Chronique de la quinzaine - 30 septembre 1882

Chronique n° 1211
30 septembre 1882
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 septembre.


Les crises qui ont signalé les derniers jours de la session française, qui ont paru pour l’instant dénouées par l’avènement laborieux d’un nouveau ministère et qui ne sont que palliées ou suspendues par les vacances, ces crises ont eu du moins un avantage : elles ont mis à nu une situation sur laquelle on gardait encore des illusions et elles ont fait apparaître un problème qui n’est sans doute pas près d’être résolu, qui ne peut plus cependant être éludé.

Cette situation qui s’est brusquement dévoilée et qui se caractérise par une confusion universelle, par de véritables impossibilités de gouvernement, elle n’a certes rien d’inattendu et de nouveau. Elle n’a pu être une surprise, une désagréable surprise que pour ceux qui s’obstinent à ne rien voir, à ne rien comprendre, qui se sont figuré que, le jour où ils arrivaient à la domination, ils pouvaient impunément tout ce qu’ils voulaient, que tout devait se plier à leurs passions, à leurs calculs et à leurs fantaisies. Elle est le résultat logique et irrésistible des infatuations, des fautes, des excès d’une politique qui, depuis quelques années, a abusé de tout, qui a vécu de concessions aux idées les plus désorganisatrices, qui a livré par degrés les conditions les plus nécessaires de gouvernement, qui a mis la confusion et la mobilité dans la vie publique pour finir par la division de toutes les forces, par une sorte de halte des partis victorieux dans l’impuissance. Voilà le fait qui a été mis à nu tout à coup par les dernières crises : c’est une faillite de politique intérieure ou un commencement de faillite qui, par une complication de plus, a éclaté justement à une heure où les plus sérieuses affaires extérieures s'agitaient en Europe, où la France aurait eu besoin de toute sa liberté et d’une active vigilance. — Le problème qui s’est dégagé subitement de ces troubles profonds, qui est apparu à tous les yeux, consiste à trouver le remède d’une telle situation, à s’arrêter dans la voie où l’on s’est engagé, à changer de direction en essayant d’abord de se refaire une force de gouvernement, une majorité suffisante par le rapprochement des diverses fractions parlementaires, que les passions, les jalousies, les rivalités personnelles ont divisées. Le mal existe, le problème consiste à le guérir s’il se peut, à l’atténuer tout au moins. M. le président du conseil, — c’est une justice à lui rendre, — ne s’est point dissimulé la vérité en acceptant le pouvoir dans des circonstances difficiles, et après des entretiens plus ou moins privés où il a laissé entrevoir à demi ses préoccupations, il a serré de plus près encore la question dans une lettre qui a fait il y a quelques jours autant de bruit que ses conversations. Qu’a donc dit M. le président du conseil dans cette lettre qu’il a écrite à un député de l’Auvergne et qui reste jusqu’ici l’expression la plus significative de sa pensée? Il a rappelé que la division est la mort des majorités parlementaires comme des nations, que « cela est vrai du parti républicain plus que de tout autre, parce que la seule discipline dont il soit capable est la discipline volontaire. » Il a ajouté que, si on ne sait pas s’imposer à bref délai cette discipline, si on persiste à se diviser, on peut « renoncer à constituer le gouvernement républicain, » que « le parti vainqueur qui ne tire pas de lui-même l’instrument nécessaire est condamné à cesser de vivre. » En d’autres termes, tout ce qui se passe depuis quelque temps, ces incohérences accumulées, ces guerres intestines au sein du parti victorieux, ces impossibilités de gouvernement qui s’aggravent à chaque changement de ministère, tout cela, aux yeux de M. Duclerc, c’est l’épreuve décisive pour la république elle-même. Tout dépend aujourd’hui de ce qu’on fera.

C’est assurément une parole grave que M. le président du conseil a prononcée là, qu’il a donnée à méditer aux républicains de toutes les couleurs pendant les quelques semaines de vacances qui vont s’écouler encore avant la session prochaine. A vrai dire, le premier de tous les remèdes serait de commencer par reconnaître qu’on s’est trompé, et malheureusement jusqu’ici personne ne semble guère disposé à confesser ses fautes, à avouer les erreurs de la politique qui a contribué à créer la situation présente. Tout le monde parle de conciliation, c’est convenu, et jamais peut-être les animosités n’ont été plus vives; jamais les luttes n’ont été plus acharnées, plus acerbes entre les partis, entre les diverses fractions républicaines qui s’agitent dans un tourbillon de polémiques. Il resterait toujours à savoir d’ailleurs ce qu’on entend par ce mot de conciliation, ce qu’il peut devenir dans la pratique, quels élémens, quels groupes on compte rallier de façon à reconstituer une majorité dont un gouvernement ne peut se passer, que M. le président du conseil appelle l’instrument nécessaire. Il y a sans doute des républicains sensés, modérés, qui comprennent les conditions de gouvernement, qui sont faits pour être la force et l’appui d’un ministère sérieux. Il y en a d’autres qui entendent bien être, eux aussi, de la majorité, et qui en ce moment même passent leur temps à réclamer plus que jamais les « destructions nécessaires, » la suppression du budget des cultes, la désorganisation de la magistrature et de l’armée, la réforme de la discipline militaire, la démocratisation des finances. Il y en a qui mettent toute la politique républicaine dans la tyrannie exercée sur les consciences, dans la guerre aux traditions et aux sentimens religieux ; il y en a même qui déclarent la guerre à l’histoire. Oui, en vérité, à l’heure qu’il est, en plein XIXe siècle, dans une ville normande qui passe pour avisée, il s’est trouvé un maire et un conseil municipal qui, sans crainte du ridicule dont ils se couvrent devant le monde, ont entrepris de faire disparaître une statue de Louis XIV. D’autres ont supprimé ou essayé de supprimer la colonne Vendôme, et le conseil municipal de Paris a fait ce qu’il a pu pour effacer de nos rues le nom de Bonaparte. M. le maire de Caen, qui tient à ne pas se laisser éclipser, supprime Louis XIV ! Voilà cependant ce que certains hommes appellent servir la république.

Eh bien, la conciliation dont on parle tant pour refaire une majorité ira-t-elle jusqu’à tenter de conquérir ces fiers républicains ? Sans aller même jusque-là, essaiera-t-on de désarmer ou de rallier ceux des radicaux qui en sont toujours à représenter comme des réformes urgentes de véritables bouleversemens dans l’état? Si c’est là ce qu’on veut, ce qu’on entend par la conciliation, il faut se préparer à des concessions perpétuelles, à commencer par la mairie centrale de Paris, et c’est tout simplement la continuation du système qui a conduit au désarroi d’aujourd’hui. Si on est décidé à se défendre des concessions dangereuses, on n’aura point évidemment cette intégrité reconstituée du parti républicain sur laquelle on paraît compter pour retrouver une majorité décisive. On aura plus que jamais affaire à toutes les dissidences, à une opposition intestine qui encore une fois rendra tout impossible. La difficulté est partout. Qu’on nous entende bien: il ne s’agit nullement de décourager M. le président du conseil. Cela veut dire qu’il ne faut pas se payer de mots, qu’il y a des transactions, des essais de conciliation parfaitement vains et que l’unique moyen de remédier à une situation aussi profondément altérée est encore une politique résolue à maintenir les garanties essentielles de gouvernement, à tenir en respect l’esprit de subversion sous toutes ses formes, à ne point acheter des appuis plus périlleux qu’efficaces. Cette politique, elle peut échouer sans doute : elle est du moins la seule qui puisse résoudre le problème imposé par les circonstances; elle est digne d’être tentée, et, plus que tout autre, dans sa double position de président du conseil et de ministre des affaires étrangères, M. Duclerc a pu déjà sentir que, par cette politique seule, la France peut recouvrer assez d’autorité pour se faire écouter dans les délibérations de l’Europe, notamment à propos de cette question égyptienne qui reste à régler entre les puissances.

Elle a marché assez vite depuis quelques jours, il est vrai, cette question d’Egypte qui pendant quelque temps s’est déroulée avec une certaine lenteur, dans une confusion un peu laborieuse. L’Angleterre, selon son habitude, a procédé méthodiquement. Elle n’a voulu rien risquer sans avoir sous la main toutes ses forces, toutes ses ressources. Le jour où elle s’est sentie en mesure, elle n’a plus hésité; elle a engagé vigoureusement l’action, et le succès aussi prompt que décisif de ses armes a prouvé que le généralissime, sir Garnet Wolseley, avait habilement préparé ses opérations.

Tout s’est accompli point pour point, presque à date fixe, selon le programme que s’était tracé d’avance le chef de l’expédition. A peine l’armée anglaise transportée à Ismaïlia venait-elle de livrer son premier combat à Kassassine, elle se préparait déjà à l’assaut des positions en apparence assez fortes de Tel-el-Kébir, dont Arabi avait fait, disait-on, un autre Plewna. D’un seul coup, en quelques heures d’une matinée, elle a enlevé ces positions, battu, dispersé l’armée égyptienne surprise dans ses retranchemens, et dès ce moment toute résistance sérieuse est tombée. Les avant-gardes de Wolseley ont pu se porter par une marche rapide sur le Caire, où elles sont entrées sans coup férir, conduites par un fils de la reine, par le duc de Connaught. Les soumissions se sont succédé de toutes parts, autour d’Alexandrie, à Aboukir et à Damiette, où il y a eu une dernière velléité de résistance. Arabi lui-même et les principaux chefs de l’insurrection ont été réduits à se rendre ou ont été pris au Caire. Les Anglais en ont fini avec la rébellion égyptienne avant que les Turcs se soient décidés à signer la convention militaire éternellement débattue entre le divan et lord Dufferin pour régler les conditions de l’intervention ou de la coopération ottomane, qui n’a plus désormais de raison d’être. Militairement, la question est donc tranchée par l’Angleterre seule. Reste, maintenant, à la vérité, la question politique ou diplomatique, qui est plus compliquée, qui peut même devenir délicate et qui, dans tous les cas, ne peut être définitivement résolue qu’avec le concours de l’Europe, soit par des négociations directes entre cabinets, soit par la conférence de Constantinople.

Quelle est la situation ? En réalité, s’il faut appeler les choses par leur nom, les Anglais sont maîtres de l’Egypte; ils l’occupent militairement, et ils ont vraisemblablement l’intention de l’occuper, tout au moins de garder quelques postes, — tant que la pacification du pays ne sera pas complète. Ils semblent déjà avoir pris des mesures, soit, pour le licenciement et la réorganisation de l’armée égyptienne, soit pour le rétablissement de l’autorité du khédive, soit même pour la mise en jugement des principaux chefs de la rébellion. Que les Anglais songent à se servir de leur victoire pour créer dans la vallée du Nil un ordre de choses conforme à leurs intérêts, cela n’est pas douteux, et il y aurait de la naïveté à leur en vouloir après les avoir laissés, seuls à l’action ; mais en même temps il est bien clair que leurs droits ont des limites. Ils sont liés par leurs déclarations, par leur coopération à la conférence de Constantinople, par tout un ensemble d’engagemens internationaux qui intéressent la Porte, la France, l’Europe tout entière. En un mot, la question, en cessant d’être militaire, redevient une question de diplomatie générale, et l’Angleterre, si victorieuse qu’elle soit, n’a sûrement pas la pensée de mettre en péril la paix universelle en faisant violence à tant d’intérêts qui ont le droit de se faire respecter.

Certainement au milieu de cette vie européenne. qui se transforme. sans cesse, qui se complique de tant de passions, d’antagonismes, de questions qui se renouvellent ou se déplacent, il y a toujours quelque intérêt à voir les choses comme elles sont, sans parti-pris et sans illusion; il est toujours bon de démêler à travers l’artifice des rôles et des discours officiels ce qu’ont été, ce qu’ont pensé réellement des hommes, qui à leur manière, selon leur importance, selon la sphère où ils ont été placés, ont passé avec quelque succès sur la scène publique, C’est l’attrait de ces révélations plus ou moins diplomatiques qui se succèdent de temps à autre sur un passé encore peu éloigné. Ces révélations ont parfois le mérite de rectifier ou de préciser bien des jugemens sur des choses et des hommes qu’on croyait connaître; elles ne sont pas non plus toujours sans danger pour ceux dont elles ont la prétention de dévoiler les pensées les plus intimes. Voici un petit livre qui a paru récemment en Belgique, qui n’a pas, si l’on veut, une importance démesurée pour l’histoire et qui ne laisse pas cependant d’avoir été l’objet de quelques commentaires : c’est cet opuscule des Souvenirs du baron Nothomb. L’auteur, qui est connu par des études sur les fondateurs de la jeune monarchie belge, M. Théodore Juste, a certes recueilli ces Souvenirs à bonne intention. Il a cru assez naïvement ne pouvoir mieux faire pour un homme distingué de son pays que d’essayer de le peindre par ses conversations, par quelques fragmens de lettres familières, par la divulgation des détails intimes de sa carrière, il n’a peut-être pas servi autant qu’il l’a cru la mémoire de celui dont il s’est fait le Plutarque.

Ce n’est point assurément que le héros de ces Souvenirs, M. le baron Nothomb, n’ait été et ne reste une des plus éminentes notabilités de la Belgique. Au début de sa carrière publique, il s’était trouvé mêlé à la révolution de 1830, à la fondation de la monarchie belge, à l’élection du prince sage et avisé qui fut le roi Léopold Ier. Il avait été plusieurs fois le ministre de la jeune royauté dont il a raconté l’avènement dans un Essai historique sur la révolution belge de 1830. Depuis 1845, il a représenté à peu près sans interruption la Belgique à Berlin, où il est mort au mois de septembre 1881. Pendant trente-six ans, il est resté le diplomate invariable de la monarchie belge à ce poste fixe de Berlin, au milieu des révolutions, des guerres, des bouleversemens d’où est sorti l’empire d’Allemagne. C’est là sa vraie carrière, c’est ce qu’on peut appeler son originalité. Comme personnage parlementaire, M. Nothomb avait sans doute montré des dons brillans. Comme diplomate, c’était un homme d’esprit, prodiguant aisément les souvenirs et les anecdotes, aimant les conversations ingénieuses, alliant le goût des lettres à l’expérience des affaires. Il a pu passer pour un de ces diplomates de pays neutres placés par les circonstances dans un poste d’observation d’où ils peuvent suivre en curieux, en amateurs, tous les mouvemens de la politique sans se trouver compromis dans l’action. M. le baron Nothomb peut donc mériter tout ce qu’on dit de la vivacité de son intelligence, de l’aménité de son caractère et de l’attrait de sa conversation. Malheureusement, ce que M. Juste cite de lui ne prouve assez ni la clairvoyance indépendante d’un esprit supérieur ni le sentiment élevé des conditions générales de la politique européenne, et, de plus, il est trop clair qu’un long séjour en Allemagne avait eu son influence sur le représentant d’un pays neutre.

Le mal, il est vrai, datait de loin chez M. Nothomb, et c’est tout au plus à ses yeux si la France de 1830 n’avait pas employé ses armes et sa diplomatie à empêcher la Belgique de naître. C’est bien la peine que, depuis un demi-siècle, tous les libéraux de France se soient fait un devoir de défendre l’indépendance de la Belgique pour qu’un représentant officiel de cette Belgique même se plaise à travestir tout ce que la France libérale a fait, tout ce qu’elle a pensé! L’auteur des Souvenirs considère comme des « documens historiques » du plus haut intérêt quelques lettres tout intimes que M. le ministre de Belgique à Berlin écrivait aux jours de 1870-1871 à une personne qui lui était chère et qui se trouvait dans une maison religieuse à Paris. Soit. Ces lettres sont, dans tous les cas, l’expression du plus impitoyable ou du plus frivole sentiment d’antipathie, et pour un homme d’esprit, M. le baron Nothomb a vraiment des aperçus singuliers assez naïfs. Il découvre que, si les Allemands sont réduits à procéder par le fer et le feu contre la capitale française, « à s’ouvrir un large passage jusqu’au cœur de Paris au moyen du canon, » la faute en est « à ceux qui ont fait de Paris une ville fortifiée. » Si Paris était resté une ville ouverte il n’aurait pas été assiégé ; il aurait été occupé sans plus de difficulté par les Allemands, et tout aurait été dit. Qu’on se rassure d’ailleurs, qu’on n’ait pas la moindre inquiétude sur les dispositions éventuelles du vainqueur. « Paris occupé par les Allemands, — s’il devait être occupé, — n’aurait jamais joui de plus de sécurité. Cette occupation ne serait pas un danger pour les habitans; ce ne serait qu’une honte pour la France. » Peu de chose vraiment! Quant à la France ainsi traitée, elle s’en tirera comme elle pourra. Elle se donnera, si elle peut, un gouvernement avec « un général, un prince ou avec les anciennes chambres. Peut-être aura-t-elle un lieutenant-général de par le roi de Prusse. » Le plus clair pour elle est qu’il faudra se résigner « à une paix qui détruira l’histoire de France à partir de Richelieu. »

Qui croirait cependant que, même dans l’extrémité de nos désastres, il n’y a pas de quoi rassurer et désarmer M. le ministre de Belgique à Berlin ? Pour lui, le malheur n’a point encore assez rectifié les notions des Français. Plus que jamais l’Allemagne doit rester la grande protectrice de la neutralité belge qui restreint aux Vosges la ligne attaquable par la France. «De passive qu’elle était, ajoute-t-il gravement, l’Allemagne deviendra active pour nous détendre... La Belgique n’a toujours qu’un adversaire, la France ! » Oui, vraiment, pour M. Nothomb, le seul danger que court l’indépendance de la Belgique vient de la France. Et voilà cependant ce qu’a pu écrire un Belge qui a passé pour un homme d’esprit et un habile diplomate, ce qu’on peut reproduire aujourd’hui dans des Souvenirs mal venus, pour illustrer ou recommander cette mémoire ! Après cela, M. Nothomb avait certes toute sorte de titres à recevoir la lettre que le roi Guillaume lui écrivait de son « quartier-général de Reims, » pour le féliciter à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son entrée en fonctions comme représentant de la Belgique à Berlin et pour lui envoyer son « portrait peint sur un vase en porcelaine, » en signe de satisfaction. « Le roi, dit-il, m’a complimenté de sa glorieuse main. » Voilà qui est au mieux pour un diplomate chargé d’être le représentant impartial d’une neutralité entre des belligérans ! Où donc était la nécessité de publier ces Souvenirs, d’exhumer des archives les plus intimes ces boutades, après tout assez médiocres? Si c’est pour faire honneur à un homme qui a eu un assez grand rôle dans son pays, on s’est exposé, au contraire, à compromettre étrangement la réputation que s’était faite ce Nestor de la diplomatie. Si c’est pour montrer à la nation belge l’inspiration qu’elle doit suivre, on réussira encore moins, il faut le croire. La Belgique sait bien que la France libérale, après l’avoir aidée à naître, n’a eu jamais que des sympathies pour l’indépendance belge et qu’elle trouve dans cette indépendance sa propre garantie.

La politique se fait avec du bon sens, avec de la clairvoyance, avec de la mesure, et plus que jamais tous les pays ont besoin de s’en tenir aux sages inspirations dans leurs affaires extérieures ou intérieures. L’Italie, comme bien d’autres pays, a besoin, elle aussi, de raison et de prévoyance au moment d’aborder les élections générales qui se préparent, qui vont lui donner un parlement tout nouveau. Avant un mois, les élections se feront sans doute. Déjà le mouvement se dessine de toutes parts au-delà des Alpes. Les partis sont en campagne. Les principaux chefs parlementaires s’adressent à leurs électeurs, au pays tout entier. M. Minghetti, M. Visconti-Venosta ont prononcé des discours qui sont des manifestes. Un homme d’esprit, M. Ruggiero Bonghi, a tracé un vrai programme d’action électorale. M. Nicotera, M. Crispi, sont allés dans le Midi haranguer leurs électeurs, à Salerne et à Palerme. Les ministres, à leur tour, M. Depretis en tête, ne tarderont pas, sans doute, à s’expliquer devant l’opinion, à exposer leurs actes, leurs projets, leur politique. D’un autre côté, les partis extrêmes, radicaux, républicains, socialistes, se remuent, tiennent des meetings partout où ils croient avoir des chances, dans la Romagne, dans le Midi, et les réactionnaires, les cléricaux, fatigués de s’abstenir comme ils l’ont fait jusqu’ici, se disposent peut-être à prendre un rôle qui n’est pas encore bien défini. En un mot, l’agitation, sans être désordonnée et tumultueuse, commence à se manifester sur tous les points, et cette lutte nouvelle, on ne peut se le dissimuler, s’engage dans une confusion où il y a beaucoup d’inconnu.

Les élections italiennes, désormais si prochaines, ont par le fait une gravité particulière aujourd’hui, et parce qu’elles vont se faire sous un nouveau régime électoral, et parce qu’elles se produisent dans des circonstances qui ne laissent pas d’être critiques pour les partis, pour le gouvernement, pour le système parlementaire tout entier. D’un côté, elles sont la première application de la loi de réforme qui a été récemment votée, qui substitue le scrutin de liste au scrutin d’arrondissement et qui étend le droit de suffrage jusqu’à la limite au-delà de laquelle il n’y a plus que le suffrage universel. Le nombre des électeurs est singulièrement accru, le système de votation est changé, le champ de bataille électoral est étendu et déplacé. Tout est nouveau dans la phase où est entrée l’Italie, et la question est de savoir ce qui résultera de cette expérience, de cette introduction d’élémens inconnus dans les cadres électoraux, quelle sera en définitive l’influence de la dernière réforme sur la composition du parlement. C’est là un point obscur. D’un autre côté, cette crise d’élections coïncide avec une situation qui est assez sérieuse pour être un objet de préoccupation au-delà des Alpes, qui, d’ailleurs, ne s’est pas créée toute seule. Depuis six ans, l’Italie a ce qu’on peut appeler le règne de la gauche. Les ministères ont été modifiés, remaniés; le président du conseil s’est appelé tantôt Depretis, tantôt Cairoli. C’est toujours, en définitive, la gauche qui a régné sous des noms différens, et on ne peut pas dire que ces six années de gouvernement aient été des plus favorables pour l’Italie.

Non, en vérité, la gauche italienne n’a été heureuse ni dans la politique extérieure ni dans la politique intérieure. Un moment, il y a quelques mois, le ministre des affaires étrangères. M. Mancini, a été presque populaire pour avoir flatté l’amour-propre national en annonçant un peu solennellement l’entrée de l’Italie dans la grande alliance de tous les empires européens. M. Mancini avait promis plus qu’il ne pouvait tenir. Ce n’était qu’une illusion; il a bien fallu revenir à la réalité, s’avouer qu’on n’était pas de la grande alliance, et comme en même temps le cabinet de Rome, dans l’intérêt de ses combinaisons un peu ambitieuses avec les cours du Nord, n’a rien fait pour se rapprocher des puissances occidentales, de la France et de l’Angleterre, il se trouve aujourd’hui dans un certain isolement. C’est toujours par là que la gauche finit dans tous les pays. Le ministère, pour couvrir des mécomptes qui sont assez vivement ressentis dans le pays, n’a plus guère d’autre ressource que de tâcher encore de négocier la visite toujours promise, toujours fuyante, de l’empereur d’Autriche à Turin ou à Florence. C’est peu pour déguiser un insuccès diplomatique assez visible. La gauche italienne n’a guère été plus heureuse dans les affaires intérieures. Elle a promis beaucoup de réformes qu’elle n’a pu réaliser. Elle n’est arrivée qu’à se diviser, à se fractionner, à se perdre en rivalités personnelles pour finir par former une majorité aussi incohérente que la majorité de notre chambre française. Les ministères ont parlé beaucoup de principes, ils n’ont vécu que d’expédiens, multipliant les concessions, favorisant contre leur volonté, par une sorte de logique irrésistible, le travail des sectes radicales et révolutionnaires. Ils ne se sont soutenus, en réalité, que parce que les anciens modérés n’étaient pas en mesure de reprendre le pouvoir. On en est là : de sorte que la première application de la nouvelle loi électorale va se faire dans ces conditions où la gauche a manifesté son impuissance, où la droite n’est pas encore relevée de sa défaite d’il y a six ans, et où les révolutionnaires de toutes nuances peuvent essayer de profiter de cette incohérence des anciens partis pour se frayer un chemin, pour ajouter à la confusion.

C’est de tout cela que peut sortir un inconnu assez inquiétant, à moins que la raison nationale ne suffise pour écarter le danger au jour du scrutin. Ce danger, il est bien senti au-delà des Alpes, et on a déjà cherché plus d’un moyen pour le conjurer ou l’atténuer, pour venir justement en aide à cette raison nationale qui doit avoir le dernier mot. M. Ruggiero Bonghi, préoccupé du périlleux et croissant travail des sectes révolutionnaires, proposait récemment une sorte de ligue entre les libéraux modérés de la droite et de la gauche également attachés à la monarchie de Savoie. Former une majorité nouvelle avec les hommes éclairés des deux camps qui commencent à s’effrayer des progrès ou des menées agitatrices des républicains et des irrédentistes, c’est là le but. La tentative est généreuse; seulement elle risque de rester dans la pratique un simple expédient électoral ou parlementaire qui ne résoudra rien, et le meilleur remède serait encore d’en revenir à une politique moins livrée aux passions des partis, à toutes les ardeurs des rivalités personnelles, plus conforme aux traditions et aux intérêts permanens de l’Italie.

La difficulté en politique est toujours de trouver un point d’appui, de savoir où l’on va, jusqu’où l’on veut aller, de se fixer en un mot au milieu de toutes les mobilités des partis, et l’Espagne, autant que l’Italie, quoique dans d’autres conditions et sous d’autres formes, en fait peut-être aujourd’hui l’expérience. L’Espagne, il est vrai, n’a point en perspective des élections prochaines; elle n’a pas moins sa question de gouvernement qui s’agite bruyamment, assez confusément depuis quelques semaines, qui au fond se résume toujours dans le choix d’une politique, d’une direction. Cette question, elle a même cela d’original qu’elle ne s’explique par aucun incident de parlement, par aucune circonstance précise, qu’elle est née, sinon tout à fait à l’improviste, du moins d’une manière assez arbitraire dans l’intervalle de deux sessions, dans les loisirs dont jouissent quelques chefs de parti à Madrid et à Biarritz. Expliquons le fait.

Depuis que le ministère Sagasta est entré aux affaires, il a vécu comme il était né, à la faveur d’une transaction incessante entre la fraction conservatrice représentée au pouvoir par le ministre de la guerre, le général Martinez Campos, et la fraction libérale représentée par le président du conseil, M. Sagasta lui-même. Le général Martinez Campos et quelques-uns de ses amis, conservateurs comme lui, s’étaient détachés de la précédente administration présidée par M. Canovas del Castillo et s’étaient alliés avec une certaine opposition conduite par M. Sagasta pour former une combinaison nouvelle. Ce nouveau cabinet avait pour le roi Alphonse XII l’avantage de détendre pour ainsi dire la situation, de montrer que, dans ce cadre flexible de la monarchie constitutionnelle, tous les partis légaux pouvaient passer régulièrement au pouvoir, et comme il était ou semblait être plus libéral que le ministère de M. Canovas del Castillo, il avait d’abord l’appui des libéraux, même de quelques fractions plus avancées du parlement. Il a vécu ainsi quelque temps, offrant des garanties aux conservateurs par le général Martinez Campos, tendant la main aux libéraux par M. Sagasta, s’étudiant à prolonger le plus possible la coalition qui lui avait donné naissance. Bientôt cependant s’est formé dans le congrès un petit groupe de démocrates dynastiques qui a paru recommencer vis-à-vis de M. Sagasta le rôle que celui-ci avait joué vis-à-vis de M. Canovas del Castillo. Il n’a plus appuyé le ministère, il n’a pas tardé à le harceler, à le presser d’accentuer son libéralisme, surtout de se séparer plus nettement des conservateurs, du général Martinez Campos; c’était un nouveau déplacement de pouvoir qu’il réclamait. Par le fait, ce groupe restait une minorité peu menaçante, lorsque tout s’est compliqué récemment par une sorte de coup de théâtre, par l’intervention imprévue d’un homme qui a été mêlé à toutes les révolutions de l’Espagne, le maréchal Serrano en personne. Après avoir été le chef de l’insurrection de 1868, président d’un gouvernement provisoire, régent, candidat à tous les genres de pouvoir, le maréchal Serrano semblait être rentré dans la retraite. Il n’était pas un ennemi pour la monarchie restaurée; il a, au contraire, dans ces dernières années, fait publiquement adhésion à la royauté d’Alphonse XII. Il n’était pas non plus un ami très décidé. Il faisait peu parler de lui et paraissait rester volontiers en dehors de la politique active. Depuis peu de temps, cédant sans doute aux conseils ambitieux de son entourage, il a rompu le silence; il a fait des manifestes et des programmes. Il a déclaré la guerre au ministère Sagasta, qu’il ne trouve pas assez libéral, qu’il menace de son opposition. Ce qu’il voudrait probablement, ce serait commencer par contraindre M. Sagasta à se séparer du général Martinez Campos, dans lequel il voit un ennemi. La crise une fois décidée, il serait naturellement candidat désigné à la présidence du conseil dans un nouveau ministère.

La campagne est visiblement engagée pour être continuée devant les chambres ou au palais du souverain. Qu’en sortira-t-il? A vrai dire, le maréchal Serrano n’a jamais été une forte tête, et il n’a plus, comme au beau temps de ses succès, l’éclat de la jeunesse pour briguer tous les rôles. Qu’a-t-il d’ailleurs à offrir? Il en est réduit à promettre ou à réclamer, pour le premier article de son programme, le rétablissement de la constitution de 1869, de cette constitution démocratique avec laquelle le roi Amédée lui-même n’a pu vivre. Si c’est avec cette promesse et ces perspectives que le maréchal Serrano espère gagner l’esprit du roi Alphonse XII, il pourrait se tromper dans ses calculs, et le plus curieux serait qu’après avoir prêté son nom pour aider au renversement de M. Sagasta, il ne réussît en fin de compte qu’à préparer le retour au pouvoir de M. Canovas del Castillo et des conservateurs, qui seuls aujourd’hui peuvent recueillir les fruits de cette singulière campagne.


CH. DE MAZADE.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Le marché financier n’a pas salué par un mouvement général de hausse le rapide et brillant succès obtenu par les Anglais en Égypte. Il y a quinze jours, le 5 pour 100 était à 116.45. Non-seulement le cours de 117 francs n’a pas été conquis, mais celui de 116 francs a été à deux reprises perdu et n’a pu se maintenir hier sur la cote. Une lutte très vive est engagée entre haussiers et baissiers, lutte qui trouvera son dénoûment aujourd’hui dans le sort que la réponse des primes aura fait aux vendeurs. Les cours de nos fonds publics étaient au commencement du mois très élevés, puisque les deux 3 pour 100 ont pu être compensés à 83 et 83.15, et le 5 pour 100 à 110.25. La hausse avait été l’œuvre exclusive de la haute banque, qui pensait avec raison que le plus sûr moyen de soutenir les valeurs compromises par la guerre d’Egypte était d’imprimer une impulsion vigoureuse au marché des fonds d’état. La guerre finie, il n’y avait plus de raison de pousser le 5 pour 100 à de plus hauts prix, et les réalisations qui suivent habituellement le fait accompli se sont produites.

Tel a été le principal motif de la réaction, assez légère en fait, mais inattendue, qui a frappé les rentes françaises, aussi bien le 3 pour 100 ancien et l’amortissable que le 5 pour 100, sur lequel la spéculation était surtout engagée. D’autres causes ont contribué à faire prendre à notre place une attitude calme et réservée, en ce qui concerne tout au moins les rentes et la plupart des valeurs françaises.

Nous ne parlerons pas des bruits politiques mis tour à tour en circulation, complications possibles à l’extérieur, et au dedans éventualité de la démission du président ou de la dissolution de la chambre. Ces rumeurs n’ont affecté que dans une faible mesure les dispositions du marché. Il n’en a pas été de même des commentaires dont la prochaine discussion du budget a été l’objet et surtout des appréhensions relatives au resserrement de l’argent et aux difficultés monétaires.

Toutes les graves questions qui se rattachent à l’établissement du budget de 1883 ont été soulevées au moment où les affaires d’Egypte cessaient d’absorber l’attention publique. Ce budget est en l’air. Préparé à l’origine par M. Allain-Targé, il a été remanié de fond en comble par M. Léon Say. M. Tirard le soumet en ce moment à une révision. Sous sa dernière forme, ce document se présentait comme un budget de réparation. Il s’agissait de dissiper des illusions trop complaisamment entretenues sur l’élasticité des ressources du pays, de faire connaître toute la vérité sur l’état de nos finances et de démontrer à la chambre la nécessité d’enrayer le développement des crédits supplémentaires sous peine de marcher tout droit au déficit. C’est ce qu’avait voulu le dernier ministre des finances. Cette politique sera-t-elle également celle de son successeur? On prête à celui-ci l’intention de renoncer à telle ou telle combinaison très importante qui avait été reconnue indispensable pour assurer l’équilibre. En fait, rien ne prouve que ces craintes aient quelque fondement, et il est à peine supposable, malgré tout ce qui a été écrit cette semaine sur le déficit probable de l’exercice 1883, sans parler du déficit possible de 1882, que les ventes de rentes à découvert aient été inspirées par une appréciation morose sur l’état de nos finances.

On a craint avec plus de raison le renchérissement de l’argent et L’élévation progressive du taux de l’escompte. Déjà les taux de report ont paru plus élevés à la liquidation du 15 sur les valeurs. À Londres, où la liquidation mensuelle vient de s’effectuer, la spéculation a dû payer 6 et 7 pour 100 pour se faire reporter. Tandis que, le 1er  septembre, les acheteurs de 5 pour 100 n’ont eu à payer que 14 à 15 centimes, il est déjà question de 23 à 25. Il est vrai que, dans l’intervalle, la Banque d’Angleterre a porté le taux de son escompte à 5 pour 100 et que les banques d’Amsterdam et de Berlin ont suivi l’exemple. Mais il ne pouvait surgir un sérieux danger d’embarras monétaires que si la Banque de France procédait à son tour à une mesure analogue. Or le taux d’escompte de cet établissement est resté immobile, et rien n’annonce que cette situation doive se modifier dans un délai rapproché. Depuis quinze jours, l’écart de 1 1/2 pour 100 entre le taux de Londres et celui de Paris n’a fait perdre qu’une dizaine de millions en or à la Banque de France sur le milliard qu’elle détenait dans ses caisses. Le montant de sa circulation ne s’est accru que dans de minimes proportions, et si le portefeuille, dans le bilan d’hier, accuse une augmentation de 70 millions, il ne s’agit là que d’un gonflement passager qui se produit à la fin de chaque mois et dont il ne reste pas de traces au bilan suivant.

La Banque de France ne pourrait donc être amenée à élever le taux de l’escompte que si la Banque d’Angleterre se voyait contrainte, par suite d’assauts redoutables portés à sa réserve, de recourir à un taux de 6 ou même de 7 pour 100, ce qui pour l’instant ne paraît nullement probable.

Malgré les préoccupations, peu vives au surplus, que cause l’état du marché monétaire, le parti de la hausse aurait peut-être eu gain de cause pendant la dernière semaine du mois, si une baisse importante des valeurs de la compagnie de Suez n’avait étouffé toute velléité de progression, en causant au marché une véritable surprise. On assure que plusieurs milliers d’actions ont été vendues dans l’espace d’une seule bourse sans que l’on pût décider si cette vente n’avait d’autre objet que de forcer l’abandon de nombreuses primes ou si elle devait avoir pour épilogue une livraison de titres. La vente a été d’ailleurs expliquée par un article du Times menaçant la compagnie actuelle de la concurrence d’un second canal que les Anglais creuseraient parallèlement au premier et par lequel passeraient tous les bâtimens de nationalité britannique. Les porteurs de titres ont surtout vu derrière cette menace l’éventualité de négociations pouvant aboutir à une réduction des tarifs actuels et, par conséquent, à une diminution des recettes. D’ailleurs, les actions de Suez ont toujours été cotées à des prix bien supérieurs à ceux qu’auraient justifiés les prévisions les plus optimistes sur la rapidité de la progression du rendement. Même à 2,590, ces titres paraîtront bien payés si l’on tient compte du revenu probable de 1882. Ce mouvement de recul n’en a pas moins rendu plus circonspects les spéculateurs qui auraient été tentés de s’engager sur d’autres valeurs.

Les titres les plus favorisés depuis le 15 courant ont été les obligations de la dette égyptienne, la rente turque et la Banque ottomane. La première a gagné près de 15 francs, le Turc s’est élevé de 12,45 à 12.80, la Banque de 772 à 795 francs. Les achats sur l’obligation unifiée paraissent d’excellente qualité; on ne doute pas à Londres que le prochain coupon ne soit intégralement payé. Les acheteurs de Banque ottomane pensent que cet établissement ne tardera pas à procéder, avec le concours des principaux établissemens de crédit de Paris et de grandes maisons de Londres, de Vienne et de Berlin, à l’émission des titres représentatifs de l’annuité privilégiée, réservée sur les produits de l’administration des six contributions indirectes à Constantinople, et servant de garanties aux créances de la Banque ottomane sur le trésor turc. Il est en outre question d’une solution imminente de l’affaire de la régie des tabacs, et d’une très importante combinaison relative aux titres spéciaux connus sous le nom d’obligations des Chemins ottomans. Si ces projets voient le jour, et il faut pour cela que le marché financier soit bon en octobre, une hausse générale des valeurs turques en sera le prélude naturel.

Le marché des titres des institutions de crédit a été peu animé pendant les deux dernières semaines. La Banque de France ne dépasse pas 5,419 à 5,430 francs, parce qu’on ne sait plus quand le taux de l’escompte pourra être élevé. Le Crédit Foncier se tient immobile à 1,525; le conflit avec la Banque hypothécaire n’a pas avancé vers sa solution: celle-ci prétend que les actionnaires ne doivent verser que 85 francs par titre; celui-là persiste à réclamer 117 francs. On ne sait encore s’il y aura procès ou arbitrage. Le Crédit lyonnais se tient à 635 environ; la Société générale est ferme à 655, ainsi que la Banque d’escompte à 600 et la Banque franco-égyptienne à 680. La Banque des pays autrichiens a retrouvé la faveur du public grâce aux relations qu’elle a nouées avec le Comptoir d’escompte pour diverses opérations en Serbie; la Banque des pays hongrois s’est avancée dans le sillon tracé par la première. Le Crédit mobilier espagnol a baissé de près de 60 francs en quelques jours. Les beaux temps de cette valeur de jeu par excellence sont passés. Il s’est produit pendant la quinzaine une certaine réaction sur les titres des Chemins français, que la spéculation délaisse de plus en plus. La hausse a été arrêtée sur les Chemins autrichiens et sur les Lombards. Le Nord de l’Espagne a fléchi de 25 francs.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.