Chronique de la quinzaine - 31 août 1866

Chronique n° 825
31 août 1866


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 août 1866.

Il ne serait ni sain, ni sensé, ni patriotique de prolonger par des gémissemens interminables et une mauvaise humeur querelleuse l’état de surprise, de perplexité et d’inquiétude où les derniers événemens d’Allemagne ont jeté l’opinion publique en France. Les choses se sont passées contrairement aux prévisions des uns, aux vœux des autres, à l’impulsion que de plus ambitieux s’étaient proposé de leur donner ; mais enfin, malgré les désappointemens qu’elles ont excités et les regrets qu’elles laissent, elles ont aujourd’hui la nature nécessaire et le caractère impérieux du fait accompli. Après avoir donné tout ce qui était possible à la critique des fautes passées, il faut bien en venir à tenir compte de la réalité présente et des obligations qu’une situation nouvelle impose à notre conduite future. Le passé n’est plus maintenant notre domaine, nous ne pouvons plus rien sur lui ; c’est au présent et à l’avenir, qui nous appartiennent, que nous devons appliquer nos réflexions et nos efforts. Nous n’en sommes certes point à la première déception, au premier souci que les événemens de notre histoire aient donnés à la France ; maintes fois nous sommes revenus de plus loin. Si les rapprochemens historiques procuraient des consolations, on en trouverait aisément qui ne sont point sans analogie avec la mésaventure de cette année. Par exemple ce n’est point la première occasion que nous ayons eue de contribuer sans profit à l’agrandissement de la Prusse. Lorsque ce prodige d’esprit et d’activité qui s’appelait Frédéric II profita de la mort du père de Marie-Thérèse pour jeter son lot sur la Silésie, la France du cardinal de Fleury lui prêta le plus efficace concours. Frédéric croyait ou feignait de croire que le cabinet de Versailles l’avait secondé mollement ; cependant sans la France, qui alla attaquer l’ennemi commun jusqu’en Bohême, Frédéric eût fini par être écrasé, jamais du moins la reine de Hongrie ne se fût résignée à lui abandonner cette Silésie si enviée par un traité particulier dont l’unique intérêt pour elle était de le détacher de nous. Frédéric se sépara brusquement de notre alliance : une fois sa paix signée, il en prévint, « par bienséance, » comme il dit, le cardinal de Fleury. On peut juger par la réponse du cardinal de l’embarras où la défection de Frédéric jeta la France et du chagrin qu’en ressentit le vieux ministre. Fleury parle « de la vive impression de douleur que la lettre du roi a faite sur lui, » il appelle la paix de Breslau « le triste événement qui renverse tous nos projets en Allemagne, » il ne craint pas d’exprimer « l’accablement où il se trouve. » Ses larmoiemens allaient à bonne adresse ! Frédéric, assuré de sa conquête par notre alliance qu’il venait de trahir, n’a point laissé ignorer à la postérité le dédain que lui inspirait notre ancien régime en décrépitude. Il raillait M. de Broglie, qui avait avec lui douze ducs et pairs, et que le cardinal laissait en Bohême à la tête de dix mille hommes. « Ce siècle, écrivait-il, était stérile en grands hommes pour la France ; celui de Louis XIV en produisait en foule. Sous Mazarin, c’étaient des héros ; sous Fleury, c’étaient des courtisans sybarites. » Nos diplomates et nos soldats, ayant de la sorte travaillé pour le roi de Prusse, tirèrent de leur déconvenue un gai proverbe dont ils nous ont laissé l’héritage. Pourquoi en effet se lamenter outre mesure ? La France de la révolution a fait des héros aussi bien que la France de la fronde. S’il nous faut des grands hommes, la recette de Frédéric est encore bonne : nous en produirons toujours, quand nous aurons la volonté de n’être ni des courtisans, ni des sybarites.

Il est une circonstance qui rend surtout désirable la cessation des polémiques confuses soulevées par les derniers événemens. Ces controverses, d’un caractère rétrospectif, par leur stérile durée, ne détourneraient pas seulement les opinions libérales de l’examen pratique des mesures que l’état renouvelé de l’Europe prescrit à la France, elles entretiendraient et envenimeraient entre ces opinions des dissentimens malheureux. Telle fraction de l’opinion libérale s’est trompée dans ses prévisions sur le résultat des combinaisons politiques qui s’agitaient il y a six mois ; elle avait surtout en vue l’affranchissement final de l’Italie ; elle ne pressentait point un triomphe aussi rapide et aussi décisif que celui de la Prusse ; elle n’avait pas l’idée de la puissance militaire réelle de la monarchie prussienne et de l’accroissement menaçant que l’union de l’Allemagne du nord devait donner à cette puissance ; dans l’ardeur de ses vœux, cette fraction de l’opinion libérale espérait obtenir de la politique engagée non-seulement un nouveau succès pour les émancipations nationales, mais un agrandissement raisonnable de la France. Les organes de cette opinion dans la presse ont commis la faute de méconnaître l’intérêt qu’aurait eu la France à élucider par une ample et préalable discussion parlementaire les chances de l’entreprise où on se jetait les yeux bandés : ils ont eu le tort de calomnier avec une injuste violence les libéraux plus avisés qui se défiaient des surprises de l’imprévu, et qui avant l’action invoquaient pour nous les droits du libre examen ; mais à quoi servirait aujourd’hui de continuer une querelle, devenue sans objet dans le présent, et, quand il est avéré qu’on s’est à peu près trompé de tous côtés, de se combattre les uns les autres pour la prétention la plus ridicule qui se puisse élever en politique, la prétention à l’infaillibilité ? Tout le monde se trompe ; la seule faute funeste et impardonnable, c’est l’obstination dans l’erreur produite par la vanité et engendrant l’intolérance. Au fond, les opinions libérales poursuivent des objets identiques : elles veulent établir la justice dans la constitution indépendante des peuples ; elles veulent que les gouvernemens émanent des volontés nationales ; elles veulent par conséquent l’établissement et le développement des institutions libres. Suivant les origines, les procédés d’esprit, les diversités de caractère, l’aspect mobile des circonstances, on s’attache avec plus ou moins de vivacité à tel ou tel côté de l’œuvre démocratique et libérale ; mais il ne doit point y avoir de division acrimonieuse et invétérée entre ceux qu’anime le souffle généreux des rénovations modernes.

Un grand inconvénient de ces malentendus est de faire dévier les uns et les autres de leur terrain naturel. Un mal plus grave encore serait d’entraîner par des irritations étourdies la politique d’un pays tel que la France à des résolutions irréfléchies et à des partis violens. Il importe autant à notre sécurité qu’à notre honneur que la France ne soit point exposée par des imprudences de polémique à se tromper dans le mouvement de ses susceptibilités et à donner le change à la nation allemande sur la vraie nature de ses sentimens. Il faudrait qu’il fût bien entendu que personne en France ne prétend contester en principe à l’Allemagne le droit d’établir avec une complète indépendance sa constitution intérieure. Il y a bien des années que, parmi nous, les esprits avisés ont observé avec un sérieux intérêt les tendances de l’Allemagne vers l’unité politique. Un jour ou l’autre, par tel ou tel moyen, les populations allemandes, cela était manifeste, devaient s’unir par un pacte plus rationnel et plus efficace que la combinaison adoptée par le congrès de Vienne. Les libéraux français, en face de ce grand travail d’unification, ne réclamaient qu’un droit, le droit d’exprimer une préférence entre les divers systèmes d’union possibles en Allemagne. L’union germanique pouvait en effet s’accomplir de deux façons : par la liberté ou par la force. En conservant ses autonomies locales et en les plaçant sous l’autorité et la sauvegarde d’un parlement national, l’Allemagne pouvait réaliser l’union fédérale à la manière américaine ; elle pouvait aussi arriver à l’unité sous la direction et la forme d’une monarchie militaire. Les deux méthodes avaient leurs partisans au-delà du Rhin, et les libéraux français n’offensaient point leurs voisins sans doute en donnant leurs sympathies au système de l’union fédérative et parlementaire soutenu par les patriotes les plus éclairés et les plus désintéressés de l’Allemagne. C’est l’autre système, le système de l’unité par la force et de la concentration par la monarchie militaire qui est en train de prévaloir aujourd’hui. C’est autour de la Prusse éblouissant le monde par l’éclat de sa puissance guerrière que l’Allemagne est en voie de se reconstituer. Dans la crise d’où est sortie la prédominance de l’intérêt prussien sur le véritable intérêt allemand, la France a-t-elle fait tout ce qui était nécessaire pour seconder la solution du problème germanique qui eût été la plus conforme à ses principes et à ses intérêts ? N’a-t-elle pas au contraire prêté à la solution prussienne un concours qui a déterminé hâtivement et par une influence accidentelle et artificielle la prépondérance de la politique berlinoise ? Voilà les questions que nous avons discutées à mesure que les événemens se préparaient et se déroulaient ; voilà aussi le débat qu’il n’y a plus d’intérêt à poursuivre, qui est clos pour l’heure présente, et qui ne sera rouvert que par l’histoire future. Il faut aujourd’hui aborder les faits tels qu’ils se présentent à nous. L’unité de l’Allemagne se confond avec la grandeur de la Prusse. Au nom des intérêts et des droits de la France, nous n’avons point à intervenir dans les questions intérieures soulevées en Allemagne par cette grande révolution.

Au premier moment, sous l’impression des perspectives d’agrandissement territorial qui nous avaient été montrées au mois de juin, dans ce tressaillement de susceptibilité patriotique dont la France fut remuée en voyant éclater la force conquérante de la Prusse, on pensa peut-être à des compensations territoriales. On a eu raison de ne point s’arrêter à cette idée. Les compensations territoriales que la nature semble avoir destinées à la France, on n’eût pu évidemment les obtenir que par la guerre. La guerre à la Prusse, quand même elle n’eût point été contradictoire à la politique antérieure, quand même des préparatifs militaires suffisans nous eussent permis de l’entreprendre, eût été une imprudence calamiteuse. Par une telle guerre, nous aurions trompé l’Allemagne sur la vraie politique de la France, nous aurions réveillé les vieilles et funestes haines de races, nous aurions maladroitement donné à croire à l’Allemagne que c’était son indépendance que nous voulions combattre dans l’ambition de la Prusse, nous aurions identifié à jamais dans le cœur des Allemands le patriotisme germanique avec les destinées prussiennes. Cette guerre eût été non-seulement inopportune et cruelle, mais insensée. Il ne fallait donc point songer à des compensations territoriales. Ce n’était pas de ce côté que notre droit et notre intérêt bien entendu nous conseillaient de porter nos pensées et notre action. Abstenons-nous d’intervenir dans les affaires de l’Allemagne pour y contrarier l’expérience qui s’y tente. Les Allemands ont fait appel à la force prussienne ou se sont soumis à elle pour le règlement de leur constitution intérieure. Soit ; cela les regarde. Il est possible que l’expérience trompe leurs illusions ou réussisse à leur gré. Si la domination prussienne n’est point sans désagrémens, le peuple prussien et son gouvernement ont des qualités solides qui peuvent faire accepter leur hégémonie par la race germanique. Nous devons assister à ce travail de réorganisation avec une curiosité sympathique, en donnant une attention vigilante aux accidens qui pourraient toucher nos justes intérêts. Le spectacle, sans contredit, sera compliqué et instructif. Nous allons voir ce qu’on fera pour assimiler à la Prusse les nouvelles provinces annexées, comment les états restés libres dans la confédération du nord et notamment la malheureuse Saxe s’adapteront à la direction militaire et diplomatique de la Prusse, de quelle façon s’établiront les rapports de la couronne et de la chambre populaire dans la Prusse proprement dite, ce que sera et comment fonctionnera le parlement fédéral qui doit être élu par le suffrage universel, et ce que deviendront enfin les états du sud. Ce travail complexe peut donner lieu à des agitations que la France suivra avec intérêt. Observons donc en ce qui touche l’indépendance intérieure de l’Allemagne les plus justes égards ; mais en remplissant ce devoir envers le prochain, la France a des besoins plus pressans encore à remplir envers elle-même. La tâche que l’Allemagne est en train d’accomplir impose à la France une tâche correspondante. Les derniers événemens ont changé notre position relative dans le monde. C’est en nous-mêmes, dans nos propres limites, ne donnant lieu à aucun ombrage étranger contre nous, que nous devons chercher les moyens de maintenir notre place dans la pondération des forces européennes.

Ceux qui ont observé avec sympathie depuis deux mois les mouvemens de l’opinion publique parmi nous ont été touchés de la sensibilité du patriotisme de la France. Étourdis par des faits qu’ils n’avaient point prévus, par la révélation d’un état de choses dont les causes et les tendances ne leur avaient été expliqués par aucune discussion préalable, les esprits furent saisis du souci intense des hasards que nous pouvions redouter. Tout le monde d’un même élan était prêt à courir où pouvait nous appeler l’intérêt national. On eût pu tout demander à l’abnégation et au dévouement de ce pays. Ceux qui ont participé à cette émotion n’oublieront point les ressources qu’on trouvera toujours dans le patriotisme français, et ils ont dû comprendre combien la France mérite d’être traitée avec générosité par ceux qui ont l’honneur de la conduire. C’eût été abuser des meilleures qualités de notre nation que de la compromettre pour un médiocre agrandissement de territoire dans une guerre de races ; mais ce serait négliger d’une manière coupable ses intérêts essentiels que de lui laisser ignorer l’urgence des efforts qu’elle doit faire sur elle-même dans sa vie intérieure pour se maintenir au niveau de son ancienne grandeur et de sa vocation dans la société des peuples.

Nous l’avons dit dès le premier moment, ces efforts devraient être de deux natures. La France a fait sa place dans le monde par son esprit et par sa force guerrière. Il ne serait pas trop, dans les circonstances présentes, de recourir à la fois aux deux grands agens de notre vie nationale. Il serait à coup sûr désirable, au moment où de grands changemens politiques s’opèrent en Allemagne, que la France, pour n’employer qu’une expression générale, recouvrât les spontanéités naturelles de sa vie politique intérieure. On nous dit du côté de l’Allemagne que le prestige que la France a dû autrefois aux institutions représentatives est désormais effacé, et qu’après les mécomptes dont nous avons donné le spectacle au monde il est chimérique d’espérer que nous pouvons le posséder encore. Nous repoussons ces insinuations décourageantes ; nous ne nous résignerons jamais à croire que la vieille flamme libérale soit à jamais éteinte en nous. Nous ne faisons de ce côté aucun abandon de nos vœux et de nos convictions ; nous reconnaissons cependant que la question des libertés intérieures est malheureusement encore une cause de dissentimens et de divisions entre nous. Il faut courir avant tout aux intérêts qui nous rallient et nous unissent. Tels sont incontestablement les intérêts de la sécurité et de la défense nationale, l’intérêt suprême et pressant de l’organisation de nos forces militaires.

Nous ne nous opposons point aux accroissemens de puissance que la Prusse trouve dans la nouvelle réorganisation de l’Allemagne ; mais ces accroissemens de puissance obligent la France à examiner sans retard si son organisation militaire suffit à la situation qui se produit à côté d’elle. L’Allemagne est la patrie de l’optimisme ; des Pangloss ne manqueront point pour nous promettre que les succès de la Prusse tourneront au profit de la cause des peuples et de la paix universelle. Nous ne demandons pas mieux. En attendant, l’Allemagne, suivant la parole énergique de M. de Bismark, est affamée de puissance et se concentre dans les cadres d’une monarchie militaire. Tant qu’il en sera ainsi, il faudra que la France conserve vis-à-vis de cette monarchie au moins l’égalité des forces. Nous ne disons point seulement qu’il serait impardonnable aux Français de laisser altérer cette égalité des forces ; nous disons que c’est impossible. Consentir à l’infériorité serait de la part de la France une abdication brutale. La question étant posée, il n’est pas parmi nous de gouvernement, d’assemblée, de parti, d’opinion qui puisse accepter notre déchéance. Or la question, ce n’est point le caprice ou la théorie qui la pose, c’est l’inexorable nécessité, c’est le fait qui nous a démontré la force militaire de la Prusse, et qui en même temps qu’il la démontrait, l’a considérablement accrue.

C’est, parait-il, la destinée de la Prusse de donner de siècle en siècle des coups de fouet à l’esprit militaire de l’Europe. Quand Frédéric II, souverain de trois millions de sujets, médita, il y a cent vingt-cinq ans, de placer son pays au rang des grandes monarchies du continent, dès sa première campagne il donna au monde une surprise analogue à celle dont nous venons d’être frappés par le fusil à aiguille. « Le prince d’Anhalt, dit-il, qu’on peut appeler un mécanicien militaire, introduisit les baguettes de fer ; il mit les bataillons à trois hommes de hauteur. Un bataillon prussien devint une batterie ambulante, dont la vitesse de la charge triplait le feu et donnait aux Prussiens l’avantage d’un contre trois. » Les Prussiens n’ont pas eu seulement, il y a plus d’un siècle comme aujourd’hui, le bonheur de changer par la supériorité et la précision de leur armement la tactique des batailles ; obligés par l’infériorité numérique de leur population de chercher dans toutes les applications de la force militaire l’avantage d’un contre trois, ils se sont donné des institutions qui leur assurent un pied de guerre formidable. Les autres états de l’Europe n’ont rien emprunté à ces institutions tant que tout ce qu’en obtenait la Prusse se réduisait à lui permettre d’égaler le nombre de ses soldats aux armées des grandes puissances. La situation change aujourd’hui ; la Prusse s’agrandit par ses annexions et l’autorité dont elle s’empare dans la confédération allemande du nord. On ne peut point prévoir qu’elle abandonne ses institutions militaires au moment où elle vient d’en tirer un si grand parti. Elle va au contraire les étendre à ses nouvelles provinces et à ses confédérés. La conséquence, c’est qu’elle possédera un pied de guerre supérieur d’un tiers à celui qu’elle avait précédemment et bien plus considérable que l’établissement militaire ordinaire des autres puissances et notamment de la France. Ici, on sort des considérations de la philosophie de l’histoire, des systèmes d’imagination et de sentiment, on est placé sous la loi inexorable des chiffres.

En temps de paix, lorsque l’armée active était seule sous les armes, lorsque la réserve et les deux classes de landwehr restaient dans leurs foyers, les troupes prussiennes ne dépassaient point 200,000 hommes. En temps de guerre, l’armée active et la landwehr donnaient 700,000 hommes. C’est le chiffre auquel nous venons de voir la Prusse porter ses forces dans sa dernière campagne contre l’Autriche et la confédération. Voilà l’armée que la Prusse a pu mettre sur pied avec l’armement, l’équipement et les approvisionnemens dont l’Europe a été obligée d’admirer la précision, l’abondance et l’ordonnance supérieure. Conservant ses institutions militaires et les appliquant à la confédération du nord, la Prusse aura désormais un effectif de guerre de même qualité qui dépassera un million d’hommes. Voilà pour le présent ; nous ne parlons pas de l’attraction que la confédération prussienne pourra exercer plus tard sur l’Allemagne du midi. La Prusse dans sa confédération passe d’une population de 19 millions d’âmes à une population de 29 millions ; elle irait de 29 à 38 en s’adjoignant l’Allemagne du sud et en laissant en dehors les provinces allemandes de l’Autriche. Nous ne parlons pas non plus de l’accroissement de la population, qui augmente en Allemagne d’un demi-million d’âmes par an, tandis qu’en France on n’obtient un nombre égal qu’en cinq années.

Voilà le voisinage militaire que les derniers événemens nous ont donné. Il ne faut pas de longues réflexions pour comprendre que ce n’est point par une annexion de territoire, par une rectification de frontière, qu’il est possible à la France de faire contre-poids aux forces effectives de la Prusse et de sa confédération. Nous avons donc à prendre, et sans délai, des résolutions viriles à l’égard de notre établissement militaire. Le problème à résoudre est aussi nettement posé que pressant. Avouons la nécessité qui nous domine, quelque énorme qu’elle puisse paraître au premier abord. Il faut désormais que la France se tienne prête à posséder toujours pour le cas de guerre un effectif d’un million d’hommes, en tenant compte des divers élémens du problème, de nos ressources de population, des conditions économiques du pays, de nos traditions, de nos mœurs. Quel est le système par lequel nous pourrons satisfaire de la façon la plus efficace et la moins onéreuse à ce suprême intérêt de la sécurité, de l’indépendance et de la grandeur nationales ? Nous n’avons certes point la témérité d’émettre des propositions improvisées sur une matière qui, par tant de côtés, dépasse notre compétence. Il est pourtant d’une nécessité absolue qu’un nouveau système de recrutement, qui puisse nous assurer un effectif de guerre d’un million d’hommes, soit étudié, adopté, appliqué sans perdre de temps. La méthode actuelle fonctionne sur le pied d’un contingent de 100,000 hommes qui doivent le service pendant sept ans. Le recrutement s’exerce sur les jeunes gens qui ont accompli leur vingtième année. La France fournit chaque année 300,000 jeunes gens remplissant cette condition ; elle en prend 100,000. Si l’on tient compte des exemptions et des exonérations, on voit que notre prélèvement actuel épuise la moitié des inscrits de vingt ans et porte sur 150,000 hommes. D’une façon permanente, on ne pourrait aller au-delà sans cruauté pour les inscrits et sans nuire à des intérêts essentiels du pays. Faut-il abaisser l’âge de l’inscription, porter la durée du service à dix ans, à douze ans ? Ce serait aggraver et faire sentir aux populations d’une façon inintelligente et vexatoire les inégalités qui résultent de notre système de conscription. Il ne serait point pratique de songer sur le continent, comme ressource efficace, à un système de volontaires semblables aux volontaires anglais : nos mœurs, nos institutions politiques ne se prêtent guère à une organisation de volontaires analogue à celle que nos voisins ont adoptée comme un sport national. Serait-il possible de tirer de notre vieille institution de la garde nationale un meilleur parti qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour, et d’y trouver au besoin une force réelle pour la défense du pays ? Nous ne savons ; mais nous sommes convaincus d’avance que ce qu’il y a de plus pratique et de plus efficace, c’est l’imitation du système prussien. On entrerait pleinement dans la loi de notre révolution démocratique en rendant le service militaire obligatoire pour tous, en combinant des périodes de service actif, de réserve et de rappel en cas de guerre qui missent le salut public à l’abri de tout péril, sans assujettir en temps de paix le service actif à des conditions de durée trop onéreuses pour les classes industrielles et les intérêts économiques du pays. Dans la recherche et la réalisation de cette nouvelle organisation militaire, on sera certainement porté par la grandeur et l’autorité pressante du devoir qu’il s’agit de remplir envers la patrie. Les esprits progressifs déploreront peut-être le contre-temps qui, malgré les prévisions générales et les tendances pacifiques de nos sociétés, détourne ainsi l’émulation active du pays vers les préoccupations militaires ; ils s’en consoleront aussi peut-être en pensant aux avantages qui résulteraient pour la solidité de caractère et le tempérament de notre nation d’une union plus intime et d’une pénétration continuelle des élémens militaires et des élémens civils de la société française. Quoi qu’il en soit, il faut s’appliquer à la révision de nos institutions militaires promptement, de bon cœur, avec un zèle conciliant, car on a ici affaire au plus élevé des intérêts patriotiques, et il s’agit de placer la sécurité, la dignité et l’autorité de la France, nous ne disons point à l’abri d’une insulte dont personne n’aurait à coup sûr la pensée et l’audace, mais au-dessus de toute chicane et de tout doute.

Lorsque nous aurons résolu de mettre ainsi à profit les fortes leçons que donnent les événemens de cette année, nous pourrons assister avec un sang-froid bienveillant ou tout au moins indifférent au spectacle du renouvellement de l’Allemagne. Nous voudrions pouvoir nous abstenir de porter jusque-là des jugemens sur les incidens de cette révolution. Le langage du roi de Prusse en certaines circonstances, les attitudes de M. de Bismark, la docilité témoignée par les progressistes de la seconde chambre, le ton de la presse prussienne, donnent à penser que ceux qui n’avaient point cru que la politique de la Prusse eût rien de commun avec le sentimentalisme qui a cours en France à propos des nationalités ne se sont guère trompés. Rien de plus curieux et de plus instructif que cette construction nationale qui n’a pas l’hypocrisie de se fonder sur l’adhésion des populations annexées, qui assujettit des hommes de même race et de même langue en s’appuyant uniquement, comme au bon vieux temps, sur la raison la meilleure, c’est-à-dire sur le droit du plus fort. La cour de Berlin ne s’embarrasse d’aucune des théories et des procédures modernes ; elle travaille comme une vieille monarchie de race : si elle daigne parler encore de l’union de l’Allemagne, elle agit purement et simplement comme faisait Frédéric II quand il formait la Prusse. Avec les idées arrêtées du roi Guillaume, idées dont l’expression lui échappe si naturellement, le gouvernement parlementaire n’est guère gênant pour un souverain. L’action écrasante que le succès exerce sur les intelligences conforme d’ailleurs aux prétentions royales les dispositions générales des populations prussiennes. On est là dans l’entraînement irrésistible des triomphes récens. Avec le temps, quand les enthousiasmes seront refroidis, les difficultés sans doute reparaîtront. Les succès de la force, malgré leur éclat et leur puissance irrésistibles, ne disent point le dernier mot de toute chose. En attendant que cette lune de miel s’écoule, M. de Bismark poursuit sa besogne de réorganisation avec une activité remarquable. Il a très habilement, à l’ancienne manière de Frédéric II, hâté la conclusion de sa paix avec l’Autriche ; il a négocié non moins diligemment avec les états du sud ; il règle la situation provisoire des états annexés ; il prépare son parlement fédéral. Il a l’œil et la main à tout, et nous donne des exemples de vigilance et d’activité qui mériteraient de trouver non-seulement des approbateurs, mais des imitateurs.

L’œuvre de la pacification touche au dernier acte, puisque le général Menabrea, l’honorable négociateur italien, est enfin arrivé à Vienne. La cour d’Autriche, en consentant à une négociation directe avec l’Italie, a fait enfin acte une fois de sens et d’habileté. Ce sera un événement très important pour l’Italie que le rétablissement des relations entre son gouvernement et celui de l’Autriche. Les destinées de l’Italie cesseront d’être embarrassées par une hostilité obstinée. Libre désormais à l’égard de l’Autriche, n’ayant plus rien à lui réclamer et rien à craindre d’elle, l’Italie pourra s’affranchir bientôt des charges que lui imposait un établissement militaire trop lourd pour ses ressources. La cour de Vienne paraît d’ailleurs entrer dans des idées sincères de réconciliation avec l’Italie, et les concessions auxquelles cette cour semble décidée à propos du lac de Garde feront disparaître les derniers nuages entre les deux pays. Voilà donc l’œuvre de l’unité italienne terminée ; voilà enfin une entreprise puissamment aidée par la France qui a l’apparence de réussir. Ne croyons point par mauvaise humeur aux pronostics de ceux qui ont blâmé parmi nous l’aide que nous avons donnée à l’émancipation italienne. Ne laissons point dire qu’en agissant ainsi la France a suscité à ses portes une puissance destinée à lui être hostile. Sans doute ce serait une pensée impolitique et un faux calcul de méconnaître l’indépendance de l’Italie, et d’exiger d’elle avec une inquiétude chagrine des offices de vassalité. — Nous avons aidé à faire de l’Italie un peuple libre, et aujourd’hui une puissance qui a le droit de tenir en Europe une grande place. Nous frapperions notre propre ouvrage de stérilité, si nous avions la prétention de lui imposer la reconnaissance comme un fardeau : l’adresse est ici d’accord avec la générosité ; elle nous conseille de traiter l’Italie avec les égards que commande la grande situation qu’elle a réussi à se faire avec notre concours. Entre elle et nous, il y a des liens nombreux d’intérêt et de commune civilisation, liens qui ne pourront que se resserrer davantage à mesure que la France avancera vers la liberté. Cette communauté d’intérêts apparaîtrait surtout, et nous serait certainement profitable, si une crise de l’empire turc ramenait vers la question d’Orient l’action de la politique européenne.

Malgré le parti-pris des cabinets européens de prolonger autant que possible les jours de l’empire ottoman, malgré le peu de ressources que les populations chrétiennes d’Orient offrent à une régénération qui pourrait être secondée par les peuples désintéressés de l’Europe, on ne doit pas se dissimuler que le travail de décomposition ne s’arrête point dans l’empire ottoman, et que la question d’Orient mûrit chaque jour. Un incident peut à tout moment produire là une perturbation qui à l’improviste mettra l’Europe en l’air. Les troubles de Candie deviendraient peut-être un incident de cette nature, si l’on n’était pas à peu près partout sous l’influence de la lassitude causée par la guerre d’Allemagne. L’insurrection candiote paraît importante ; elle met en mouvement des milliers d’hommes ; elle contraint la Porte à faire des démonstrations militaires considérables. Voilà bien des fois déjà que le mauvais gouvernement des Turcs pousse à la révolte les Grecs chrétiens de Candie. Si les Hellènes avaient pu ou su faire de leur indépendance un usage habile, l’occasion serait bonne, et l’on pourrait songer en Europe à enlever Candie à l’énervante domination des Turcs pour accroître le royaume hellénique. Après tout, les Grecs se plaignent que, si leur indépendance n’a point donné les résultats qu’on s’en était promis, c’est qu’on a fait la Grèce trop petite et que l’existence lui est impossible dans les limites étroites où on l’a contenue. Qui oserait donner tort à ces réclamations des Grecs ? qui ne leur donnerait pas raison au contraire, s’il existait encore en Europe un peu du feu libéral et de la naïveté généreuse et confiante de 1825 ?

L’agitation pour la réforme électorale vient d’être ouverte bruyamment à Birmingham par M. Bright. La presse anglaise a donné un grand écho, comme on devait s’y attendre, à la manifestation réformiste de Birmingham ; dans l’intervalle des sessions, de nombreux meetings colporteront le mouvement dans toutes les parties de l’Angleterre. On se tromperait, suivant nous, si l’on se figurait que cette campagne produira des résultats importans. Avant tout, la couronne et les grandes assises de la constitution anglaise sont hors du débat. La reine Victoria a déjà recommandé cinq ou six fois au parlement des projets de réforme ; elle peut se donner, par ses actes, pour la personne la plus réformiste des trois royaumes. La querelle n’est donc qu’entre les deux grands partis qui se partagent la chambre des communes. Cette chambre elle-même s’étant distinguée depuis bien des années par son éloignement pour tout esprit de caste dans la législation et par le zèle assidu avec lequel elle a voté toutes les améliorations qui lui ont été proposées dans l’intérêt des classes populaires, on ne peut invoquer contre elle aucun grief. Aussi, malgré cette magnifique embouchure de tribun qu’il possède, M. Bright a été très stérile d’argumens dans sa dernière harangue. L’éloquence que dépense M. Bright dans sa prédication réformiste se heurte à une contradiction. Le grand orateur dénonce les tories à la haine du peuple pour avoir rejeté un bill qui n’aurait ajouté que 200,000 ouvriers au corps électoral, et au sujet de ces 200,000 votes il est obligé, pour obtenir des effets oratoires, de recourir aux principes généraux sur lesquels on assoit la théorie des droits de l’homme et du suffrage universel. La robe est d’une ampleur trop démesurée pour le corps. M. Bright veut-il aller jusqu’au suffrage universel ? Il n’oserait le dire, car par un aveu maladroit il perdrait la cause réformiste en Angleterre. Au surplus, le suffrage universel réserve parfois aux libéraux de bizarres surprises ; ce suffrage ne rend après tout que ce que la nation enferme en elle, et c’est la condition des peuples de contenir souvent en eux plus de superstitions que de lumières. Si le suffrage universel eût existé en Angleterre au XVIIIe siècle, il se fût, suivant toute vraisemblance, prononcé pour le prétendant plutôt que pour les George. Si M. Bright parvenait à en doter l’Angleterre, il fournirait probablement de nos jours, avec des élections plus troublées, une représentation plus aristocratique que la chambre actuelle.

e. forcade.

ESSAIS ET NOTICES.

RÉUNION ANNUELLE DE L’ASSOCIATION BRITANNIQUE.


Pendant la dernière semaine du mois d’août, l’Association britannique pour l’avancement des sciences a tenu ses assises pour la trente-sixième fois depuis 1831. Comme lieu de réunion, on avait choisi cette année la ville de Nottingham, dont les brasseries ont une réputation méritée, soit dit sans malice. Le choix n’a pas été très heureux, à en croire les journaux anglais qui rendent compte de cette réunion, car les bons habitans de Nottingham, quoique aspirant depuis plus de douze ans à l’honneur de fêter dans leurs murs les délégués scientifiques des trois royaumes, ne paraissaient guère préparés à les recevoir. Ce n’est qu’après de véritables voyages d’exploration à travers les rues et ruelles que les arrivans ont pu découvrir la salle des séances du comité général. Quand ils ont ensuite émis la prétention assez juste de coucher quelque part, ils se sont trouvés en face de bourgeois ahuris qui n’avaient pas l’air de comprendre ce qu’on leur voulait. Rien n’était prêt ; on aurait dit des gens réveillés en sursaut et se frottant les yeux avec humeur. Je ne pense pas que ce tableau de l’accueil que les membres de l’association ont subi à Nottingham soit exagéré ; j’ai vu cette confusion de près en 1862 à Cambridge, où l’association se réunissait cependant pour la troisième fois, où de plus les vastes bâtimens des dix-sept collèges offraient une large et cordiale hospitalité à tous les étrangers dûment recommandés aux gros bonnets de l’université.

Quoi qu’il en soit des plaintes qui se sont fait jour à cette occasion, on peut supposer qu’une fois ces premiers désagrémens d’une installation problématique passés, les réunions des sections (il y en a sept) auront eu lieu dans l’ordre accoutumé et que la session de 1866 n’aura pas été moins profitable à la science que les trente-cinq qui l’ont précédée. L’Association britannique est une grande et noble institution. Fondée en 1831, elle répond à un besoin de centralisation bien naturel dans un pays où les efforts des travailleurs ne convergent pas vers un foyer unique comme en France. Les Sociétés royales de Londres, de Dublin et d’Edimbourg n’ont rien de commun avec notre Académie des Sciences au point de vue de l’organisation intérieure et de l’influence exercée au dehors. L’Académie des Sciences, par sa constitution encyclopédique, par la publicité de ses séances hebdomadaires et par ses comptes-rendus ouverts à tout venant, embrasse et absorbe le mouvement scientifique du pays au point d’effacer complètement la province. Depuis quelque temps, il est vrai, les sociétés savantes des départemens se réunissent une fois par an à Paris, où on leur distribue des médailles ; mais l’Académie des Sciences se tient à l’écart, sauf un certain nombre d’académiciens qui viennent présider les réunions. Si la hiérarchie n’existe pas en principe, elle existe par le fait. Dans ces circonstances, il est facile de comprendre qu’une association comparable à celle qui de l’autre côté du détroit réunit par les liens d’une confraternité véritable les travailleurs sérieux ne trouverait pas en France le sol préparé pour la faire prospérer, que du moins elle rencontrerait plus d’obstacles à vaincre.

L’Association britannique comprend dans son sein tout ce que l’Angleterre, l’Irlande et l’Ecosse possèdent d’illustrations scientifiques. Elle a pour but, d’après les termes de l’acte constitutif, de donner une impulsion plus forte et une direction plus systématique aux recherches scientifiques, de resserrer les liens entre les hommes qui cultivent les sciences sur les différens points des trois royaumes, de les mettre en relations suivies entre eux et avec les savans étrangers, d’appeler d’une manière efficace l’attention générale sur les sujets d’une nature scientifique, d’écarter enfin tous les obstacles qui s’opposent au progrès de nos connaissances, et que les efforts isolés des hommes privés seraient impuissans à faire disparaître. Ainsi, quoique ce rapprochement annuel d’un grand nombre de travailleurs doive exercer à coup sûr une heureuse influence sur la production Individuelle, c’est plutôt vers l’organisation rationnelle des travaux d’ensemble que tendent les efforts de cette société, et c’est sur ce terrain qu’elle a obtenu les résultats les plus remarquables. L’Association scientifique de France a fait de louables efforts pour entrer dans une voie analogue ; mais c’est bien moins pour le moment une association savante qu’une réunion de gens du monde qui approuvent tout ce que leur proposent un petit nombre de meneurs, et auxquels on montre de temps en temps la lune à l’Observatoire.

Les membres de l’Association britannique sont rangés sous trois catégories. Il y a d’abord les membres à vie qui paient une fois pour toutes une somme déterminée. À l’origine, leur contribution était fixée à 5 livres sterling ; depuis 1846, elle est de 10 livres (250 francs). Les membres de cette catégorie sont éligibles à toutes les dignités de l’association, et reçoivent gratis, les volumes qui renferment les rapports sur les travaux de chaque année. La deuxième catégorie jouit des mêmes droits que la première ; on y est admis en prenant l’engagement de verser une cotisation annuelle d’une livre ; depuis 1840, cette cotisation est doublée la première année. La troisième catégorie comprend les associés temporaires qui se contentent de payer une livre pour avoir le droit d’assister à une session déterminée ; ils ne sont pas éligibles aux dignités de la société et ne peuvent faire partie d’aucun comité. Il y a enfin des membres correspondans nommés par le conseil de l’Association. Les femmes ne sont pas exclues, on les reçoit aux mêmes conditions ; on a même créé en leur faveur une distinction délicate qui n’est pas mentionnée dans le règlement : elles peuvent transférer leurs cartes d’admission, pourvu que ces cartes soient toujours présentées par des mains féminines.

L’association tient chaque année un meeting qui dure une semaine ; il a lieu dans une ville désignée au meeting précédent. Oxford et Cambridge ont été choisies trois fois,’ Manchester, York, Glasgow, Liverpool, Newcastle, Dublin, Edimbourg et d’autres villes, deux fois. Le nombre moyen des visiteurs a été jusqu’ici d’environ seize cents, et les sommes souscrites chaque année ont atteint en moyenne le chiffre de 50,000 francs. En 1861, la réunion de Manchester a présenté un total de trois mille visiteurs, et 80,000 francs de cotisations.

La session s’ouvre par une séance du comité général, qui se compose des dignitaires de l’association, de tous les membres qui ont publié un mémoire dans les annales d’une société savante, des officiers ou délégués de corporations scientifiques. Les visiteurs étrangers en font partie également et peuvent prendre une part active aux délibérations. Le comité général entend le compte-rendu de gestion du conseil qui a été chargé de conduire les affaires de la société dans l’intervalle des deux réunions. On nomme ensuite le conseil pour l’année suivante ; les anciens présidens de l’association et les dignitaires actuels en font partie de droit. Les seul dignitaires permanens sont les trois censeurs (trustees), le secrétaire-général et le trésorier-général. Le président, les vice-présidens (dont le nombre varie de deux à dix), un trésorier local et plusieurs secrétaires locaux sont élus d’avance, au début de la session, pour le meeting de l’année suivante. En outre le comité général nomme encore, pour chacune des sept sections qui ont été établies, un comité spécial chargé d’en diriger les travaux pendant la durée de la session et de formuler des propositions tendant à hâter le progrès d’une branche de nos connaissances. Ces propositions sont d’abord soumises au comité des recommandations ; s’il les juge dignes d’être prises en considération, il les transmet au comité général, qui procède au vote après une discussion préalable.

Les sections se réunissent tous les matins pour entendre les communications préparées par les membres et pour les discuter, s’il y a lieu. Le soir du premier jour, après la séance du comité général et la constitution des bureaux, on se réunit en assemblée solennelle pour entendre le discours d’ouverture que le président a eu le temps de méditer depuis sa nomination. Ce discours roule presque toujours sur les progrès accomplis dans les différentes branches des connaissances humaines ; quelquefois aussi, comme l’a fait M. Willis en 1862, le nouveau président résume les travaux de l’association depuis l’époque de sa fondation, et ce n’est pas, ce nous semble, le sujet le moins intéressant qu’il puisse choisir. Cette année, les réunions ont été présidées par M. Grove, inventeur d’une pile très répandue et auteur d’un ouvrage sur la corrélation des forces physiques. M. Grove avait pris pour sujet de son discours la continuité des phénomènes que nous offre le monde matériel ; il a développé cette idée en s’appuyant sur les découvertes les plus récentes qui ont été faites dans le domaine de l’astronomie, de la physique, de la géologie, de l’histoire naturelle.

Les soirées suivantes de la « semaine des sages » (wise-week), comme l’appelle le public anglais, sont remplies par quelques leçons confiées à d’habiles professeurs et analogues aux conférences de la Sorbonne, par d’homériques dîners ou par des excursions dans les villes voisines qui ont envoyé des invitations. Un bulletin imprimé, qui parait chaque matin, fait connaître l’ordre du jour arrêté la veille par le comité local. Toutes les mesures sont prises pour rendre agréable et profitable à tout le monde cette « vendange » annuelle qui réalise tardivement un des plus beaux projets conçus par le lord-chancelier Bacon[1].

L’Association britannique, tout en contribuant d’une manière directe et très efficace au progrès des sciences par les secours de toute sorte qu’elle accorde aux travailleurs, a obtenu un autre succès non moins important : elle a réussi à intéresser de plus en plus le gouvernement et toute la nation aux recherches d’un ordre élevé. On peut dire aujourd’hui qu’elle dispose du fonds public ; son intervention a toujours été si bien motivée qu’on s’est presque habitué à regarder comme obligatoire l’accomplissement des vœux qu’elle émet. C’est aux efforts persistans de l’association que l’on doit la popularité toujours croissante des recherches scientifiques en Angleterre, et la confiance avec laquelle les capitaux répondent dans ce pays à l’appel des promoteurs d’une entreprise garantie par les savans. L’histoire du câble atlantique est pleine d’enseignemens sous ce rapport.

Si on voulait juger l’utilité de l’association et la grandeur des résultats à un point de vue essentiellement anglais, on n’aurait qu’à additionner les chiffres des sommes dépensées par elle depuis trente-six ans dans l’intérêt de la science. Nous nous bornerons à constater que le total de ces sommes dépasse aujourd’hui 600,000 francs, dont deux tiers ont été attribués à la section des sciences physiques et mathématiques. Les astronomes doivent à l’intelligente initiative de cette société trois des plus importans catalogues d’étoiles qui existent : l’admirable catalogue éclectique, qui porte le nom de l’association, — le catalogue d’étoiles basé sur les observations que Lalande avait faites à l’École militaire de Paris vers la fin du siècle dernier, — et celui qui résume les observations de Lacaille, faites au cap de Bonne-Espérance. Commencés en 1835 et en 1838, ces deux derniers catalogues ont été imprimés aux frais du gouvernement anglais. On est également redevable aux efforts de l’Association britannique d’une série d’expéditions qui ont puissamment contribué à fixer nos connaissances relatives aux élémens magnétiques des îles britanniques, de l’Amérique du Nord, des mers australes, de l’Inde anglaise et de quelques autres régions du globe ; la plus connue est celle qui fut confiée à sir James Clark Ross, et qui dura de 1839 à 1843.

La météorologie comparée est l’un des sujets qui ont eu, dès l’origine, le privilège de fixer l’attention de la société. Cette science a été en quelque sorte centralisée à l’observatoire de Kew, érigé par le roi George III et abandonné par le gouvernement à l’Association britannique depuis 1842. L’observatoire de Kew sert de magasin ou de dépôt ; c’est là que les instrumens appartenant à la société sont conservés et que les membres trouvent toutes les facilités possibles pour entreprendre des recherches expérimentales. On y a établi un atelier très complet d’où sont déjà sortis bon nombre d’instrumens de précision : baromètres et thermomètres étalons, magnétomètres et magnétographes, etc., qui avaient été commandés par des institutions scientifiques de la Grande-Bretagne ou de l’étranger. Les possesseurs d’instrumens météorologiques peuvent aussi les faire vérifier à Kew, où on les compare à des étalons fixes construits avec un soin extrême[2]. Parmi les autres travaux qui ont été effectués avec succès à l’observatoire de Kew, nous citerons les reproductions photographiques des taches solaires, obtenues à l’aide de l’héliographe, et d’intéressantes études d’analyse spectrale.

Toutefois l’entretien de cet établissement ne laisse pas d’être assez coûteux. Quand l’association a accordé à son enfant gâté cinq ou six cents livres et que la Société royale de Londres s’est saignée pour y ajouter un respectable supplément, on se trouve encore souvent en déficit au bout de l’année. Heureusement il se rencontre toujours quelque généreux Mécène, quelque brasseur ou fabricant de papier dont les libéralités permettent de continuer les travaux commencés. A partir de l’année prochaine, la situation de l’observatoire de Kew va probablement changer d’une manière très heureuse par la fusion de cet établissement avec le département météorologique du ministère du commerce (Board of Trade). Voici dans quelles circonstances ce projet a été conçu. A la mort de l’amiral Fitzroy, le Board of Trade se mit en relations avec la Société royale afin d’examiner, de concert avec ce corps savant, l’opportunité qu’il y avait de modifier l’organisation du département météorologique, dont la direction avait été confiée à l’illustre et infortuné amiral. On convint de faire étudier cette question par une commission d’hommes compétens ; la Société royale nomma M. Francis Galton, le secrétaire-général de l’Association britannique, l’Amirauté le commandeur Evans, et le Board of Trade l’un de ses secrétaires, M. T.-H. Farrer. Après une mûre délibération, cette commission fit son rapport, qui fut présenté au parlement ; nous en donnerons seulement les conclusions :

Les attributions du département météorologique du Board of Trade se bornaient primitivement à provoquer et à recueillir des observations météorologiques effectuées en mer par les soins des capitaines de navires. Cette besogne ne saurait être accomplie avec succès que par une administration investie d’une autorité officielle, et le Board of Trade s’en acquittait très bien avant qu’il ne se fût lancé dans les tentatives de prédiction du temps ; il convient donc qu’il en reste chargé comme par le passé. Il en est tout autrement de la rédaction des observations recueillies et des recherches nécessaires pour en tirer parti. Ces recherches demandent des connaissances étendues et beaucoup d’expérience ; elles devraient toujours être dirigées par un corps savant qui en prendrait toute la responsabilité. Il serait donc à désirer que les matériaux recueillis par le Board of Trade fussent confiés à un comité choisi par la Société royale ou par l’Association britannique, et qui serait mis à même de les discuter et de les utiliser. Or l’établissement de Kew serait éminemment propre à devenir le centre de ces travaux ; il suffirait d’en développer l’organisation et d’en accroître les moyens d’action dans une mesure convenable. — Le comité d’administration de l’observatoire de Kew s’est empressé de donner son adhésion pleine et entière aux conclusions de ce rapport, et tout porte à croire que sous peu cet établissement deviendra une institution vraiment nationale où tous les efforts individuels viendront converger comme à un foyer de lumière.

L’Association britannique à mis en pratique dès l’origine l’admirable conception de ces rapports qu’on appelle d’un mot intraduisible suggestive reports. Ce sont des résumés complets de l’état actuel d’une branche donnée de nos connaissances, mais rédigés exclusivement en vue de signaler les points obscurs, les côtés faibles, les lacunes ou les contradictions qui appellent les recherches des savans. Ces rapports, on le voit, sont destinés à diriger vers un but utile les efforts des chercheurs et à économiser une somme de force vive qui serait perdue sans profit pour la science, si elle s’éparpillait dans des travaux sans issue probable, ou si elle était employée à enfoncer des portes ouvertes, ainsi que cela se voit tous les jours. Les rapports de ce genre, confiés toujours aux hommes les plus compétens dans chaque branche spéciale, ont le plus souvent provoqué des recherches qui ont été entreprises aux frais et sous la direction générale de l’association. Au meeting d’Oxford, en 1832, quand on se retrouva pour la première fois après la fondation de l’association, dix de ces rapports étaient prêts et furent adoptés par l’assemblée. M. Airy, aujourd’hui l’astronome royal d’Angleterre, exposait dans un long et lucide résumé les progrès et les desiderata de l’astronomie ; M. Lubbock rendait compte de l’état de la question des marées ; M. Forbes signalait ce qu’il y avait à faire en météorologie ; le révérend Baden Powell résumait nos connaissances relatives à la chaleur rayonnante ; sir David Brewster traçait un tableau complet de l’état de l’optique ; M. Whewell faisait connaître les conquêtes les plus récentes des minéralogistes, M. Conybeare celles des géologues, et M. Johnston celles des chimistes ; enfin M. Prichard faisait l’inventaire de ce qui était acquis en matière d’anthropologie. L’année suivante, à Cambridge, huit nouveaux rapports furent présentés sur d’autres branches de la science, et depuis cette époque de nombreux rapports supplémentaires ont tenu les membres de l’association toujours au courant du progrès. Nous ne mentionnerons que pour mémoire les beaux travaux d’ensemble qui ont été exécutés aux frais et à l’instigation de la société sur les marées, sur les tremblemens de terre, sur les étoiles filantes et autres météores lumineux, sur le régime pluvial de la Grande-Bretagne, ainsi que les nombreuses ascensions scientifiques en ballon entreprises par M. Glaisher et les tentatives d’exploration du fond de la mer au moyen de la drague. Nous passons sous silence une foule de recherches de détail dont l’énumération nous mènerait trop loin ; il nous suffit d’avoir esquissé d’une manière rapide l’organisation, le but, les tendances et les efforts si méritoires d’une grande institution dont la base est la liberté. R.Radau


ÉTUDES SUR LES TRAGIQUES GRECS, PAR M. PATIN[3].


La troisième édition vient de paraître de ce livre excellent, devenu classique parmi nous, et qui a exercé sur l’éducation littéraire de notre temps une douce et pénétrante influence. Le triple monument d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, de toutes les œuvres de l’antiquité qui nous ont été conservées, est peut-être la plus étonnante et la plus parfaite. Comment ce peuple grec, sans nul devancier, sans préceptes, sans exemples, presque sans nulle précédente tentative, est-il arrivé tout d’un coup, de plaln-pied, dans un genre aussi complexe que la poésie dramatique, à une hauteur qui n’a pas été dépassée depuis ? Pourquoi cependant la critique moderne ne s’est-elle que de nos jours élevée jusqu’à la pleine intelligence de ces simples et fortes beautés ? Euripide seul trouvait grâce aux yeux de notre XVIIe et de notre XVIIIe siècle, pour qui Eschyle, comme Pindare, — M. Vitet l’a rappelé ici même en des pages excellentes, — restait absolument incompris. Il a fallu attendre le grand renouvellement de la critique littéraire, un des honneurs de notre propre temps. C’est de cette œuvre féconde que le livre de M. Patin est un durable et vivant souvenir. Quels aspects nouveaux le théâtre des anciens Grecs devait-il offrir à la critique agrandie ? Quelles beautés jusqu’alors inaperçues la mâle antiquité livrerait-elle à un sentiment d’admiration devenu à la fois plus exigeant et plus compréhensif ? À toutes ces questions, le livre de M. Patin donne la réponse, en offrant réunies d’une main à la fois délicate et sûre toutes les applications du nouveau goût littéraire à des œuvres d’un ordre supérieur qui jusqu’alors, en certaines parties du moins, avaient été à peine dignement appréciées. Par là, ce livre a versé dans l’éducation de notre temps de justes et fines notions sur la plus belle époque de l’antiquité grecque, et il a fait circuler parmi nous de saines idées littéraires, qui ont fait leur chemin et semblent aujourd’hui être devenues le domaine et la possession de tous. Dans sa nouvelle édition, l’auteur a suivi, par une série de notes curieuses, le progrès, chaque jour croissant, de l’imitation des tragiques grecs par nos poètes contemporains ; M. Patin n’a voulu par là que rendre un nouvel hommage aux brillans génies qu’il avait étudiés, mais il se trouve que cette faveur incessante tourne à la récompense et à l’éloge de l’homme de goût qui, un des premiers, a contribué à la susciter.

En faisant si bien œuvre de critique, l’auteur a fait œuvre d’historien. Eschyle, Sophocle, Euripide, ne nous apparaissent plus dans ses pages comme des génies isolés ; ils font partie de tout un grand siècle dont ils nous offrent les différens aspects. Il y a encore du prêtre dans le vieil Eschyle. Né à Eleusis, d’une ancienne famille en possession de fonctions religieuses, il a été élevé dans le temple ; il a sans cesse présente à la pensée l’inexorable puissance des dieux qui s’appesantit fatalement sur l’homme. Comment l’âme humaine sortirait-elle victorieuse de cette lutte inégale ? Son Oreste, obsédé, n’a de refuge que dans le délire. Toutefois, si c’était là l’unique inspiration du poète, il n’aurait pas franchi sans doute la limite qui sépare la poésie lyrique et le théâtre : il y a dans Eschyle, outre le prêtre, le patriote ; il a combattu, ainsi que ses deux frères, dans la guerre médique. Son patriotisme n’est pas purement athénien, il est hellénique. Autant de traits qui nous révèlent une première et grande époque, non encore affranchie d’une antique influence sacerdotale, mais qui a vu cependant l’héroïque combat de la Grèce entière contre la barbarie de l’Orient. — Sophocle, de trente ans plus jeune, est fils d’un armurier que la guerre médique a enrichi ; il est né dans le bourg de Colone, au milieu de l’Attique, à l’ombre des oliviers sacrés. Du haut de ses collines, il a vu se développer la ville démocratique du Pirée. À l’âge de quinze ans, sa fortune et sa beauté l’ont fait choisir pour conduire la danse sacrée en l’honneur de la victoire tout athénienne de Salamine. Aussi son patriotisme sera-t-il purement athénien. Nul plus bel hommage au climat et au sol de l’Attique que le célèbre chœur d’Œdipe à Colone. Sophocle a vu naître la grande époque péricléenne, et il a grandi avec elle. Citoyen dévoué, chargé de missions diplomatiques ou militaires, il a été selon le cœur de Périclès. Son patriotisme local se trahit jusque dans le choix de ses héros : il choisit de préférence ceux qui ont été les amis d’Athènes ; les autres, il les néglige ou les maltraite. De même, s’il admet l’antique tradition, c’est à la condition de montrer la conscience de l’homme réagissant contre la fatalité ou contre l’exclusive domination des dieux. La passion luttant avec l’intelligence, l’une et l’autre en un libre essor, voilà un de ses fréquens moyens pour exciter l’émotion dramatique. Dans cette lutte digne de toutes nos sympathies, et qui est après tout notre histoire psychologique et morale, il sait garder un équilibre qui sauvegarde noblement la dignité humaine, et c’est de là que vient l’incomparable sérénité de son théâtre : le seul Phidias s’est inspiré d’un pareil idéal ; l’œuvre du poète et celle de l’artiste ont reproduit une égale beauté. Sophocle, en un mot, est le sincère témoin du plus beau moment dans le grand siècle de la Grèce. — L’art d’Euripide, plein de charmes encore, offre des ombres savantes qui décèlent une troisième phase de la période péricléenne. Relisez une de ses pages les plus célèbres, l’invocation à Diane au commencement de l’Hippolyte : « Salut, ô Diane ! la plus belle des vierges qui habitent l’Olympe. O ma souveraine ! je t’offre cette couronne tressée par mes mains dans une fraîche prairie que jamais le pied des troupeaux ni le tranchant du fer n’ont osé violer, et où l’abeille seule voltige au printemps. La pudeur l’arrose d’une eau pure pour ceux qui ne doivent rien à l’étude, et à qui la nature inspire la sagesse ; ceux-là seuls ont droit d’en cueillir les fleurs, interdites aux méchans… » Voilà encore, il est vrai, une grande fraîcheur de poésie ; cependant pourquoi médire de l’étude, si l’on n’en connaissait déjà les subtils dangers ? Euripide accepte encore les traditions légendaires, mais surtout pour ce qu’elles offrent de séduisant à son imagination, et comme des cadres où les complications dramatiques puissent trouver place. Il a d’ailleurs peu d’illusions et reproche sans façon aux dieux de l’antique Olympe leurs nombreux méfaits sur la terre. Ses personnages reflètent les idées et les caractères de son temps, et reproduisent, en leur langage souvent sentencieux, un fidèle écho du progrès philosophique et social.

Ainsi tous trois, Eschyle, Sophocle, Euripide, par cela même qu’ils ont été de grands poètes, ont eu en commun avec leur siècle de principaux traits que leur physionomie, mieux étudiée et comprise, montre en une éclatante lumière. C’est le mérite du livre de M. Patin d’avoir, avec un esprit libre et désintéressé, par une critique à la fois délicate et pénétrante, restitué sans fracas toute une belle page d’histoire littéraire et morale.

A. Geffroy.

  1. La Maison de Salomon, dont il est question dans la Nouvelle Atlantide.
  2. Pendant l’année qui vient de s’écouler, on a vérifié 126 baromètres et 395 thermomètres.
  3. 4 volumes in-12 ; Paris, chez Hachette, 1866.