Chronique de la quinzaine - 14 octobre 1863

Chronique n° 756
14 octobre 1863


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 octobre 1863.

La mort de M. Billault, avec ce qu’elle a eu de subit, de prématuré, d’imprévu, n’est pas seulement un de ces accidens qui surprennent et attristent l’opinion ; le rôle public attaché à l’homme donne à cette mort le caractère d’un événement politique dont la portée doit être prise en considération.

Les vicissitudes de notre temps ont jeté à plusieurs reprises un trouble profond dans les relations de la vie politique ; les vieilles liaisons ont été plus d’une fois rompues : ceux qui avaient marché ensemble se sont souvent séparés et ont fini par se trouver fort éloignés les uns des autres. On a beau avoir choisi des voies différentes de celles que M. Billault a préférées, on ne saurait pourtant demeurer insensible à la perte soudaine d’un homme de ce mérite. Nous ne pouvons oublier les débuts et les succès laborieux de ce modeste avocat de province dont l’ambition parlementaire éveilla et excita le talent, et qui parut destiné à faire honneur au régime représentatif dans notre pays. M. Billault n’était point un orateur politique du premier ordre, ce n’était point un esprit fertile en idées et en conceptions, ce n’était point une âme prompte aux explosions passionnées ; à entendre ses discours, il était visible que sa nourriture en fait d’histoire, de droit public, d’économie politique, de finances, de toutes ces connaissances que digèrent et s’approprient les hommes d’état bien trempés, n’était point très forte : son style oratoire ne donnait pas non plus idée d’une éducation littéraire perfectionnée. M. Billault cependant, au-dessous du premier rang, était encore un orateur remarquable. Il appartenait à la famille de ceux que les Anglais appellent des debaters. Ce sont des hommes très précieux, fort utiles à l’élaboration des questions et à l’expédition des discussions dans les assemblées représentatives, que ces habiles dissertateurs qui savent exposer avec clarté une affaire, la disséquer à la pointe de l’argument, l’analyser, la déduire, la présenter avec ordre et la couler pour ainsi dire dans l’esprit des auditeurs. Pour remplir ce rôle dans les assemblées délibérantes, M. Billault avait de notables aptitudes. C’était un esprit net ; il avait la parole lucide, la voix claire, le geste sobre. Ne pouvant attraper la grandeur, il fuyait l’emphase ; la chaude éloquence n’étant point à sa portée, il ne visait qu’au bon sens et à la précision.

Sa carrière oratoire s’est divisée en deux parts : la première partie comprend son rôle d’opposition de 1840 à 1848, la seconde sa fonction d’orateur du gouvernement devant le corps législatif et le sénat. Nous ne parlons pas de sa phase républicaine, qui ne profita guère à sa renommée. Dans sa campagne d’opposition, il fut quelquefois sur les derrières de M. Guizot un fourrageur gênant. Le talent de M. Billault parut avoir grandi dès qu’il fut devenu ministre-orateur. La tache était plus difficile, car il ne s’agissait pas alors d’attaquer, mais de défendre. En revanche, il était porté par la grandeur des questions dont la discussion lui était confiée, par l’autorité des informations officielles qui garnissaient ses dossiers, et aussi par cette forme alternativement vague ou mesurée où s’abritent volontiers les questions de politique étrangère, dont il avait fait son domaine exclusif devant les chambres. Il faut convenir encore que ce qu’il avait à défendre n’était guère attaqué, et qu’un ministre triomphe aisément, lorsque, devant un auditoire unanimement favorable, il n’a affaire qu’à deux ou trois antagonistes. Une épreuve décisive manquait donc à la réputation de M. Billault : c’était de tenir ce rôle d’apologiste officiel en face d’une opposition forte parle nombre et le talent. Le spectacle de cette épreuve semblait nous être promis ; nous l’attendions avec une curiosité à laquelle l’intérêt d’art se mêlait naturellement à l’intérêt politique : nous étions impatiens de voir M. Billault, avec ses qualités et ses lacunes, aux prises par exemple avec M. Thiers, avec un homme d’un esprit vif et bien armé, qui a pratiqué les grandes affaires en chef ayant à la fois l’initiative et la responsabilité, qui d’ailleurs sait d’abondance les traités, la géographie, les finances, la guerre, qui, pour pousser une puissante argumentation politique, n’a pas besoin de demander du temps, et n’a qu’à puiser à l’instant même dans son propre fonds, enrichi par une ancienne, profonde et constante culture. La mort n’a pas voulu nous laisser connaître si M. Billault était capable de sortir à son avantage d’une telle rencontre.

Quel que soit au surplus le rang qui lui appartienne parmi les orateurs contemporains, personne ne contestera que M. Billault n’ait été le produit de cette grande école parlementaire qui a fécondé pendant plus de trente années la vie politique de la France. Cette école peut revendiquer pour elle le talent de M. Billault ; ceux-là mêmes pour lesquels ce talent était, dans ces derniers temps, devenu une force et une parure auraient mauvaise grâce à n’en pas convenir. La vie parlementaire était la grande éducation politique du pays ; elle formait des hommes. Quelle est aujourd’hui l’éducation politique de la France ? quels hommes forme-t-elle ? Il est impossible de ne point poser avec anxiété cette question quand on voit s’éclaircir les rangs déjà si peu pressés du personnel politique officiel, et lorsqu’on a le sentiment du grand vide que fait la mort d’un homme tel que M. Billault.

Si en effet l’historien, le critique littéraire, peuvent se donner la tâche de supputer le mérite intrinsèque d’un homme d’état et d’un orateur, ce n’est pourtant pas de la sorte que se mesure pour les contemporains la valeur pratique d’un homme politique. Cette valeur est essentiellement relative, elle dépend des circonstances et de la façon dont elle s’y adapte. C’est surtout par ce côté que doivent être appréciées l’importance de M. Billault et la gravité de sa perte. Les aptitudes de M. Billault ont indirectement, mais très efficacement coopéré aux petits progrès accomplis récemment par nos institutions. Si l’empereur n’avait pas eu M. Billault sous la main, qui sait si l’évolution du 24 novembre eût été possible et se fût réalisée ? Après les dernières élections, il parut nécessaire de faire encore un petit pas en avant : on fit le décret du 23 juin ; ce fut surtout autour de la personnalité de M. Billault que durent pivoter les arrangemens devenus nécessaires. On nous rappela bien à cette occasion que rien n’était changé aux bases posées dans le plébiscite de 1852, que les ministres demeuraient responsables envers l’empereur, que les principes fondamentaux du plébiscite de 1852 ne pourraient être changés que par un plébiscite nouveau. Cependant on nous rappelait aussi que l’on avait voulu, par le décret du 24 novembre, donner aux grands corps de l’état une participation plus directe à la politique générale du gouvernement, que la création des ministres sans portefeuille était due à cette pensée, que l’on jugeait maintenant convenable d’aller plus loin, et que l’empereur, par le décret du 23 juin, substituait aux ministres sans portefeuille le ministre d’état, le ministre chargé des rapports du gouvernement avec les grands corps de l’état, afin « d’organiser plus solidement la représentation de la pensée gouvernementale devant les chambres. » Ce qui donna un sens précis à ces explications, ce fut la nomination de M. Billault au ministère d’état. M. Billault s’ajustait si bien à la nouvelle institution, qu’elle semblait être faite pour lui, qu’elle s’incarnait en sa personne. Le ministre d’état ne devait plus avoir d’attributions administratives ; il devait être l’intermédiaire entre la pensée dirigeante du gouvernement et les chambres. Les autres ministres, les ministres administrateurs, étaient, si l’on nous passe un barbarisme du jour, des spécialistes ; le ministre d’état, organe de la pensée générale du gouvernement, devenait en fait le généralisateur du cabinet. Cette fonction donnait au ministre d’état une position à part et une position inévitablement supérieure à celle de ses collègues. Ce n’était pas encore la présidence du conseil dans l’ancien sens du mot, mais c’était un acheminement vers la place d’un premier ministre. C’était un rôle de distinction et peut-être de transition. Or personne n’y était plus propre que M. Billault. Son caractère s’y prêtait autant que son talent. M. Billault n’avait pas d’angles dans le caractère ; il n’avait dans l’humeur rien de cassant, nulle vanité impérieuse, nulle prépotence ; il n’était pas homme à changer en joug pour ses collègues l’ascendant qu’eussent pu lui donner sa position et l’utile éclat de son service oratoire. Associé dès l’origine au gouvernement actuel, il en possédait de première source les traditions ; n’étant point en politique un créateur, un inventeur, il n’était pas exposé à tomber dans les entêtemens et les susceptibilités orgueilleuses de l’esprit de système ; toujours maître de sa parole, la mesurant à son gré, il ne donnait point à craindre les indiscrétions, les saillies, les emportemens, en un mot tous les périls inséparables de l’imagination, de l’irritabilité ou de la passion chez les orateurs politiques. Une grande ductilité d’opinion, une commode facilité de caractère, une parfaite dextérité de langage, faisaient de lui l’homme unique et par excellence de la situation nouvelle.

L’instinct général a promptement démêlé les qualités qui rendaient M. Billault si précieux au gouvernement dans les circonstances actuelles, il a compris sur-le-champ combien la réunion de ces qualités est difficile à rencontrer en un autre homme, combien M. Billault sera difficile à remplacer. Il y a dans cette mort un pressant avertissement dont il nous semble impossible que le gouvernement ne sente pas la gravité. Quand on songe au mouvement que la mort de M. Billault doit déterminer dans le personnel gouvernemental, on est frappé de la pénurie d’hommes où nous a laissés une trop longue interruption de la vie publique, telle qu’elle est réclamée, par les conditions de la France moderne. Il faut désormais au ministère d’état un orateur, car nous ne supposons pas qu’on revienne sur l’arrangement du 23 juin, et que l’on consente à faire le pénible aveu que l’existence d’une institution est subordonnée à la vie d’un homme, et que l’on est obligé, faute d’hommes, à renoncer a une combinaison constitutionnelle exigée par l’état du pays. Le cercle des candidats est prodigieusement restreint. En cherchant un successeur à M. Billault, l’opinion publique ne pressent avec faveur que M. Rouher ; mais alors qui remplacera M. Rouher au conseil d’état ? Là encore il faut un orateur et un orateur politique. Devra-t-on arracher M. Baroche au repos du ministère de la justice ? C’est un souci sérieux pour les esprits réfléchis, c’est aussi, qu’on en soit convaincu, une cause d’inquiétude vague pour l’opinion que cet état de disette où nous sommes tombés en fait d’hommes. « Il ne suffit pas, disait le premier Napoléon, que les hommes capables de gouverner un pays existent et se connaissent eux-mêmes ; il faut encore qu’ils soient connus. » Où sont-ils, les hommes connus ? Au prix de quels troubles est-il donné aux hommes de se révéler tout-à coup et d’improviser leur renommée ? Pour les sociétés destinées à être libres, c’est une condition de sécurité que de se familiariser longtemps d’avance avec les personnages publics appelés à participer tour à tour à la direction des affaires. Et cependant, nous le demandons avec tristesse, est-il possible de discerner aujourd’hui parmi nous ces coureurs du grand poète destinés à se passer de main en main le flambeau de la vie ? Faire des hommes devrait être la première application de ceux qui sont maîtres de la vie politique de la France, et comment faire des hommes sans la liberté ? La véritable compensation à la perte de M. Billault, ce serait, à notre avis, de brusquer la période de transition dont on semblait lui avoir remis la conduite, et d’entamer d’emblée le large développement des libertés constitutionnelles.

Aussi bien c’est à la veille d’une session que celui qui était destiné à être le leader de nos chambres est enlevé tout à coup de la scène politique. Dès le début de la session, à la vérification des pouvoirs, la question de la liberté jaillira d’elle-même, et des voix puissantes la feront pénétrer profondément dans la conscience du pays. La contradiction la plus manifeste du système actuel se posera là dans sa forme la plus saisissante. Nous vivons sur le pacte du suffrage universel et de la souveraineté populaire, et cependant nous affichons dans nos lois et dans nos pratiques administratives la défiance la plus illogique et la plus injuste du suffrage universel. Nous affirmons dans le langage le droit émané du suffrage universel, et nous le contestons par nos actes. Nous refusons au suffrage universel la liberté de la presse et la liberté de réunion, qui sont les conditions de son initiative, de sa spontanéité, de son discernement et de son indépendance, et cela ne nous suffit point : nous avons la prétention de peser sur lui de tout le poids de l’administration. Nous traitons comme un administré cet électeur qui en présence de l’urne doit être un souverain.

Nous attendons pour notre compte avec impatience les débats qui s’engageront à propos de la vérification des pouvoirs sur le système électoral du gouvernement. Les dossiers des élections vont apporter les révélations les plus curieuses sur les pratiques administratives. L’opposition compte un nombre de membres suffisant pour que ces dossiers soient dépouillés avec l’attention convenable. Elle possède des orateurs assez éminens pour mettre en relief et faire éclater aux yeux du pays la contradiction choquante qui existe entre le principe du suffrage universel tel qu’il est posé par la constitution et les entraves que les lois restrictives sur la presse et les droits de réunion et d’association, jointes aux influences administratives, mettent à sa liberté. Nous sommes sans inquiétude sur le résultat d’une pareille discussion : la raison et l’honnêteté publique prises à témoin ne peuvent rendre qu’un verdict favorable à la liberté.

La discussion de l’adresse suivra la vérification des pouvoirs. L’examen des questions intérieures y sera amplement complété. Parmi ces questions, il en est une qui ne peut manquer d’être approfondie, c’est la situation financière. Nous n’anticiperons point sur ce grave débat. Déjà cependant, en dehors de la chambre, les questions financières ont donné lieu à des études approfondies. Les objections de l’opposition à la marche suivie, ses prévoyans et prudens avertissemens, n’ont point manqué, et à ce propos il serait injuste de ne point rappeler les remarquables travaux de M. Casimir Perier. Ces travaux, revus et coordonnés, viennent d’être réunis par M. Perier en un volume sous ce titre : les Finances et la Politique. Les lecteurs de ce livre instructif regretteront qu’il n’ait pas été donné à M. Perier de porter lui-même au corps législatif, en face de la contradiction ministérielle, les critiques si bien justifiées qu’il élève sur les actes financiers du gouvernement. C’est là surtout que M. Perier eût pu démontrer avec autorité et efficacité le lien si étroit qui unit la bonne gestion des finances à la liberté politique. Sur ce point-là, nous ne saurions trop applaudir à ses doctrines. Nous ne partageons point toutes ses idées sur quelques détails ou sur certaines questions de forme. Nous croyons qu’il n’attache pas assez d’importance aux réformes introduites par M. Fould dans notre comptabilité financière. Nous n’avons sans doute jamais pensé que ces réformes pussent être efficaces, si le gouvernement et les chambres se laissaient aller à l’entraînement des dépenses inconsidérées. Nous avons cru et nous croyons encore que, si les réformes de M. Fould n’étaient pas capables par elles-mêmes d’arrêter le mal, elles avaient du moins l’avantage d’en rendre la révélation plus claire, et d’en laisser plus nettement la responsabilité à ceux qui ne voudraient pas ou ne sauraient pas le prévenir. L’expérience nous donnera raison. Si des viremens de crédit ont été opérés cette année, il sera facile à la chambre d’en apprécier pour ainsi dire tout de suite les motifs et les effets politiques, tandis qu’avec l’ancien système des crédits extraordinaires le contrôle, arrivant trop tard, eût été illusoire. De même on saisira plus tôt et mieux les conséquences financières de l’expédition du Mexique. Par un bien triste contre-temps, ce fut au moment même où M. Fould entreprenait d’améliorer la situation du trésor que le gouvernement s’engagea dans l’affaire du Mexique. Cette coïncidence et les conséquences financières qu’elle a eues, clairement visibles aujourd’hui, vont être un sujet d’utile méditation et un sérieux enseignement pour les hommes politiques. Voici le curieux spectacle auquel nous avons assisté. D’une part, un ministre des finances s’applique à nous tirer de l’embarras d’une dette flottante d’un milliard ; pour cela, il a recours à l’expédient héroïque de la conversion facultative du 4 1/2 ; il obtient dans cette opération un succès inespéré. Notre dette flottante, considérablement atténuée, est ramenée à des proportions normales. En même temps, d’un autre côté, l’entreprise du Mexique s’engage et se développe : humble au début, traversée bientôt par des incidens qu’on n’a pas su prévoir, elle prend des dimensions inattendues et nous impose des charges énormes. Nous avons souvent insisté sur un des dangers les plus graves de notre système politique, qui est le défaut d’unité et le désaccord qui se manifeste parfois entre les diverses branches du gouvernement. Y a-t-il jamais eu une démonstration plus saisissante de ce péril que celle que nous signalons ici ? Pendant que le ministre des finances fait des miracles pour opérer des économies et obtient de la masse des rentiers le sacrifice sans exemple de la fameuse soulte déposée sur l’autel de la patrie, les départemens des affaires étrangères, de la guerre et de la marine sont occupés d’une opération qui certes n’a été du goût ni des contribuables ni des rentiers, et qui, nous le craignons, nous impose une dépense extraordinaire beaucoup plus considérable que l’économie, assurément fort extraordinaire aussi, que M. Fould était parvenu à réaliser. En fin de compte, la présentation du prochain budget nous apprendra peut-être que, grâce à l’expédition du Mexique, nous ne sommes guère plus avancés, au point de vue de la situation du trésor, que nous ne l’étions en 1861.

La question financière est donc un des principaux élémens que l’on doive avoir en vue dans le jugement qu’il y a lieu de porter sur l’affaire du Mexique. Hélas ! ce n’est point le seul. Si c’était le seul, et s’il était possible d’espérer que la présence de l’archiduc Maximilien à Mexico pût suffire à l’établissement d’un gouvernement régulier et stable au Mexique, la difficulté ne serait pas grande. Le nouveau gouvernement mexicain contracterait aisément un emprunt à Londres et à Paris ; sur le produit de cet emprunt, nous retrouverions vite les millions que nous coûte le Mexique, et nous allégerions ainsi notre dette flottante. Malheureusement la question n’est pas si simple, et il n’est guère possible de remettre les responsabilités futures de la France au hasard de l’acceptation de l’archiduc. Ce prince ne refuse point la couronne que la France lui transmet. Plusieurs personnes s’étonnent de cet empressement d’un prince de la maison d’Autriche à accepter un patronage français. Nous ne partageons point leur surprise : s’il était permis en un si grave sujet de se livrer à une saillie de dilettantisme historique, nous rappellerions que la maison d’Autriche ne tient que par les femmes aux anciens Habsbourg, que par les mâles elle n’est autre que la maison de Lorraine, qui a connu jusqu’à une époque peu éloignée de nous le patronage français, et nous trouverions enfin qu’il y a quelque chose de piquant à la fois et de naturel à voir un prince lorrain rentrer dans l’orbite de la France. Mais à quelles conditions l’archiduc acceptera-t-il la couronne ? C’est une question qui est sérieusement posée dans un écrit récent d’un député au corps législatif, M. de Belleyme, la France et le Mexique. M. de Belleyme ne veut point que la France, dans l’établissement du nouvel empire mexicain, aborde l’avenir dans le vague. Il n’est que trop facile de prévoir que l’archiduc Maximilien, en se laissant conduire au trône par la main de la France, nous demandera pendant une certaine période l’appui d’un corps d’armée français. On est même allé jusqu’à indiquer le chiffre de 15,000 hommes comme exprimant le contingent militaire que la France devrait lui fournir. M. de Belleyme s’élève avec une fermeté éloquente contre une telle perspective. « Le gouvernement de Mexico, se demande-t-il, paierait-il les frais du corps d’occupation que la France aurait à maintenir sur son territoire ? Ceci soulève la question de savoir si, aux termes de nos lois, le gouvernement français pourrait mettre une partie quelconque de notre armée au service d’un gouvernement étranger, s’il pourrait, pour ainsi dire, la rendre mercenaire. Il ne faut pas oublier que le service militaire est gratuit en France, et, s’il fallait quinze mille hommes au Mexique, comment pourrait-on demander à quinze mille jeunes gens de sacrifier sept années de leur vie pour aller défendre à deux mille lieues de la France un gouvernement étranger ? » Il est clair que si l’archiduc Maximilien prend la couronne sans être assuré pendant un certain temps de l’appui militaire de la France, sa situation sera des plus précaires et des plus fragiles. Adieu alors aux projets d’emprunt mexicain ! adieu au mirage du remboursement intégral et prompt des frais de la guerre ! adieu à l’expédient qui nous aurait permis de réduire les découverts du trésor ! Mais la question vaut la peine d’être envisagée avec une virile franchise et d’être tranchée avec une mâle résolution. Mieux vaudrait à coup sûr empocher, comme on dit vulgairement, la perte sèche des frais de l’expédition du Mexique que de nous engager dans une nouvelle série d’aventures sous une forme qui compromettrait gravement les intérêts de la France sans couvrir suffisamment son honneur. Notre politique en Amérique ne nous a point porté bonheur jusqu’ici. Il peut être chevaleresque, mais il n’est nullement prudent d’aller braver sans nécessité, en dehors du courant de nos intérêts naturels, contrairement à nos traditions les mieux établies, les États-Unis et leur doctrine de Monroë. Qu’on le fasse sans péril tandis que l’Union est déchirée par une effroyable guerre civile, nous le voulons bien ; mais pourrait-on de gaîté de cœur charger notre avenir du danger d’une collision avec la grande république américaine ? Ne goûtons-nous pas déjà les fruits de notre fâcheuse attitude envers les États-Unis ? Croit-on que nous ne sommes pour rien dans ces ovations aux officiers russes dont New-York, la cité impériale, nous envoie le-triste retentissement ?

Tout le monde a reconnu déjà depuis longtemps que notre action dans la question polonaise est paralysée par notre situation au Mexique. La presse officieuse vient de nous donner dans la question polonaise un spectacle étrange. Dix jours après le discours de lord Russell, les organes de cette presse, comme réveillés en sursaut, ont découvert qu’il y avait à tirer un grand parti de la déclaration du ministre anglais touchant la déchéance des droits que la Russie tenait des traités sur la Pologne. Les traités de 1815 n’existent plus, se sont-ils écriés d’un air triomphant, la question polonaise n’a jamais cessé d’être une question européenne, et la France, qui n’y est pas plus intéressée que les autres puissances, y mesurera son action à celle des autres gouvernemens. Ces assertions frivoles et emphatiques ont semblé à une certaine portion du public comme l’inauguration d’une ère nouvelle où allaient disparaître toutes les responsabilités périlleuses qui peuvent atteindre la France dans le drame douloureux où se jouent encore une fois les destinées de la Pologne. A ceux qui redoutent que les affaires polonaises nous entraînent à la guerre, aussi bien qu’aux journaux qui ont l’air de croire que nous pouvons, dans cette question, mesurer à notre fantaisie les responsabilités de la France, il faut rappeler que ni les gouvernemens ni les peuples n’ont sur les de ce monde un pouvoir arbitraire ; ni les uns ni les autres ne peuvent évoquer ou congédier à leur gré les révolutions. Il ne suffit point que les questions soient importunes pour qu’on ait le droit et la puissance de les écarter ou de les supprimer ; elles s’imposent à nous au moment que nous n’aurions pas choisi, et même quand nous voulons être réfractaires aux impulsions qu’elles nous donnent, elles nous poussent malgré nous-mêmes à des conséquences que nous n’eussions ni souhaitées ni prévues. Il en est certes ainsi de la question polonaise : un essai de conciliation devait être tenté auprès de la Russie ; on n’y a point épargné la patience. Cette tentative a radicalement échoué. Maintenant deux choses seules sont possibles : ou laisser écraser la Pologne, permettre à la Russie d’y rétablir sa domination par la plus effrayante terreur et le plus cruel despotisme, ou bien apprêter avec résolution et vigueur les combinaisons et les mesures nécessaires pour arracher la Pologne à l’oppression moscovite.

Si l’on prenait le parti de laisser écraser la Pologne, peut-on s’imaginer sérieusement que pour que l’honneur de la France fût sauf il suffirait de dire : « La France n’a pas pu agir, parce que l’Angleterre et l’Autriche n’ont rien voulu faire ? » Une pareille façon de s’absoudre serait ridicule et pitoyable. Dans l’impuissance avouée de l’Europe, la France aurait nécessairement sa part, et serait inévitablement affectée dans ses intérêts et dans son prestige par la désolante influence d’un tel aveu. La destruction de la Pologne accomplie par les moyens que la Russie emploie sous nos yeux aurait deux ordres de conséquences, les unes morales, les autres politiques, et pour peu qu’on y veuille réfléchir de bonne foi, on sera forcé de reconnaître que ces conséquences atteindraient la France plus gravement que les autres états. Les conséquences morales seraient la perturbation que le sacrifice de la Pologne jetterait dans la conscience des peuples. Croit-on que les idées de justice, de droit national, d’équité politique, n’aient pas plus de prise sur la conscience de la France que sur celle des autres peuples, et que la conscience de notre pays ne sera pas plus émue, plus agitée, plus ébranlée à la vue du désastre de la Pologne que celle des autres nations ? La France actuelle, la France de la révolution, pour se disculper à ses propres yeux, ne pourrait plus même avoir la honteuse excuse de dire, comme au dernier siècle, qu’elle n’est après tout que la France de Louis XV, de la Dubarry et du duc d’Aiguillon. Les conséquences politiques touchent aux intérêts : la Pologne détruite n’affecterait presque en rien les intérêts politiques de l’Angleterre ; elle obligerait l’Autriche, qui est un gouvernement et non une nation, de se rapprocher de la Russie ; ce vieux pacte du partage, qui a été au fond le vrai ciment de la sainte-alliance, reprendrait toute sa force, et la France, irritée autant qu’humiliée, se retrouverait en présence d’une nouvelle coalition du Nord. Comment peut-on vouloir donner à croire un seul instant que, quelle que soit l’issue de la question polonaise, les intérêts de la France et son honneur se puissent dégager par la fiction d’une responsabilité collective ?

Il n’est donc point raisonnable de chercher à endormir l’opinion française dans une fausse sécurité, et à l’amuser par des interprétations superficielles et inexactes des déclarations d’un ministre étranger. On a bien à tort donné le change sur la portée du discours du comte Russell en y voyant la répudiation des traités de 1815. Dans un contrat entre particuliers, quand l’une des parties n’a point rempli ses obligations, elle perd son droit aux avantages réciproques qu’elle pouvait prétendre ; mais la partie lésée, en lui signifiant cette déchéance, ne la dispense point de ces obligations : elle entend, à son heure et à sa convenance, faire valoir les droits qu’elle tire de cet acte, et jamais le contrat n’a plus de force qu’au moment où il est ainsi dénoncé à ceux qui l’ont violé. Il en est de même pour les traités internationaux. La Russie n’a pas rempli envers la Pologne les conditions qui lui étaient imposées par les traités de 1815 ; lord Russell lui déclare que, puisqu’elle n’a point rempli son engagement, elle a perdu son titre, et, bien loin de répudier les traités de 1815, nous sommes certains que lord Russell n’en a jamais plus entendu affirmer la valeur légale qu’au moment où il prononçait contre la Russie cette solennelle sentence. La presse officieuse a donc commis une méprise maladroite, et très peu utile à la cause de la Pologne, en confondant la déchéance du titre diplomatique de la Russie sur la Pologne avec la déchéance générale des traités de 1815.

La déclaration de lord Russell peut devenir sans doute le point de départ avantageux d’une nouvelle phase de la question polonaise. Pour qu’elle ait ce caractère, il n’y a aucun intérêt à se dissimuler qu’il faut qu’elle soit le préliminaire de l’emploi des mesures de coercition contre la Russie. Après avoir proclamé que la Russie a perdu le titre légal qu’elle puisait dans les traités à la possession de la Pologne, si on ne veut pas laisser périr une nation que l’on déclare injustement conquise et possédée désormais, il faut avoir la franchise et le courage de le dire, il n’y a plus qu’une chose à faire : c’est la guerre. Dans cette situation, il faut redoubler encore de franchise et de courage pour s’avouer à soi-même ce qu’on veut et ce qu’on peut. Il résulte évidemment du langage du gouvernement français que s’il y a la guerre, il entend la faire à trois. Nous ne disons point qu’il ait tort ; mais ici encore il faut bien se garder de croire qu’il y ait égalité de chances et de devoirs entre les trois puissances. Aucune des trois n’a dans un conflit avec la Russie les mêmes intérêts a sauvegarder, des périls égaux à braver et des contingens également efficaces à fournir. Cette guerre ne ferait courir aucun danger à l’Angleterre, et ce pays n’y pourrait apporter un concours militaire décisif. La France, n’étant pas à la portée de la Russie, serait exposée à peu de risques, et pourrait donner une armée. La puissance qui encourrait les plus grands dangers, qui pourrait aussi porter à la Russie les coups les plus sensibles, est évidemment l’Autriche. Une guerre européenne pour la Pologne contre la Russie n’est pas possible sans le concours de l’Autriche. Si donc on veut continuer dans l’action l’accord des trois puissances que l’on a établi pendant la négociation, on reconnaîtra que l’Autriche doit être le pivot de toutes les combinaisons militaires et de tous les arrangemens diplomatiques qui se rapporteront à la guerre. L’Autriche, qui peut-être au fond répugne moins à la guerre qu’on ne l’imagine généralement, ne peut entrer dans une politique coercitive contre la Russie sans obtenir de grandes garanties préalables. Si elle se joint à l’entreprise de la reconstruction d’une grande Pologne, elle doit compter qu’elle ne conservera pas la Galicie ; il faut lui assurer des compensations. Les garanties, qu’il n’est pas nécessaire d’indiquer, il n’y a que le désintéressement proclamé de la France qui puisse les donner à l’Autriche. Quant aux compensations, elles ne nous semblent pas pouvoir être promises par l’Angleterre, dont le gouvernement ne contracte jamais d’engagemens éventuels, et ce serait encore la caution de la France qui devrait être réclamée. Nous n’irons pas plus loin dans ces indications; mais si la diplomatie travaille activement à la question polonaise, c’est à préparer des combinaisons semblables qu’elle doit être occupée. Nous sommes au moment où il faut jouer le grand jeu, et nous allons voir si les acteurs sont à la hauteur des rôles que la situation leur impose. E. FORCADE.



M. EDWARD ELLICE.

M. Edward Ellice, membre du parlement, est mort le mois passé dans le nord de l’Ecosse, à l’âge de quatre-vingts ans. Il était un des plus parfaits modèles du gentleman de la vieille roche, type qui malheureusement disparaît tous les jours. Tous nos hommes politiques l’ont connu et pratiqué, et il avait presque autant d’amis en France qu’en Angleterre. Whig pur sang et sagement libéral, il disait avec vérité et non sans un certain orgueil qu’il était citoyen du monde. En effet, personne ne fut plus exempt de préjugés et de passions, plus prompt à reconnaître et à louer le bien partout où il le rencontrait. Il entra à la chambre des communes en 1826, et depuis cette époque il n’a pas cessé de représenter la ville de Coventry, où d’abord il avait été élu. En 1830, lorsque lord Grey, à la famille duquel il était allié, devint premier ministre, M. Ellice fut nommé secrétaire adjoint de la trésorerie, et pendant la lutte passionnée qui eut lieu à l’occasion de la réforme parlementaire, il exerça dans la chambre les fonctions de whipper-in. Ce terme est emprunté au vocabulaire de la chasse : il désigne le veneur chargé de ramener les chiens sur la piste. Par métaphore, on donne le même nom au confident du chef du cabinet (ou du chef de l’opposition) qui veille à l’union intime des membres du parti. Relever le courage des timides, retenir les emportés, apaiser les mécontens, négocier avec les neutres et en faire des alliés, telle est la tâche du whipper-in.

Dans ces temps difficiles où la chambre comptait un grand nombre de membres nouveaux et peu disciplinés, cette tâche ne pouvait échoir à un homme mieux qualifié pour la bien remplir. La loyauté connue de M. Ellice, sa finesse, son tact, sa profonde connaissance des hommes, surtout son remarquable entregent, contribuèrent puissamment au succès du bill de réforme. Il excellait à ménager les amours-propres, à calmer les à rallier dans un effort commun toutes les fractions du parti libéral. Après la victoire, il résigna ses fonctions à la trésorerie, et sur les instances de ses amis politiques accepta la place de secrétaire d’état du département de la guerre, qu’il occupa jusqu’en 1834 en y laissant les plus honorables souvenirs. Depuis lors, il refusa toujours une place dans le cabinet ou dans la chambre des lords. Dans la chambre des communes, où il continua à siéger, son expérience de la tactique parlementaire lui donnait une influence considérable et une autorité reconnue parmi les membres de son parti. Il parlait rarement, mais il était toujours écouté avec faveur, car, lorsqu’il prenait la parole, c’était d’ordinaire pour proposer quelque moyen pratique de dénouer une question difficile. M. Ellice avait été lié d’amitié avec les hommes les plus illustres de son temps, entre autres avec lord Byron. Ils avaient été ensemble directeurs du théâtre de Drury-Lane. Ce ne fut pas la plus sage action de la vie de M. Ellice, mais il s’était fort amusé en essayant de faire fleurir l’art dramatique. Il y avait perdu beaucoup d’argent, dont il se souciait peu, et avait appris quantité d’anecdotes qu’il racontait de la manière la plus agréable. Dans la société anglaise, où tout le monde a un sobriquet, on l’appelait le Bear, l’ours. Je n’ai jamais su l’origine de ce surnom, qu’il ne répudiait nullement, mais qui contrastait fort avec son caractère enjoué et ses manières gracieuses et polies. Il aimait le monde et y était recherché. Peu d’hommes ont eu au même degré le don de plaire au premier abord ; à quelque personne qu’il s’adressât, à un pair d’Angleterre ou à un paysan, c’était avec un air de cordialité et de bonne humeur auquel il eût été difficile de résister. Il était particulièrement bien venu auprès des femmes ; il savait leur parler et les écouter. Les mal mariées, les demoiselles avec des inclinations contrariées savaient qu’elles trouveraient en lui un conseiller indulgent, sensé et d’une discrétion à toute épreuve. Il aimait la jeunesse, excusait les folies des étourdis ; mais il était sévère pour les Catons en herbe et les raillait impitoyablement. On ne pouvait l’accuser d’être laudator temporis acti ; cependant il blâmait la mode du cigare et regrettait le temps des causeries d’hommes à table après le dessert et le départ des dames. C’était là, disait-il, qu’il avait appris tout ce qu’il savait. M. Ellice savait beaucoup, car toujours il avait dîné en bonne compagnie.

Tous les ans, il passait quelques semaines en France et s’informait curieusement de toutes les nouveautés. Il allait l’été au fond de l’Ecosse s’établir dans une coquette petite maison au bord d’un beau lac, entourée de hautes montagnes, sur lesquelles, au moyen d’une lunette, on voit errer des troupeaux de cerfs sauvages. Là il réunissait les hommes les plus distingués dans la politique, les sciences et les arts. Beaucoup d’étrangers y étaient invités. Les femmes à la mode, les beaux esprits de Londres, tenaient à honneur de passer quelques jours dans le cottage de Glenquoich. On était prévenu qu’on allait au désert et qu’on y serait logé à l’étroit, comme à bord d’un vaisseau. C’était bien le désert en effet, mais le désert le plus pittoresque, et pourvu de toutes les recherches d’un luxe de bon goût et d’un cuisinier français. Ce qui valait encore mieux, c’est l’accueil charmant qu’on y trouvait, c’est un savoir-vivre parfait qui, laissant à chacun liberté entière, établissait en peu de temps une douce intimité entre tous les hôtes de Glenquoich. M. Ellice faisait le plus noble usage de sa fortune. Il était toujours prêt à venir en aide à un ancien ami tombé dans le malheur, à encourager le mérite encore obscur, à soulager les infortunes imméritées. On ne saura jamais tous les bienfaits qu’il a répandus avec la plus noble délicatesse. Honoré, aimé de tous, il était parvenu à l’âge de quatre-vingts ans sans aucune infirmité, sauf quelques attaques de goutte. Il disait souvent qu’il avait été toujours heureux. Il n’ajoutait pas qu’il avait toujours mérité de l’être. Une mort soudaine, exempte de toute souffrance, a couronné sa belle et longue vie On peut appliquer à M. Ellice ce que M. Mignet a dit de Franklin : « Sa vie constamment heureuse est la plus belle justification des lois de la Providence. »


PROSPER MERIMEE.


Histoire de Nice et des Alpes-Maritimes, par M. Fervel[1].

A peine annexé à la France, le comté de Nice est déjà le sujet d’une intéressante monographie. M. le colonel Fervel ne s’est point borné à extraire les récits enfouis dans les compilations italiennes; il a parcouru le pays dans tous les sens, et il le décrit non point seulement avec la précision qui convient à un officier du génie, mais encore avec la passion de l’érudit et de l’antiquaire, qui recherche l’origine des vieux monumens, évoque tous les souvenirs, et interroge tous les sillons. Et en effet que d’événemens se sont accomplis, combien d’hommes, et des plus illustres, ont passé sur ce petit coin de terre, à commencer par Hercule, fondateur de Monaco et de Villefranche ! Dans sa longue carrière de plus de vingt et un siècles, Nice, fondée et baptisée du nom de Victoire (Nikê) par les riches colons de Marseille, s’est vue mêlée aux plus grands événemens de l’histoire. Conquise par César, elle a pris part aux sanglantes luttes de Rome contre les Barbares. Au moyen âge, elle a successivement reconnu la domination de la maison d’Anjou, de la maison d’Aragon, de la couronne de Savoie, défendant toujours ses institutions républicaines et ses franchises municipales, fière de son commerce, de son luxe, de sa civilisation, reflets lointains, mais ineffaçables, du génie de la Grèce, qui l’avait éclairée à son berceau. Plus tard, lorsque l’Europe était toute remplie par la rivalité de François Ier et de Charles-Quint, Nice a reçu dans ses murs les deux monarques et le pape Paul III, leur impuissant médiateur. Ville de guerre de premier ordre, elle a soutenu presque à chaque siècle des sièges mémorables; elle a repoussé les Turcs, elle s’est défendue contre les armées de Louis XIV. Aucun genre de gloire, aucune épreuve ne lui a manqué, et chacune de ces péripéties se rattache aux événemens les plus importans de l’histoire de l’Europe.

Tous ces faits, avec les épisodes qui leur appartiennent, sont retracés par M. le colonel Fervel dans la monographie qu’il a consacrée au comté de Nice. Il nous suffit d’avoir indiqué le sujet des principaux chapitrés pour signaler l’intérêt que présente ce travail, où se rencontrent souvent, à côté des récits de la chronique, les sérieuses appréciations de l’histoire.


c. LAVOLLEE.

  1. Paris, Hetzel et Dumaine, 1862.