Chronique de la quinzaine - 14 novembre 1893

Chronique n° 1478
14 novembre 1893


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre.

La déclaration ministérielle dont M. Charles Dupuy donnera aujourd’hui lecture à la Chambre a pour but de démontrer au pays que rien n’empêche un habile homme de fabriquer un cabinet modéré avec des ministres radicaux, et un ministère homogène avec des élémens qui ne le sont pas. C’est sans malice que nous constatons la chose et que nous souhaitons bonne chance au ministère, renouvelé, non dans ses membres, mais dans son esprit.

S’il est malaisé en effet à un homme politique de passer de droite à gauche et à un rallié d’entrer dans le royaume républicain, il est beaucoup plus facile d’émigrer de l’extrême gauche au centre, — qui veut le plus peut le moins, — et de faire revenir en arrière un personnage « avancé ». L’histoire est là qui le prouve. C’est pourquoi M. le Président du Conseil, à qui il répugnait de débarquer, ou pour mieux dire de jeter par-dessus bord une bonne moitié de ses collègues, leur a tendu au contraire une perche secourable. Il a invité les titulaires actuels de portefeuilles à présenter la liste des projets de loi que, dès la rentrée, ils comptaient soumettre aux Chambres. Cette liste comprend, outre les projets complètement inédits, ceux qui déjà étaient en instance devant le Sénat, ou qui, présentés seulement aux députés, avaient été rendus caducs par la fin de la législature. L’idée de M. Dupuy, en demandant ce travail aux autres ministres, n’était pas de formuler une énumération pure et simple, mais bien d’établir l’esprit dans lequel chaque loi nouvelle serait conçue et la solution qu’elle tendrait à consacrer. Par cet échange de vues, le cabinet était amené à reconnaître le désaccord ou l’unité des doctrines existant entre ses membres sur la ligne qu’il entendait suivre.

Au programme affirmatif des réformes qu’on se propose d’accomplir, a été adjoint un contre-programme, négatif, des mesures que le gouvernement se fera un devoir de repousser, telles que la séparation des églises et de l’État, la révision de la constitution, l’impôt sur le revenu et autres soi-disant progrès qui constituent la plate-forme du radicalisme. M. Goblet n’aura donc pas besoin, comme il en avait manifesté l’intention, de poser sur les points qui précèdent des questions insidieuses au ministère, afin de le faire sortir « des déclarations vagues et ambiguës ». Le ministère prend les devans.

Il se déclare opposé à l’amnistie, qui ne serait qu’un encouragement aux fauteurs de désordre, et répond ainsi par avance à l’interpellation que MM. Millerand et Basly ont l’intention de lui adresser sur son attitude pendant cette longue et triste grève du Pas-de-Calais qui vient de finir. Quant à la loi sur les associations, celle que M. Dupuy présentera sera, — nous voulons le croire, — Tout le contraire du projet déposé en 1892 par le cabinet Freycinet, dont le principal mérite consistait, suivant le mot d’un ancien député de Paris, « à tordre le cou aux congrégations religieuses sans en prononcer le nom ».

Bref, le nouveau ministère Dupuy, bien que composé des mêmes personnes, ne ressemble en rien à l’ancien ministère Dupuy, où l’on comptait, en dehors des ministres de la guerre et de la marine, trois modérés et cinq radicaux. Ce sont bien, si l’on veut, les mêmes noms ; une partie de ceux qui les portent ont dépouillé le vieil homme ; ils ont reçu le saint-esprit électoral qui a soufflé sur leurs convictions anciennes, dont il n’est plus rien demeuré. Par exemple, ce n’est pas dans le cabinet nouveau que l’on rencontrerait un ministre des finances comme M. Peytral, donnant brusquement sa démission en juillet, pour marquer qu’il réprouvait la conduite énergique du préfet de police, M. Lozé, vis-à-vis de l’émeute. Au contraire, le nouveau M. Peytral s’associe de tout cœur à la compensation que l’on accorde à ce fonctionnaire, dont on reconnaît les qualités de diplomate en le nommant ambassadeur à Vienne.

Il se trouvera des gens pour dire que les membres radicaux du cabinet ont sacrifié leurs principes à leurs intérêts, qu’ils ont plié plutôt que de rompre, et que, jugeant le modérantisme profitable, ils l’ont estimé nécessaire. Rien ne démontre toutefois que cette accusation serait fondée ; et il nous plaît, à nous qui avons demandé que l’on ne suspecte pas la sincérité des ralliés du conservatisme, de croire que les ralliés du radicalisme sont également de bonne foi, et s’associent du fond du cœur à la politique libérale que le cabinet dont ils font partie entend suivre. C’est à leurs actes, à leur administration que le pays les jugera, beaucoup plus qu’à leur adhésion tacite à une déclaration ministérielle, document dont le genre de style n’exclut pas une obscurité relative.

Quant au cabinet, c’est également à ses actes que le pays verra s’il possède enfin le gouvernement volontaire qu’il réclame. Pendant trop longtemps nous n’avons eu de gouvernement que le nom ; les causes qui ont jusqu’ici maintenu cet état d’anarchie ont cessé ; il ne tient qu’à ceux auxquels le pouvoir est présentement départi d’en faire l’usage qu’ils annoncent. Il a maintes fois semblé aux spectateurs impartiaux de nos polémiques que les ministres, craignant naturellement les coups, et s’avisant qu’ils avaient moins de chance d’en recevoir s’ils ne s’y exposaient pas, évitaient de se compromettre et de prendre position ; ce qui d’ailleurs ne les garantissait pas des chutes.

Nous demandons des ministres qui se tiennent debout, des ministres autoritaires, qui ne laissent pas le règlement de l’ordre du jour aller à la dérive, qui aient un programme de travail arrêté et qui le fassent prévaloir. La Chambre les suivra, s’ils ont l’air de savoir où ils veulent aller. On demeure stupéfait quand on voit, en 1789, l’Assemblée constituante renouveler en quelques mois les fondemens de la France, et qu’après cent ans de régime parlementaire, nos Chambres d’aujourd’hui n’arrivent même pas à enfanter des réformes de détail, sur le principe desquelles elles sont d’accord. Je n’en citerai pour exemple que la loi sur le régime des boissons et la loi sur les assurances ouvrières contre les accidens.

L’œuvre législative peut commencer sans retard, puisqu’il n’y a pas de budget à voter pour le moment, et que la vérification des pouvoirs parait devoir être promptement expédiée, une vingtaine seulement d’élections étant jusqu’ici contestées et ayant donné lieu à des protestations régulières. De plus, la règle qui liquide d’un seul coup tout l’arriéré, à l’expiration de chaque législature, et qui fait tomber en poussière les innombrables édifices qu’elle laisse inachevés, permet aux nouveaux élus d’écrire leur plan de campagne sur une feuille blanche, ou à peu près ; parce que la liste des projets votés au Sénat, ou déposés précédemment par le ministère, bien que longue en apparence, comprend beaucoup de broutilles. C’est une situation qui, pendant quatre ans, ne se retrouvera plus.

Pour se rendre compte du rôle indispensable que doit jouer en pareil cas l’intervention gouvernementale, il suffit de songer que, faute de méthode, on aborde d’emblée des problèmes redoutables, qui se présentent sous la forme de grandes lois vagues et mal digérées, et que l’on néglige, ou que l’on repousse, des lois plus modestes mais claires, d’une exécution aisée, et dont on obtiendrait un progrès, non pas immense, mais certain. Ainsi la Chambre se préoccupe de mettre le crédit à la portée des classes laborieuses, ce qui aurait pour effet, tantôt de leur permettre de gagner de l’argent en développant leurs moyens de production, tantôt de les empêcher de perdre celui qu’elles ont péniblement acquis, comme il arrive en ce moment aux paysans qui vendent à vil prix, faute de fourrages, un bétail qu’ils devront racheter au poids de l’or, l’été prochain.

Si la question est intéressante, elle est aussi très difficile à résoudre ; puisque le crédit comporte une solvabilité assurée chez l’emprunteur, et qu’il s’agit ici d’avancer des fonds à des personnes qui n’offrent presque aucune « surface », comme on dit en langage commercial. En effet, le mobilier de l’ouvrier, la monture de ferme du laboureur, sont à peu près tout ce que l’un et l’autre possèdent, et ces deux espèces de biens sont déjà gagés, pour la créance spéciale du propriétaire. La Chambre a cependant voté, après force discussions, une caisse centrale de crédit agricole et populaire ; elle a doté cette caisse, dans laquelle il n’y a rien encore, d’une rente de 2 millions que fournira la Banque de France… lorsqu’on aura renouvelé son privilège. Or, ce privilège, on ne l’a pas renouvelé jusqu’ici ; par conséquent les 2 millions ne sont qu’à l’état d’espérance. La caisse n’est qu’une idée généreuse, fort éloignée du jour de son fonctionnement ; et les petites gens qui ont besoin d’espèces sonnantes sont bien forcés d’ici là de s’adresser ailleurs.

Leur seul banquier, présentement, est le Mont-de-piété. Une loi qui avait pour but d’améliorer les conditions du prêt par cet établissement, était présentée au Palais-Bourbon par le gouvernement, quelques semaines après le vote de la banque populaire. Il ne s’agissait pas cette fois d’un projet grandiose mais platonique ; la mesure entrait de suite en exécution, et les intéressés en recueilleraient aujourd’hui le bénéfice. Ces intéressés sont nombreux ; le Mont-de-piété prêtant chaque année 55 millions de francs à 2 400 000 individus.

La combinaison proposée par le directeur, M. Edmond Duval, homme de grand mérite qui a déjà réalisé, dans l’institution à la tête de laquelle il est placé, des progrès sérieux, tels que le prêt sur valeurs mobilières, et projette d’en réaliser d’autres encore, comme le prêt sur titres de pensions militaires ou civiles ; la combinaison consistait, pour soustraire les petits emprunteurs aux ignobles usuriers qui les exploitent, — en prêtant au taux de cent vingt pour cent par an sur les reconnaissances du Mont-de-piété, — à faire prêter désormais, par le Mont-de-piété lui-même, les neuf dixièmes de la valeur des objets qui lui sont présentés en nantissement, et non plus seulement la moitié ou le tiers de cette valeur.

Les commissaires-priseurs du Mont-de-piété, aujourd’hui personnellement responsables, sont amenés, par la crainte d’éprouver des pertes, à priser les gages fort au-dessous de leur prix marchand. Il arrive que nombre d’emprunteurs (104 000 en 1892) se voient refuser tout secours pour insuffisance de gages, ou encore que certains autres (41 000 en 1892) n’acceptent pas les prêts infimes qui leur sont offerts, ou enfin que, contraints de passer sous les fourches caudines de la prisée, ils sont volés en cas de non-dégagement et de cession de leur reconnaissance. Quel accueil croit-on qu’une Chambre, soucieuse de l’intérêt des misérables, ait fait à une proposition qui mettait fin à un état de choses aussi fâcheux ? Malgré les avis du conseil supérieur de l’Assistance publique, elle l’a repoussée presque sans débats ; et, lorsqu’ils pouvaient en cette circonstance faire quelque chose de positif pour le crédit populaire, les représentans du peuple ont refusé de le faire, alors qu’il n’en coûtait cependant pas un son à l’État.

Veut-on l’exemple d’autres contradictions, qui toutes proviennent de ce qu’aucune main ferme ne guide les délibérations des Chambres, de ce qu’aucun homme de gouvernement, mû par une pensée supérieure, n’oblige, par l’ascendant de sa parole ou la fixité de ses desseins, les sénateurs et les députés à le suivre : on parle beaucoup depuis quelque temps de la réforme du droit de succession, que l’on réduirait du 12e degré au 8e, ou même au 5e. Ce côté de la question n’a guère d’importance, puisqu’il ne s’agit que des successions ab intestat ; personne, j’entends personne dont l’opinion ait quelque poids au Palais-Bourbon ou au Luxembourg, n’a l’idée d’empêcher de disposer de leur bien, par testament, ceux de nos concitoyens qui n’ont pas d’héritier direct ou de proche parent collatéral. La suppression de l’héritage ab intestat, à partir du 8e ou du 5e degré, équivaudrait donc à édicter l’obligation légale de tester, qui n’a rien de bien pénible, et qui d’ailleurs, avant la Révolution, était d’accord avec les mœurs d’une notable partie de la France, toute la région du Midi où subsistait le droit romain. On se proposerait en outre d’augmenter de moitié ou d’un quart les taxes de succession, particulièrement celles qui frappent la transmission des biens en ligne collatérale. Ces taxes varient d’ailleurs aujourd’hui, ne l’oublions pas, de 8,25 à 10 p. 100 du montant de l’héritage.

Ce dernier projet aura néanmoins toute l’approbation des gens sensés, s’il a pour objet de modifier la base de perception du Trésor, en admettant, pour le calcul des droits, la déduction des dettes du défunt, dont il n’est pas tenu compte jusqu’à ce jour. Des majorations d’impôts sur les transmissions de biens par décès rencontreraient aussi des partisans et pourraient encore être admises, si elles avaient pour effet de permettre l’abolition de certains impôts indirects d’une consommation générale, comme le sel, qui paie aujourd’hui une taxe de 300 pour 100 de sa valeur, ou si elles favorisaient les villes dans l’entreprise laborieuse et louable de la suppression de leurs octrois. Les radicaux n’ont pas tout seuls le monopole de l’amour du peuple ; personne, parmi les républicains modérés, ni parmi les conservateurs, ne s’opposerait, j’imagine, à des réformes qui tendraient à dégrever de plus en plus ceux qui n’ont pas ou presque pas de biens.

Il existe cependant un ensemble de lois iniques, autant qu’inouïes, sur les ventes judiciaires d’immeubles, par suite desquelles, lorsque les héritiers mineurs ou la veuve d’un homme qui laisse un capital immobilier de 500 francs, croient entrer en possession de cette valeur, non seulement la loi les en dépouille totalement, mais encore elle les condamne à payer une taxe spéciale à cette occasion. Cela se voit imprimé, sous une forme bénigne et froide, dans les statistiques, qui nous apprennent que les frais obligatoires montent, pour les biens de 500 francs, à 138 pour 100 de leur prix. Cela se répète de temps à autre dans un discours éloquent, comme celui qu’a prononcé l’autre jour, au Havre, M. Félix Faure ; ou dans une brochure, ou dans un article. On lit, on écoute, et l’on passe à un autre ordre d’idées, et la spoliation se perpétue. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, un parlement qui ne demande pas mieux que de réduire l’héritage des bourgeois, parce qu’ils ont du superflu, un parlement qui a des larmes toutes prêtes pour toutes les misères, n’a pas encore trouvé le moyen de modifier un engrenage de formalités légales qui ruinent mathématiquement les mineurs ou les veuves pauvres, sous prétexte de les protéger.

Vastes aspirations et insignifians résultats, plans gigantesques et exécution nulle, tel est le destin réservé à une assemblée qui ne s’impose pas une règle, qui n’a pas de maître, ou qui ne suit pas le maître parlementaire qu’elle s’est donné en la personne du premier ministre. Il n’en coûte rien aux publicistes ni aux orateurs de meetings d’accomplir en cinquante lignes ou en quinze phrases toutes les réformes imaginables, parce que le papier, comme on dit, souffre tout, et que les auditoires de réunions publiques sont également pleins de complaisance. Il n’en peut aller de même pour les hommes d’État, ou supposés tels, qui siègent dans les assemblées légiférantes. Ils doivent se souvenir que la politique, toute la politique, se meut dans un domaine très relatif, que l’art y consiste, par une série d’efforts successifs, à obtenir un peu du mieux, à corriger un peu du pire, et qu’à tout aborder on risque, comme on l’a fait jusqu’ici, de ne rien résoudre.

La fermeté avec laquelle M. Gladstone conduit sa petite, mais solide majorité, l’esprit de discipline avec lequel celle-ci se laisse conduire, peut servir de modèle à nos gouvernans et à nos députés. La modestie de M. Dupuy s’offenserait si on le comparait à l’illustre Premier anglais, dont il n’a ni l’autorité, ni l’expérience ; mais les difficultés avec lesquelles le ministère libéral se trouve aux prises, en Angleterre, sont aussi beaucoup plus grandes que celles qui incombent au cabinet français.

Depuis dix-huit mois que M. Gladstone est aux affaires, il a dû tout sacrifier à l’Irlande. Pas une seule des réformes démocratiques ou sociales, composant ce qu’on nomme le programme de Newcastle, n’a pu être abordée jusqu’à la session complémentaire qui vient de s’ouvrir il y a quelques jours. Le résultat des efforts héroïques déployés pour obtenir aux Communes, le 1er septembre dernier, le vote du home rule, par 301 voix contre 267, était pourtant connu d’avance. Huit jours après, à la majorité de dix contre un, par 419 voix contre 41, les lords temporels et spirituels du Royaume-Uni rejetaient le bill. Ils n’avaient pas employé plus de trois séances à la discussion ; ce qui n’empêchait pas un noble pair de se plaindre qu’elle eût été écourtée dans l’enceinte voisine, où cependant elle avait duré près de neuf mois.

Si M. Gladstone a pu dire, dans le discours qu’il prononçait à Edimbourg, il y a six semaines, que le home rule, dans le cours de l’année prochaine, « flotterait de nouveau sur les flots, sous lesquels en ce moment il a paru sombrer », cette image un peu vague n’est de nature à tromper personne de l’autre côté du détroit ; le chef du cabinet n’a aucun moyen pour vaincre les répugnances de la Chambre haute, et il lui serait, non seulement périlleux, mais funeste sans doute, en ce moment, de recourir sur ce sujet à une sorte d’appel au peuple, sous la forme d’élections nouvelles qui suivraient une dissolution anticipée des Communes.

Le groupe irlandais de Westminster est bien forcé de s’en rendre compte ; M. John Redmond, le leader parnelliste, avait fait entendre que l’appui des 18 membres dont ce parti se compose ferait défaut au ministère si la question des tenanciers évincés n’était pas réglée avant la fin de l’automne, et si le home rule n’était pas remis sur le tapis en 1894. Devant le mauvais effet que ses menaces avaient produites sur ses amis eux-mêmes, il a dû protester de sa fidélité au ministère et déclarer que rien n’était plus éloigné de sa pensée qu’une défection qui ferait le jeu des conservateurs.

De leur côté, les libéraux anglais s’impatientent ; le public purement britannique n’est pas enthousiaste de la question irlandaise ; il n’a pas le moins du monde pris feu contre la Chambre des lords parce qu’elle avait repoussé le home rule bill. Pour donner une satisfaction immédiate à ce dernier parti, le cabinet s’est décidé à aborder la discussion des projets de loi instituant des conseils électifs dans les paroisses et établissant la responsabilité patronale dans les accidens du travail.

Le premier de ces bills, qui vient d’être voté en deuxième lecture à la Chambre des communes, a pour but de donner un organe représentatif aux paroisses rurales d’Angleterre et du pays de Galles, qui restaient jusqu’ici sous l’autorité du propriétaire foncier — squire — Et sous la gestion des conseils de comtés élus et des magistrats choisis dans la classe des landlords. La loi nouvelle est d’une haute importance, puisqu’elle étend aux campagnes le self-government et met fin à la domination de l’aristocratie rurale. Toutefois, comme il est certain que les conservateurs des deux Chambres accepteront cette réforme, et qu’ils ne feront pas plus de difficultés pour l’organisation de la responsabilité patronale dans les accidens, dont la discussion se poursuit depuis une semaine, — lord Salisbury a publiquement exprimé, à Preston, dans un club conservateur d’ouvriers, l’espoir qu’elle serait votée pendant la session en cours, — l’adoption de ces deux bills, auxquels M. Gladstone a limité pour cette année le programme ministériel, ne peut faire présager sa tactique future.

La Chambre des lords, que l’histoire de l’Angleterre nous fait voir toujours opposée aux grandes réformes, a invariablement cédé de bonne ou de mauvaise grâce, lorsqu’elle a constaté que le pays était contre elle. Précisément, à l’heure présente, elle se refuse à faire cette constatation, en se fondant sur les 70 voix anglaises de majorité qui se sont prononcées aux Communes contre l’autonomie de l’Irlande. Le duc de Devonshire a résumé la politique de ses collègues, en disant « qu’ils n’entendent pas s’opposer aux volontés nationales mais qu’ils estiment remplir leurs devoirs envers le peuple, en empêchant qu’un changement constitutionnel décisif soit apporté par une loi qu’un seul parti voudrait imposer à toute une nation. »

Puisque le refus du home rule ne peut à lui seul déterminer un mouvement d’opinion dans la Grande-Bretagne contre la Chambre haute, ainsi qu’on l’avait d’ailleurs prévu ici même et que l’on a pu s’en convaincre cet été, il faut que le cabinet se fasse battre par les Lords sur d’autres terrains. Pour y parvenir il n’aura, parmi les projets radicaux, que l’embarras du choix : la séparation de l’église établie dans le pays des Galles ou la réforme du système d’inscription électorale lui en fourniront les moyens.

C’est à ce dernier plan qu’il s’arrêtera sans doute. La campagne démocratique, menée par le peuple contre la bourgeoisie, au cri de « une voix par tête », fournirait au premier ministre anglais l’occasion du triomphe dont il a besoin. Une défaite éclatante vient d’accueillir, dans une entreprise analogue, ayant pour objet l’extension du droit de suffrage, le chef du cabinet autrichien. Seulement, à Vienne, les rôles sont renversés ; c’est 1 empereur qui, par l’organe de son ministre, le comte Taaffe, offrait le progrès ; ce sont les députés qui le refusent.

Si M. Guizot avait proposé, en 1847, l’abaissement du cens et l’adjonction des capacités, et que la Chambre des députés eût repoussé ses projets et l’eût obligé à rendre son portefeuille, on se demande ce qu’aurait fait le roi Louis-Philippe, mais on sait bien ce qu’il aurait dû faire. L’empereur François-Joseph s’est incliné, il a retiré son présent et accepté, non sans regrets, la démission d’un ministre qui venait de célébrer, sous les tilleuls de, son château d’Ellischau, le quatorzième anniversaire de sa nomination comme chef du cabinet cisleithan. Arrivé au pouvoir en août 1879, le comte Taaffe n’avait jamais cessé de jouir de la confiance du souverain, comme de la méfiance de la plupart des groupes de la Chambre. Aussi posait-il en principe que, pour bien gouverner, on ne doit satisfaire aucun parti. Il est vrai qu’il n’existe pas, dans la Chambre autrichienne, de majorité proprement dite, et le premier ministre, homme d’esprit, toujours gai, voire un peu sceptique, s’était toujours arrangé pour s’en passer. Il évitait les questions irritantes et ne professait aucun goût pour la grande guerre.

Cependant la nouvelle session du Reichsrath s’ouvrait, le 10 octobre dernier, sous des auspices assez sombres. Aucune des coalitions, jusque-là usitées, qui permettaient au cabinet de vivre, ne se trouvait possible, si grand était l’émiettement des groupes et si divers leurs intérêts. La répression sévère, d’aucuns disent excessive, des efforts nationalistes de la Bohême, les protestations des députés tchèques qui en étaient la conséquence ; enfin l’agitation qui n’avait cessé de se poursuivre et de grandir, durant tout l’été, à Vienne et dans les principaux centres de l’empire, en faveur du suffrage universel et direct, tout cela promettait au ministère des séances orageuses. Les plus audacieux cependant parmi les députés, ceux mêmes qui affirmaient que l’avènement des masses rurales et ouvrières à la vie publique n’était plus qu’une question de temps, ne croyaient pas être si près du but ; et ce fut un vrai coup de théâtre dans la séance d’ouverture du Parlement, que de voir le comte Taaffe monter à la tribune et déclarer que « l’examen attentif des mouvemens qui s’étaient produits en Autriche et à l’étranger pendant ces dernières années, avait inspiré au gouvernement la conviction que son devoir l’obligeait à prendre l’initiative, dans une question aussi grave que celle de la réforme électorale ».

Le ministre ajoutait que « le principe de l’extension du droit de suffrage à tous ceux qui remplissent leurs devoirs de citoyens, était considéré par le gouvernement comme un postulat de la raison d’État ; vu que c’est seulement en élargissant à temps et suffisamment l’électorat, que l’on peut écarter d’une façon efficace les dangers dont les classes populaires, encore privées des droits politiques, menacent la société et l’ordre établi ». Ce langage élevé, méritoire, prophétique, oserons-nous dire, n’a pas été entendu par le Reichsrath.

Rien cependant n’était moins révolutionnaire que le projet de réforme gouvernemental. La Chambre basse se compose en Autriche de 353 députés nommés par quatre collèges distincts : 85 par la propriété foncière, 21 par les chambres de commerce, 99 par les villes, 129 par les communes rurales, plus une vingtaine par une combinaison assez bizarre des chambres de commerce et des villes. La représentation autrichienne est du reste la plus compliquée du monde entier. Le comte Taaffe ne la modifiait en rien ; il ne touchait pas non plus à la forme du vote, qui pour les communes est à deux degrés, ni aux âges de l’électoral et de l’éligibilité, fixés jusqu’ici, le premier à 24, le second à 30 ans. Il supprimait seulement le cens de 5 florins (12 fr. 50) d’impôt direct nécessaire d’après la loi de 1882 ; il n’exigeait des électeurs que d’avoir satisfait à la loi militaire autrichienne, et de savoir lire et écrire la langue d’un des royaumes, — pays de la couronne, — représentés au Reichsrath.

Cette suppression du cens avait pour effet d’accroître de 3 millions le nombre des électeurs qui est actuellement de 1 700 000. Cet accroissement portant exclusivement sur les électeurs des villes et des communes rurales, on aurait pu croire qu’il laisserait indifférens les députés de l’aristocratie foncière, qui n’étaient pas atteints. Mais le groupe ou club conservateur-clérical, par la bouche de M. de Hohenwart, a protesté « qu’il était inadmissible que le pouvoir de décider, en matière politique, échappât à ceux qui possèdent pour passer à ceux qui n’ont rien » ; le chef du club polonais, M. de Jaworski, a déclaré que « le projet mènerait au suffrage universel, lequel porterait un coup mortel à l’autonomisme, qui est la raison d’être de l’Autriche » ; enfin M. de Plener, l’orateur de la gauche allemande unie, qui s’estimait la plus directement visée par la réforme, a montré plus d’aigreur encore que ses collègues, en reprochant au ministre de « poursuivre la défaite des Allemands, et le triomphe du fédéralisme démocratique, avec tendances slaves radicales ».

Ainsi l’un des opposans affirme que le projet a pour but de développer le fédéralisme, pendant que l’autre déclare qu’il aura pour effet de l’anéantir. Quelque bizarres que soient ces contradictions, le chef du cabinet, abandonné par les trois grands partis de la Chambre et réduit à ne compter plus que sur les démocrates, les antisémites et sur cette délégation jeune-tchèque, — abhorrée par le monde officiel et soumise à un régime d’exception que le gouvernement demandait justement au Reichsrath de ratifier, — le chef du cabinet n’avait plus qu’à se retirer ou à dissoudre la Chambre. Comme de nouvelles élections ne prouveraient rien, puisqu’elles seraient faites par les anciens électeurs, le comte Taaffe s’est résolu à la retraite, et François-Joseph a chargé le prince Windischgrætz de former un ministère de concentration.

Le prince Windischgrætz, petit-fils du maréchal du même nom qui bombarda Vienne en 1848, est vice-président de la Chambre des seigneurs et député à la diète en Bohême, où il possède toutes ses propriétés. Quoiqu’il ne soit nullement hostile à l’esprit moderne, ainsi que ses féodaux compatriotes les Schwarzenberg et les Lobkowitz, il n’en sera pas moins, avec ses collègues MM. de Plener et Jaworski, le chef d’un cabinet réactionnaire et centraliste, le porte-voix d’une coalition d’intérêts égoïstes qui a privé la foule de la part de droits que l’empereur voulait lui concéder.

La question en effet n’est plus entière. La présentation, puis le rejet du projet électoral vont singulièrement favoriser la propagande socialiste, et avec combien d’apparence de raison ! Les nouveaux ministres le sentent si bien qu’ils parlent, eux aussi, d’offrir aux délibérations de la Chambre une loi sur le même sujet, en créant un ou deux collèges ou curies supplémentaires de vote… les collèges des pauvres. Le moment est-il bien choisi pour ressusciter des classes, ou pour creuser plus profondément les fossés qui séparent les classes existantes ?

L’entrée en scène des socialistes devrait plutôt amener l’Autriche à faire quelques pas en avant, comme elle amène la Suisse, sa voisine, à faire quelques pas en arrière ; car les mêmes causes peuvent produire, suivant les milieux, des effets opposés. Dans les élections récentes qui viennent d’avoir lieu sur le territoire helvétique, pour le renouvellement du Conseil national, on a vu le gros du parti radical se rapprocher des libéraux du centre. Un petit nombre seulement des radicaux actuels allaient se faire battre en compagnie des candidats socialistes, qui, sur 600 000 électeurs, ne récoltaient que 30 000 suffrages. Le centre, au contraire, sortira renforcé et grandi du scrutin du 29 octobre.

Ce symptôme d’un groupement futur de la Suisse politique en deux partis, celui de la liberté et de la défense sociale et celui de la tyrannie socialiste, mérite d’autant mieux d’être noté, que les associations révolutionnaires, qui vont faire prochainement fonctionner le referendum pour lui soumettre la question du « droit au travail », déploient, dans les cantons, une remarquable et dangereuse activité.


Vte G. d’AVENEL.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Le mois d’octobre avait fort mal fini pour plusieurs fonds d’États étrangers, un vent de panique soufflait dans cette direction. La rente italienne, après avoir mis trois mois à reculer de 92 à 84, venait de reculer en 15 jours de 84 à 78.50, et l’imagination des baissiers ne voyait plus de limite à cette dépréciation d’un fonds frappé d’antipathie et soi-disant signalé à la vindicte publique. Il était difficile cependant de ne pas voir que la déroute de la rente italienne était due, pour une bien plus grande part, à des ventes d’Allemagne et d’Italie même qu’à une hostilité, déclarée ou mystérieuse, du monde financier français. En tout cas ce malheureux fonds a été compensé, à la liquidation de fin octobre, au plus bas cours où la débâcle l’eût encore précipité, 78.50.

La défaveur s’était étendue en même temps aux valeurs austro-hongroises, soit sous l’influence de considérations de politique internationale ou de finance sentimentale, soit simplement parce que la crise ministérielle, résultant de la démission du comte Taaffe, avait mis en désarroi le marché de Vienne où la hausse était devenue depuis de longs mois comme une seconde nature. Le 4 pour 100 hongrois, fonds d’État hautement estimé et qui semblait à l’abri des orages ou des caprices de la spéculation, venait de baisser subitement de 93 à 91 1/2 ; les valeurs principales de la monarchie, entre autres la Creditanstalt, le Crédit Foncier d’Autriche, les Chemins Autrichiens et les Lombards, subissaient une réaction proportionnelle.

D’autre part des ventes continues s’abattaient sur l’Extérieure, le gouvernement de Madrid se trouvant, pour l’expédition de Melilla, aux prises avec des difficultés bien plus sérieuses qu’on ne l’avait présumé d’abord ; puis des catastrophes inouïes fondaient sur le pays, l’explosion de Santander, l’attentat anarchiste à Barcelone. La rente espagnole, compensée à 60.80, a été un moment refoulée jusqu’au-dessous de 59.

Le Portugais, enfin, perdait le cours de 20, sur le bruit que le gouvernement de Lisbonne ne paierait plus en or même le tiers du montant du coupon, bruit qui a été immédiatement démenti. Le Brésilien était offert à Londres et à Paris jusqu’au-dessous de 54 sur la prolongation de la guerre civile.

Les dispositions générales étaient donc fort peu optimistes à la fin du mois dernier. La première quinzaine de novembre les a sensiblement améliorées sous l’influence d’un vigoureux mouvement de hausse sur les fonds français, refuge suprême des capitaux expulsés des placemens compromis ou désillusionnés des gros revenus, et sur les fonds russes, valeur sympathique au plus haut degré.

La rente française 3 pour 100 a été portée, en quelques jours, par un mouvement ininterrompu, de 98.20 à 99.15 et s’est tenue ensuite au-dessus de 99 francs. L’action de l’épargne, toujours lente et à peine sensible dans ses effets au jour le jour, n’a pas été seule en jeu dans cette poussée de notre principal fonds d’État. L’intervention de la spéculation n’est pas douteuse ; elle s’est produite au moment opportun, arrêtant la dépréciation des fonds internationaux et apportant comme une sorte de signal pour la reprise des affaires depuis si longtemps et toujours si vainement attendue. L’amortissable et le 4 1/2 pour 100 ont suivi le 3 pour 100 perpétuel : le premier a été porté de 98.20 à 98.90, le second de 103.55 (ex-coupon trimestriel de 1 fr. 125) à 104.65. La rentrée des Chambres a remis au premier rang des préoccupations la question de la conversion de la rente 4 1/2 pour 100. Le système qui semble en ce moment avoir le plus de chance d’être adopté est celui d’une réduction de l’intérêt à 3 1/2 pour 100 avec garantie contre toute nouvelle conversion, ou plutôt réduction de l’intérêt, pendant huit ou dix années. Il ne s’agit d’ailleurs là que d’une conjecture. En tout cas, ce système soulève d’assez sérieuses objections ; on lui reproche l’inconvénient de laisser subsister deux types différens de rente, l’un de 3 pour 100, l’autre de 3 1/2, celui-ci devant se coter immédiatement au-dessus du pair, sans toutefois s’en éloigner beaucoup, et peser ainsi sur les cours du 3 pour 100.

Les fonds russes ont monté avec les fonds français, parallélisme naturel. L’emprunt d’Orient a détaché un coupon semestriel le 13 courant, et s’est négocié le même jour à 67.60 après 67.75. Or le cours de compensation fin octobre était 67.30. Cette valeur s’est donc élevée, dans cette quinzaine, de tout le montant du coupon qui est de 1 fr. 55, et de 30 centimes en plus. Le Consolidé or 4 pour 100 a gagné exactement une unité à 99.60 ; le 3 pour 100, 60 centimes à 81 francs.

Cette plus-value des rentes françaises et russes a permis à la spéculation, qui s’affolait à la baisse sur l’Italien, l’Extérieure et les fonds subalternes, de recouvrer ses esprits. Le gouvernement italien ayant très opportunément annoncé la mise en paiement, à partir du 10 novembre, du coupon de la rente dans l’intérieur du royaume, un revirement s’est produit, et les rachats des vendeurs en bénéfice ont relevé les prix de deux unités à 80.50. Ce cours n’a pu être maintenu toutefois et la dernière cote est 79.80. La perte au change ne s’est nullement détendue, et reste au niveau de 15 pour 100. Le ministère Giolitti est violemment battu en brèche ; le décret imposant le paiement en monnaie métallique des droits de douane à l’importation a été publié malgré les objections très sérieuses qu’il peut soulever tant de la part des États de l’Union monétaire latine que des puissances à l’égard desquelles l’Italie s’est liée par des traités de commerce. On ne saurait, dans cette énumération des causes de faiblesse pour la rente italienne, négliger l’impression fâcheuse produite par la plaisanterie que s’est permise au banquet du lord-maire l’ambassadeur d’Italie en Angleterre.

L’Extérieure a été aussi très vivement relevée, grâce à de nombreux achats tant des capitalistes espagnols eux-mêmes que des amis fidèles et puissans que les finances d’Espagne possèdent à Paris. Le cours de 61 a été repris, puis discuté, le change dépassant toujours 23 pour 100. Avant le malencontreux incident de Melilla, un projet était en élaboration pour une importante opération financière destinée à sortir le Trésor espagnol des embarras au milieu desquels il se débat depuis plusieurs années. L’opération consistait en un gros emprunt sur le marché français, où il ne tient qu’aux Espagnols de voir leur rente prendre définitivement le caractère de valeur sympathique. Elle était fondée sur les réformes fiscales mises en application par le ministre des finances, M. Gamazo, et qui donnaient déjà d’heureux résultats. L’expédition contre les Kabyles ajourne nécessairement la mise à exécution de ces desseins.

La crise ministérielle en Autriche s’est dénouée plus aisément qu’on ne le redoutait par la fondation d’un ministère de conciliation sous la présidence du prince de Windischgrætz, et d’autre part l’empereur François-Joseph, roi de Hongrie, a autorisé le ministère hongrois a présenter aux Chambres le projet de loi sur le mariage civil obligatoire. L’horizon politique étant rasséréné sur les deux places de Vienne et de Pest, le marché s’est aisément ressaisi ; le 4 pour 100 de Hongrie s’est relevé à 93 francs, soit au niveau où l’avait trouvé le début du mouvement de réaction. Les actions des grandes banques de Vienne ont également monté, ainsi que les Chemins Autrichiens et Lombards, ces deux titres restant à 613.75 et 220. L’agio sur la valuta dépasse encore 6 pour 100, trompant toutes les espérances qu’avait fait concevoir la réforme monétaire.

Les valeurs ottomanes ont accompagné la hausse des titres de grande préférence. On sait d’ailleurs que les finances ottomanes se sont acquis de solides appuis à la fois à Paris, à Londres et à Berlin, ce qui les met à l’abri des secousses violentes, et consolide peu à peu leur crédit par une avance lente, mais ininterrompue des cours. Depuis le commencement du mois la Banque ottomane a été portée de 578.75 à 586.25, l’obligation Douanes a reconquis le pair de 500 francs, et l’action des Tabacs s’est avancée de 385 à 395 francs.

À Athènes, le ministère qui avait dû, dans une heure de détresse, prendre la succession de M. Tricoupis, avouer pour la Grèce l’impossibilité de faire face à ses engagemens, et élaborer un projet de règlement de la dette publique, analogue à celui qu’ont subi les créanciers du Portugal, présentait enfin à la Chambre hellénique ces jours derniers son œuvre financière. Sic vos non vobis. Il aura été à la peine et non à l’honneur. Le cabinet, mis en minorité au premier scrutin, s’est retiré, et M. Tricoupis, appelé au palais, a immédiatement composé un cabinet. On voudrait pouvoir dire que, du même coup, les finances helléniques ont été sauvées.

Le Portugal a eu la satisfaction de voir sa rente 3 pour 100 ne pas s’attarder au-dessous du cours de 20 francs. Le démenti infligé à de mauvais bruits a déterminé des rachats jusqu’à 20 3/8, et le gouvernement a eu en même temps la bonne inspiration de signer le décret de réorganisation de la Compagnie Royale des Chemins de Fer Portugais, sur la base de la représentation des obligataires dans l’administration de la Société. Cette décision, longtemps attendue, a valu aux obligations 3 pour 100 de la Compagnie Royale une reprise assez vive de 98 à 113 francs. Le titre vaudrait même mieux que ce dernier cours, si les termes du convenio venaient à être fidèlement exécutés.

Les valeurs argentines ont été immobiles. Les journaux de Buenos-Ayres ont apporté le texte de l’exposé financier adressé par le ministre des Finances, M. Terry, le 11 octobre dernier, au Congrès argentin. Ce long et substantiel document, véritable traité d’économie politique, contient, à l’usage de la nation argentine, des prescriptions d’une haute sagesse, dont l’application améliorerait évidemment la situation financière de la République. Il conclut à l’acceptation du contrat passé à Londres en juillet dernier pour le règlement de la dette.

Une amélioration sérieuse des cours s’est produite sur les actions de quelques établissemens de crédit. La Banque de France a été portée de 4000 à 4085 francs, le Crédit Foncier de 978.75 à 1017.50, la Banque de Paris de 612.50 à 627.50, le Crédit Lyonnais de 748.75 à 765 ; le Comptoir national d’escompte est resté à 485 francs. Le Suez est en hausse de 20 francs à 2 730, les établissemens Decauville de 35 francs à 215, le Gaz de 17.50 à 1,397.50, le Nord de 25 francs à 1905. Il n’est pas jusqu’à l’action de Panama qui n’ait eu son mouvement, passant de 12.50 à 18.75 et réalisant ainsi une hausse de 50 pour 100, sur de très indécis projets de reconstitution de l’entreprise.


Le Secrétaire de la rédaction, gérant,

J. BERTRAND.