Chronique de la quinzaine - 29 février 1888
29 février 1888
Des bruits et des incidens, un budget qui se traîne à travers des discussions incohérentes sans pouvoir arriver au vote définitif, un ministère qui échappe à une crise sans en être plus fort, des majorités qui se cherchent et ne se trouvent pas, des élections qui révèlent une fois de plus la confusion des choses, c’est une histoire qui n’a rien de brillant : c’est l’histoire du jour ! On en était à peu près là l’autre semaine, on en est encore là aujourd’hui, avec quelques incidens de plus; on n’en sortira pas tant qu’un mouvement généreux n’aura pas fait rentrer la vérité et l’ordre, l’esprit de gouvernement et de libéralisme éclairé dans les affaires de la France.
Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ceux qui sont chargés de conduire le pays ont eux-mêmes parfois le sentiment des difficultés, des impossibilités qui les entourent, qu’ils se sont créées. Ils ont ce sentiment, et ils ne peuvent se résigner à reconnaître les causes d’une situation où tout est devenu précaire et équivoque, où tout se déprime et dépérit. Ils ne veulent pas voir notamment que, si la faiblesse est partout, c’est que la vérité n’est nulle part, et que le premier progrès serait non pas de réviser la constitution, comme le proposent certains républicains, mais tout simplement de la respecter et de l’appliquer. Une des causes les plus évidentes du malaise universel qui règne aujourd’hui, en effet, c’est que tout est faussé, à commencer par le régime parlementaire lui-même, et tout est faussé d’abord par l’arrogance brouillonne d’une chambre qui absorbe tout, qui s’attribue tous les droits, au détriment du sénat aussi bien qu’au détriment du pouvoir exécutif. Les républicains du Palais-Bourbon sont souvent divisés; ils se retrouvent toujours d’accord dans le sentiment de leur omnipotence, et quand ils ne sont pas d’accord, ce sont encore les radicaux qui mènent la campagne. Tantôt c’est toute une partie de la législation qu’ils bouleversent à propos du budget; tantôt c’est le service des trésoriers-généraux ou de l’inspection de l’enregistrement qu’ils tentent de désorganiser. Un autre jour, c’est l’existence même de la Banque de France qu’ils mettent en doute, au risque d’affaiblir d’avance le pus puissant instrument de crédit de la nation pour les jours de grande crise où il pourrait être le plus nécessaire. De proche en proche, par une série d’empiètemens et d’usurpations, ils étendent ainsi la main sur tout, sur les finances, sur l’administration, sur l’armée, sur les services publics, sans s’inquiéter de la constitution ni même de la raison. Si le sénat prétend exercer, lui aussi, ses droits, et a l’air de résister, c’est le sénat qui est un provocateur de conflits ! Quant au pouvoir exécutif, il est entendu qu’il n’est rien, qu’il n’a reçu des prérogatives que pour ne pas s’en, servir! Qu’en résulte-t-il? C’est que toutes les conditions de vie publique sont confondues, que l’esprit de parti est la seule loi, et qu’il n’y a plus de gouvernement possible. Les ministères, par complicité ou par crainte, ont beau essayer de flatter des majorités mobiles dans leur omnipotence et s’épuiser en concessions, ils n’ont plus les moyens de vivre; ils tombent l’un après l’autre et passent comme des ombres. Le ministère qui existe encore aujourd’hui est probablement destiné à passer avant peu comme les autres, parce qu’avec ses propres faiblesses il a les faiblesses de la situation, et ceux à qui on promet déjà sa succession n’échapperont pas au même destin, parce qu’ils feront les mêmes choses dans les mêmes conditions. C’est là l’inexorable vérité !
Le mal est dans la situation, sans doute; il est dans cet avilissement ou cette altération systématique des institutions qui a livré la France à la capricieuse et stérile omnipotence d’un parti dont la capacité n’a pas égalé les prétentions. Il est aussi, on n’en disconviendra pas, dans les hommes qui, en se transmettant successivement le pouvoir, n’ont rien fait pour le relever, qui ont plus d’une fois senti le danger de la politique dont ils se faisaient les instrumens, et n’ont pensé tout bonnement qu’à se créer une sécurité éphémère en se prêtant à tout. Ils n’ont réussi à rien, pas même à vivre; ils n’ont eu d’autre chance que d’être les prête-noms successifs d’une politique de violence, de cette désorganisation croissante devant laquelle les républicains s’arrêtent aujourd’hui, impuissans et troublés. La ministère qui s’est formé avec la présidence nouvelle, sous le nom modeste de M. Tirard, ne pouvait, sans doute, avoir de hautes ambitions et se promettre de grandes destinées. Il aurait pu du moins, dès le premier jour, se donner une bonne apparence par un acte de politique simple et droite qui aurait fait pour ainsi dire son originalité, qui aurait mis l’opinion en belle humeur de confiance. Il n’avait qu’à le vouloir; il n’avait qu’à profiter de l’impression encore toute chaude des circonstances qui venaient de se produire pour trancher une question embarrassante, pour installer sans bruit, sans provocation et sans faiblesse, M. le préfet de la Seine à l’Hôtel de Ville. Il n’aurait rencontré sûrement aucune résistance sérieuse ; il avait pour lui la loi, la faveur de l’opinion, il aurait eu dans ces premiers momens l’appui des chambres. Si le ministère a eu de bonnes résolutions, il ne les a pas eues longtemps. Il n’a pas tardé à regarder autour de lui, et il a fait comme les autres, il a craint les radicaux ; il a ajourné, il a hésité sur son droit, au point de se croire obligé à présenter une loi nouvelle, comme s’il voulait se donner un courage qu’il n’avait plus. Bref, il a laissé échapper l’occasion, et on en est encore aujourd’hui à savoir si l’état doit définitivement s’incliner devant le conseil municipal de Paris. Ce qui était tout simple au début serait peut-être aujourd’hui plus compliqué, — à moins que le conseil municipal, qui vient de se réunir, ne rende impossible une plus longue tolérance.
Le ministère aurait pu certainement aussi, avec un peu plus de netteté, prévenir bien des difficultés et des ennuis à propos du budget. Il n’avait qu’à aller droit au but, à proposer franchement à la chambre de voter sans plus de retard la loi des finances la plus simple, avec le moins de changemens possible, en réservant pour le prochain budget toutes les questions de réformes, de remaniemens d’impôts, de réorganisation qui passionnent ou amusent les hôtes du Palais-Bourbon. Et là aussi il a hésité, il a craint visiblement de se faire des querelles avec la toute-puissante commission du budget, qui veut tout réformer. Il s’est laissé entraîner dans cette discussion sans fin, dans cette voie scabreuse, semée de surprises et de pièges, où il a rencontré à chaque pas des demi-échecs, des échecs tout entiers, jusqu’au jour où il s’est trouvé en face d’une question sur laquelle il s’est décidé à jouer son existence. C’est ce qu’on peut appeler la crise des fonds secrets. La commission du budget, dans son ardeur réformatrice, proposait ni plus ni moins de réduire de plus de moitié le crédit des fonds secrets, au risque de ne plus laisser au gouvernement des moyens suffisans pour la protection de la sûreté publique. Cette fois, M. Tirard, irrité des coups d’aiguillon et des menaces qu’on ne lui ménage pas, s’est révolté. Il a déclaré fièrement qu’il ne voulait pas « se résigner à la position d’un gouvernement de passage, transitoire, et auquel on mesure son existence jour à jour. » Et il a réclamé résolument un vote de confiance. Il l’a obtenu, d’autant plus que les uns n’ont pas voulu prendre la responsabilité d’une crise ministérielle, et les autres n’étaient nullement pressés de prendre le pouvoir en pleine discussion du budget; mais si le ministère n’est pas tombé, il est bien clair qu’il est resté affaibli par ses irrésolutions dans les affaires les plus sérieuses, médiocrement réconforté par la faible majorité qu’il a obtenue, si bien qu’on a continué à voir en lui le ministère « transitoire » qu’il ne veut pas être, — En attendant le « gouvernement fort » sur lequel les républicains comptent toujours. Soit, M. Tirard est un président du conseil assez embarrassé et peut-être un peu étonné de son rôle, un ministre assez banal, qui n’a su ni rassurer et rallier l’opinion par une certaine fermeté simple, ni prendre quelque autorité sur une chambre agitée et impuissante. Il est vraisemblablement promise une courte destinée, aussitôt qu’il aura déblayé la scène de cette fastidieuse discussion du budget; on le lui dit tous les jours, on le lui a répété après son dernier petit succès. On le laisse achever son étape; mais comment prétend-on le remplacer? Quel est donc ce « gouvernement fort » que les républicains tiennent en réserve pour réparer le mal qu’ils ont fait et relever leur fortune? Ici commence l’étrange illusion de ceux qui se figurent qu’il n’y a qu’à remanier un cabinet.
Est-ce M. de Freycinet qui serait appelé à recueillir l’héritage de M. Tirard et à réaliser le « gouvernement fort? » Mais, de tous les hommes publics, M. de Freycinet est celui qui a le plus contribué à créer la situation où l’on se débat, à compromettre la politique du pays par ses faiblesses, par ses connivences avec les radicaux, par ses capitulations; c’est lui qui a mis la main à tout, qui a attaché son nom à toutes les violences, à toutes les persécutions, à la ruine des finances. Voilà un homme bien fait pour relever le pouvoir et remettre la république en bon chemin! Est-ce M. Floquet qui succédera à M. Tirard? M. Floquet s’est fait sans doute la bonne renommée d’un homme d’esprit et de tact à la présidence de la chambre; il a de plus tenu à effacer d’importuns souvenirs de jeunesse qui troublaient ses relations avec le représentant du tsar. Et puis, quoi ! Comme ministre, il est inconnu, ou plutôt il n’est connu que par ses programmes révolutionnaires, par le radicalisme de ses opinions sur les cultes, sur l’organisation municipale de Paris, sur toutes les affaires intérieures. Est-ce avec cela qu’il refera un gouvernement? On ne veut pas voir qu’il ne s’agit ni de M. Floquet, ni de M. de Freycinet, ni de bien d’autres, qu’il s’agit de rentrer et de faire rentrer la chambre elle-même dans l’ordre par le respect de la constitution, de revenir à une politique de prévoyance financière, d’équité libérale dans le gouvernement, de modération dans les rapports des partis. Et si les républicains modérés, qui peuvent avoir une action décisive en tout cela, ne le voient pas; s’ils n’ont pas le courage d’une résolution virile, ils iront et ils nous conduiront avec eux vers cette situation que révèlent les élections de dimanche, où le radicalisme grandit dans la confusion, où le nom de M. le général Boulanger vient de reparaître comme le mot de ralliement de toutes les lassitudes, de toutes les révoltes, des instincts démagogiques alliés au goût malsain de la force. Quels que soient les hommes appelés au pouvoir, c’est là plus que jamais tout le problème !
Avant que l’Europe revienne à des conditions plus paisibles ou moins tourmentées, si sa bonne fortune veut qu’elle retrouve le repos et la sécurité, bien des jours se passeront encore sans doute. Notre vieux continent, de l’occident à l’orient, a été soumis depuis quelques années, depuis quelques mois surtout, à de si sérieuses épreuves; il y a eu tant de contusions et d’irritations accumulées dans les rapports des peuples, tant de complications avouées ou inavouées, tant de démonstrations, d’alertes et d’incidens faits pour créer une tension universelle, qu’on n’en reviendra pas aisément ni de sitôt, c’est vraisemblable. Seulement, et c’est déjà beaucoup, on pourrait peut-être dire que rien ne s’est aggravé dans ces dernières semaines, qu’il y a eu plutôt une sorte de trêve dont on profite pour se demander à quoi tient cette crise profonde qui remue l’Europe, ce que valent ces alliances qui prétendent être les protectrices de la paix et qui ne sont que des armes de guerre, comment on peut sortir de cette mauvaise aventure des Balkans, autour de laquelle s’agitent toutes les diplomaties.
Par le fait, il y a aujourd’hui deux élémens dans les affaires de l’Europe. Il y a cette question bulgare, qui ne serait rien par elle-même, qui n’a grandi qu’à la faveur des divisions de l’Europe, parce qu’elle met en jeu tous les antagonismes, parce qu’elle a fini par ressembler à une sorte de provocation irritante pour l’orgueil d’un grand empire. Ce que deviendra cette question bulgare, on ne le sait pas encore. Il est certain qu’elle vient de prendre une face nouvelle, et M. de Bismarck, par son dernier discours, n’a pas peu contribué à la faire entrer dans cette phase inattendue, à provoquer une négociation qui s’ouvre à peine aujourd’hui. Le chancelier, sans s’inquiéter de ce qu’en penseraient ses alliés, uniquement préoccupé de désarmer le tsar, n’a point hésite à déclarer qu’un avait été d’accord au congrès de Berlin pour « reconnaître à la Russie une influence prépondérante en Bulgarie, » qu’un ne pouvait nier que, dans tout ce qui est arrivé par la faute des uns ou des autres depuis trois ans, « les droits reconnus à la Russie par le traité de Berlin n’aient été lésés. » Il a dit tout cela dans un langage calculé, avec un mélange de bonhomie et de brusquerie, sans encourager la Russie à revendiquer ses droits par « les moyens violons, » en lui promettant néanmoins d’appuyer tout ce qu’elle pourrait tenter par la diplomatie. Le cabinet de Saint-Pétersbourg a évidemment entendu comme tout le monde le discours assez retentissant de M. de Bismarck, et sortant de la réserve qu’il s’était imposée depuis quelque temps, il s’est décidé à u faire une tentative nouvelle pour provoquer de la part des puissances une explication sur l’inviolabilité des stipulations en ce qui concerne la Bulgarie. » Il a commencé par faire publier dans un journal officiel, le Messager du gouvernement, une sorte de manifeste où, en reprenant l’éternelle question bulgare, il la précise avec une habile modération, — Et en même temps il prenait, auprès de la puissance suzeraine, de la Porte, l’initiative d’une démarche dont le premier objet serait de faire déclarer illégale et usurpatrice la souveraineté du prince Ferdinand de Cobourg à Sofia. M. de Bismarck, comme Il l’avait promis, s’est hâté d’appuyer la communication russe à Constantinople, et la France elle-même paraît s’être jointe à la Russie et à l’Allemagne dans une démarche représentée comme « le meilleur et le plus sûr moyen de garantir la paix générale. »
Jusque-là, rien de plus simple, à ce qu’il semble ; mais les autres puissances qui ont signé le traité de Berlin, l’Autriche, l’Angleterre, l’Italie, sont-elles disposées à seconder cette « tentative nouvelle? » Et si elles restent silencieuses ou hostiles à Constantinople, le sultan, à qui on a pris ses provinces des Balkans, se croira-t-il obligé d’intervenir, ne fût-ce que par une déclaration platonique de déchéance prononcée contre le prince Ferdinand? Et si certaines puissances s’abstiennent, parce qu’au fond elles sont favorables à un ordre de choses indépendant de l’influence russe, si le sultan, à son tour, s’abstient, faute d’être appuyé ou pressé par l’unanimité des cabinets, qu’en résultera-t-il? On risque de n’être pas plus avancé, de se retrouver en face du même aveu d’impuissance ou des mêmes périls d’une action coercitive isolée. Lord Salisbury prétendait, il y a quelques jours, qu’il avait assez de confiance dans les sentimens pacifiques et dans la parole du tsar pour être persuadé que la Russie ne fera aucune tentative « illégale » dans les Balkans. La confiance est probablement justifiée; mais, en définitive, il faut bien l’avouer, c’est la Russie qui est ici dans la légalité et dans le droit, en réclamant au nom de l’inviolabilité des traités; ce sont les autres puissances, l’Autriche, l’Angleterre, qui cherchent à prolonger, par leur inertie ou par leur tolérance, une « illégalité » à laquelle elles se croient intéressées. On ne cesse de répéter, on répétait hier encore à Londres, que ce serait une honte pour l’Europe si on se laissait entraîner à la guerre, si des torrens de sang allaient couler pour la médiocre question bulgare, et rien n’est plus vrai assurément; mais, après tout, ce n’est qu’en y mettant un peu de bonne volonté et d’esprit de conciliation, en se prêtant aux transactions possibles, qu’on peut ramener une telle affaire aux proportions d’un simple incident local, et on n’en est peut-être pas encore là, ou du moins ce sera laborieux.
La vérité est que, aujourd’hui comme hier, cette question bulgare est toujours l’allumette qui peut mettre le feu partout, et qu’elle ne laisse pas d’avoir son importance dans les rapports généraux des gouvernemens, dans tout ce mouvement d’alliances qui est une autre partie des affaires de l’Europe. où en sont-elles définitivement, toutes ces alliances défensives, pacifiques, protectrices du repos du monde? M. de Bismarck a mis, certes, un opiniâtre génie à les préparer, à les étendre, — Et un instant c’est tout au plus si la triple alliance n’allait pas être l’alliance universelle, tant on y comprenait de nations et de gouvernemens ! Un jour c’était la Roumanie qui avait son traité avec l’Autriche et l’Allemagne ; un autre jour c’était la Hollande qui s’était enchaînée ou la Belgique qui avait livré sa neutralité; tout récemment c’était l’Espagne qui à son tour avait cru nécessaire d’entrer dans la grande confédération, de se lier par un traité secret, — qui naturellement a été divulgué. Quant à l’Angleterre, elle serait d’avance, bien entendu, dans toutes les combinaisons; elle se serait engagée par correspondance, elle aurait promis ses flottes, — témoin l’apparition et les démonstrations récentes de l’amiral Hewett dans le port de Gênes. Et cette vaste coalition, elle serait nouée, organisée, un peu ou en partie contre la Russie peut-être, surtout contre la France, qui menace manifestement tout le monde, qui menace l’Espagne, qui menace la Hollande et même la Roumanie! Les ministres des divers pays se sont crus obligés de souffler sur ces rêves, de démentir l’existence de tous ces traités, et si le sous-secrétaire d’état anglais, sir J. Fergusson, obstinément interpellé par M. Labouchère dans la chambre des communes, a paru mettre quelque réticence ou quelque réserve dans son langage, il n’en résulte certainement pas que l’Angleterre soit engagée, qu’elle s’associe surtout à une politique d’hostilité contre la France.
Au fond, à y regarder de près, il n’est point douteux que la plupart de ces alliances sont imaginées à plaisir, qu’elles n’ont pas pu exister, parce qu’elles ne répondent à rien de sérieux, et que celles-là mêmes qui sont une réalité avérée pourraient bien ne pas résister à la première épreuve, au premier choc des événemens. L’Autriche, pour sa part, n’en est peut-être pas à s’apercevoir que cette alliance, si bruyamment divulguée il y a quelques semaines, n’est pour elle qu’une douteuse garantie, et elle a pu récemment apprendre que, si elle est liée à l’égard de l’Allemagne, l’Allemagne ne se croit pas obligée de la soutenir dans les affaires qui la touchent de plus près. L’alliance intime avec Berlin peut être populaire parmi les Allemands et les Hongrois; elle l’est infiniment moins parmi les autres populations de l’empire, et lorsqu’un député a voulu dernièrement proposer au Reichsrath de transformer en loi de l’empire le traité de 1879, il a soulevé les plus vives protestations; on lui a répondu avec véhémence que le traité ne serait jamais sanctionné tant qu’il y aurait une Autriche indépendante, tant qu’il y aurait un parlement autrichien ! C’est du moins le signe des sentimens qui animent les populations d’une partie de l’empire et qui doivent donnera réfléchir au gouvernement. — L’Italie, à son tour, si l’occasion se présentait, ne tarderait pas à sentir le poids d’une alliance sans motif et sans profit. Par qui est-elle menacée? A quelle agression a-t-elle à répondre? Quel intérêt a-t-elle à se faire la vassale de l’Allemagne ou à soutenir l’Autriche en Orient? Que M. de Bismarck mette son orgueil ou trouve son intérêt à enchaîner le plus d’états qu’il pourra à sa politique, à s’entourer de camps avancés, d’auxiliaires dont les diversions serviraient ses desseins, on le comprend, c’est son rôle. Les autres peuples n’ont évidemment rien à gagner à se détourner de leurs relations naturelles, à réveiller des défiances ou à se créer des inimitiés pour le bon plaisir du chancelier d’Allemagne. La triple alliance avouée depuis quelque temps a été pour le chancelier une combinaison de circonstance, comme l’avait été, il y a quelques années, l’alliance des trois empereurs. L’alliance des trois empereurs a disparu, parce qu’elle n’était qu’un grand artifice; la nouvelle triple alliance est probablement destinée à avoir la même fortune, parce que les pays qui se sont liés ne tarderont pas à reconnaître qu’elle n’est pour eux qu’une duperie.
En attendant que les grandes combinaisons de la politique aient dit leur dernier mot, il y a une question plus modeste, mais plus pressante qui se débat entre la France et l’Italie à l’heure qu’il est. Quelles seront demain les relations commerciales des deux pays? C’est aujourd’hui même qu’expire le traité qui réglait les rapports des deux nations, et qui, au 1er janvier, avait été prorogé pour deux mois, afin de laisser le temps nécessaire à une négociation qui n’a conduit à rien. Jusqu’au dernier moment, la négociation s’est poursuivie sans succès à Rome et à Paris. L’Italie, qui avait la première dénoncé le traité de 1881 a émis des prétentions auxquelles la France ne pouvait souscrire. Le gouvernement français, à son tour, quoiqu’il n’eût plus rien à dire, a fait ses propositions, qui tendaient à peu près au renouvellement du traité de 1881, et qui n’ont pas été acceptées à Rome, qui ne le sont pas du moins encore. D’un autre côté, dans les deux camps, en prévision de l’insuccès des négociations, on a pris des mesures de précaution et de défense. L’Italie n’avait pas tant attendu; elle s’est armée depuis quelques mois déjà d’un tarif général qui, sur certains points, équivaut à une véritable prohibition, et hier à peine, le gouvernement français a demandé aux chambres une loi par laquelle il est armé lui-même du droit de mesurer nos tarifs aux tarifs italiens. De sorte qu’on se trouve en présence, sans traité conclu, avec des tarifs rigoureux qui peuvent être appliqués demain, — à moins qu’à cette extrémité une inspiration salutaire de conciliation n’en décide autrement. La première condition, dans une affaire de cette nature, est certainement de se défendre de tout ce qui ressemblerait à de la passion ou à de la mauvaise humeur, et M. Buffet a dit au sénat un mot qui est la vérité même, la sagesse même. — Il ne s’agit ici, a-t-il dit à peu près, ni de guerre ni d’un échange de procèdes acerbes. Les questions de traités de commerce ne sont pas des questions de sentiment. Il n’y a ni hostilité ni bienveillance, il y a des intérêts à défendre. Si l’Italie a cru de son intérêt de dénoncer le traité de 1881, et si elle se croit encore intéressée à élever ses tarifs, il n’y a ni à s’en étonner ni à s’offenser, pas plus qu’elle ne peut s’étonner et être offensée si la France elle-même consulte et défend ses intérêts. Quel est l’intérêt français? C’est toute la question. — Oui, sans doute, c’est toute la question. La difficulté ne reste pas moins entière. Si, au dernier moment, la négociation n’est pas renouée, les tarifs de défense vont être mis en vigueur sur la frontière, les industries des deux pays souffriront inévitablement; la lutte ne fera que s’aigrir, et s’il y a une chose qui n’est point douteuse, c’est que les gouvernans italiens auront seuls pris l’initiative de ce dangereux conflit d’intérêts au détriment des deux nations.
Que d’autres cherchent un rôle dans les agitations et les coalitions de l’Europe, l’Espagne, pour sa part, n’a point à s’en mêler. Elle a, heureusement pour elle, assez de bon sens pour comprendre qu’elle n’a point à entrer dans les combinaisons secrètes pour sauvegarder des intérêts qui ne sont point en danger, que ses voisins, dans tous les cas, seraient les derniers à menacer. Ses vraies affaires, ses vrais intérêts, à elle, sont à l’intérieur, et ces affaires intérieures de l’Espagne ne laissent pas d’avoir leurs obscurités, leurs complications qui naissent de l’état des partis, de la situation économique du pays, ou même quelquefois des incident personnels grossis par les passions intéressées.
La discussion de l’adresse qui a occupé le parlement de Madrid depuis qu’il est réuni, et qui vient à peine de finir, n’a tait que dévoiler une fois de plus les difficultés de la position du président du conseil, M. Sagasta, placé en équilibre entre les partis, libéral avec les libéraux, conservateur avec les conservateurs. Cette discussion, qui s’est terminée en définitive par le succès du scrutin pour le ministère, a certainement trop duré pour ne point être passablement diffuse et décousue; elle a eu aussi, il est vrai, ses momens brillans, et si elle a été trop longue, elle a fini par une de ces luttes d’éloquence qui sont l’honneur d’un parlement, par un duel plein d’éclat entre les deux premiers orateurs de l’Espagne, M. Castelar et M. Canovas del Castillo. Avec eux, la discussion s’est élevée et élargie; elle s’est étendue à tous les intérêts extérieurs et intérieurs du pays. M. Castelar a été ce qu’il est toujours, un magicien de la parole, entraînant, libéral, généreux. Il n’a pas craint de signaler le danger de la politique de conquête en Europe, et s’il n’a pas complètement réussi à démontrer au chancelier de Berlin la nécessité de la restitution de l’Alsace pour rendre la paix à l’Europe, c’est que l’éloquence ne suffit peut-être pas; il a, dans tous les cas, mis sa chaleureuse générosité à avouer ses sympathies pour notre pays, en conseillant au gouvernement de l’Espagne la neutralité dans les affaires du continent, l’entente avec la France dans les affaires du Maroc. M. Castelar est assurément le plus modéré, le plus conservateur des républicains, et il ne s’en défend pas. En restant, dans ses idées sur la politique intérieure, fidèle à la république, en réservant, si l’on veut, l’avenir, il n’est point irréconciliable avec le présent. Il ne refuse pas son concours au gouvernement royal, pas plus que ses hommages à la régente, dont il n’a jamais parlé qu’avec une délicate courtoisie. Il offre son alliance au ministère de M. Sagasta, — à la condition pourtant que le président du conseil veuille bien faire une monarchie démocratique, républicaine ou entourée d’institutions républicaines, avec le suffrage universel! c’est précisément le problème difficile à résoudre, même pour un tacticien délié comme M. Sagasta, et c’est là que M. Canovas del Castillo a pris habilement position, en opposant à la politique des compromis pseudo-démocratiques la politique de la monarchie constitutionnelle franchement libérale et conservatrice. Le chef du parti conservateur a tenu d’autant plus à s’expliquer que le discours de M. Castelar venait de provoquer un bruyant enthousiasme, auquel le président du conseil s’était associé. Il a parlé en homme qui a été, il y a quinze ans, un des auteurs de la restauration, et qui a contribué plus que tout autre à lui donner le caractère d’une grande transaction; il a parlé non en réactionnaire exclusif, non en ennemi d’un cabinet libéral qu’il a au contraire aidé à naître au moment de la mort du roi Alphonse XII, et qu’il soutient encore souvent, mais en politique éclairé, montrant au ministère le danger des réformes qu’on lui conseille ou qu’on lui impose et qui seraient la destruction de la monarchie elle-même.
En réalité, cette grande et éclatante controverse, qui a passé un peu au-dessus de la tête du ministère, ne pouvait avoir une solution pratique. Le ministère a eu, il est vrai, le vote qu’il demandait, qui lui était nécessaire pour vivre; il n’est pas moins resté dans une situation singulièrement embarrassée et perplexe, flottant entre les libéraux avancés qu’il voudrait rallier et les conservateurs qu’il tient à ménager, menacé par les divisions des partis dans le parlement et par ses propres divisions, toujours exposé aux difficultés et aux incidens qui peuvent à chaque instant précipiter une crise. Incidens et difficultés ne manquent pas depuis quelques semaines.
Il y a peu de temps, un événement des plus douloureux s’est passé aux mines de Rio-Tinto, dans la province de Huelva. Un différend relatif à l’exploitation s’est élevé entre la compagnie des mines et la population ouvrière, excitée, dit-on, par un agitateur socialiste; tout s’est rapidement envenimé. La force publique a été obligée d’intervenir, une collision a éclaté et le sang a coulé : les victimes sont assez nombreuses. Le gouvernement a-t-il mis quelque lenteur ou quelque insouciance dans le règlement administratif de certains détails d’exploitation industrielle qui intéressaient la population et d’où est né précisément le dernier conflit? La troupe employée à maintenir l’ordre a-t-elle montré peu de sang-froid devant des manifestations plus bruyantes que sérieuses? Toujours est-il que l’un des chefs les pli s ardens de l’opposition réformiste, M. Romero Robledo, s’est emparé aussitôt de ces malheureux événemens, et qu’il s’est fait devant le congrès l’accusateur passionné du cabinet, particulièrement du ministre de la guerre. Le gouvernement ne s’est pas montré d’abord très heureux ou très habile dans sa défense, et M. Romero Robledo le tient encore sous la menace d’interpellations incessantes, qui peuvent être un embarras si elles ne sont pas un danger. — Autre incident. Il est certain que, depuis quelque temps, il n’est bruit à Madrid, même dans le congrès, que d’intrigues qui auraient été nouées dans l’ombre, autour du palais, et où le nom de quelques membres de la famille royale se trouverait mêlé, on ne sait dans quel intérêt. Ce n’est probablement pas de son plein gré que la reine Isabelle est partie pour Séville avant de recommencer ses excursions en pays étrangers, et le président du conseil a pris sur lui, il y a quelques jours, il l’a avoué lui-même, de détourner M. le duc de Montpensier d’un voyage que ce prince se proposait de faire au-delà des Pyrénées. Qu’y a-t-il de réel ou de vraisemblable dans tous ces bruits ? Il a dû y avoir quelque exagération, puisque M. le duc de Montpensier a pu depuis se rendre à Madrid, où il passe quelques jours avant d’aller à son tour retrouver la reine Isabelle à Séville. Ce n’est pas moins un fait assez curieux que des intrigues de ce genre puissent occuper l’opinion et créer une position au moins délicate au gouvernement de la régente. Il est avéré, dans tous les cas, que ces intrigues n’auraient été ni favorisées ni encouragées par le chef du parti conservateur, M. Canovas del Castillo, qui ne se sépare pas du ministère sur ce. point. Enfin, ce qui est plus grave, c’est l’opposition que rencontrent les projets économiques du ministre des finances, M. Puigcerver, parmi les hommes qui, dans un intérêt agricole et industriel, proposent tout un système de protection, — réduction de l’impôt foncier, élévation des droits d’entrée sur les céréales. Le chef du cabinet a réussi à esquiver provisoirement le danger, en obtenant ces jours derniers du congrès la nomination d’une commission favorable aux projets du gouvernement ; mais la question est loin d’être décidée, et la lutte sera d’autant plus vive qu’il y a des hommes de tous les partis dans cette campagne engagée pour remédier à la détresse de l’agriculture et de l’industrie en Espagne.
Que résulte-t-il de tout cela? C’est qu’évidemment la situation du ministère n’est rien moins qu’assurée, et que M. Sagasta, s’il garde personnellement le pouvoir, sera nécessairement conduit à renouveler encore une fois et avant peu son cabinet ; mais c’est là précisément la difficulté pour lui, dans les conditions où il s’est placé depuis qu’il dirige les affaires de la régence. Le cabinet, dans ses renouvellemens successifs, est toujours resté jusqu’ici composé de façon à maintenir un certain équilibre entre les partis. Si, dans sa tentative nouvelle de remaniement, M. Sagasta va trop vers les libéraux avancés qui lui promettent leur alliance et leur appui, il risque de s’aliéner non-seulement les conservateurs qui l’ont soutenu quelquefois très efficacement, mais les constitutionnels qui sont représentés dans le ministère. S’il veut s’arrêter dans la voie des réformes démocratiques et donner des garanties aux conservateurs, il s’expose à perdre l’appui des libéraux. L’épreuve est critique. Ce n’est évidemment qu’en mesurant sa marche avec une prudente habileté, en s’appuyant surtout fortement à la monarchie et à la régence, que M. Sagasta peut rester encore le chef d’un gouvernement sérieux pour le bien et la paix de l’Espagne au milieu des agitations de l’Europe.
CH. DE MAZADE.
L’apaisement des craintes de guerre, l’abaissement simultané du taux de l’escompte de 3 à 2 1/2 pour 100 à la Banque d’Angleterre et à la Banque de France, la majorité obtenue par le cabinet Tirard dans le vote sur les fonds secrets à la chambre des députés, enfin l’abondance de l’argent, les bonnes dispositions du marché au comptant et quelques rachats prudens des vendeurs à découvert, ont permis à la rente française de regagner de 0 fr. 30 à 0 fr. 40 pendant la seconde quinzaine de février.
Nous disons la rente et non les rentes françaises. Le 3 pour 100 seul, en effet, a monté de 81.70 à 82.10. L’amortissable, recherché pendant tout le cours du mois à cause du tirage d’amortissement qui a lieu le 1er mars, a été ramené dans les derniers jours à 85 francs. Le 4 1/2, de plus en plus délaissé, a fléchi de 0 fr. 20, à 106.35.
La mesure adoptée par le conseil de régence de la Banque de France, le 16 courant, a surpris le marché. Le taux d’escompte était resté invariablement fixé, depuis cinq ans, à 3 pour 100, alors même qu’au-delà du détroit ce taux s’abaissait à 2 pour 100. Cette fois, au contraire, les deux établissemens modifiaient le même jour et dans la même mesure les conditions de leurs opérations d’escomptes et d’avances. La Banque de France a voulu sans doute répondre, par une démonstration de fait, à l’ouverture de la campagne qu’un groupe de députés s’est proposé d’engager contre cet établissement à propos du renouvellement éventuel de son privilège. Mais le privilège actuel n’expire que dans une dizaine d’années. La proposition de M. Sans-Leroy, entre autres graves défauts, avait celui de venir par trop avant l’heure. Encore les promoteurs réclamaient-ils l’urgence. La chambre, sur la demande du gouvernement, s’est refusée à montrer tant de hâte, et la commission d’initiative a repoussé la proposition, par ce motif qu’il appartient au gouvernement seul de négocier, quand le moment sera venu, avec notre grand établissement de crédit. L’action de la Banque s’est tenue très ferme entre 3,800 et 3,850. Le découvert n’ose s’engager plus à fond, bien que les prix soient encore relativement fort élevés.
Les affaires en général ont été assez actives pendant les deux dernières semaines. Sur les rentes, les cours du comptant ont été à peu près constamment tenus au-dessus du niveau du terme. L’épargne continue à se porter vers les obligations du Crédit foncier ou de nos grandes compagnies de chemins de fer. Ces derniers titres atteignent et dépassent l’un après l’autre le prix de 400 francs, qui avait paru si longtemps à peu près inaccessible.
Il est fort probable que les acheteurs de rente française auraient essayé un mouvement de hausse plus accentué, s’ils n’avaient été empêchés de donner suite à ces velléités par la baisse de quelques valeurs internationales et avant tout des fonds russes.
Il s’est formé depuis longtemps, sur le marché berlinois, une spéculation baissière sur ces fonds. Mais les opérations seules de bourse n’expliqueraient pas une chute profonde comme celle de cette quinzaine. Il est évident que le gouvernement russe a dû négocier au dehors pour le paiement de ses dettes extérieures en or, ou pour des besoins spéciaux, des quantités considérables de billets de crédit, et que les baissiers ont pu mettre à profit cette circonstance.
On peut juger du résultat obtenu en considérant qu’entre les deux liquidations de fin janvier et de fin février à Berlin, le rouble papier a fléchi de 175 à 165, ce qui signifie que ce billet, qui, en Russie, a un cours nominal de 4 francs, valait, il y a un mois, en Allemagne, 1 mark 75, soit 2 fr. 18 3/4, et qu’aujourd’hui, il ne vaut plus que 1 mark 65, ou 2 fr. 06 1/4. En même temps, le Russe 4 pour 100 de 1880 a fléchi de 78 à 75, le 5 pour 100 1873 de 93 à 89 1/4, l’emprunt d’Orient de 52 3/4 à 49 ¼. Pendant la seconde moitié seulement du mois, les fonds russes ont baissé : le 5 pour 100 1873 de 91 à 88 1/2. le 5 pour 100 1877 de 97 1/4 à 95, le 4 1/2 1875 de 84 fr. 60 à 82 francs, le 4 pour 100 1880 de 77 à 75, l’emprunt d’Orient de 51 3/4 à 49 1/4, le rouble de 173 à 163.50
Cette dépréciation considérable des valeurs russes ne pouvait demeurer sans effet sur l’ensemble des marchés allemands. La spéculation reste à la baisse à Berlin, à Vienne et à Francfort, malgré l’ouverture des négociations engagées entre les trois cours impériales à l’instigation et sur l’invitation formelle du prince de Bismarck.
La spéculation viennoise est inquiète, fiévreuse, désorientée. Elle attend de Berlin une impulsion décisive, et n’ose croire à la sincérité des propositions conciliantes de la Russie. Là encore les baissiers sont, pour le moment, les maîtres du terrain, bien qu’ils trouvent dans l’apathique indifférence des cercles financiers et dans le peu de goût que l’on y éprouve à engager des affaires dans les circonstances actuelles un obstacle sérieux au succès d’opérations décisives. Le Hongrois or 4 pour 100 a subi peu de fluctuations. Il reste à 77 1/8, après 77 7/16. Les actions des banques et des chemins de fer, à Vienne, sont délaissées. Les Autrichiens et les Lombards ne se relèvent point.
L’Italien était à 93.12 il y a quinze jours. Comme nous le faisions prévoir à ce moment, les rachats du découvert ont relevé ce fonds, pendant quelques jours, jusqu’à 94 francs. Mais de nouvelles offres ne sont produites à mesure que se rapprochait la fin du mois, le traité de commerce franco-italien expirant le 1er mars. Cependant, soit que la spéculation haussière eût surtout en vue le maintien des cours en vue de la réponse des primes, soit qu’elle fût fondée à croire qu’une prorogation de l’ancien traité pour un mois serait encore décidée in extremis entre Rome et Paris, la Bourse du 28 a vu se relever les cours de l’Italien de 93.10 à 93.50, et, par voie de conséquence, ceux de la rente française de 82.05 à 82.15. On se refusait à admettre que M. Crispi engageât de gaîté de cœur, entre la France et l’Italie, une guerre de tarifs dont le commerce de son pays doit indubitablement souffrir plus vivement que le commerce français.
La question du traité de commerce n’est pas la seule cause de l’indécision qui s’est emparée des porteurs de rente italienne. On sait que les finances du royaume ne sont plus dans l’état prospère où on les voyait il y a peu de temps encore. Le budget est en déficit, et le ministre des finances a préparé divers projets de relèvement de taxes ou d’impôts nouveaux devant produire une somme de 70 millions. Mais il est difficile de préjuger quel accueil fera le parlement italien à ces combinaisons de M. Magliani. Celui-ci, d’autre part, n’a toujours pas réussi à placer le solde des obligations de chemins de fer italiens. Enfin, la crise immobilière à Rome, latente depuis plusieurs mois, tend à prendre un caractère aigu à la suite d’une grosse faillite de près de 40 millions atteignant plusieurs établissemens de crédit.
La rente portugaise est ferme à 59, et les obligations 5 pour 100 se tiennent à peu près au pair. L’Extérieure d’Espagne est immobile à 67. Il est toujours question de la retraite du ministre des finances, M. Puigcerver. Les affaires sont fort restreintes sur les obligations égyptiennes et les valeurs ottomanes. Le calme le plus complet règne sur le marché des titres des établissemens de crédit. Tels nous avons laissé, au milieu de février, les prix du Crédit foncier, de la Banque de Paris, du Crédit lyonnais, de )a Société générale, de la Banque d’escompte, du Crédit mobilier, tels nous les retrouvons fin février. De même pour le Crédit industriel, les Dépôts, le Comptoir d’escompte.
Sur les chemins français, les demandes des capitaux de placement ne déterminent qu’une amélioration très lente. Le Lyon vaut 1,260 après 1,256, le Nord 1,525 après 1,523, le Midi 1,155 sans changement, l’Orléans 1,338 après 1,330. Les actions des chemins espagnols sont complètement délaissées, le Nord de l’Espagne à 270, le Saragosse à 246. Les recettes de ces lignes subissent le contre-coup des rigueurs exceptionnelles de l’hiver. L’assemblée générale des chemins de fer méridionaux d’Italie, tenue à Florence le 20 courant, a voté l’émission de 60,000 actions nouvelles, réservées, au pair, aux porteurs d’actions anciennes, à raison d’une nouvelle contre six anciennes.
Le Gaz s’est relevé de 1,402 à l,415; le Suez, avec une plus-value de recettes de 1 million 1/2 depuis le 1er janvier, est immobile à 2,116. Le Panama a été porté de 250 à 275. L’assemblée générale des actionnaires de cette entreprise se réunira le 1er mars. M. de Lesseps y doit faire connaître la combinaison financière à l’aide de laquelle la compagnie pourra se procurer de 100 à 150 millions, en attendant une décision positive des chambres au sujet de la demande d’autorisation d’une émission à lots.
Une entreprise similaire, bien que de proportions beaucoup plus modestes, la compagnie du canal de Corinthe, fera, au commencement de mars, une émission d’obligations. Les litres de cette société se sont relevés, à cette occasion, de 240 à 260 francs.
Les Voitures se rapprochent peu à peu de 700 francs. Les Omnibus ont monté de 1,140 à 1,165 francs.
Le Rio-Tinto valait 520 francs il y a quinze jours. Des réalisations précipitées, accompagnées peut-être de ventes à découvert, ont fait reculer cette valeur de 70 francs. Elle a repris ensuite de 35 francs et reste à 485. L’action de la Société des métaux, qui, en une seule séance, le jour de l’admission à la cote, avait bondi de 870 à 995 pour redescendre ensuite à 945, n’a cessé depuis de progresser, et s’établit triomphalement à 1,035 francs, s’autorisant du maintien des prix du cuivre à 78 livres sterling la tonne.
Le directeur-gérant : C. BULOZ.