Chronique de la quinzaine - 14 octobre 1841

Chronique no 228
14 octobre 1841
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 octobre 1841.


L’Espagne est encore une fois le théâtre d’une lutte sanglante entre les partis qui l’agitent et la déchirent. Espartero n’a pas tardé à apprendre que le pouvoir n’est pas une tente dressée pour le sommeil. À peine avait-il commencé à goûter ce repos superbe qu’on croit trouver dans les pompes de la royauté, que l’orage, éclatant au sein même du palais des rois, a frappé de terreur cette enfant dont Espartero a voulu se faire le protecteur. Le sang a coulé à Madrid comme dans les provinces. C’est une lutte qu’il était facile de prévoir, et qu’Espartero n’a aucun moyen de terminer par une victoire décisive de son parti.

La question est si simple, que toute illusion nous paraît impossible. Espartero est le représentant d’un parti extrême, et par cela même d’un parti peu nombreux, d’une faible minorité. Il a profité de la lassitude du pays, de l’indolence de la majorité. Il s’est élevé au pouvoir en prenant ses points d’appui d’un côté dans l’armée, de l’autre chez l’étranger, en Angleterre.

Arrivé au faîte par une révolte militaire, Espartero est resté le chef nominal d’un parti, l’instrument des exaltés, l’homme de l’Angleterre ; il n’avait rien en lui de ces grandes qualités qui transforment rapidement en chef de l’état le soldat parvenu, le soldat heureux. Pour faire ainsi oublier son origine et les moyens dont on s’est servi, pour s’imposer à l’admiration, à la reconnaissance et en quelque sorte au culte du pays, il faut être César, Napoléon, Cromwell : avec moins d’éclat, ce dernier était peut-être le plus puissant et le plus habile des trois. Espartero a sans doute beaucoup de bravoure personnelle : sur le champ de bataille, il paie noblement de sa personne. Mais d’ailleurs qu’a-t-il fait ? Quels sont ces grands exploits, ces victoires éclatantes qui auraient changé la face des choses et placé le vainqueur fort au-dessus de tous ses égaux ? Il n’y a pas un général de brigade de la république ou de l’empire dont la vie militaire ne soit plus remarquable que la sienne. Aussi, lorsque, l’an dernier, il donnait à Barcelone une méchante contrefaçon du 18 brumaire, le pays l’a laissé faire, mais il n’a pas accepté son ouvrage.

Le premier étonnement une fois passé, chacun a regardé autour de soi et a vu avec surprise l’œuvre qui venait de s’accomplir. Le parti modéré a dû se reprocher amèrement sa coupable insouciance, ce déplorable égoïsme personnel qui a souvent aveuglé les majorités, qui leur ôte toute vue d’ensemble et toute puissance d’action. Le parti légitimiste, trop convaincu désormais de la profonde incapacité de don Carlos, a pu craindre que le principe monarchique lui-même ne se trouvât compromis en Espagne par l’avènement du parti exalté, et plus d’un carliste a dû se dire qu’après tout la question de la monarchie devait l’emporter sur la querelle de la succession.

D’un autre côté, pouvait-on ne pas voir que l’élévation d’Espartero avait profondément blessé plus d’un de ses compagnons d’armes ? que les faveurs accordées à certains corps de l’armée étaient une offense pour les autres ? qu’Espartero n’avait pas cette puissance morale qui dompte les égaux et fanatise les inférieurs ?

Instrument d’un parti, Espartero avait dû en suivre les inspirations, et n’avait pu s’élever à aucune de ces grandes mesures qui, en réorganisant un pays, l’enchaînent dans les liens de la reconnaissance, et lui font oublier l’illégalité des procédés par l’utilité des résultats. Si Espartero avait pu imiter le général Bonaparte faisant violence à la loi, il était hors d’état d’imiter le premier consul. Aussi, tandis que, par une mesure digne d’éloges, il rappelait en Espagne les carlistes, les modérés, effrayés des tendances révolutionnaires du pouvoir, quittaient le sol de l’Espagne ; le clergé s’irritait de plus en plus contre le nouvel ordre de choses, et le gouvernement, désespérant désormais d’obtenir le concours du pays, s’appliquait d’autant plus à épurer l’armée et à mériter les bonnes graces de l’Angleterre.

On dit qu’en même temps il avait fini par prêter l’oreille aux ouvertures qui lui avaient été faites par les agens de l’infant don François de Paule. L’infant aurait demandé une part dans la tutelle de la reine Isabelle, le mariage de la reine avec le duc de Cadix, fils de l’infant, et quelques autres concessions moins importantes. On ajoute qu’Espartero, après avoir long-temps repoussé ces propositions, avait en dernier lieu changé d’avis, et envoyé en France M. de Hoyos pour régler les points préliminaires et ramener en Espagne la famille de l’infant. La résolution d’Espartero paraît s’expliquer facilement. D’un côté, le mariage de la reine avec le duc de Cadix est un des projets de l’Angleterre à l’égard de l’Espagne. De l’autre, Espartero n’est plus, dit-on, en bonne intelligence avec Arguelles, et ne serait pas fâché de pouvoir, sous le nom de l’infant, s’emparer en réalité de la tutelle ; enfin, ne pouvant pas ignorer la répugnance qu’il inspire aux Espagnols attachés aux traditions monarchiques, il lui semble utile de s’allier à un prince du sang, et d’opposer le nom d’un infant à celui de la reine Christine.

Tous ceux qui connaissent (et qui ne la connaît pas aujourd’hui ?) l’histoire des émigrations et des partis politiques, n’ont dû éprouver aucun étonnement en apprenant qu’au milieu de ces circonstances et de ces intrigues, une nouvelle tentative de guerre civile a été faite en Espagne. Il fallait même un pays comme l’Espagne, il fallait ces habitudes de nonchalance et de lenteur qui distinguent nos voisins, pour qu’Espartero ait pu jouir paisiblement du pouvoir pendant une année tout entière. En France, un pouvoir comme le sien, n’ayant d’autre appui que la faveur d’un gouvernement étranger et quelques régimens, en supposant qu’il eût pu s’établir, n’aurait pas vécu trois mois.

On a dit, on dira encore, que ce mouvement doit être en grande partie attribué à notre gouvernement. Hélas ! il ne mérite ni cet éloge ni ce reproche. C’est le cas de dire : je n’en sais rien, mais j’en suis certain. Notre gouvernement ne cherche pas le mouvement ; il n’en produit nulle part, dans aucun sens. On le sait bien. Pour les uns, cette réserve est une preuve d’habileté ; pour les autres, elle n’est qu’une marque d’impuissance. Les uns vous disent que c’est ainsi qu’on laisse à l’ordre établi le temps de pousser des racines, et de grandir ; les autres répondent que la plante, se trouvant ainsi privée de toute nourriture, ne peut avoir ni sève ni racines. Laissons cette polémique désormais épuisée, fastidieuse, et exagérée dans l’un et dans l’autre sens. Toujours est-il qu’il faudrait les preuves les plus irrécusables pour croire que notre gouvernement est sorti de son rôle de spectateur à l’égard de l’Espagne.

Nous le disons sans détours, et plus volontiers encore aujourd’hui que, les évènemens de Madrid ayant tourné à l’avantage d’Espartero, nous n’avons pas l’air de venir au secours du vainqueur ; si notre gouvernement avait fait ce qu’il n’a pas fait, s’il avait en réalité contribué à renverser en Espagne un pouvoir qui est hostile à la France et tout dévoué à l’Angleterre, un pouvoir qui est, au vu et au su de tout le monde, sous la tutelle de l’ambassade anglaise, au lieu de lui en faire un reproche, peut-être oserions-nous l’en louer hautement. Nous concevons une parfaite inaction, une froide neutralité dans les débats intérieurs des nations voisines, lorsque tous les gouvernemens se renferment dans la même ligne et s’abstiennent de toute intervention matérielle ou morale. C’est là le droit, c’est là la justice. Mais lorsqu’un gouvernement de parti se livre à une influence étrangère, lorsque cette influence est visiblement contraire aux intérêts français, faut-il que la France aide par son adhésion morale ce gouvernement à s’établir, à se consolider ? et tandis que l’Angleterre seconde ouvertement en Espagne le parti exalté, il nous serait interdit à nous, France, de seconder le parti modéré !

Quoi qu’il en soit, notre gouvernement, fidèle à ses principes trop négatifs, a poussé la neutralité jusqu’au scrupule. Il n’a pas empêché l’infant don François de Paule de pénétrer en Espagne et de porter à Espartero le secours de son nom et de son titre monarchique, et, docile aux représentations de l’ambassadeur espagnol, il a donné l’ordre d’interner les légitimistes qui se trouvaient près de la frontière.

Quelle sera l’issue de la lutte du parti modéré, livré ainsi à lui-même, avec le parti exalté, soutenu par l’Angleterre ? Probablement Espartero triomphera de cette première attaque ; son pouvoir et son existence politique n’en seront pas moins ébranlés. La raison en est simple. L’appui d’Espartero en Espagne était l’armée : la révolte de plusieurs régimens lui ôte le seul prestige dont il était entouré ; aujourd’hui plus que jamais le régent n’est qu’un homme de parti ; il aura beau parler au nom de l’Espagne et de l’armée espagnole, personne n’ajoutera foi à ses paroles.

Les circonstances où il se trouve sont des plus difficiles. Les principes de l’insurrection ont pénétré jusque dans le régiment de Luchana. On assure qu’Espartero ne peut compter que sur un des bataillons de ce régiment.

Avec le caractère espagnol, une défaite n’est jamais décisive. Battus aujourd’hui, les insurgés recommenceront demain. Les supplices irritent et n’effraient personne. Le fameux no importa s’applique à tout. Souffrir pour un Espagnol n’est pas une raison de se tenir tranquille, mais bien de se préparer froidement à faire endurer à son ennemi des souffrances encore plus aiguës. Le dé est jeté : Espartero n’est plus qu’un chef dont on veut se débarrasser.

Connaissant la gravité de sa situation, Espartero doit s’irriter. D’ailleurs, les hommes naturellement faibles et qui ne deviennent actifs que par accès, sont ordinairement emportés et violens dans leurs ressentiments. On a répandu le bruit d’exécutions sanglantes et précipitées qui auraient eu lieu à Madrid. Le ciel nous préserve d’imputer à qui que ce soit des faits atroces sans preuves suffisantes. Nous espérons qu’Espartero n’a pas oublié que le caractère essentiel de tout gouvernement qui se prétend régulier, c’est la justice. Mais, disons-le, nous craignons qu’il ne se laisse emporter par le sentiment des périls dont il est entouré et par la violence de son parti.

On doit aussi s’attendre à le voir se jeter de plus en plus dans les bras du gouvernement anglais. Plus il sentira sa faiblesse au dedans, plus il cherchera force et protection au dehors. L’Angleterre saisira avec plus de cupidité que d’habileté cette bonne fortune, et le sentiment national de l’Espagne en sera profondément blessé.

Est-ce à dire que de l’ensemble de ces circonstances on puisse conclure la chute certaine d’Espartero, le triomphe prochain du parti modéré ? Nullement. L’Espagne est faite pour déjouer toutes les prévisions et tromper toutes les attentes.

Trois partis la divisent, et, comme on l’a dit mille fois, aucun de ces partis ne paraît encore en état de prendre définitivement possession du pays. Le parti exalté est trop peu nombreux et trop opposé par ses tendances et par ses projets à l’esprit et aux opinions des masses. Il en est de même dans un autre sens du parti carliste. Le parti modéré est sans contredit le plus nombreux et celui dont les principes et les vues pourraient rallier la majorité des Espagnols. Malheureusement ce parti manque de cohésion, de dévouement, d’énergie. Il se subdivise en nuances rivales et qui se méfient les unes des autres. Il n’a rien fait encore d’important, et il paraît aussi fatigué, aussi las que s’il avait soutenu les luttes les plus acharnées et les plus longues.

En présence de ces faits, il est impossible de ne pas se livrer pour l’Espagne aux plus sinistres prévisions ; il est difficile de ne pas craindre pour elle le renouvellement de la guerre civile, et toutes les souffrances et toutes les horreurs qu’elle entraîne. Les partis énergiques sont des partis extrêmes, et par cela même peu nombreux. Le parti modéré, qui aurait pour lui les forces matérielles et morales du pays, n’a pas montré jusqu’ici la ferme volonté de les employer utilement. Il a succombé, parce qu’il n’a pas eu le courage de combattre ; il s’est débandé, parce qu’il n’a pas su s’organiser pour la résistance.

En sera-t-il autrement aujourd’hui ? Nous avons peine à le croire. Le pouvoir d’Espartero nous paraît ébranlé jusque dans ses fondemens : nous ne pensons pas qu’il puisse se raffermir et avoir une longue durée. Est-ce à dire que sur ses ruines puisse s’élever un pouvoir durable et sérieux ? L’Espagne peut voir recommencer une longue suite de troubles, une de ces guerres civiles dont nul ne peut dire d’avance les phases ni assigner le terme.

C’est là le principal argument qu’on fait valoir en faveur d’Espartero et de son gouvernement. L’Espagne, dit-on, était tranquille, elle avait retrouvé un peu de repos ; pourquoi le troubler ? À qui ce reproche s’adresse-t-il ? À notre gouvernement ? Encore une fois, rien ne prouve qu’il ait eu la moindre part dans les faits qui viennent de se passer en Espagne. Il ne cache sans doute pas, nous le croyons, ses sympathies pour le parti modéré, pour le parti qui ne peut avoir aucune pensée hostile envers la France. Ce serait pour notre gouvernement une insigne lâcheté que de témoigner de l’intérêt, de l’affection, pour le parti anglais qui domine en Espagne ; il doit à ce parti, si l’on veut, une stricte et froide neutralité, rien de moins à la bonne heure, mais surtout rien de plus. Et, nous le répétons, si un gouvernement étranger quelconque profitait des troubles de l’Espagne pour sortir des limites de la neutralité et y faire prévaloir une influence décidément contraire aux intérêts français, l’inaction de notre gouvernement nous paraîtrait alors une faiblesse, un véritable abandon de cette politique éminemment française qui remonte à Louis XIV.

Le reproche d’avoir troublé la paix de l’Espagne s’adresse-t-il aux partis ? Nous le voulons bien. Mais pourquoi le parti exalté a-t-il troublé à main armée la paix dont l’Espagne jouissait sous l’administration de la reine Christine ? Pourquoi l’insurrection militaire, légitime en 1840, serait-elle un crime en 1841 ? Ces récriminations n’ont pas de sens. C’est demander pourquoi l’Espagne est ce qu’elle est, au lieu d’être un pays fortement constitué et réunissant toutes les conditions d’un ordre social stable et régulier.

Voyez l’Amérique du Sud : que manque-t-il à ce vaste et magnifique pays ? Des élémens d’ordre et de paix publique. L’inertie dans les masses, et chez les hommes d’action des passions ardentes et peu de lumières ; que peut-il en résulter, si ce n’est l’anarchie ?

L’Espagne aussi ne cessera d’être agitée et déchirée par quelques poignées d’hommes ardens jusqu’au jour où le pays, secouant enfin sa longue léthargie, ne voudra plus être spectateur indolent des sanglantes saturnales des partis. Ce jour-là ce ne seront ni les absolutistes ni les exaltados qui prendront le gouvernement du pays. Le jour où le vœu national pourra réellement se faire entendre, l’Espagne arborera le drapeau de la liberté et de l’ordre ; elle aussi entrera, avec les admirables moyens dont la Providence l’a dotée, dans les voies de la civilisation moderne, sous l’égide de la monarchie constitutionnelle.

L’Angleterre paraît menacée d’une crise financière. Une baisse extraordinaire a frappé tout à coup les fonds anglais. Les esprits timides en ont conçu quelques alarmes. Ils ont imaginé que la panique des hommes de bourse trahissait des craintes sérieuses d’une guerre prochaine. La baisse des fonds n’est due, ce nous semble, qu’à l’emprunt que réalise dans ce moment le gouvernement anglais. Par cela même que les souscriptions n’ont pu atteindre le chiffre de 5 millions sterling, elles prouvent que la place a des engagemens énormes, et que l’argent y est rare. Parmi les souscripteurs, il se trouve sans doute des spéculateurs imprudens qui, trompés dans leur attente, sont maintenant forcés de vendre à tout prix. L’Angleterre ne pourrait dans ce moment avoir de démêlé sérieux qu’avec les États-Unis. Sans doute si Mac-Leod était condamné, ou si, acquitté par le jury, il était égorgé par la populace, sans que le gouvernement américain intervînt d’une manière efficace pour prévenir ou réprimer ces excès, le gouvernement anglais ne pourrait pas dévorer cet affront. Toutefois, dans cette triste hypothèse, il n’est pas à croire qu’il débutât par une déclaration de guerre et par des actes d’hostilité. Il demanderait d’abord une réparation éclatante, réparation que les États-Unis pourraient difficilement lui refuser, car une guerre dans ce moment serait encore plus funeste aux Américains qu’à l’Angleterre. Leur marine militaire est faible, leurs côtes sont désarmées, leurs finances délabrées, et plus d’un élément de discorde agite l’Union et la menace d’un déchirement prochain.

Le président a sanctionné le bill qui frappe d’un droit de 20 pour 100 ad valorem les denrées importées en Amérique. Les efforts de notre ministre, M. Bacot, le mémoire qu’il a présenté et qui n’était pas moins remarquable par la connaissance approfondie des faits que par la vigueur du raisonnement, n’ont pu empêcher une résolution dont l’Union elle-même ne tardera pas à éprouver les funestes conséquences. Un droit de 20 pour 100 est plus qu’un impôt : c’est un droit protecteur, c’est le commencement du régime prohibitif. Il peut développer chez elle des industries artificielles, des intérêts factices qui un jour ajouteront de nouvelles complications à un état social et politique déjà si compliqué et si difficile. Au surplus, soyons justes. Les gouvernemens européens ont-ils le droit de se plaindre de cette mauvaise mesure ? L’Amérique nous imite. Elle se trompe sans doute ; mais c’est l’Europe qui l’a induite en erreur par ses exemples et par les étranges enseignemens de ses hommes politiques. Nous avons entendu prononcer le mot de représailles. Ce serait répondre à une folie par une plus grande folie : se couper la main parce qu’on nous a fait une piqûre au doigt. C’est le cours naturel des choses qui peut amener une sorte de représailles, dans ce sens que, si l’Amérique paralyse par son bill une de nos productions, elle ne tardera pas à reconnaître qu’une production équivalente se trouve paralysée chez elle, car après tout on ne vend qu’autant qu’on achète, et réciproquement. Quant à ce qui concerne nos vins, nous n’avons pas dans ce moment le bill sous les yeux, mais nous croyons nous rappeler que la clause de notre traité avec l’Amérique y est respectée.

La diète suisse se réunira de nouveau dans quelques jours. Tout annonce que cette réunion n’amènera aucun résultat. Le canton de Vaud vient, dit-on, de donner à ses députés des instructions dans le sens radical ; mais cela ne suffit pas pour que l’opinion du canton de Berne obtienne la majorité.

Les affaires de la Grèce paraissent prendre une meilleure tournure. Les renseignemens qu’en rapporte M. Piscatory, observateur impartial, éclairé, et qui a pu d’autant mieux juger le pays qu’il le connaissait déjà, rassurent, dit-on, sur l’avenir de cet état naissant. L’ordre a été rétabli dans les finances, et le commerce maritime en particulier y a fait des progrès très remarquables. M. Mavrocordato avait apporté en Grèce des idées trop anglaises. Tout à ses idées étrangères et d’emprunt, il ne connaissait plus ni les hommes ni les choses du pays. Il a complètement échoué. M. Cristidès, le ministre dirigeant actuel, paraît un homme capable, prudent et ferme à la fois. La conduite de notre gouvernement à l’égard de la Grèce a été franche, bienveillante, et propre à assurer les meilleurs rapports entre les deux pays.

On révoque en doute aujourd’hui l’évacuation de Saint-Jean-d’Acre. Nous espérons que le gouvernement ne tardera pas à faire connaître la vérité, et que, si l’évacuation n’est pas accomplie, il insistera vivement pour faire cesser cette prolongation indirecte du traité du 15 juillet.

À l’intérieur, le calme se rétablit dans les départemens comme à Paris. Les questions qui agitaient les esprits ont quitté la place publique pour rentrer dans leur domaine naturel, qui est la presse périodique, en attendant le jour où elles pourront être vidées à la tribune.

Rien n’annonce que la session puisse s’ouvrir avant la fin de décembre. Nous ne voulons pas répéter ici tous les bruits qui circulent sur nos hommes politiques, sur les projets qu’on leur prête et les combinaisons qu’on enfante. Il n’y a probablement rien de vrai dans tous ces bruits, et qu’importent, d’ailleurs, toutes ces questions d’hommes, lorsqu’en réalité elles ne touchent point aux choses ?

C’est des choses que nous voudrions qu’on s’occupât sérieusement, avec résolution et maturité. Entendrons-nous traiter les affaires du pays, ou assisterons-nous comme juges du camp aux luttes toutes personnelles de nos orateurs ? Nous prions les électeurs de ne pas perdre de vue cette question le jour où les candidats se présenteront humblement devant leurs commettans. Qu’ils ne leur demandent pas ce qu’ils ont dit, mais qu’ils leur demandent ce qu’ils ont fait, quelles sont les lois importantes dont ils ont doté le pays, ce qu’ils ont fait pour nos prisons, pour nos colonies, pour nos projets de chemins de fer, dont nous parlons beaucoup tandis que les nations voisines exécutent les leurs ; pour notre système hypothécaire, si imparfait qu’il paralyse le crédit foncier ; pour l’organisation du conseil d’état, pour le noviciat judiciaire ; bref, ce qu’ils ont fait pour le progrès et l’amélioration du pays, pour que la France, si riche en ressources de toute nature, conserve parmi les nations civilisées et puissantes le rang élevé qui lui appartient.

Espérons que le gouvernement, par une initiative hardie et féconde, mettra les députés en état de présenter aux électeurs des résultats positifs et dignes de la reconnaissance publique. On nous assure en effet que, dans plus d’un ministère, il s’élabore des projets importans ; on nous fait espérer que la session ne sera pas stérile. On parle d’un grand projet de loi sur les chemins de fer, réalisant le système qui nous a toujours paru le plus conforme à notre situation politique et financière, je veux dire l’action combinée du gouvernement et des compagnies.

M. le ministre du commerce avait promis d’étudier à fond la question des droits qui pèsent sur le bétail, et de présenter aux chambres le résultat de ses recherches. Il n’a pas sans doute oublié ses promesses. Il paraît s’occuper aussi des moyens d’étendre l’institution des prud’hommes et de l’appliquer en particulier à la ville de Paris. C’est un point des plus délicats ; mais, bien combinée, l’institution peut amener d’excellens résultats, dissiper de fâcheux préjugés et ôter des prétextes de troubles et de désordre. Nous reviendrons sur cette importante question.

M. le ministre de l’instruction publique présentera de nouveau aux chambres un projet de loi sur l’instruction secondaire, avec toutes les améliorations que lui auront suggérées une étude encore plus approfondie de cette matière si délicate, et les vives discussions dont le premier projet a été l’occasion. M. Villemain est du petit nombre de ces hommes qui réunissent aux vues générales d’un esprit élevé cette sagacité et cette connaissance intime des détails qui distinguent les administrateurs habiles. On peut dire sans flatterie qu’il est aussi compétent dans un comité du contentieux, qu’il l’est à l’Académie. Aussi espérons-nous qu’il saura, dans son projet, entourer la liberté d’enseignement, que la charte commande et que le pays attend, de ces garanties que le pays attend également, et qui seules peuvent rassurer les pères de famille.

En attendant, M. Villemain a profité de l’intervalle entre les deux sessions pour réaliser plusieurs améliorations importantes et pour lesquelles une loi n’était pas nécessaire. Nous citerons entre autres l’ordonnance du 3 octobre, qui ajoute un complément si utile à l’instruction pratique des élèves en médecine. Dorénavant, nul ne pourra être reçu docteur s’il n’a suivi pendant une année au moins le service d’un hôpital. Les facultés de médecine et les administrations des hospices ont unanimement applaudi à cette heureuse pensée. On ne verra plus de ces jeunes docteurs qui, la tête pleine de théories et de systèmes, manquaient des connaissances pratiques les plus vulgaires et les plus indispensables. L’ordonnance n’augmentera pas le nombre des grands médecins, mais il y aura plus de souffrances soulagées et moins de tâtonnemens périlleux et d’expériences hasardées. C’est beaucoup.

Les nouvelles de l’Algérie sont toujours favorables. Les chefs et les soldats sont également pleins d’ardeur, et n’ont que le regret d’avoir affaire à un ennemi qui n’ose plus les affronter. Abd-el-Kader paraît en effet découragé. S’il est fâcheux de ne pas pouvoir atteindre l’ennemi, il n’est pas moins vrai que l’émir, en évitant toute rencontre, perd tous les jours de sa puissance morale, et que les Arabes pourront enfin se persuader que notre protection leur est nécessaire. Mais, dussions-nous être accusés de redites, nous insisterons encore une fois sur la nécessité de fortifier nos établissemens par de nombreuses colonies françaises.