Chronique de la quinzaine - 30 septembre 1841

Chronique no 227
30 septembre 1841
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 septembre 1841.


L’ordre paraît enfin se rétablir et dans Paris et dans les départemens. Des rassemblemens séditieux ne viennent plus porter le trouble et l’inquiétude dans les quartiers les plus populeux et les plus industrieux de la capitale, et les opérations du recensement s’accomplissent désormais dans toutes les communes du royaume sans que l’autorité publique ait à soutenir des luttes sanglantes avec la révolte, et à vaincre à tout prix de coupables résistances.

Il n’est pas moins vrai que le nombre et la coïncidence des faits qu’on a eu à déplorer, ont jeté dans les esprits de vives alarmes qui contrastent avec la joie mal déguisée des ennemis de nos institutions et de la royauté de juillet. On se demande avec anxiété si toutes ces atteintes à la paix publique et ces luttes qui ont ensanglanté plus d’une ville, et l’attentat du 13 septembre, ne sont pas des manifestations de la même cause, des scènes du même drame ; s’il ne faut pas y reconnaître une pensée unique, une vaste organisation, l’annonce des combats qu’on veut à tout prix livrer à la monarchie, à la propriété, à l’ordre social.

Sans les partager entièrement, nous concevons ces alarmes et ces craintes. Il y a en effet un grand désordre dans les esprits. Les doctrines les plus folles, les projets les plus criminels, même les plus absurdes, circulent, à l’aide des sociétés secrètes et d’un apostolat très actif, parmi les travailleurs. Il est impossible qu’à la longue ces hommes résistent tous aux appâts qu’on leur offre, aux tentations dont on les entoure. Leur instruction suffit pour comprendre le nouvel évangile qu’on leur prêche ; elle ne suffit pas pour en démêler les erreurs et en réfuter les sophismes. Pour comprendre les principes et les résultats de la révolution sociale qu’on voudrait substituer à la glorieuse révolution de 1789, les mauvaises passions viennent en aide à l’intelligence, tandis que, pour reconnaître tout ce que ces projets renferment à la fois de chimérique et de criminel, il faudrait ou des croyances qu’on n’a plus, ou bien une fermeté d’esprit et une sûreté de raisonnement qu’on n’a pas encore. Nous sommes dans une transition des plus difficiles. Nous ne sommes plus au nombre de ces pays où la multitude accepte l’ordre social sans examen, sans discussion, par cela seul qu’il existe, qu’il a été fondé par des hommes dont elle ne conteste ni les lumières ni le droit ; bref, nous ne sommes plus de ces pays où l’ordre établi est un article de foi. La soumission aveugle n’est plus de notre temps. D’un autre côté, l’obéissance raisonnée, par conviction acquise, suppose une instruction, des connaissances, des habitudes qui ne sont pas encore complètes et générales chez nous, qui manquent surtout dans les classes ouvrières. On en sait assez pour vouloir examiner : on n’en sait pas encore assez pour bien juger, pour ne pas s’égarer dans ce périlleux examen.

Voyez ce que les perturbateurs ont pu faire croire aux populations à l’occasion du recensement. Les fables les plus absurdes, les plus sottes inventions ont trouvé des esprits crédules, et peu s’en est fallu que les artifices les plus grossiers ne devinssent un moyen efficace de sédition et de révolte. Ajoutez l’aveuglement de l’esprit parti et les encouragemens que des hommes qui en seraient les premières victimes paraissaient donner aux projets et aux tentatives des prolétaires, toujours avec l’espérance, tant de fois démentie, de pouvoir à son gré diriger et contenir le torrent dont on a brisé toutes les digues, et vous concevrez sans peine les alarmes et les craintes qui agitent dans ce moment les esprits les plus sérieux.

Il est deux sortes de moyens à opposer à ce désordre, les moyens immédiats, topiques, et les moyens lents, mais d’une efficacité plus certaine encore. Les remèdes topiques se résument tous en ceci : l’application prudente et ferme des lois en vigueur. Le gouvernement peut y trouver tous les moyens de défense qui lui sont nécessaires. Il n’a besoin de rien de plus.

Les remèdes plus lents sans doute, mais plus efficaces, ne peuvent se trouver que dans l’éducation morale et religieuse du peuple. Dussions-nous être accusés de lieux communs, il nous est impossible de ne pas insister sur la nécessité de donner à la classe laborieuse une instruction solide, propre à la mettre en garde contre les mauvaises passions qui chercheront toujours à l’agiter et à l’égarer. C’est par l’éducation seulement qu’on obtiendra cette obéissance raisonnée à la loi, ces habitudes d’ordre et de légalité qui remplacent l’obéissance passive chez les peuples que l’esprit de notre temps a déjà remués et éveillés. Comment espérer que de funestes enseignemens ne soient pas suivis de résultats déplorables, si d’un côté ils s’adressent aux passions les plus actives et les plus haineuses, et si d’un autre côté on ne travaille pas suffisamment à éclairer l’intelligence et à développer les nobles instincts des hommes qu’on cherche à égarer.

Nous sommes loin de méconnaître tout ce que le gouvernement de juillet a fait pour l’instruction du peuple. Il a pris une grande et noble initiative ; il n’a épargné ni soins ni dépenses ; les hommes éminens qui se sont succédés au département de l’instruction publique ont fait de l’instruction primaire l’objet principal de leurs plus vives sollicitudes. Nous avons la plus grande confiance dans les vues élevées et dans l’habileté gouvernementale de M. Villemain ; mais, quels que soient la puissance et le zèle du chef de l’instruction publique, nul ne peut se flatter d’accomplir, uniquement par les voies officielles, ce grand travail de l’éducation populaire. Il faut le concours persévérant, efficace, de tous les hommes intéressés au maintien de l’ordre social, propriétaires, manufacturiers, commerçans, hommes de science. L’éducation peut revêtir les formes les plus diverses, pénétrer dans les esprits par mille voies, par l’enseignement direct comme par l’imitation, par l’exemple. L’éducation des enfans se développe et se perfectionne, plus encore que par l’instruction proprement dite, par leurs communications incessantes avec leurs parens, leurs maîtres, leurs supérieurs. L’éducation des classes laborieuses ne peut se faire que par des moyens analogues. Elle ne peut être l’œuvre d’un jour, elle n’est pas l’accomplissement d’une tâche purement matérielle. Elle doit être un des grands buts de notre vie sociale à tous, la mission des classes éclairées. Tout les y convie : le devoir et l’intérêt. Elles ont à choisir entre l’ordre et la sûreté d’un côté, de l’autre le désordre et des périls de jour en jour renaissans.

Au surplus, ces périls ne sont pas à beaucoup près aussi redoutables et aussi graves qu’on pourrait l’imaginer sous l’impression douloureuse de certains faits. Sans doute le bouleversement total de la société, l’abolition de la propriété, du mariage, de la famille, sont le but que se proposent les hommes qui cherchent à égarer les classes laborieuses. Ce n’est pas là un secret. Ces doctrines ont été publiées sous plus d’une forme ; c’est une lumière sinistre qui n’a pas été tenue sous le boisseau.

Heureusement ce n’est pas en France qu’on peut craindre une vaste et puissante propagation de ces doctrines. C’est un des bienfaits de la révolution de 1789, de cette révolution qui a donné à la France des millions de propriétaires, que d’avoir renfermé l’esprit d’innovation dans des limites infranchissables. Désormais, si les réformes sont possibles, les révolutions sociales ne le sont plus. Sans compter les autres propriétaires, il est en France cinq millions de familles, plus de vingt millions d’individus intéressés au maintien de la propriété territoriale. Que les économistes discutent à leur aise sur la grande et la petite propriété, sur la grande et la petite culture, sur le produit net et le produit brut, toujours est-il qu’au point de vue de l’homme d’état, la division des propriétés est aujourd’hui la première sauve-garde de l’ordre social. C’est une digue contre laquelle toutes les irruptions de la démagogie viendront se briser. Les hommes qui imaginent certains bouleversemens ne sont pas moins aveugles que ceux qui ne cessent de rêver le rétablissement de l’ancien régime. La France d’aujourd’hui ne ressemble pas plus à la France de 1793 qu’à la France de Louis XIV. Les lettres de cachet et le maximum, les dragonnades et le tribunal révolutionnaire sont également impossibles.

Est-ce à dire que, rassurés ainsi sur l’issue définitive de ces coupables efforts, il faille se croiser les bras, laisser faire, s’endormir ? Nul ne le pense. Les tentatives désespérées ne sont pas les moins violentes ni les moins nuisibles à l’ordre public. Ceux qui s’aveuglent sur le but peuvent d’autant plus s’aveugler sur la criminalité des moyens. La société doit se défendre. Il ne lui suffit pas de vivre ; elle a le droit de vivre en paix. Seulement il ne faut pas qu’elle exagère ses craintes. Elle a pour elle la force et le droit. Que le pouvoir unisse la prudence à la fermeté, la vigilance à l’esprit de suite, et il trouvera dans les lois existantes et dans l’union de tous les amis de nos institutions et de l’ordre public tout ce qu’un gouvernement éclairé et régulier peut désirer de force et de moyens.

La question du désarmement occupe toujours les esprits, et, si on en croit le bruit public, elle n’occupe pas moins le conseil des ministres. Elle occupe aussi la presse anglaise, qui s’évertue à prouver que la France doit, avant tout, désarmer sa flotte. C’est bien là une gaucherie britannique, car, en supposant que nos ministres eussent eu la pensée de diminuer nos armemens maritimes, cette insistance étrangère devrait suffire pour leur faire ajourner tout projet de cette nature. Ils ne voudraient pas avoir l’air de céder à des injonctions anglaises.

Au reste, nous sommes loin d’affirmer que le cabinet ait eu la pensée de désarmer en tout ou en partie notre flotte. Loin de là ; nous aimons à croire qu’il reconnaît avec tout le monde que nos armemens maritimes sont loin d’être au-dessus de nos stricts besoins en temps de paix. Maîtres de l’Algérie, obligés de surveiller Tunis, de ne pas perdre de vue l’Orient, toujours agité et mécontent, de protéger nos colonies, notre commerce dans les parages les plus éloignés, nous ne pourrions réduire notre budget de la marine sans compromettre les intérêts et la dignité du pays. Nous sommes convaincus que c’est là l’opinion du brave amiral qui dirige le département de la marine, et dont l’avis doit être d’un si grand poids en cette matière. La France, malgré la vaste étendue de ses côtes, manque de matelots ; la population maritime ne pénètre pas assez avant dans les terres, et, il faut le dire, notre commerce de mer n’est pas encore en état de recruter des marins, d’en former un grand nombre, soit par l’importance de ses expéditions, soit par les appâts qu’il pourrait offrir aux hommes qui seraient disposés à s’embarquer. C’est par les navires de l’état, par leurs équipages, que nous pouvons étendre dans notre population les habitudes de la vie de mer, ces habitudes qui ne s’acquièrent pas dans un jour. Un matelot ne s’improvise pas comme un fantassin. Sans doute cet état de choses peut changer avec le temps. Nous appelons de tous nos vœux le jour où notre commerce maritime prendra le développement qui convient aux intérêts de la France. Mais ce n’est point par des vœux stériles que peut se réaliser ce grand progrès, ce progrès auquel tout nous appelle, et qui cependant se trouve entravé par de nombreux obstacles. Tant que nos lois de douanes resteront ce qu’elles sont, tant que nous n’aurons pas profondément réformé nos règlemens maritimes, nous aurons le chagrin de voir notre marine marchande se traîner en troisième et quatrième ligne parmi les marines marchandes du monde. Il est même d’importantes navigations qui sont presque nulles pour nous. Que le jour vienne où notre commerce maritime pourra librement et puissamment se développer, où nos ports seront remplis de bâtimens de notre commerce, et ces bâtimens de matelots français, — où, le cas échéant, nos vaisseaux de guerre pourront d’un instant à l’autre appeler à leur bord des équipages instruits et suffisans, et alors, mais alors seulement, nous pourrons diminuer nos armemens effectifs et confier au commerce des matelots que nos flottes pourraient toujours retrouver. Aujourd’hui le désarmement rendrait un grand nombre de ces hommes à la vie des champs et aux ateliers. Ce ne serait pas seulement désarmer, ce serait s’affaiblir. Si des réductions sont nécessaires, répétons-le, elles ne peuvent s’opérer sans trop d’inconvéniens que dans l’armée de terre et en particulier dans l’effectif des fantassins.

Une nouvelle campagne va commencer en Afrique. Nous devons en attendre les plus heureux résultats. Les affaires de l’Algérie ont été conduites cette année avec une prévoyance, une activité et un esprit de suite que nous nous plaisons à reconnaître, et dont il faut savoir gré et au cabinet qui a fourni les moyens, et à M. le gouverneur-général qui a su les employer avec une grande habileté. L’autorité de la France commence à pénétrer parmi les Arabes ; nous luttons avec succès contre Abd-et-Kader sur son propre terrain. Les nouveaux échecs qui l’attendent achèveront peut-être de détruire son influence morale, et par là sa puissance politique et militaire. M. Bugeaud aura obtenu un beau succès, un succès peut-être décisif, si on sait en tirer parti, si on ne s’arrête pas tant qu’il restera quelque chose à faire pour asseoir notre domination en Afrique. Il est sans doute d’une bonne politique d’opposer à Abd-el-Kader des chefs arabes dont l’influence nous soit acquise, et des troupes indigènes combattant sous les drapeaux de la France. Disons cependant que c’est là une partie à jouer avec réserve et habileté. Il ne faudrait pas que la chute de l’émir fût suivie de l’élévation d’un autre chef, d’autant plus redoutable qu’il aurait été formé à notre école, et qu’il connaîtrait mieux le fort et le faible de notre système de guerre. Des velléités d’indépendance et de résistance peuvent toujours fermenter dans l’esprit des indigènes, tant qu’ils n’auront pas la profonde conviction de notre établissement définitif en Afrique, conviction que la colonisation peut seule leur donner. Il faut, si on peut le dire, qu’une forte ceinture européenne les entoure et les contienne. L’Arabe n’est un ami sûr que le jour où il a perdu l’espérance de pouvoir être un ennemi heureux. Tant que les indigènes ne verront en Afrique que des soldats, ils pourront toujours croire qu’une guerre en Europe ou toute autre combinaison politique peut un jour nous décider à évacuer l’Algérie. Cette pensée disparaîtra lorsqu’une population proprement dite sera établie sur notre sol africain, et qu’il y aura une véritable Algérie française. Sous ce point de vue, des colons français seraient préférables à des colons étrangers. Les Arabes n’en seraient que plus convaincus de la ferme détermination où nous serions de conserver à tout prix nos possessions africaines.

Ainsi que nous l’avions prévu, de grandes difficultés se sont élevées dans le cours des négociations commerciales entamées avec la Belgique. Tout paraît suspendu pour le moment. On a reconnu que les points capitaux, tels par exemple que l’introduction des fers, exigeaient des enquêtes et un examen plus approfondi. C’est un moyen dilatoire, car l’enquête n’apprendra rien qu’on ne sache déjà. Le fait est que le moment est des plus inopportuns pour jeter sur notre marché une profonde perturbation. Si aucune perturbation ne devait avoir lieu, le traité serait insignifiant, et la Belgique n’aurait alors qu’en faire. Est-ce à dire que la pensée de ce traité soit mauvaise en elle-même ? Nullement. Ce traité, même à le considérer sous le point de vue purement économique, peut nous être un utile acheminement vers un système dans lequel il faudra entrer un jour. Seulement, il ne faut pas se faire des utopies ; il ne faut pas s’imaginer que le système prohibitif puisse être profondément modifié sans trouble, sans perte, sans souffrance pour personne. La question est donc toute politique pour nous ; c’est une question de prudence, de prévoyance, d’opportunité. Ces sacrifices, ces souffrances, est-ce en ce moment qu’il faut les imposer aux producteurs intéressés dans la question, soit comme capitalistes et entrepreneurs, soit comme travailleurs ? M. le ministre des affaires étrangères a sagement fait en ralentissant le cours d’une négociation dont les avantages économiques et politiques ne pourraient pas, dans ce moment, balancer les inconvéniens.

Les Anglais ont enfin évacué Saint-Jean-d’Acre. Nous devons en féliciter le gouvernement, surtout si Beyrouth a été aussi évacué, s’il ne reste plus de forces anglaises en aucun point de la Syrie. Il ne fallait pas que le traité du 13 juillet eût pour commentaire l’occupation par les Anglais de quelques-unes des possessions rendues à la Porte.

Si on doit ajouter foi aux nouvelles répandues ces jours derniers, il se passe d’étranges choses aux États-Unis. Une population violente et féroce ne connaît d’autre loi que son caprice. Des hommes lui paraissent-ils coupables ? elle s’empresse, sans autre forme de procès, de les noyer ou de les brûler, et cela en pleine paix, sans passion, et sans que les magistrats osent intervenir et réprimer ces horreurs. Le président veut-il user de ses droits constitutionnels ? on s’emporte contre lui, on l’outrage, on l’accuse de ruse, de perfidie, que sais-je ? Le midi s’élève contre le nord, les populations du nord insultent à celles du midi. Triste spectacle, mais qui ne doit pas étonner ceux qui ont étudié l’organisation sociale et politique de ce pays. Il renferme sans doute de nombreux élémens de grandeur et de prospérité : il a fait de grandes choses, et il pourrait en faire encore. Mais depuis quelques années il s’y développe un esprit funeste, un esprit de violence et de désordre, dû sans doute, en grande partie du moins, à ces populations adventices qui s’agglomèrent si rapidement dans les divers points de l’Union, et qui n’ont ni les réminiscences, ni les traditions, ni les idées, ni les mœurs, des fondateurs de la liberté américaine. En présence de ce peuple nouveau, qui n’a qu’une pensée, qu’un but, le gain, et pour qui la vie humaine n’est qu’un moyen et n’a rien de sacré, le pouvoir est sans force, et n’est lui-même qu’un instrument dans la main de la multitude. Il est difficile de ne pas craindre une crise aux États-Unis, plus difficile encore de dire quelle sera cette crise. Peut-être, ainsi que cela arrive souvent dans les choses humaines, le bien sortira-t-il de l’excès du mal. La France ne peut que faire des vœux bien sincères pour que les discordes s’apaisent, que les lois reprennent leur empire, et que l’Union retrouve cette assiette noble et digne qui l’avait placée si haut dans l’estime des nations.

La diète suisse, n’ayant pu rien terminer relativement aux affaires d’Argovie, s’est ajournée au 25 octobre. Sera-t-elle plus heureuse à cette époque ? Pourra-t-elle enfin se débarrasser d’une question qui touche aux deux religions qui se partagent la Suisse, qui agite les partis, et qui, à tort ou à raison, attire sur elle les regards des gouvernemens étrangers ? Malheureusement, au point où en sont les choses, toute décision paraît impossible, à moins que l’une ou l’autre des opinions extrêmes ne fît un noble sacrifice dans l’intérêt de la commune patrie. Ce bel exemple a été donné par le parti radical en 1833 ; il est juste de le rappeler à son honneur. Le renouvellera-t-il aujourd’hui ? Si les opinions extrêmes persistent dans leur avis, comme elles réunissent à elles deux 13 voix, il ne reste aux opinions intermédiaires que 9 voix : c’est dire que toute majorité en faveur d’une mesure de conciliation est impossible.

L’essentiel est de savoir si un nouveau délai ne deviendra pas une cause de trouble, nous ne voudrions pas dire de guerre civile. Dans un autre pays que la Suisse, avec les mêmes élémens de désordre, l’affirmative ne serait guère douteuse. Les Suisses sont de tous les peuples le moins soudain et le moins inflammable. C’est une nation accoutumée aux délais ; la médecine expectante lui convient. Il est donc possible que la paix publique ne soit pas troublée par un nouvel ajournement. Au 1er janvier, la présidence de la diète est dévolue au second avoyer de Berne, M. de Tscharner. Le président actuel, homme d’esprit, instruit, courageux, appartient à l’une des opinions extrêmes, à l’opinion radicale ; le rôle de conciliateur lui est impossible. C’est un inconvénient dans une assemblée où rien ne peut se faire, absolument rien, que par d’habiles transactions. M. de Tscharner est moins engagé dans la question, et, s’il ne peut pas modifier le vote de son canton, il peut du moins apporter dans la discussion un esprit de conciliation, et solliciter, comme président, un résultat utile au pays.

Le voyage du roi de Prusse à Varsovie paraît avoir attiré l’attention de quelques hommes politiques. Cependant une visite de quelques heures, employée à des revues, ne laisse pas supposer des négociations bien importantes.