ollivier n’a pas été suffisamment autorisé à s’assurer le concours des hommes qui passent pour les chefs du centre gauche, il faut qu’on le sache. Si ces hommes distingués ont été sollicités et n’ont pas cru pouvoir accepter une place dans le ministère qui se prépare, ils ont eu leurs motifs, et quels sont ces motifs ? Ce n’est point sans doute une affaire de programmes ; ces programmes du centre gauche, du centre droit, on les connaît, et ils ne diffèrent pas assez sensiblement pour être un insurmontable obstacle a une fusion, sans compter que le meilleur programme est aujourd’hui la constitution d’un pouvoir né de ce souffle libéral qui s’est réveillé en France. Il faut donc qu’il y ait d’autres raisons. Les chefs du centre gauche auraient craint, dit-on, de se trouver sans garanties en face d’une majorité ancienne, fort disloquée, il est vrai, mais qui, à un instant donné, sur un geste, sur quelque imperceptible coup d’œil, pourrait se recomposer en se dérobant devant eux, et ils auraient voulu tout au moins être armés d’une autorisation éventuelle de dissoudre le parlement. Ces considérations pourraient avoir quelque valeur, si on se trouvait dans des circonstances ordinaires, si le régime constitutionnel était en pleine application depuis quelque temps déjà. Aujourd’hui tout est nouveau, et il faut regarder bien moins à l’apparence qu’au fond des choses. En réalité, ce sont les hommes du centre droit et du centre gauche qui ont créé en partie la situation actuelle, qui sont donc naturellement désignés pour la personnifier ensemble, et s’ils étaient entrés aux affaires d’un commun accord, avec résolution, ils auraient eu la mesure de sécurité qu’ils se seraient garantie à eux-mêmes par la fermeté avec laquelle ils auraient manié le pouvoir. Ils n’auraient eu rien à craindre de la majorité parce que personne n’aurait pu songer à la leur disputer ou à la détourner, parce que, si cette majorité ancienne avait tenté de se reconstituer sous un drapeau de réaction, c’est elle cette fois qui serait allée au devant d’une dissolution inévitable. Il y a des momens où il ne faut pas même avoir l’air de se défier, où il faut marcher, en gardant une suffisante vigilance sans doute, mais sans trop regarder derrière soi, et notamment sans attendre que toutes les difficultés soient résolues. Des difficultés, il y en aura toujours, elles pourront seulement devenir plus graves faute de cette union qui aurait pu s’accomplir aujourd’hui. Les chefs du centre gauche reviendront-ils sur leur résolution ? — On a semblé jusqu’au dernier moment compter sur un retour de quelques-uns d’entre eux ; s’ils persistent à se tenir à l’écart, on ne peut pas se le dissimuler, M. Émile Ollivier se trouvera dès le premier instant dans une position critique, ayant d’un côté une certaine portion du tiers-parti donnant la main à la gauche et de l’autre, une fraction de la droite qui un jour ou l’autre peut le mettre dans l’embarras, ne fût-ce que par une abstention calculée. C’est le moment pour M. Émile Ollivier de montrer s’il est un homme d’état fait pour porter sans faiblir la fortune politique qu’il a si patiemment conquise. Ce n’est pas la résolution qui paraît lui manquer ; il semble bien décidé à ne pas se laisser décourager par les refus de concours qu’il a essuyés. Aujourd’hui il n’a plus qu’une chose à faire, il n’a plus qu’à se hâter de former son ministère, à se mettre à l’œuvre pour commencer avec l’année nouvelle cette épineuse et délicate entreprise du rétablissement pratique des institutions libres.

À l’heure où cette année s’achève et où se fonde en France un gouvernement nouveau, l’Europe elle-même poursuit son œuvre laborieuse de civilisation et de progrès ; elle cherche l’ordre dans une liberté plus étendue, la paix dans une situation générale renouvelée et transformée par les révolutions ou par la conquête. Elle voit passer et se succéder des crises ministérielles, comme celles de l’Italie, de l’Autriche, de la Bavière, des conflits locaux comme l’insurrection dalmate, des querelles comme celle qui a menacé un moment de s’envenimer entre le sultan et le vice-roi d’Égypte, de grandes manifestations religieuses comme le concile de Rome. Tout se mêle ; les incidens graves n’excluent pas les incidens frivoles. Au premier rang des choses sérieuses est certainement le concile, dont l’inauguration a coïncidé avec la fin de l’année, et qui prépare peut-être à l’année nouvelle plus d’une surprise. Les pères de la foi rassemblés à Rome n’ont rien décidé encore sur les points délicats, ils ne sont pas si pressés. En attendant, on passe des revues de l’armée pontificale dans les jardins de la villa Borghèse, et le pape lui-même ne dédaigne pas de montrer à l’occasion une bonhomie ingénieuse. L’autre jour, recevant nos prêtres français, Pie IX leur racontait une petite histoire qui ne laisse pas d’avoir son prix. C’est l’histoire d’un grand saint, Pierre d’Alcantara, à qui était allé s’adresser, pour lui demander conseil, un vieux marquis espagnol, un de ces hommes qui se plaignent toujours, qui « trouvent que tout le monde est mauvais, que les inférieurs ne sont pas soumis, que les supérieurs ne sont pas habiles, que ceux qui gouvernent la société la gouvernent mal. » Le saint se recueillit, eut recours à la prière, et, après une longue méditation, il fit part à celui qui le consultait du résultat de ses réflexions. Il avait découvert que lui-même, tout saint qu’il était, avait beaucoup à se réformer, que le marquis de son côté n’avait qu’à se réformer également, que ceux qui l’entouraient suivraient sans doute son exemple et que probablement alors les choses iraient mieux, — ce qui revient à dire qu’il faut commencer par se réformer soi-même, avant de vouloir réformer l’univers, selon la prétention si commune de nos jours. À qui pouvait bien songer Pie IX en parlant ainsi à nos prêtres de ceux qui se plaignent toujours et de tout ? Ce n’en était pas moins une leçon piquante et imprévue de self-government tombant de la bouche d’un pape.

Malheureusement il n’est point avéré que le concile marche dans ce sens, ni même qu’il ait été convoqué précisément pour démontrer la supériorité du self-government. L’autorité pontificale au contraire semble procéder de la façon la plus sommaire et la plus absolue dans l’organisation des travaux de l’assemblée. Il est bien évident que toutes les précautions sont prises pour arrêter au passage les controverses épineuses, les propositions importunes. Par une anomalie de plus, au moment même où les prélats viennent de se réunir, le saint-siège, de son autorité propre, « dans la plénitude de son pouvoir apostolique, » publie ou réédite des constitutions qui ne sont rien moins que l’excommunication pure et simple des trois quarts du monde catholique. En effet prenons pour exemple les juridictions ecclésiastiques : elles sont abolies à peu près partout, personne à coup sûr ne songe à les rétablir ; voilà donc tout le monde atteint par l’excommunication prononcée de nouveau contre ceux qui les ont supprimées. Si le concile n’a rien à voir dans tout cela, s’il n’est pas chargé de réviser les rapports de l’église et de la société moderne, à quoi bon le réunir ? — Il n’est qu’un danger de plus. La question est aujourd’hui, à Rome, non certes entre la liberté et l’absolutisme religieux, mais entre les esprits modérés qui refusent sagement de souscrire à une rupture ouverte avec la société moderne, et ceux qui croient fortifier l’église en l’affermissant dans ses traditions exclusives, en l’anéantissant pour ainsi dire dans l’infaillibilité personnelle du pape érigée en dogme. Cette question décisive, elle n’a point été abordée jusqu’ici ; il faut bien y arriver cependant. Tout semble se préparer pour le combat, et quand même les deux cents évêques, qui sont arrivés à Rome avec un certain esprit de modération et de résistance, succomberaient ou céderaient à la pression exercée sur eux, quelle autorité aurait un dogme désavoué d’avance par une minorité d’évêques appartenant aux pays le plus éclairés, combattu par cette force intime qui est dans le mouvement irrésistible d’un siècle ? Ce serait peut-être le commencement d’une révolution dans le catholicisme, et les conséquences de cette révolution ne seraient pas moins graves dans les rapports de l’église avec la société civile telle qu’elle est organisée dans la plupart des états européens. Toutes les conditions anciennes se trouveraient changées subitement. Nous ne méconnaissons pas ce que ces questions religieuses ont toujours de complexe ; mais un coup de tête théocratique ne laisserait pas de les simplifier en forçant les gouvernemens à prendre un parti. Nous sommes assez occupés en France aujourd’hui pour être un peu détournés des affaires du concile. Voici cependant que dans le sénat on a déjà demandé à interpeller le gouvernement sur la conduite qu’il se propose de suivre. Il faut d’abord que le gouvernement se reconstitue ; et quand il sera reconstitué, que pourra-t-il répondre ? Que pourra dire le sénat lui-même en dehors de ce qui a été dit cent fois sur le concordat ? On sait bien à Rome que le concordat existe, — et cela n’a pas empêché de mettre en avant cette question redoutable sous la protection même de notre drapeau, qui a été, quoi qu’on en dise, un peu plus efficace pour défendre le saint-siège que l’armée pontificale passée en revue à la villa Borghèse. Il n’y a qu’une chose admirable, c’est la facilité avec laquelle de vieux prêtres soulèvent des problèmes, dont les esprits libres n’ont pas à s’effrayer, mais qui peuvent en définitive conduire par le plus court chemin à une véritable révolution religieuse.

En dehors de cette question toute morale, les autres questions politiques, diplomatiques, qui peuvent troubler plus ou moins la vie européenne, nous laissaient dormir dans cette fin d’année, lorsque tout d’un coup vers le nord s’est fait un léger fracas qui nous a réveillés en sursaut. Ce n’était pas après tout une grosse affaire ; c’était un échange de politesses entre le tsar et le roi de Prusse. À l’occasion du jubilé de l’ordre militaire de Saint-George, qui a été célébré à Saint-Pétersbourg avec une certaine ostentation, l’empereur Alexandre a voulu faire à son oncle, le roi Guillaume, la gracieuseté d’une décoration de première classe, et à son tour le roi Guillaume, se piquant d’honneur, s’est hâté de répondre en envoyant à son neveu, l’empereur Alexandre, l’ordre du Mérite de Prusse. Jusque-là rien de mieux ; c’est presque aussi innocent qu’une pastorale allemande ; mais voici où l’affaire se complique. Les deux souverains ne se sont pas bornés à échanger des plaques plus ou moins ornées de diamans, ils ont échangé des télégrammes, où ils ont invoqué l’un et l’autre, en termes trop identiques pour n’être pas calculés, « le souvenir de cette grande époque, où leurs armées réunies combattaient pour une cause sacrée qui leur était commune. » Cette époque, c’est 1813, et cette cause sacrée, c’est la guerre contre la France. Ce n’est pas tout : à un banquet qui a eu lieu à Berlin, toujours à l’occasion de cette croix de Saint-George, le ministre de Russie, M. d’Oubril, a dit avec insistance qu’il fallait voir dans la distinction conférée au roi de Prusse « un nouveau gage des liens qui existent entre les deux souverains, les deux peuples et les deux armées. »

Que pouvait signifier ce luxe de réminiscences militaires et de témoignages sympathiques ? N’était-ce pas le symptôme d’une alliance subitement resserrée, et se produisant au grand jour dans le moment où l’on y pensait le moins en Europe ? Le fait est que cette manifestation assez imprévue n’avait précisément rien d’agréable pour la France, dont on rappelait les désastres, non plus que pour l’Autriche qui a été la dernière à payer les frais de la gloire de l’armée prussienne. À quel propos s’est-on cru obligé de tirer du fourreau tous ces souvenirs, pour un simple échange de cordons ? Nous ne voulons rien exagérer ; il se peut que l’envoi récent du général Fleury comme ambassadeur en Russie et la réception qu’y a trouvée ce grand-écuyer de l’empereur Napoléon aient donné un peu d’humeur à Berlin ; il se peut aussi que de Berlin on ait fait demander à Saint-Pétersbourg ce que tout cela signifiait, et alors l’empereur Alexandre, qui n’a rien à refuser à son oncle Guillaume, lui aura envoyé le cordon, en battant le tambour de 1813 aux oreilles de l’ambassadeur de France. De cette façon nous savons au moins à quoi nous en tenir. Que l’empereur Alexandre et le roi Guillaume n’aient point eu un objet plus précis et plus direct dans tout cela, qu’ils n’aient pas songé surtout à se passer la fantaisie d’une démonstration provocatrice vis-à-vis de la France, c’est on ne peut plus vraisemblable ; seulement ils sont allés un peu loin dans leurs effusions, ils ont forcé un peu la note, qui a retenti comme une dissonnance dans l’atmosphère actuelle de l’Europe. Quant à l’alliance de la Russie et de la Prusse, ce serait une bien singulière illusion de croire qu’il était besoin du cordon de Saint-George pour la resserrer. Aux yeux de tous ceux qui veulent voir, elle existe parfaitement et depuis longtemps. Il peut y avoir des diversités d’action ou même des apparences de nuages dans les momens de trêve qui laissent à toutes les politiques une certaine liberté ; mais que la question européenne se montre de nouveau, l’alliance reparaît immédiatement. Elle a été plus étroitement nouée en 1863 par l’assistance que la Prusse a prêtée à la Russie dans les affaires de Pologne ; elle n’a fait que se confirmer dans les dernières années par l’assistance indirecte que la Russie a prêtée à la Prusse ; elle éclaterait demain dans tout son jour si les circonstances devenaient graves. Il ne sert à rien de se méprendre ; c’est la double force avec laquelle il faudra compter. Il reste à savoir si pour l’Allemagne elle-même, c’est l’alliance la plus enviable et la plus sûre, si elle n’implique pas pour la politique germanique des dépendances, des déviations, des sacrifices qui dépassent tous les avantages qu’on peut s’en promettre, si enfin, par cette masse compacte et menaçante placée au centre et au nord de l’Europe, elle ne crée pas des chances permanentes de conflit. Voilà la question, et le succès d’ironique incrédulité qui accueille de temps à autre tous les bruits de désarmement prouve assez la méfiance générale, quoique pour le moment rien ne semble menacer la paix du continent.

La paix est donc provisoirement le mot d’ordre universel. Chacun est à ses affaires. L’Angleterre, tranquille spectatrice des tourbillons menaçans ou frivoles qui passent par intervalles à la surface de l’Europe, se dispose à son œuvre parlementaire qui ne commencera que dans un mois, et d’ici là partis et gouvernement se préparent à la lutte. Pour les tories, qui sont aujourd’hui l’opposition en face du ministère libéral de M. Gladstone, il y a une première question laissée en suspens par la mort de lord Derby. Après la disparition du vaillant et éloquent champion du torysme, qui sera le chef du parti conservateur dans la chambre des pairs ? qui prendra parmi les lords ce commandement que M. Disraeli exerce aux communes ? il faut que le leader dans la chambre haute ait un grand nom, une grande fortune, une aptitude politique suffisante, de l’éloquence, et de plus il faut qu’il puisse s’entendre avec le leader du parti dans les communes. On a parlé de lord Salisbury, qui réunit plusieurs des conditions nécessaires ; mais lord Saldsbury est un grand seigneur peu pliant qui s’accommoderait fort mal avec M. Disraeli. L’héritage de la direction du parti conservateur dans la chambre des pairs semblerait devoir passer naturellement à lord Stanley, devenu aujourd’hui comte de Derby, et qui a été chef du foreign-office dans le dernier cabinet de M. Disraeli ; lord Stanley, il est vrai, est accusé par les conservateurs intraitables de tendances libérales, et de plus, avec des qualités très sérieuses, très solides, il n’a pas l’éclatante éloquence de son père. Somme toute, c’est lui probablement qui restera le chef des tories dans la chambre des pairs, et qui, de concert avec M. Disraeli, conduira la campagne de l’opposition conservatrice contre le ministère Gladstone. Ce ministère va avoir une rude besogne dans la session prochaine, qui sera particulièrement consacrée à l’Irlande, et qu’on appelle déjà la « session irlandaise. » C’est là en effet la question toujours difficile pour l’Angleterre. On a eu beau faire, on a eu beau accomplir le grand acte de l’abolition de l’église d’état, l’Irlande n’est rien moins que pacifiée ; le fenianisme s’agite plus que jamais, les meurtres se succèdent jusque dans les rues de Dublin. Le tout est de savoir si les mesures que prépare aujourd’hui le gouvernement, et qui vont être présentées au parlement pour la réforme du régime agraire, auront une efficacité plus décisive. On en peut douter, à voir toutes ces irritations irlandaises qui se sont manifestées, il y a peu de jours, par l’élection comme membre de la chambre des communes du condamné O’Donoghan et par un récent programme de l’association des fenians d’Amérique. Il n’est pas moins vrai que, dans une année de ministère, M. Gladstone aura donné à l’Irlande plus que celle-ci n’a reçu depuis longtemps, et si toutes les passions ne sont pas désarmées, il n’est point impossible que la masse de la population ne s’apaise par degrés, sous l’influence d’une politique si libéralement réparatrice. Pour l’Irlande, c’est le progrès possible dégagé des revendications impossibles en face de la toute-puissante Angleterre.

Où en sont aujourd’hui d’un autre côté l’Italie et l’Espagne ? L’Italie est sortie heureusement de la crise ministérielle où elle glissait dès l’ouverture du parlement. Un nouveau cabinet s’est formé sous la présidence de M. Lanza, avec M. Sella comme ministre des finances, M. Visconti Venosta comme ministre des affaires étrangères, le général Govone comme ministre de la guerre. Au fond, c’est un cabinet simplement libéral conservateur. Ce qui a déterminé ce changement à Florence, c’est moins une question de politique générale que la question financière, la plus grave il est vrai, la plus dangereuse pour l’Italie. Ce que M. Cambray-Digny, l’ancien ministre des finances, n’a pas pu réaliser, ou ce qu’on ne lui a pas laissé le temps de faire, M. Sella le fera-t-il ? Par-viendra-t-il à remettre en bon chemin les finances italiennes ? Le parlement florentin vient de se donner quelques semaines de vacances, après avoir voté le budget provisoire pour trois mois. Pendant ce temps, M. Sella pourra préparer ses plans et aligner ses chiffres. Il n’aura pas obtenu un médiocre résultat si, même avec des diminutions de dépenses et des augmentations d’impôts, il réduit le déficit à soixante-dix ou quatre-vingt millions. Ce n’est pas là sans doute une victoire des plus éclatantes sur laquelle on puisse s’endormir ; c’est du moins un acheminement heureux, un premier gage offert à l’esprit d’ordre et d’économie. Quant à l’Espagne, elle est plus que jamais à la recherche d’un roi, puisque le général Prim lui-même, malgré son assurance, est à peu près obligé aujourd’hui de désespérer de la candidature du duc de Gênes, que le nouveau cabinet italien ne favorisera certainement pas. En attendant, n’ayant rien de mieux à faire, l’assemblée constituante de Madrid passe son temps à instruire un procès rétrospectif contre la reine Isabelle à propos des diamans de la couronne qui auraient disparu. Que sont devenus ces diamans, où sont-ils ? On veut le savoir à tout prix ; c’est pour le moment le grand problème à Madrid. Nous ne méconnaissons pas l’importance de la question des diamans en Espagne, puisque la question des décorations a fait du bruit en Prusse et en Europe. Ce qui n’est pas douteux, c’est qu’un des premiers orateurs espagnols, un des mieux inspirés, M. Rios-Rosas, montrait un grand et sérieux esprit politique, en refusant de se perdre dans ces détails subalternes, en assurant qu’un pays qui a découronné une reine n’a point à chercher où sont les diamans, qu’une révolution qui dépossède une dynastie ne peut finir par un règlement de comptes ou une querelle de procureur. Le malheur est qu’en étalant toutes les misères monarchiques et en déconsidérant la royauté, l’Espagne ne parvient pas pour cela plus aisément à se donner les allures ou les mœurs républicaines.

Jusqu’ici il n’y a qu’un pays où ces mœurs se déploient dans leur force native, dans leur saine vigueur, c’est la république des États-Unis, et le message que le nouveau président, le général Grant, vient d’adresser au congrès est comme l’expression de cette virilité américaine. Le message du général Grant en effet est un exposé mâle et simple des affaires des États-Unis ; il n’y a aucune ornementation inutile, rien pour l’effet du discours ; on y sent seulement un esprit assez tranchant dans sa netteté, une main faite pour le commandement. Le général Grant parle des questions de reconstitution intérieure avec une équité tranquille, — des finances, de la dette nationale et des devoirs qu’elle impose avec une sérieuse honnêteté, des relations de l’union américaine avec les puissances étrangères d’un l’on suffisamment fier. Il y a particulièrement, au sujet de l’Angleterre et de la vieille affaire de l’Alabama qui n’est pas encore finie, quelques phrases d’une fermeté singulière, attestant la résolution de n’accepter que des arrangemens où les susceptibilités américaines trouveront leur compte. C’est un vieux legs de la guerre de la sécession, et le général Grant en parle de l’accent d’un homme qui tient à sauvegarder l’honneur de cette guerre. Ce que le général Grant dit de la France à propos de quelques difficultés relatives au câble transatlantique n’est pas moins net. Le nouveau président des États-Unis fait tenir à son pays un langage à la hauteur de ses destinées.

Il y a dans ce message une indication d’une tout autre nature qui n’est point sans intérêt pour nous. Chose curieuse ! au moment où tous les protectionistes de France se coalisent et s’agitent contre la liberté commerciale, les États-Unis, dont on a souvent invoqué l’exemple, semblent de leur côté abandonner les tarifs exagérés auxquels ils avaient eu recours il y a quelques années, soit dans une intention fiscale, soit pour favoriser leur industrie nationale ; ils reviennent sur leurs pas. Le général Grant propose de diminuer les droits à l’importation d’une somme de 60 ou 80 millions, en annonçant de nouvelles réductions d’année en année. C’est justement la conclusion à laquelle arrivait il y a quelques mois déjà le commissaire spécial du revenu, M. Wells, qui dans un rapport représentait le tarif Morill comme « nuisible, destructif de l’activité nationale, et ne donnant pas à l’industrie américaine ce stimulant et cette protection qu’on déclare être ses principaux mérites. » Ce sont toujours, on le voit, les mêmes argumens en Amérique et en France. Le gouvernement du général Grant ne propose pas sans doute une brusque révolution ; mais il se met en chemin et procède par des dégrève-mens successifs. Toute la question est de savoir si, au moment où les États-Unis retournent vers la liberté, la France doit revenir vers le régime de la protection commerciale. C’est une lumière de plus dans (les discussions qui vont bientôt s’engager parmi nous. ch. de mazade.


LA CRISE MINISTÉRIELLE À VIENNE.

« Nous sommes toujours au même point, à l’état de douce anarchie, » disait naguère, dans une conversation intime, un homme politique de Vienne. Le mot est d’une piquante justesse, et les événemens de ce mois lui donnent une illustration toute nouvelle. Depuis le commencement de décembre en effet, cette anarchie chronique s’accentue plus fortement, sans rien perdre toutefois de son indolence et de ses alanguissemens un peu pédantesques. On était à la veille d’une nouvelle session législative, et l’empereur François-Joseph revenait dans ses états après son voyage en Orient. Les ministres, réunis en conseil, élaborèrent, non sans peine, le discours du trône, et l’empereur, en souverain constitutionnel, le prononça solennellement à l’ouverture du Reichsrath. Cependant, le lendemain même, les ministres s’aperçurent qu’ils n’étaient d’accord ni sur le sens, ni sur la portée de cette harangue officielle. Cinq membres du cabinet cisleithan adressèrent alors un mémoire à l’empereur : ils y traçaient un programme de gouvernement (un programme après le discours du trône !) et offraient leur démission, si leurs idées ne devaient point être agréées. Les trois autres membres du cabinet aimèrent mieux offrir leur démission sans phrase et sans mémoire, et mettre ainsi leurs collègues au défi d’exécuter un programme impossible. Le dissentiment devint public et la dignité du gouvernement y gagna peu, l’on s’en doute. Interpellés au sein d’une commission du Reichsrath sur l’insurrection qui sévit dans une des provinces de l’empire, en Dalmatie, le ministre de l’intérieur renvoyait ingénument les curieux au président du conseil « comme préposé tout spécialement à la défense du pays. » De son côté, le président du conseil ne s’est pas fait faute de rejeter sur son collègue de l’intérieur la responsabilité de la déplorable conduite tenue par le gouvernement en face de la « grande démonstration ouvrière. » Cette démonstration avait eu lieu en violation flagrante de la loi, au mépris des autorités et du respect dû à la représentation du pays. Trente mille « travailleurs, » en grande partie composés d’étrangers (des Suisses et des Prus- N siens) et conduits par un agitateur venu de Berlin, s’étaient donné rendez-vous à la porte du parlement, le jour même de l’ouverture du Reichsrath. Une pétition monstre fut présentée qui, entre autres choses, demandait l’abolition de l’armée, et contenait au surplus la menace que les travailleurs reviendraient « en plus grand nombre et aviseraient aux moyens, » si leurs justes griefs demeuraient sans satisfaction. Le gouvernement ne fit rien pour prévenir cette audacieuse infraction aux lois, et, au lieu de renvoyer les meneurs à Berlin et à Berne, il eut même la bonhomie d’accepter de leurs mains la pétition pour en délibérer ! Sur ces entrefaites se leva le soleil du 21 décembre, jour anniversaire de la proclamation de la constitution. A entendre les journaux allemands de Vienne et les ministres ultra-allemands du cabinet cisleithan, cette constitution, qui ne date que de deux ans, a déjà poussé des racines indestructibles dans le pays, elle est le palladium de l’Autriche, elle fait le bonheur et la joie de ses peuples ; y changer une virgule serait la ruine de la monarchie. Journaux et ministres s’accordèrent cependant pour ne point fêter ce glorieux anniversaire, et pour déconseiller toute manifestation joyeuse : comme certaine divinité du monde antique, la constitution du 21 décembre devait être adorée sans qu’on prononçât son nom. C’est qu’en effet cette charte de 1867 est loin de plaire à la grande majorité des pays cisleithans, et qu’en célébrant l’anniversaire on aurait provoqué infailliblement des contre-manifestations formidables dans toutes les provinces slaves de l’empire. Le silence des peuples fat cette fois la leçon d’une constitution. Le Reichsrath, lui aussi, aima mieux se recueillir en prenant des vacances de Noël, et à l’heure qu’il est la « douce anarchie » reçoit bénignement les félicitations du nouvel an. Les ministres continuent à se renvoyer réciproquement leurs portefeuilles ; les « travailleurs » continuent d’organiser leur paresse, et les plaisantins de Vienne, confondant à dessein les genres, ont fini par appeler du nom de grève ministérielle la récente crise de leur régime parlementaire.

La crise, à vrai dire, n’est point tout à fait récente, elle date de loin, elle a son origine dans la manière même dont fut établi le régime parlementaire en 1867. Pour l’expliquer, il faut remonter jusqu’à cette catastrophe de Sadowa qui a définitivement englouti l’ancien ordre de choses créé par MM. de Bach et de Schmerling et donné naissance au nouvel empire austro-hongrois. Appelé à l’œuvre difficile de réorganiser la monarchie après-une calamité effroyable, — « placé devant une caisse vide et sommé de faire des affaires, — comme dit alors un fin diplomate, — M. de Beust reconnut très judicieusement la nécessité d’un accord complet avec la Hongrie, et dirigea aussitôt vers ce but tous ses efforts. Le royaume de saint Etienne fut réintégré dans son droit historique et les fils d’Arpad recueillirent, aux applaudissemens du monde entier, les fruits de leur conduite ferme, légale et constitutionnelle. Ce qu’il faut encore plus admirer, c’est que les Magyars ne se sont pas laissé aveugler par leur triomphe à peine espéré ; ils ont profité des leçons de la fatale année 1858, et, devenus libres, ils ont su être justes. Le royaume de Hongrie est à son tour une Autriche bigarrée et polyglotte : il renferme dans son sein des races diverses et des provinces ayant le vif sentiment de leur ancienne autonomie. Le parti Deák tint compte de cette situation, il accorda loyalement l’exercice de ses antiques droits au royaume de Croatie et à la diète d’Agram, ne réservant pour la diète de Pesth que les affaires véritablement communes ; enfin par une « loi des nationalités » largement conçue et sincèrement pratiquée, il donna toute satisfaction, en matière de culte, d’instruction et de justice, aux habitans des pays d’au-delà de la Leisha qui ne parlent pas la langue magyare. Malgré certains tiraillemens qui persistent et persisteront longtemps encore, le parlement de Pesth peut à bon droit se dire la fidèle représentation de tous les peuples réunis sous la couronne de saint Etienne.

Il n’en est pas de même, par malheur, du Reichsrath de Vienne. Dans les pays situés de ce côté de la Leitha, le génie oppresseur des Allemands et l’esprit peu politique des Slaves ont travaillé comme à plaisir, depuis 1867, à créer un état de choses impossible, à perpétuer une anarchie qui n’est « douce » que dans la capitale, mais qui dans les provinces envenime de plus en plus tous les rapports administratifs et sociaux. A mesure qu’avançait, au printemps de l’année 1867, l’œuvre de réconciliation avec la Hongrie, M. de Beust dut songer naturellement à faire reconnaître cet accord par la seconde moitié de l’empire et à doter celle-ci d’institutions parlementaires analogues. Pour aller plus vite en besogne et consolider par cela même à Vienne, auprès du parti allemand, sa situation personnelle encore toute neuve et bien jalousée, M. de Beust ne trouva rien de mieux que de recourir à l’ancienne constitution de M. de Schmerling et de réunir un Reichsrath « restreint, » Sans doute les Slaves eurent raison alors de récriminer contre un expédient qui lésait leurs intérêts, et d’insister sur la convocation d’une constituante véritable ; ils eurent seulement le tort d’accompagner ces plaintes de prétentions exagérées, de programmes fédéralistes impossibles, menaçans pour la Hongrie, et, déboutés dans leurs demandes, ils commirent la faute plus grave encore de renoncer à la lutte parlementaire et de se renfermer dans l’abstention.

C’était faire preuve tout à la fois et de beaucoup de passion et de très peu d’intelligence politique. Au lieu de céder aux emportemens et aux fantaisies des meneurs tchèques, les Slaves auraient mieux fait alors de se rendre aux sollicitations pressantes de M. de Beust, de suivre l’exemple que leur donnaient à ce moment même les Polonais de la Galicie, et d’envoyer malgré tout leurs délégués au Reichsrath « restreint » de Vienne. Unis aux Polonais, aux députés autonomistes du Tyrol et de quelques autres provinces, les Slaves auraient très probablement eu la majorité au sein de ce Reichsrath restreint ; ils y auraient, dans tous les cas, composé une phalange formidable avec laquelle il eût été impossible de ne pas compter sérieusement : la constitution des pays cisleithans eût été alors tout autre que celle que devaient forger, vers la fin de l’année, les Allemands, délivrés de toute entrave et n’écoutant plus que leurs haines et leurs convoitises invétérées. Les Slaves préférèrent répudier solennellement le Reichsrath restreint, tourner le dos à une « constituante dérisoire » et laisser aux Polonais seuls la rude et ingrate tâche de défendre, au nom des pays non germaniques, en face d’une majorité allemande écrasante, les idées d’équité et d’autonomie. Pour comble de folie, les meneurs tchèques imaginèrent vers le même temps (mai 1867) ce fameux pèlerinage à Moscou[1] qui devait être une protestation, une menace à l’adresse des Allemands d’Autriche, et qui n’eut d’autre effet que d’assurer immédiatement à ces Allemands les sympathies de toute l’Europe libérale. Forts de ces sympathies et maîtres absolus du terrain parlementaire dans leur Reichsrath restreint de Vienne, les Allemands bâclèrent une charte qui devait assurer pour toujours leur omnipotence dans les pays de ce côté de la Leitha. On ne tint aucun compte ni de la diversité si grande de ces pays, ni de leurs traditions, de leurs droits historiques, de leurs autonomies séculaires : tout fut sacrifié à la centralisation, au progrès et au libéralisme germaniques. Pour couronner l’œuvre, les Allemands se choisirent un ministère qu’ils voulurent bien nommer « le ministère de toutes les capacités. » Nombre de docteurs y entrèrent en effet, tous nourris du suc de l’alma mater, tous éprouvés de longue date dans des luttes locales avec les Tchèques, les Moraves, Slovènes, etc. Les passions et les haines de clocher furent ainsi ingénieusement transportées au siège suprême du gouvernement ; M. de Beust lui-même dut se retirer dans l’empyrée de sa chancellerie et laisser faire désormais « le cabinet cisleithan ; » — le fameux dualisme pouvait enfin librement fonctionner.

Depuis lors, deux ans se sont écoulés. Tandis qu’en Hongrie tout a marché vers l’entente, l’apaisement et un régime parlementaire véritable, la monarchie cisleithane n’a cessé de présenter le triste spectacle d’une anarchie et d’une désaffection presque générales. Le « ministère de toutes les capacités » s’est montré incapable de résoudre une seule des questions qui intéressent la vie même de l’empire, et les difficultés n’ont fait que s’accumuler sur ses pas. En Galicie, il se trouve en présence de la « résolution » de la diète de Léopold « résolution » qu’on a bien pu laisser traîner dans le Reichsrath de 1869 par une inertie calculée jusqu’au jour de la clôture, mais à laquelle il faudra finir par répondre pendant la session de 1870. En Bohême, toute la pression administrative est impuissante à faire passer un seul candidat ministériel dans les élections partielles auxquelles on est forcé de procéder : sur soixante-dix députés tchèques démissionnaires, les collèges électoraux renvoient exactement soixante-dix députés tchèques qui s’empressent aussitôt de renouveler leur démission, et parmi ces collèges se trouve la capitale même du royaume, la grande ville de Prague ! En Dalmatie, une centralisation impérieuse doublée d’une impéritie administrative à peine croyable finit par provoquer une insurrection sanglante et par compromettre l’honneur des armes autrichiennes. Les résistances, les dangers surgissent ainsi de toutes parts, et ils ne pourront que s’accroître si l’on persiste à marcher dans la même voie. C’est qu’il est impossible d’escamoter longtemps la volonté des nations au moyen d’un pays légal savamment combiné et d’une représentation parlementaire artificielle : personne n’ignore que les Slaves forment l’immense majorité de l’empire des Habsbourg. Il est absurde, dans un siècle d’imprimerie, de journaux et d’instruction primaire, de vouloir détruire le caractère et le sentiment national d’individualités historiques aussi vivaces que la Bohême, la Galicie ou le Tyrol. On aura beau employer tout ensemble les séductions et les armes du libéralisme le plus avancé, on aura beau dénoncer à tout moment aux badauds la « réaction cléricale-fédérale, » on échouera infailliblement dans une pareille tâche. La décentralisation, à laquelle aspirent de nos jours les états même les plus homogènes, est, à plus forte raison, la condition normale et légitime des peuples si divers de race et de langue que protège le sceptre de l’empereur François-Joseph, car, pour employer un mot célèbre de Mme de Staël au sujet de la liberté et du despotisme, en Autriche, c’est l’autonomie qui est ancienne, et c’est la centralisation qui est moderne. Au fond, elle ne date que de la révolution de 1848.

Est-ce à dire que, pour arriver à un accord si désirable, si impérieusement commandé, avec les populations non allemandes de la monarchie cisleithane, il faudrait revenir sur les deux années révolues, bouleverser de fond en comble l’édifice à peine élevé et supprimer la constitution du 21 décembre ? Non assurément. La constitution du 21 décembre doit être maintenue à tout prix ; elle garantit aux peuples d’Autriche des droits très précieux, elle est animée d’un souffle vivifiant et généreux qui ne peut manquer de produire des résultats excellens. Il s’agit seulement d’apporter au pacte de 1867 quelques modifications qui permettent aux Slaves de jouir des bienfaits d’une liberté commune ; il s’agit d’amener de ce côté de la Leitha l’apaisement et la conciliation qui règnent de l’autre côté de ce fleuve. Pourquoi le Reichsrath de Vienne ne ferait-il pas à la Galicie, à la Bohême, la même situation que le parlement de Pesth a su faire à la Croatie ? Pourquoi ne proclamerait-il pas pour la monarchie cisleithane une « loi des nationalités » pareille à celle qui a si bien réussi dans le royaume de Saint-Étienne ? Ce n’est pas certes le royaume de saint Etienne qui crierait au plagiat et y opposerait son veto, car, malgré tout ce qu’on a pu murmurer à Vienne au sujet de certaines connivences entre le comte Andrassy et le docteur Giskra, nous persistons à croire que les Hongrois sont trop intelligens et trop bons politiques pour ne pas souhaiter une Autriche calme et forte. Or l’Autriche n’a qu’un seul moyen de retrouver la tranquillité et la puissance : le discours du trône du 13 décembre vient de l’indiquer d’une manière suffisamment compréhensible, en demandant au Reichsrath d’assurer à la charte de 1867 « cette sanction générale et effective qui, à notre vif regret, lui manque encore à plus d’un égard, » et de prendre en considération « les vœux légitimes des royaumes et des pays de la monarchie qui aspirent à une certaine autonomie. »

Mais, nous l’avons dit, dès le lendemain même de l’ouverture du Reichsrath, le cabinet cisleilhan changea d’idée et de langage. Si nous sommes bien informés, le mémoire mystérieux remis par les cinq ministres repentans s’étend d’abord longuement sur les dangers du « fédéralisme, » en désignant de ce nom redouté toute atteinte portée au principe de la centralisation absolue. Le document passe ensuite à la Galicie et insiste sur l’ombrage que pourrait prendre une grande puissance voisine de toute concession faîte au sentiment polonais. L’argument est on ne peut plus curieux dans la bouche des libéraux, et certes M. de Beust a montré plus de patriotisme autrichien et plus de souci de la dignité de son souverain lorsque, dans un récent entretien avec le prince Gortchakov à Ouchy, il a décliné, dit-on, tout débat au sujet de la Galicie, « ne pouvant pas accepter de discussion sur une question purement intérieure. » Le troisième et dernier point du mémoire des docteurs touche à la nécessité de constituer un « ministère homogène » et proteste en termes très peu voilés contre l’ingérence du chancelier de l’empire dans les affaires cisleithanes ; ce qui reviendrait à confiner M. de Beust dans la sphère des relations extérieures,… comme s’il était possible à un chancelier de l’empire, à l’homme qui répond de la sécurité et du prestige de la monarchie devant l’étranger, de ne pas s’inquiéter de la situation intérieure de cette monarchie, de n’y pas souhaiter partout un état bien ordonné et prospère ! Plus d’une fois, en effet, M. de Beust est intervenu dans la lutte de races qui désole et énerve les pays placés sous le sceptre des Habsbourgs ; déjà au sein du Reichsrath constituant de 1867 il a combattu toutes les folles mesures de centralisation excessive, et depuis lors il n’a négligé aucune occasion de faciliter un accord avec les populations non germaniques. Ces efforts persistans du chancelier de l’empire, au lieu d’exciter la colère des Allemands de Vienne, devraient plutôt toucher leur raison et leur conscience, car enfin M. de Beust ne peut guère leur être suspect. Il n’est ni clérical, ni féodal, ni fédéral, et il n’a pas en lui une seule goutte de sang slave. En fait de quartiers de germanisme sans tache, il pourrait certes en remontrer à M. Giskra. Il vient d’un pays tudesque par excellence : c’est un Saxon ; mais c’est aussi un homme politique éminent, qui, étranger aux haines de clocher, a la noble ambition de reconstituer l’Autriche, et croit indispensable de gagner au nouvel ordre de choses les peuples désaffectionnés de l’empire.

Quand M. de Beust fut mis à la tête du gouvernement de Vienne, bien des gens eurent des appréhensions graves et des méfiances d’ailleurs très explicables. Il semblait impossible qu’un tel homme fût arrivé à un tel poste sans I’arrière-pensée d’une revanche, sans le désir caché et coupable d’amener des complications violentes, de mettre l’Europe en feu, afin de rompre une dernière lance avec l’adversaire triomphant de la veille. Certaines légations, dont c’était l’intérêt, ont soigneusement travaillé à entretenir ces soupçons qui, hier encore, trouvaient de l’écho dans les principaux organes de la presse de France et d’Angleterre. L’attitude prise par M. de Beust dans la lutte des races sur les deux bords de la Leitha n’est-elle donc pas faite pour désarmer les préventions et refouler les calomnies ? M. de Beust aurait pu épouser les haines des ultras de Vienne et se créer par là une popularité facile parmi les « frères allemands » de l’Elbe, du Rhin et de l’Oder ; car, quoi de plus populaire, hélas ! dans la noble Germanie que la guerre faite aux Slaves au nom de la a mission providentielle » et de la civilisation supérieure du Teuton ? Il aurait pu, à l’instar de M. de Schmerling, leurrer la « grande patrie » avec la perspective d’un « empire de 70 millions d’hommes » et devenir l’idole de la démocratie souabe. M. de Beust a dédaigné ces moyens et a mis sous ses pieds les rancunes du passé ; fidèle à la parole donnée dans sa première circulaire comme ministre de François-Joseph, il tient à honneur d’être Autrichien ; il est même plus autrichien que tel docteur cisleithan, car il veut réunir toutes les forces vives de l’empire et donner satisfaction aux divers peuples que la Providence a confiés aux mains des Habsbourgs. Il a inauguré son œuvre par l’accord avec la Hongrie, il veut la couronner par une réconciliation avec les Slaves, et pour atteindre ce but assurément noble et généreux il ne craint pas même les récriminations de ses propres frères allemands… L’opinion éclairée de l’Europe ne peut que tenir compte au chancelier de l’Autriche d’une conduite à la fois si courageuse, si patriotique, si humaine et, dans le vrai sens du mot, libérale. julian klaczko.


REVUE MUSICALE.

Pour les amateurs de lieux-communs, tout est sujet à discourir, et il n’en coûte pas plus de s’extasier à époques fixes sur la prodigieuse longévité du talent de M. Auber qu’il n’en coûte de récriminer à froid sur l’abdication prématurée de Rossini après Guillaume Tell. Donc, à propos de ce Rêve d’amour que vient de représenter l’Opéra-Comique, nous ne parlerons ni des quatre-vingt-huit ans de l’auteur, ni de son imperturbable jeunesse, d’abord parce que ces choses-là traînent les rues, ensuite parce que ce sont des complimens qu’on n’aime pas généralement à s’entendre dire, et M. Auber les goûte moins que personne, témoin l’air peu satisfait de son visage chaque fois qu’aux distributions de prix du Conservatoire il arrive au maréchal Vaillant d’appeler avec un tact particulier toute la vénération des jeunes élèves sur « cette illustre tête, où plus de trois quarts de siècle ont passé sans laisser de trace. »

Il y a vingt ans, la longévité musicale de M. Auber était déjà pour les générations nouvelles un sujet d’émerveillement, et lorsque, après tant d’œuvres délicieuses, il donnait Haydée ; c’était avec raison qu’on applaudissait à cette jeunesse mélodique toujours verte. À dater de Manon Lescaut, un peu de lassitude se fit sentir, surtout chez le public, car pour le maître il ne s’est guère jamais démenti, et vous le retrouvez avec ses élégances et son spirituel papillotage dans Jenny Bell comme dans Marco Spada et la Circassienne. La note restait la même, mais on en avait assez. L’oiseau bleu cependant fredonnait toujours ; on avait beau lui dire : Taisez-vous, vous n’êtes plus couleur du temps ; il n’en dégoisait pas moins bon an mal an sa chansonnette dont personne n’avait l’air de se soucier, lorsque tout à coup parut le Premier jour de bonheur, et voilà le succès qui refleurit par enchantement. Explique qui pourra de telles vicissitudes. Qui sait ? pour en découvrir la vraie raison, peut-être faudrait-il la chercher autre part que dans le mérite même de l’œuvre. L’auteur de la Circassienne et de la Fiancée du roi de Garbe avait passé l’âge où l’on compose ; l’auteur du Premier jour de bonheur était une exception, un phénomène, il avait passé l’âge où l’on meurt.

La curiosité le reprenait à partie, il redevenait à la mode. M. Auber vit briller là de belles heures. Qu’il en jouît tout à son aise, rien de mieux, cependant la sagesse eût voulu qu’on ne renouvelât point l’expérience ; lui surtout, le malicieux et fin sceptique, dont la devise fut toujours : « glisser sans appuyer, » aurait dû se défier du mirage ; c’eût été si facile de ne point faire ce Rêve d’amour, plus facile encore que de l’écrire, et pourtant Dieu sait si tout cela coule de source ! Mais que prouvent ces jolis riens, à quoi riment ces colifichets et ces babioles ? S’agit-il maintenant de restaurer un art qui n’a pas sa raison d’être ? car remarquez que ce n’est plus là l’opéra-comique d’Hérold, l’opéra-comique des grands jours de M. Auber écrivant Fra Diavolo, Haydée ou le Philtre, mais quelque chose d’effacé, je ne sais quel fade et précieux ressouvenir du bon vieux temps. Le Rêve d’amour nous offre à travers les âges comme un écho madrigalesque de la première manière du maître. On dirait que M. Auber aime à se retrouver ce qu’il était au début, lors de la Bergère châtelaine et d’Emma. Sa poétique, on la connaît de longue date : d’abord une pièce amusante, de l’intérêt, des situations plutôt que des caractères, de jolies femmes et de jolis costumes ; puis, brochant sur le tout, une musique point trop méchante, qui se laisse écouter sans en demander davantage. Ce système, dont l’humilité, chez un maître tel que l’auteur de la Muette, trahissait bien aussi quelque ironie à l’endroit du public de son temps, — ce système avec Scribe a produit les chefs-d’œuvre du genre, le Maçon, le domino noir, la Fiancée et tant d’autres. À ce compte, on n’aura jamais assez de reconnaissance pour la mémoire de Scribe ; ce qu’il a fait est beaucoup, mais ce qu’il a fait faire est immense : tout notre théâtre lyrique moderne vient de son initiative ; sans lui, nous n’aurions ni Robert le Diable, ni la Muette, ni les Huguenots, sans lui n’existerait pas ce charmant répertoire d’Auber, que l’Europe nous envie. Scribe était né librettiste : composer des poèmes d’opéras fut sa véritable vocation ; ses qualités comme ses défauts, tout l’y portait. Écrivain médiocre, rimeur pire, il n’avait à s’occuper ici ni des idées ni du style, choses pour le moins inutiles au musicien, et qui souvent, loin de lui venir en aide, l’incommodent. Des situations indiquées d’une façon sommaire et s’imposant par elles-mêmes à la curiosité du public, tel fut le grand secret de Scribe, art de librettiste surtout, puisqu’il s’agissait pour lui bien moins d’écrire une pièce que de combiner un plan. Que ce genre soit aujourd’hui démodé, nul ne le conteste. La musique est désormais émancipée ; si restreint que soit le cadre, elle y prétend marcher dans son indépendance, et même à l’Opéra-Comique il lui faut du sentiment et de la passion. De son côté, M. Auber n’en saurait démordre, et tient à rester l’homme du XVIIIe siècle qu’il est, qu’il sera jusqu’à la fin ; de là certaines dissonances moins insupportables assurément que celles de M. Richard Wagner, mais qu’il eût mieux valu, après le Premier jour de bonheur, ne point vouloir renouveler, car on ne doit jamais abuser des dissonances, pas plus en regard du passé qu’au nom de l’avenir.

Encore comprendrait-on.la raison d’être de ce Rêve d’amour, si de tout ce rococo se dégageait une ombre de fantaisie ; au lever du rideau et sur la foi de la mise en scène et des costumes, vous vous croiriez en plein Watteau. Hélas ! combien l’illusion passe vite ! Écoutez ce dialogue, cette pièce où foisonnent les situations les plus rebattues ; vous n’êtes même pas chez Marsollier, vous êtes chez Berquin ou chez M. Etienne : voici Lubin et Colette, monsieur le bailli et madame la marquise, les bons villageois et les beaux seigneurs, les cloches qui sonnent pour un mariage comme dans les Noces de Jeannette, voici ce mariage qui se rompt brusquement comme dans le finale du second acte des Huguenots, et ce brave paysan qui s’engage tout exprès pour chanter avec sa princesse le duo d’Arnold et de Mathilde dans Guillaume Tell ! Ce Marcel, le héros, le ténor de la pastorale, devrait s’appeler Némorin. C’est un berger tout romanesque, fort imbu de werthérisme, qui, lorsqu’il ne rêve pas aux étoiles, lit Jean-Jacques en gardant ses blancs moutons. Ici, je reproche aux auteurs d’avoir failli à la logique de leur personnage ; ce n’était pas dans les gardes françaises qu’il eût fallu l’embrigader, c’était dans le régiment des encyclopédistes, et vous eussiez vu sur le public une impression bien autrement prestigieuse, si, au lieu de nous montrer ses épaulettes, ce qui est d’un effet théâtral quelque peu vieilli, Marcel, de retour au village, se fût écrié dans une romance bien sentie : « Embrassez-moi tous, je suis l’ami de d’Alembert ! » Quoi, qu’il en soit, Némorin, dans une de ses promenades au clair de lune, rencontre Estelle mollement endormie sur l’herbette. Une abeille prendrait cette bouche pour une rose, le galant berger prend tout simplement cette rose pour une bouche, et s’empresse d’y déposer un doux baiser : de là son rêve d’amour ! Par malheur, Estelle est une grande dame, une princesse, « fille de tant de rois ! »

Sur un banc de gazon frais
Ne vous endormez jamais !


Quand nous disions, que c’est toujours la même chansonnette aphoristique ! ..

Il est plus dangereux de glisser
Sur le gazon que sur la glace,


fredonnait, il y a quelque cinquante ans, la jolie Emma, fiancée au nouvel Éginard !

Qui je plains, et du fond du cœur, c’est ce pauvre M, Capoul, contraint d’user sa vie et son talent en de pareilles églogues. On l’habille en Vert-Vert, en marquis, en berger Corydon, et pour comble d’infortune M. Capoul chante à ravir toutes ces mignardises, tous ces agréables ponts-neufs. Vous finiriez par croire qu’il était fait pour cette musique, comme cette musique est faite pour lui. Impossible de mieux dire la romance d’entrée au premier acte et le délicieux récitatif qui la prépare, inspiration d’un maniérisme tout actuel et dont l’afféterie mélancolique rappelle rentrée de Marguerite dans Faust et le récitatif de Mignon. On n’a pas plus de goût, plus d’élégance que M. Capoul ; je ne parle pas de sa voix, un peu surmenée depuis quelque temps, et qui trahit certaines fatigues contre lesquelles le jeune chanteur fera bien de se prémunir. Ce brillant emploi de colonel d’opéra-comique ne s’exerce pas toujours impunément ; s’il a ses bons côtés, il a aussi ses inconvéniens et ses périls. Elleviou lui-même, le vainqueur par excellence dont les victimes ne se comptaient pas, et qui ne consentait à paraître que dans des rôles ce à costumes ! » — le grand Elleviou, si l’on en croit la légende, eut mainte fois à s’imposer la dure loi de la modération ! Il n’y avait sorte d’observations que ses amis ne lui fissent pour l’exhorter à surveiller le précieux trésor de sa voix. On est colonel, mais on est ténor !

Musice hercle agitis ætatem !


Ce qui semblerait signifier que déjà dit temps de Plaute les ténors ne se ménageaient guère.

Cette première romance de Rêve d’amour, très agréablement chantée par M. Capoul, n’a que le tort de venir après cent autres non moins exquises du même auteur. Ce n’est qu’une jolie romance, et M. Auber en a tant semé, sur son chemin, de ces inspirations éphémères ! Pour trouver la vraie pièce de choix, le bijou rare qui presque toujours se rencontre dans une partition du maître, fût-elle d’ordre secondaire, il faut attendre jusqu’au trio du troisième acte : à la bonne heure ! Enfin voici renaître la verve du Maçon et du Philtre, et je laisse à penser si le public saisit cette occasion d’applaudir et de crier bis ! Bien que la situation soit fort comique, ce n’est point, à vrai dire, de la musique bouffe ; M. Auber, que je sache, n’en a jamais fait. Qu’on se figure plutôt quelque chose de malin, de spirituel, de réussi comme une épigramme de Voltaire. La thèse dit : « La femme doit obéissance à son mari, » et le musicien, selon sa nature, s’amuse à développer l’antithèse avec une perfection de touche qui fait de ce petit tableau de genre une merveille. Du reste, ce trio est on ne peut mieux exécuté par M. Capoul, M. Sainte-Foy et Mlle Girard, excellente dans son rôle de paysanne dégourdie ; Mlle Girard a le jeu franc, la parole leste et la tête près du bonnet. Je lui reproche seulement d’être parfois, quand elle chante, ce que Molière appelle « un peu bien forte en gueule ; » dans ses couplets, qui sont charmans, elle a l’air d’imiter Thérésa. Je ne dis point de mal de cette note, qui, dans la Chatte blanche, peut avoir son prix, mais nous ne sommes point à la Gaîté, et pour chanter de l’Auber c’est beaucoup trop de gaillardise. Ne fermons pas le paragraphe des éloges sans mentionner la scène du colin-maillard au second acte. Tout ce gentil monde féminin glisse, court, s’esquive, s’attrape, les mains frappent dans les mains, les yeux brillent, les cœurs battent haletans, et la musique, toujours étincelante, pittoresque, suit le jeu, rend l’espièglerie dans ses moindres détails. Frivolité, ton nom est Auber, je l’accorde ; mais n’est point qui veut frivole de la sorte, et j’en connais qui passent pour sérieux et qui voudraient bien avoir écrit cette valse syncopée. Quelle science de la mise en scène dans ce rapide intermède, quel art discret et fin du dialogue ! Comme dans ce va-et-vient musical chacun lance, son mot à la volée ! Rien de trop, c’est le fini du genre : maxime miranda in minimis ! C’est en musique les joueurs de boule de Meissonier : Jeux de vieillard, s’écrient les railleurs ; c’est jeux de maître qu’il faudrait dire.

Gardons-nous d’oublier la divine Henriette de La Roche-Villiers, le fantasque objet de ce Rêve d’amour. Voltaire a écrit quelque part dans sa correspondance que « toutes les princesses malencontreuses qui furent jadis retenues dans des châteaux enchantés par des nécromans eurent, toujours beaucoup de bienveillance pour les pauvres chevaliers errans. » Le malheur veut que cette fois, l’Endymion soit un manant ; la Diane au bois que ses lèvres ont effleurée commence par se fâcher tout rouge. Peu à peu cependant elle s’humanise quand elle s’aperçoit que ce berger a de la tournure. « Le tambour bat, le clairon sonne. » Ce duo-là, que tout le monde connaît de longue date, ne vaut ni plus ni moins que tant d’autres sur la même ritournelle, et qu’on applaudit pour la fanfare et le plumet ; bref, dans l’entr’acte, le rustre Marcel se couvre de gloire, et quand vous le retrouvez, c’est avec l’épaulette d’officier aux gardes françaises. A coup sûr, l’adorable marquise ne demanderait pas mieux que de sa montrer bonne au pauvre monde ; mais, peste ! à ce moment M. d’Ennery se souvient qu’il doit avoir mis ce dénoûment quelque part. Des princesses épousant des bergers, on ne voit que cela dans la vie réelle, et que seraient les jeux de la scène, s’ils ne nous montraient autre chose que ce qui se rencontre journellement sous les yeux ? La princesse Mathilde n’a déjà que trop dérogé en se mariant avec Arnold ; il ne convient pas que ce fâcheux exemple se renouvelle, et pour maintenir haut, fût-ce au prix d’une invraisemblance, le drapeau du droit historique, Henriette finalement ne sera point marquise ; elle ne le sera que par adoption ; fille de paysan elle-même, elle a été élevée par le vieux marquis de La Roche-Villiers, qui lui a laissé en héritage son titre et sa fortune. Il semble que la logique des choses voudrait qu’elle épousât Marcel ; oui, sans doute, mais le dévoûment et le sacrifice ! Henriette, ayant cessé d’être Mlle de La Roche-Villiers, est redevenue l’humble sœur de Denise. Denise aime le beau Marcel à en mourir, car tout le monde a son rêve d’amour dans cette aimable féerie, et sur trois c’est bien le moins qu’il y en ait un qui se réalise.

C’est Mlle Priola qui joue le personnage d’Henriette. Avec M. Auber, on peut toujours s’attendre à de nouveaux visages. M. Auber aime la jeunesse et la recherche. Combien dans sa longue et active carrière n’en a-t-il pas vu passer et s’effacer, de ces jolis masques disparus à jamais au fond du gouffre après avoir un moment, de leurs yeux et de leur voix, égayé sa fête musicale ! J’imagine que la nomenclature de tant d’aimables virtuoses serait curieuse à dresser ; lui-même se souviendrait-il de toutes ? On voyait naguère au passage Choiseul une affreuse lithographie qui représentait Meyerbeer fantastiquement environné des diverses créations de son génie. Affreuse est bien le mot, car on ne saurait rien se figurer de plus laid, de plus hérissé, de plus ignoble que ce petit bonhomme dont les traits, au lieu de s’épanouir dans la gloire et le rayonnement de l’apothéose, avaient l’air de se crisper d’une façon convulsive à l’aspect de ces apparitions faites à la ressemblance les unes de Nourrit et de Levasseur, les autres de Mlle Falcon et de Mme Viardot. Ce sujet, qui, sous le crayon d’un Lemud, serait peut-être devenu quelque chose, aurait son contraste tout tracé dans le tableau que je vais indiquer. On se représente en effet M. Auber assis la nuit dans son fauteuil, et, tandis que tout est ombre et silence, évoquant à tour de rôle les gracieux fantômes d’autrefois. C’est d’abord la petite Rigault, qui passe, la chanson d’Emma sur les lèvres, — la jolie Pradher, qui fredonne en souriant un motif de Fiorella ou de la Fiancée, — puis vient l’Ambassadrice et l’Angèle du Domino noir, Mme Damoreau, — puis la Catarina des Diamans de la couronne, Anna Thillon, qui s’enfuit, l’épaule nue et ses blonds cheveux dénoués, en lui jetant son bouquet de roses au visage, et ainsi de suite — les Dameron, les Lavoix, les Rossi, les Vandeuheuvel, les Cabel, toutes jusqu’à Marie Roze. On a publié les femmes de Shakspeare, celles de George Sand, celles de Goethe ; pourquoi ne publierait-on pas les femmes de M. Auber ?

Mlle Priola, la dernière venue dans ce chœur mystique, s’échappait l’an passé du Conservatoire pour faire au Théâtre-Lyrique une rapide apparition dans Rienzi. Elle y chantait un bout de rôle, le seul auquel fût échue une ombre de mélodie, qui, très agréablement interprétée d’ailleurs, valut à la modeste coryphée le succès de la soirée. Mlle Priola, le public l’ayant distinguée au Théâtre, ne pouvait rentrer au Conservatoire que pour y remporter un premier prix, et, comme on ne sait jamais ce qui arrivera, M. Auber, voulant éviter à la jeune élève jusqu’à la chance d’un échec dont ses débuts auraient souffert, la dirigea tout droit sur l’Opéra-Comique, où nous venons de voir qu’elle a reçu l’accueil le plus encourageant. La voix est fraîche, veloutée, elle a de la justesse, mais point de force ; rien encore à dire de son style, et la meilleure preuve que M. Auber ne répondrait ni de ses gammes chromatiques ni de son trille, c’est qu’il s’est bien gardé d’en mettre dans le rôle. La comédienne a de l’aisance, et, jusqu’à présent du moins, l’emporte de beaucoup sur la cantatrice, qui, tout en se recommandant par d’intéressantes qualités, reste une écolière. Quel dommage que Mlle Nau, l’autre débutante de cette soirée, n’ait à son service qu’un organe si frêle, si aigrelet, car celle-là du moins est musicienne et sait chanter ; mais on l’entend à peine. Tous ceux qui jadis, aux temps heureux où florissait Rosine Stoltz, ont connu la mère, la retrouveront dans la fille en diminutif, et Dieu sait si de corps et de voix la mère était déjà mignonne. En regardant cette gentille enfant, toute délicatesse et toute esprit, trottiner dans ce petit rôle de Denise, je pensais au mot de Mme de Sévigné et me disais avec la belle marquise : « Oh ! que voilà une famille où certainement, à la troisième génération, on gaulera des fraises. » Revenons à la partition. Si le Premier jour de bonheur succédant à la Circassienne, à la Fiancée du roi de Garbe, marque tout à coup comme un degré d’élévation dans la température, il semble avec ce Rêve d’amour que le thermomètre ait un peu fléchi ; l’auteur, après le soubresaut inattendu, s’est assoupi légèrement, dormitat Homerus. Volontiers nous porterions cette défaillance apparente au compte du poème, et cependant nous ne pouvons oublier que c’est sur une des pièces les plus médiocres qu’il ait jamais reçues de Scribe que M. Auber a composé les Chaperons blancs, un de ses chefs-d’œuvre ; n’importe, ce pastel musical un peu effacé, un peu vieillot, n’est point sans charmes, et il vous fait rêver à tout un monde évanoui. Rossini, qui tenait les chemins de fer en abomination, prophétisait la gloire et la fortune à celui qui, dans cinquante ans d’ici, inventerait les diligences. M. Auber semble aujourd’hui avoir quelque chose de cet inventeur rétrospectif ; il s’amuse à découvrir, à recomposer l’ancien opéra-comique, et s’en va tout doucement vers les sentiers perdus de Marsollier, de Sedaine et de Monsigny.

Qui voudrait l’en blâmer ? En sera-t-il moins l’auteur de la Muette pour avoir troqué son piano d’Érard contre une épinette ? Rendons plutôt hommage à cet infatigable amour du travail qui l’a jusqu’à présent maintenu en verdeur. Chaque âge a son genre de plaisir et d’activité ; on cite pour leur longévité les savans et les collectionneurs. Va donc pour l’entomologie, et piquons avec une épingle d’or sur du papier réglé de jolis motifs dont la somme s’accroîtra sans fin. Les motifs ! il y a trente ans que M. Auber ne les compte plus ; autant il lui en vient, autant il en oublie, et c’est à peine s’il reconnaît son bien lorsque tout en causant vous le lui mettez sous les yeux. Un jour que nous nous promenions avec Lamartine dans le jardin des Tuileries, ce vers nous vint à la mémoire :

La sève, débordant d’abondance et de force,
Sortait en gouttes d’or des fentes de l’écorce.


Et comme nous nous plaisions à le réciter sous ces beaux arbres en pleine floraison printanière : — De qui est cela ? s’écria le grand poète en dressant l’oreille, c’est très beau ! — De qui ? vous le demandez ? mais c’est dans Jocelyn. — Dans Jocelyn ! eh bien ! je ne m’en dédis pas. — Et il se mit à scander son vers de cette voix fière et haut sonnante accoutumée à retentir partout. M. Auber a la mémoire moins superbe ; ne craignez point toutefois de lui montrer dans l’occasion que vous savez par cœur son œuvre mieux que lui. Il ne vous dira pas : C’est très beau ; mais vous surprendrez un sincère et profond remercîment à l’émotion attendrie de son regard, à la pression particulière de sa main.

f. de la genevais.



I. Nouveau Dictionnaire de botanique, par M. E. Germain de Saint-Pierre ; Paris, J.-B. Baillière. — II. Histoire des plantes, par M. H. Baillon ; Paris, Hachette. — III. Les Champignons, par M. F.-S. Cordier ; Paris, Rothschild. — IV. Le Monde des fleurs, par M. H. Lecoq ; Paris, Rothschild. — V. Le Monde des Alpes, par M. de Tschudi, Berne, Dalp.

L’apparition de la science populaire est l’un des phénomènes les plus caractéristiques du siècle actuel. Rien ne marque mieux toute la distance qui nous sépare d’une époque où le savoir s’isolait, ou les savans passaient pour adonnés à la magie. La publicité des débats appliquée aux questions scientifiques a peu à peu transformé les habitudes de la foule. Aujourd’hui non-seulement tout le monde lit, mais tout le monde travaille et contribue au progrès. La diffusion des connaissances a été en même temps la décentralisation du pouvoir. Les grandes entreprises qui jadis étaient le privilège des rois et dépendaient de leurs caprices sortent de terre au premier appel, et prospèrent par le concours de l’intelligence collective des peuples.

On ne peut nier que le développement prodigieux de la littérature scientifique ne contribue efficacement à ces heureux changemens, et le rôle des livres populaires dans ce mouvement général est plus important que les esprits chagrins ne sont disposés à l’admettre. Les envisager uniquement comme des moyens d’éducation supplémentaires ce serait en diminuer la réelle utilité. Ils viennent en aide aux savans de profession en leur créant dans la masse du public une foule d’auxiliaires obscurs et ignorés, mais dont le concours n’est point à dédaigner. Les vérités conquises par la science pure restent parfois stériles pendant de longues années, jusqu’au moment où le hasard en révèle la portée et l’application, utile, et c’est souvent entre les mains d’un industriel, d’un agriculteur, du plus humble ouvrier, que l’on voit réussir ce que Bacon de Vérulam appelle la vendange, vindemiatio. C’est ainsi que les ouvrages de science vulgarisée sont appelés à faire avancer la science par le concours du public. Le succès de cette espèce d’enseignement libre serait encore beaucoup plus grand, si les savans y prenaient une part plus active, au lieu de l’abandonner à des compilateurs ignorans, à ces fa-presto dont la fécondité fait déjà préjuger la qualité des produits qu’ils jettent annuellement sur le marché littéraire. On comprend que l’on chercherait en vain la clarté ou la simplicité chez un auteur qui est à peu près étranger au sujet qu’il traite. Dans ces sortes de livres, le texte n’est généralement que l’accessoire obligé des gravures ; s’ils ne parlent pas à l’esprit, ils parlent aux yeux.

Nous avons heureusement à signaler, cette année encore, une série d’ouvrages qui ne tombent pas dans cette catégorie, qui ont été composés avec soin par des écrivains de talent, amateurs sérieux ou savans de profession. Il y en a dans le nombre qui sortent du cadre de la littérature populaire, et que nous ne mentionnons à cette place qu’à cause des matières qu’ils traitent. Tels sont le Dictionnaire de botanique de M. Germain de Saint-Pierre et l’Histoire des plantes, de M. H. Baillon, professeur à la faculté de médecine de Paris. Quoique destinés aux savans, ces ouvrages, grâce surtout au nombre considérable des figures intercalées dans le texte, se recommandent également aux amateurs de botanique qui ne s’arrêtent pas aux premières notions. Le Nouveau Dictionnaire de botanique est en quelque sorte un traité complet de phytologie, que la disposition alphabétique rend plus commode à consulter que les traités ordinaires. Une introduction placée en tête du volume renferme d’excellens conseils sur la meilleure manière d’aborder l’étude de la botanique et sur l’ordre dans lequel un amateur novice pourrait lire avec fruit les principaux articles de l’ouvrage. La plupart des traités commencent par l’examen des cellules et vaisseaux qui forment la trame des tissus végétaux. Ce n’est pas là assurément ce qui offre le plus d’intérêt aux lecteurs ordinaires, désireux avant tout de connaître en gros les plantes qu’ils rencontrent sur leur chemin. La marche recommandée par M. Germain de Saint-Pierre est plus naturelle : herboriser avec ou sans maître, cueillir les fleurs qui attirent l’attention, en chercher la description dans le dictionnaire, remonter ensuite à la description de l’espèce, puis enfin à l’étude des organes en général lorsqu’on commence à être familiarisé avec les plantes usuelles et à désirer des notions plus approfondies. L’auteur a d’ailleurs tout prévu. Les articles intitulés Herborisations et Herbier suffiront pour guider les premiers pas des futurs botanistes ; ils y trouveront l’énumération des houlettes, couteaux, serpettes et autres outils qu’il est bon d’emporter dans les excursions, la manière de cueillir les échantillons, enfin les renseignemens les plus précis et les plus détaillés sur les stations françaises et sur les moissons qu’on y peut faire. Comme l’a dit Fontenelle dans son éloge de Tournefort, « la botanique n’est pas une science sédentaire et paresseuse qui puisse s’acquérir dans le repos et dans l’ombre d’un cabinet, comme la géométrie et l’histoire ; elle veut que l’on coure les montagnes et les forêts, que l’on gravisse les rochers escarpés, que l’on s’expose au bord des précipices. Les seuls livres qui peuvent nous instruire à fond sur cette matière ont été jetés au hasard sur toute la surface de la terre, et il faut se résoudre à la fatigue de les chercher. »

Les sujets traités par M. Germain de Saint-Pierre sont très variés. Des articles d’une assez grande étendue sont consacrés aux questions générales qui agitent et passionnent en ce moment le monde savant : origine des espèces, transformation graduelle des êtres, génération spontanée, etc. D’un autre côté, l’auteur n’a point dédaigné de s’occuper des petits détails pratiques qui peuvent intéresser certaines classes de lecteurs : il donne des conseils sur l’éducation des fleurs d’ornement, il enseigne la manière d’éplucher les figues de Barbarie et celle de préparer les fraises au jus d’orange, — utile dulci. Plus de seize cents figures insérées dans le texte contribuent à l’utilité de ce livre, qui se recommande par sa disposition éminemment commode.

L’Histoire des plantes, par M. H. Bâillon, est un ouvrage de longue haleine ; il comprendra sept volumes, dont le premier seulement a paru. M. Baillon s’est proposé de décrire successivement toutes les familles végétales connues, en les partageant en séries ou tribus. Chaque série débute par l’étude approfondie d’un type principal, ce qui permet d’éviter des répétitions oiseuses dans la caractéristique des autres genres de la même série. Après la description des séries vient l’histoire sommaire de la famille entière, l’indication de ses affinités, de sa distribution géographique, des propriétés économiques ou médicinales des plantes qu’elle renferme. On voit combien est vaste le programme que s’est tracé l’auteur ; heureusement qu’il est de taille à le remplir.

M. le docteur Cordier a choisi un sujet plus restreint. Dans un ouvrage accompagné de splendides chromolithographies, il a présenté l’histoire complète des champignons de la France. Après les généralités indispensables sur l’organisation et sur le mode de reproduction de ces importans cryptogames, il indique les moyens de distinguer les espèces vénéneuses des espèces comestibles, de tirer parti des dernières et de se garantir des terribles effets des premières. M. Cordier donne des instructions très variées pour la préparation culinaire des champignons, et il est à remarquer qu’il comprend dans cette division du règne végétal la truffe, que certains auteurs considèrent encore comme une excroissance de la nature des noix de galle. Ces détails appétissans sont malheureusement suivis de détails non moins circonstanciés sur les empoisonnemens causés par les champignons vénéneux, et cela jette un froid. Il paraît cependant qu’il n’est pas impossible d’enlever aux espèces malfaisantes leur principe toxique par un traitement approprié. Les paysans de l’Ukraine mangent impunément la fausse oronge et d’autres espèces pour le moins suspectes, après les avoir conservées pendant un certain temps dans le sel. Un autre moyen assez sûr de prévenir les mauvais effets des champignons c’est la macération dans l’eau avec addition de sel et de vinaigre. Les expériences tentées par Frédéric Gérard ont démontré que trois ou quatre heures d’immersion peuvent suffire pour rendre comestibles des espèces très malfaisantes, à la condition toutefois qu’après les avoir retirées de l’eau acidulée on les fasse blanchir dans de l’eau bouillante, que l’on jettera comme la première. On les lave ensuite, on les essuie et on les prépare avec un assaisonnement convenable. Gérard et sa nombreuse famille n’ont pas craint de faire un usage fréquent de champignons vénéneux qui avaient été soumis à ce traitement. La valeur du procédé en question a été constatée par une commission du conseil de salubrité, à laquelle M. Cordier s’était joint et qui a goûté aux mets préparés par Gérard sans en éprouver le moindre effet fâcheux. Ces expériences n’ont d’ailleurs fait que confirmer ce qu’on savait depuis fort longtemps, car la purification des champignons vénéneux par l’eau bouillante est mentionnée dans plus d’un ouvrage ancien. Encore ne faut-il pas accepter ces résultats avec une confiance trop aveugle et croire que les expériences de ce genre soient exemptes de tout danger. On cite des exemples de personnes qui sont mortes après avoir mangé des agarics bulbeux ou des agarics panthères qui avaient été préparés avec des précautions minutieuses, macérés, bouillis, lavés à grande eau, essuyés, mais auxquels on n’avait pas appliqué ce dernier précepte recommandé par Ambroise Paré : « Ainsy accoustrez les faut jeter aux privez. » M. Cordier a pu constater lui-même que le blanchiment ne suffit pas pour détruire entièrement le principe actif de certains agarics, et que les décoctions de noix de galle, de queues de poires et de cerises, d’écorce de poirier, etc., qui sont préconisées par les auteurs anciens, ne garantissent pas non plus des effets toxiques des espèces réputées dangereuses. Dans ces circonstances, le plus sage sera sans doute d’éviter l’emploi des champignons suspects. Le poison de plusieurs espèces est assez énergique pour incommoder ceux qui en respirent les émanations ; plus d’un botaniste a failli être suffoqué pour avoir laissé dans sa chambre à coucher quelques pieds de satyre ou de clathre treillage. Les renseignemens que l’ouvrage de M. Cordier renferme sur ces végétaux si répandus et néanmoins si peu connus encore intéressent à un haut degré l’hygiène. Les botanistes y trouveront la description détaillée des principales espèces de France, avec la synonymie complète et l’indication des auteurs qui s’en sont occupés. Les belles planches qui représentent les types caractéristiques des divers genres, dessinées d’après nature, se recommandent par une exécution remarquable.

Le Monde des fleurs, par M. Henri Lecoq, professeur à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand, est plutôt un album qu’un livre de science populaire. Le texte y est étouffé par les vignettes, gravures sur acier et images de toutes sorte qui coupent les phrases, si elles ne remplissent pas les pages. A peine l’auteur nous a-t-il appris qu’il s’incline devant la majesté de la nature, que l’éditeur s’empresse d’illustrer cette pensée par deux arbres placés au bord d’une rivière, avec des vaches autour et un clocher à l’horizon ; suit-il seul la jolie route qui sépare Clermont d’Issoire, absorbé par l’admiration des fleurs qui, éveillées par les rayons de l’aurore, se tournent déjà vers l’astre matinal, vite on nous représente un voyageur seul, chargé d’un lourd havresac et la pipe à la bouche. Cette profusion d’images plus ou moins parlantes n’était certes pas indispensable pour faire accepter un livre signé d’un nom aussi connu et aussi estimé que celui de M. Lecoq, qui est compté au nombre des naturalistes français les plus distingués. L’auteur divise son ouvrage en vingt-six tableaux, dont le dernier, qui traite de la toilette et de la coquetterie des végétaux, est dédié « aux fleurs qui parlent » Il expose dans un langage poétique, peut-être même un peu trop poétique, les différentes phases de la vie des fleurs. Tout cela est très exact, mais gagnerait assurément à être présenté plus simplement.

Le livre de M. Frédéric de Tschudi sur le Monde des Alpes jouissait depuis longtemps d’une juste célébrité en Allemagne ; les faits nombreux et bien observés, les naïfs récits, les descriptions pittoresques qu’il renferme l’avaient rendu populaire, ce dont témoignent huit éditions successives. M. O. Bourrit l’a rendu accessible au public français par une traduction élégante et exacte. Le charme qui se dégage de la lecture de ce livre ne s’explique pas uniquement par la vivacité des récits, par l’originalité et le coloris des descriptions, il est dû aussi à l’attrait particulier qu’exerce, même à distance, ce monde mystérieux des montagnes, toujours isolé au milieu de la civilisation. La remuante population des villages ne s’avance guère avec ses troupeaux au-delà des premiers gradins ; elle lutte sans cesse contre les forces écrasantes qui défendent l’accès des hauteurs fréquentées par les chamois. Des massifs immenses qui n’ont encore jamais été foulés par le pied de l’homme élèvent jusqu’au ciel leurs pics silencieux entre lesquels se pressent les flots de glaciers inconnus. Plus d’une vallée se cache dans les anfractuosités des Alpes, à peine visitée par les chasseurs ou les chercheurs de plantes, moins connue peut-être que les îles de l’Océan ou les bords du Nil-Bleu. C’est ce monde à part que M. de Tschudi a entrepris de nous présenter dans une série de tableaux qui sont peints avec les couleurs les plus vives et les plus fraîches. Il s’occupe plus particulièrement des animaux et des chasseurs qui les poursuivent. Un des chapitres les plus attachans est celui que l’auteur a consacré aux chamois. Les mœurs de ces gracieux animaux, leurs ruses et leur prodigieuse agilité, qui mettent sans cesse à l’épreuve la patience et le courage des chasseurs émérites, fournissent le sujet d’une foule de récits émouvans. Voici un chasseur de l’Oberland bernois qui, entraîné sur une corniche d’ardoise pourrie à peine large d’un pied, ne peut plus avancer que couché sur le ventre et en déblayant devant lui la pierre délitée. Pendant qu’il rampe ainsi au bord d’un abîme, il voit une ombre qui passe et repasse contre le rocher : c’est un aigle qui guette l’instant favorable pour le pousser dans le précipice. Cet homme, qui ne tient plus à la vie que par un fil, songe alors au moyen de se défendre contre son agresseur ; en un quart d’heure il parvient à se retourner sur le dos, il peut armer sa carabine, et il continue d’avancer avec la tête et les pieds. L’aigle, tenu en respect, finit par s’éloigner, et le chasseur, après un travail de trois heures, les habits et les bras déchirés, touche enfin au terme de ses angoisses et peut sauter sur un rocher solide. Voici un autre montagnard qui, tombé dans une crevasse profonde, s’engage dans un couloir creusé par les eaux et finit par déboucher au pied du glacier, qui a rendu sa victime. Voici Colani, le plus rude et le plus ténébreux des chasseurs, qui passe pour avoir tué une trentaine d’hommes ; il a pris pour lui le district des montagnes de la Bernina, il y tient en réserve de nombreux troupeaux de chamois à moitié apprivoisés, et il ne souffre pas qu’un chasseur étranger se permette de fouler son domaine ; malheur à celui qu’il rencontrera dans un sentier défendu ! Lorsqu’on s’adresse à lui, il promène ses hôtes de manière à leur ôter l’envie de revenir. Le naturaliste Lentz a raconté comment, piqué par la curiosité, il est, un beau jour, allé avec un de ses amis faire une visite au farouche montagnard, auquel il offrit une somme assez rondelette pour qu’il l’emmenât dans une de ses chasses. Colani accepta et conduisit ses visiteurs dans les endroits d’où l’on apercevait ses troupeaux, mais il ne leur permit pas de tirer ; la rencontre d’un chasseur étranger amena une scène qui faillit tourner au tragique, et Lentz s’aperçut bientôt que son guide n’eût pas été fâché de le voir disparaître dans quelque précipice ; il se hâta de renoncer aux délices de cette société. Une foule de récits de ce genre, pris sur le vif, donnent au livre de M. de Tschudi un attrait particulier et font qu’on ne se lasse pas de le lire.

La merveilleuse fécondité des roches sous-marines a fourni le sujet d’un autre livre, que M. C. Millet vient de publier et qui est intitulé : La Culture de l’eau. M. Millet nous raconte en détail les procédés de semaine et de récolte par lesquels l’industrie parvient à augmenter le rendement de ses domaines aquatiques ; il explique la culture méthodique des poissons, écrevisses, homards, moules, huîtres, éponges, et il montre combien il reste à faire après ce qui a été déjà fait. Ce que nous avons trouvé de plus particulièrement intéressant dans ce volume écrit par un homme instruit et compétent, ce sont les révélations qu’il nous fait sur l’échec des essais d’ostréiculture annoncés avec tant de bruit et tant d’assurance par M. Coste. Dans la baie de Saint-Brieuc, sur le littoral de la Méditerranée, dans l’île de Ré et même dans le bassin d’Arcachon, les résultats ont été presque nuls, le naissain périt, les propriétaires cherchent à se défaire de leurs concessions ou à les convertir en pêcheries à varech. Dans l’île de Ré notamment, l’enthousiasme provoqué par les promesses de la science a engagé une foule d’habitans à négliger des ressources plus sûres, ils ont dépensé leur temps et leurs économies en pure perte, et l’échec qu’ils ont éprouvé a compromis l’avenir de l’ostréiculture dans cette région. La culture artificielle des huîtres peut cependant fournir de beaux produits lorsqu’elle est basée sur les saines données de la pratique au lieu d’être guidée par les vues chimériques des théoriciens purs.

M. A. Brehm, le savant directeur du jardin zoologique de Berlin, continue la publication de la Vie des animaux illustrée, et, à en juger par les volumes qui ont déjà paru, cet ouvrage mérite d’être recommandé comme le plus instructif des traités populaires d’histoire naturelle. On y trouvera notamment des renseignemens d’un très grand intérêt sur les chevaux de race et sur les chiens domestiques. M. Brehm entre dans beaucoup de détails sur les symptômes de la rage et s’efforce de détruire le funeste préjugé qui veut que les chiens enragés soient toujours hydrophobes.

M. Rambosson a consacré, cette année, un volume fort intéressant aux Pierres précieuses. Quelques-unes des pierres les plus célèbres qui figurent dans les trésors des souverains ont leur histoire plus ou moins romanesque, que M. Rambosson a soin de raconter. Pour varier son sujet, il en a élargi le cadre de manière à y faire entrer les mines d’or, les pêcheries de perles, la récolte de l’ambre, une histoire succincte des principaux ornemens et les premières notions de l’héraldique. On y trouve donc réuni tout ce qui a trait aux choses brillantes sur lesquelles se concentrent les désirs de la majorité des hommes.

Pour nous résumer, cette année encore des écrivains de talent nous ont donné des livres qui, pour être plus abordables que les traités proprement dits, n’en sont pas moins dignes d’être pris pour guides par ceux qui voudront se familiariser avec les conquêtes des sciences. Le succès croissant de ces sortes d’ouvrages est assurément un des plus heureux signes du temps. r. radau.


C. Buloz
  1. Voyez le Congrès de Moscou et la Propagande panslaviste. Revue du 1er septembre 1867.