Chronique de la quinzaine - 14 novembre 1890

Chronique n° 1406
14 novembre 1890
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre.

Voici, tout compte fait, la troisième fois que notre parlement se retrouve en session ordinaire ou extraordinaire, depuis que le pays, ce bon pays de France, par un vote éclatant, a frappé d’un même désaveu et les vaines conspirations et la fausse politique qui les avait préparées. Les conspirations et les conspirateurs ont disparu dans leur impuissance et leur indignité, ensevelis dans leur propre confusion. Ce n’était qu’un assez pauvre fantôme qui s’est évanoui devant une volonté un peu résolue et devant la raison publique, pour ne plus revenir, au moins sous cette forme. La question serait maintenant et plus que jamais de recueillir le fruit d’une expérience un peu humiliante, mais encore utile après tout, d’arriver enfin à une situation plus simple, plus franche, moins livrée à la tyrannie des passions obstinées, — et c’est là précisément la question qui n’est toujours pas résolue, qui reste indécise devant le pays étonné. On y viendra sans doute un jour ou l’autre, parce que tout y ramène, et la nécessité et le courant persistant de l’opinion. Ce n’est pas cependant sans peine que les partis se résignent à se dégager de leurs vieilles passions ou de leurs vieux préjugés, puisqu’après un an, on ne semble pas être beaucoup plus avancé que le premier jour, puisqu’on en est toujours à se débattre, à ruser avec la vérité des choses, à vouloir et à ne pas vouloir. Le seul avantage à demi sérieux des dernières expériences, c’est que malgré tout, si on n’a pas encore le courage de s’élever à une politique avouée, décidée de modération libérale et prévoyante, on sent qu’il y a des querelles épuisées et des tactiques de parti qui ne répondent plus à rien, qu’il y a autre chose à faire dans une situation nouvelle. On le sent, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus visible jusque dans cette discussion du budget, qui est presque l’unique affaire du jour, qui contient et résume toutes les autres.

Cette discussion du budget, en effet, elle ne laisse pas d’être curieuse par ce qu’on dit et par ce qu’on ne dit pas, par ce que les observateurs désintéressés et clairvoyans peuvent y chercher et y trouver. Elle est pleine de révélations à peine déguisées, d’aveux significatifs et presque involontaires. Elle est menée rapidement, un peu au pas de charge, avec l’intention évidente de ne pas créer trop de difficultés, de refaire un certain ordre financier en commençant par la suppression des budgets extraordinaires, par cette unification du budget qui est le trait le plus caractéristique des projets ministériels et parlementaires. On se heurte de temps à autre, il est vrai, à quelque vote de fantaisie comme cet ordre du jour improvisé, platonique et puéril qui invite le gouvernement à méditer et à préparer des réformes démocratiques dans le système financier. D’un autre côté, on n’est pas encore arrivé aux défilés les plus périlleux, aux recettes, aux impôts nouveaux, à l’emprunt, aux taxes imposées, par interprétation, aux congrégations religieuses. Jusqu’ici, néanmoins, il est certain qu’un esprit assez nouveau de mesure et de prudence règne dans ces débats. M. le ministre des affaires étrangères, en défendant son budget d’une parole aisée, a pu, sans embarras, faire sentir le danger de l’incohérence dans notre diplomatie, et même avouer son intérêt pour nos missions, pour nos écoles catholiques d’Orient; il aurait demandé sur l’heure quelques crédits de plus, on les lui aurait accordés. La suppression de l’ambassade française auprès du Vatican n’a trouvé cette fois, pour la défendre, qu’un obscur loustic de pharmacie rurale, qui n’a eu d’autre succès que de ruiner sa motion par le ridicule de ses banalités, venant tout droit de Yonville-l’Abbaye, séjour du célèbre M. Homais ! Le budget des cultes est passé sans contestation, offrant à M. le ministre Fallières, comme à M. le rapporteur de la commission parlementaire, une occasion de témoigner quelques intentions conciliatrices. Quant à M. le ministre de l’intérieur, il n’a eu qu’un mot à dire, de son ton dégagé, pour sauver ses fonctionnaires et ses fonds secrets. Les républicains, sans désarmer, ont visiblement gardé une certaine réserve; les conservateurs, sans suspendre leurs hostilités, ont mesuré leurs coups, et à travers tout, on sent que dans ces affaires de budget, comme dans le reste, la vraie question qui s’agite est toujours celle d’une politique nouvelle autour de laquelle pourrait se rallier une majorité, force et appui d’un gouvernement de transaction libérale et de modération.

C’est le fond de tout ce qui se dit, de tout ce qui se fait depuis un an, depuis cette crise, d’où la France est sortie par un mouvement spontané de bon sens que M. le ministre de l’intérieur plus que tout autre a peut-être un peu aidé. Tout reste indécis tant que cette première question n’est pas résolue, et cette question même ne sera pas résolue, tant qu’on tournera dans ce cercle inextricable où est pour le moment le vrai nœud des affaires françaises. Les républicains, même ceux qui se disent des républicains de gouvernement, refusent de rien céder, de se prêter aux transactions possibles parce qu’ils veulent voir absolument dans les conservateurs des ennemis de la république; les conservateurs, à leur tour, hésitent à s’avancer hors de leurs positions parce qu’ils ne reçoivent des républicains aucun gage sérieux et précis d’une politique plus modérée, — et en définitive c’est le pays, l’éternelle victime, qui paie les frais de cette irréconciliabilité prolongée.

Le malheur des républicains, qui, après tout, devraient être les premiers à prendre l’initiative des résolutions nécessaires, puisqu’ils ont le pouvoir, est de ne pas oser avouer ce qu’ils pensent et de n’avoir pas le courage de conformer leurs actions à leurs pensées. Au fond, c’est bien certain, il y en a beaucoup parmi eux qui sentent que depuis dix ans il y a eu des fautes et plus que des fautes, des abus de domination, des imprévoyances et des excès dans les finances, comme dans la politique religieuse, que même, dans ces lois scolaires dont ils prétendent faire une charte inviolable de parti, il y a des vexations tyranniques, des occasions de froissemens inutiles; ils le sentent si bien qu’ils sont eux-mêmes humiliés ou embarrassés du zèle de leurs agens allant de temps à autre forcer la porte d’une école avec les gendarmes, et que dans la pratique, ils se prêtent parfois à des adoucissemens. Ils savent, à ne point s’y méprendre, qu’on ne fonde pas un régime par l’oppression des minorités, qu’ils ne feront pas entrer la république dans la famille des gouvernemens réguliers avec la politique des radicaux, qu’ils ne peuvent rien sans les forces conservatrices. Ils sentent et ils savent tout cela ; mais c’est leur illusion ou leur faiblesse : ils ont peur de se livrer, ils se flattent de régner par les divisions ou les équivoques, affectant des ménagemens avec les modérés, sans se brouiller avec les radicaux. Quand ils parlent de conciliation et d’apaisement, on peut être sûr qu’ils sont prêts à racheter cette apparence de modération par quelque acte de parti. — Ils ne peuvent pas, prétendent-ils, traiter avec des ennemis avoués ou déguisés de la république, paraître rechercher ou accepter l’alliance des chefs de la droite. Ce n’est là qu’un mot. Est-ce qu’il s’agit uniquement de quelques chefs parlementaires? Derrière ces représentans au parlement, il y a les opinions, les sentimens, les instincts des 3 millions et demi d’électeurs qui les ont nommés; il y a près de la moitié du pays qui, sans se préoccuper le plus souvent de la république ou de la monarchie, vote pour des conservateurs, pour l’opposition, parce qu’elle se sent atteinte, opprimée ou dédaignée dans ses vœux et dans ses intérêts. C’est cette partie du pays, vivante, persistante dans ses manifestations depuis des années, c’est cette masse nationale qu’on met par le fait hors de la loi commune en lui refusant toute justice, — et on touche ici à la racine du problème. Est-ce qu’un parti, eût-il la majorité et avec la majorité le gouvernement, a le droit de froisser, de violenter par ses lois, par ses administrations une moitié du pays, de ne tenir aucun compte des sentimens de cette masse dissidente de la population française? C’est tout simplement faire de la république une institution de secte, c’est la dénaturer et la compromettre, que de la confondre avec une politique de domination jalouse et irritante.

Oui, assurément, c’est la faute des républicains de n’avoir pas su profiter des circonstances depuis les élections, d’en être toujours à se décider entre le radicalisme qui les retient et une politique avouée de prévoyant et tolérant libéralisme. C’est malheureusement aussi la faute des conservateurs du parlement de n’avoir à peu près rien fait dans cette année, d’en être encore à se débattre dans une situation fausse où ils ne peuvent que se borner à se plaindre, à signaler sans cesse des excès trop évidens et à protester sans résultat.

Oh! sans doute, parmi eux aussi, il en est beaucoup qui sentent que tout change dans les affaires de la France, que le rôle des vrais conservateurs ne peut pas être de se faire les alliés des aventuriers et des révolutionnaires, d’attendre le bien de l’excès du mal, de subordonner les plus sérieux intérêts du pays au mirage d’une restauration monarchique qui paraît, certes, moins que jamais près de se réaliser. Ils savent bien que la monarchie est loin, que la république existe, qu’elle a été acceptée, sanctionnée par le pays, et que la plus puérile des politiques est d’attendre, sur le bord, que le fleuve soit écoulé pour passer sur l’autre rive. Oui, les conservateurs eux-mêmes le sentent; seulement, ils n’osent pas se prononcer et avouer tout haut ce qu’ils pensent. Ils sont retenus par de vieilles fidélités et de vieux souvenirs. Ils craignent peut-être un peu leurs salons et leurs relations. Ils se croient intéressés ou engagés à poursuivre une guerre indéfinie de propos mondains, de polémiques acrimonieuses, d’antipathies bruyantes contre la république. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, depuis vingt ans, ces irréconciliables vivent avec cette république. Ils lui donnent chaque jour une adhésion implicite partout ce qu’ils font. Ils lui paient leurs impôts, ils se soumettent à ses lois, ils envoient leurs enfans à ses écoles et à ses régimens. Ils soutiennent quelquefois ses ministères. Il y a mieux, si on leur propose quelque mesure utile, salutaire, qui par cela même peut servir la république, ils n’hésiteront pas à la voter. Ils sont môles à tout, au bien pour l’approuver, au mal pour le subir, — et, par un phénomène singulier, en subissant les charges de la république, ils se refusent les avantages qu’ils pourraient s’assurer par une franche acceptation d’un régime qu’ils ne peuvent changer. — Mais ce sont, dit-on, les républicains qui excluent les conservateurs, qui ferment les portes de la république, qui découragent les adhésions. Il ne s’agit pas du tout de ce que veulent ou ne veulent pas certains républicains. La question, pour les conservateurs, est d’entrer simplement, sans arrière-pensée, loyalement, dans la réalité des choses, avec les intérêts qu’ils représentent. Nul certes n’a tracé avec plus d’élévation, de virile sincérité et de généreuse éloquence le rôle des bons Français d’aujourd’hui que M. le cardinal Lavigerie dans un banquet où il vient de réunir autour de lui à Alger les chefs de la marine, les chefs de l’armée, les chefs de l’administration et de la justice. Est-ce de la politique? Est-ce l’illusion d’une âme religieuse remplie de l’amour de la France ? L’intrépide prélat a parlé, en tout cas, le langage de la raison, de la droiture, du patriotisme, de la prévoyance pour des intérêts que les conservateurs ne peuvent mieux défendre qu’en prenant place sans subterfuge dans les institutions, et que les républicains éclairés ne peuvent méconnaître sans compromettre la république.

Que les partis extrêmes, que les radicaux qui redoutent tout apaisement et les pointus du camp conservateur qui ne rêvent que la guerre à la république, s’efforcent de prolonger le malentendu, de resserrer ce cercle d’irréconciliabilité où l’on se débat, c’est possible : c’est l’histoire de la dernière année. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce ne sont pas les affaires du pays qui se font ainsi; c’est qu’on ne sortira de là que par un de ces concordats entre modérés toujours faits pour tenter les chefs intelligens des partis, par un traité de paix intérieure qui seul peut assurer à la France, avec un régime plus fixe, un accroissement d’autorité morale dans le monde.

Quelle que soit l’idée générale qu’on pourrait se faire de l’état du monde, de ses conditions précaires, il y a un fait certain, de plus en plus sensible, c’est que les affaires de l’Europe, tout en restant ce qu’elles sont, ne semblent pas menacées de complications prochaines. Rien assurément n’est changé. Les grandes puissances gardent leur attitude, les gouvernemens suivent leur politique : les positions sont prises ! Peut-être parmi ceux qui se complaisent aux pronostics émouvans persiste-t-on à se dire que la crise décisive éclatera un jour ou l’autre : on ne la recherche pas, on ne la désire pas, on n’est pas pressé de voir unir la trêve européenne.

C’est évident, et la paix reste dans les faits, sans doute aussi dans les intentions des cabinets, même quand les journaux passent leur temps à recueillir et à grossir des bruits venus on ne sait d’où, à commenter les plus petits incidens et les voyages princiers. Au fond, que le roi Léopold de Belgique aille à Berlin rendre à l’empereur Guillaume la visite qu’il a reçue de celui-ci à Ostende, que M. de Caprivi aille à Milan converser avec M. Crispi et recevoir le collier de l’Annonciade du roi Humbert, ce n’est pas une grande affaire; c’est un simple épilogue des voyages et des entrevues d’été, et la visite de M. de Caprivi à Milan, à Monza, sera tout au plus, si l’on veut, un coup d’épaule, un acte de courtoisie secourable pour M. Crispi dans le feu de sa bataille électorale. Les nations contemporaines sont pour le moment moins occupées de quelques voyages de diplomates ou de princes, de quelques incidens qui passent, que de leurs intérêts, de leurs finances et de leurs affaires commerciales, de ces réformes sociales qui remuent des millions d’hommes, dont les empereurs se font des programmes. Les gouvernemens ont assez de vivre, de se débattre avec leurs embarras intérieurs, avec leurs partis, avec leurs élections, et le cabinet anglais lui-même, si mêlé qu’il soit aux grandes affaires du monde, n’échappe pas à la destinée commune des pouvoirs qui ont à disputer leur existence sans être assurés du lendemain.

Rien de plus curieux d’une certaine façon, en effet, que ce qui se passe en Angleterre. Depuis quelque temps déjà, le premier ministre de la reine, lord Salisbury, tout entier à sa diplomatie extra-européenne, semble étendre son regard de tous les côtés, sur le Niger, sur le Zambèze, sur le lac Nyanza. Il est engagé en Égypte, dans le Soudan, à Zanzibar. Il fait des conventions avec l’Allemagne, avec la France pour la distribution de l’Afrique, des terres inconnues. Il négocie avec l’Italie pour Kassala, il impose sa volonté au Portugal qui fait aujourd’hui un dernier appel à sa modération. Il réussira, c’est vraisemblable, et ces jours derniers encore, au banquet du lord-maire, il parlait, sans aucune jactance, d’ailleurs, de sa politique africaine qui n’est pas faite pour être désavouée par les Anglais. C’est fort bien; mais tandis que lord Salisbury promène au loin sa diplomatie voyageuse et conquérante, étendant le domaine de l’Angleterre, le danger est tout prés de lui, autour de lui; il est à l’intérieur, dans la résistance passionnée de l’indomptable Irlande qui ne se soumet pas du tout à la coercition, dans le mouvement croissant de l’opinion qui se détache de plus en plus du ministère et passe aux libéraux. M. Gladstone, toujours vert sous le poids de ses quatre-vingts ans, recommençait récemment sa campagne du Midlothian, rajeunissant par son inépuisable éloquence une popularité qui survit à tout. Ses propagandes ont déjà infligé plus d’une défaite aux conservateurs dans les élections partielles, et tout dernièrement les élections municipales ont été un nouveau succès pour les libéraux. Ce ne sont que des élections locales sans doute; elles sont toujours un signe du mouvement de l’opinion. Un des principaux alliés de lord Salisbury, le chef des libéraux unionistes, lord Hartington, dans un discours qu’il a prononcé l’autre jour à Edimbourg, n’a pas déguisé ses préoccupations. Sans se séparer du ministère, il n’a pas caché qu’on avait peut-être abusé de la coercition avec les Irlandais, il a même proposé une sorte de self-government pour l’Irlande. Lord Hartington a visiblement des inquiétudes, et au banquet de Mansion-House, lord Salisbury s’est lui-même prudemment défendu de rien augurer pour les élections prochaines; il a spirituellement invoque, pour expliquer sa réserve, les élections françaises, les élections d’hier aux États-Unis et même les élections grecques où le ministère Tricoupis vient de succomber. Il croit donc tout possible!

A la vérité, il y a des degrés à tout, et il est bien clair que des élections anglaises qui ramèneraient les libéraux au pouvoir à Londres auraient une autre importance que les élections de la Grèce. Toujours est-il que ce scrutin hellénique a emporté, l’autre jour, comme par un coup de vent, un ministère qui datait déjà de quatre ans, qui était arrivé au pouvoir en pacificateur à un moment où la Grèce, un peu surexcitée dans ses ambitions par les révolutions bulgares, venait d’être l’objet de répressions sévères, d’un véritable blocus de la part de l’Europe. M. Tricoupis, le chef de ce ministère qui avait momentanément tout calmé en réconciliant la Grèce avec l’Europe, est certainement un des hommes les plus éminens de ce petit pays hellénique, alliant l’habileté à la prudence, un profond sentiment national à une sérieuse culture occidentale. Il avait peut-être trop duré dans un pays aux impressions vives et mobiles. A part ce crime de la durée, que lui a-t-on reproché? On lui a reproché d’avoir sacrifié trop aisément les droits ou les ambitions helléniques, de n’avoir pas su profiter du mariage du duc de Sparte avec la sœur de l’empereur d’Allemagne pour obtenir la Crète, d’avoir laissé établir, par le concours de la Porte et du patriarche de Constantinople, des évêques bulgares dans la Macédoine. On lui a reproché tout ce qu’il a fait et ce qu’il n’a pas fait. Le résultat, c’est qu’au scrutin M. Tricoupis a trouvé contre lui la majorité des deux tiers des voix qu’il avait pour lui, qu’il a dû céder la place au chef de l’opposition, à M. Delyannis, celui-là même qui était au pouvoir en 1886, — et c’est ce ministère nouveau appelé aux affaires par le roi qui vient d’ouvrir la chambre récemment élue. Le nouveau président du conseil, M. Delyannis, est sans doute lui aussi un des chefs les plus éminens de la Grèce, un homme habile et fin, réputé comme M. Tricoupis pour son intégrité, plus agité peut-être, plus accessible que son prédécesseur à l’esprit et aux influences palikares. Il arrive au pouvoir, comme tous ceux qui l’ont précédé en Grèce, avec tout ce dangereux cortège des espérances à satisfaire, des ambitions à assouvir, des distributions d’emplois à ses cliens, d’une majorité à maintenir. Ce qu’il y aurait d’essentiel pour lui serait de pouvoir se défendre des entraînemens de parti et surtout de ne pas exposer de nouveau la Grèce à se retrouver dans une de ces situations pénibles où elle rencontrerait encore une fois devant elle la volonté de l’Europe.

On ne peut pas tout prévoir, même dans les états les plus paisibles, les mieux organisés, et les élections ne décident pas tout, même dans les pays les plus libres. La Hollande, qui peut passer pour le modèle des pays libres et tranquilles, est aujourd’hui dans une de ces crises où la sagesse de la nation et de ceux qui la représentent peut seule suffire aux difficultés de la situation délicate créée par la maladie ou pour mieux dire l’agonie prolongée du roi Guillaume III d’Orange.

Elle est d’autant plus délicate, cette crise d’interrègne, difficile à avouer et difficile à déguiser, que l’an dernier on a été exposé à une espèce de mésaventure. Le roi semblait toucher à sa fin ou tout au moins était tombé dans une prostration qui semblait le prélude de la fin. On avait déjà pris toutes les mesures de prévoyance que nécessitait une situation incertaine, compliquée de la séparation de l’état néerlandais et du grand-duché de Luxembourg. Une régence se préparait pour la Hollande; le duc Adolphe de Nassau, l’héritier désigné du Luxembourg, avait déjà pris la direction provisoire des affaires du grand-duché, lorsque tout à coup le roi Guillaume, revenant à la vie, ressaisissait d’une main maladive et un peu impatiente le sceptre près de lui échapper. Ce n’était évidemment qu’un répit, et voici qu’aujourd’hui, après un an, la même situation se reproduit avec une aggravation avérée dans l’état du prince. On s’est souvenu, sans doute, de la mésaventure de l’an dernier. On ne s’est point hâté, on a caché, tant qu’on l’a pu, l’état du roi. Ce silence cependant n’était pas sans inconvéniens graves, d’autant plus que ce qu’on ne disait pas, ce qu’on n’avouait pas officiellement était répété tout haut dans les meetings d’Amsterdam, où l’on accusait le ministère, le président du conseil, M. Mackay, où l’on se servait même de ce prétexte pour mettre en doute la monarchie. Il fallait en finir avec les temporisations inutiles, et on s’est décidé à tout avouer, à provoquer des mesures nouvelles. Encore une fois le duc de Nassau a été rappelé à Luxembourg, où il s’est rendu non sans avoir hésité un instant et où il a repris un pouvoir qui n’est que provisoire. A La Haye, les états-généraux ont été appelés par le ministère à délibérer, et le conseil d’état a été invité à exercer les droits de la royauté en attendant une régence déclarée. Ici seulement survient une complication nouvelle. La loi constitutive de la régence désigne bien la reine Emma comme régente après la mort du roi; elle ne prévoit pas le cas de l’incapacité du souverain, et il faut une loi spéciale. Les Hollandais procèdent sans trouble, avec sagesse, à ce règlement d’un genre d’interrègne assez imprévu qui peut finir demain comme il peut aussi se prolonger encore.

Tout se passe sans doute avec calme dans cet honnête pays. Ce n’est pas cependant sans une certaine émotion que les vrais Hollandais verront s’éteindre en Guillaume IH, le dernier-né, le dernier représentant mâle de cette maison d’Orange dont la fortune se confond si intimement avec l’histoire nationale. Ce n’est pas sans une vague et indéfinissable appréhension qu’ils verront s’ouvrir, le jour où le roi Guillaume aura définitivement disparu, une ère nouvelle, la minorité d’une jeune fille sous la régence d’une princesse étrangère au milieu des conflits du temps. Si fidèles qu’ils soient à leur dynastie, à l’enfant qui sera encore pour eux la continuation de la maison d’Orange, les Hollandais sentent bien que cette minorité, c’est l’inconnu, le péril possible, peut-être une tentation pour les ambitieux de conquêtes ou pour les agitateurs. Déjà ceux qui regardent de loin ont songé au mariage que pourra faire celle qui sera la reine de Hollande. On a énuméré les princes belges ou danois, qui pourraient être appelés un jour à partager la couronne ; mais cela même est la preuve du vide que va laisser ce vieux roi qui, tout moribond qu’il soit, représente encore pour la Hollande la tradition, la garantie souveraine de l’indépendance nationale.

Nous vivons dans un temps où les questions de politique et de commerce se compliquent étrangement par suite des innombrables rapports qui lient de plus en plus les peuples, et où en définitive tout ce qui se passe dans un grand pays de travail et d’industrie devient l’affaire du monde entier. On le voit encore aujourd’hui par ces élections qui viennent de se faire le 4 novembre aux États-Unis, qui ont certainement leur signification pour les Américains, qui ne laissent point d’avoir aussi leur importance pour l’Europe, pour toutes les nations. Ces élections qui ne datent que d’hier, qui sont l’irrécusable expression des vœux, des tendances de la plus vaste des démocraties, sont à dire vrai un événement et par les circonstances dans lesquelles elles se sont accomplies et par le dénoûment retentissant qu’elles viennent d’avoir. Les États-Unis, où l’on est fort accoutumé à jouer du scrutin, avaient cette fois à renouveler non-seulement la chambre des représentans de Washington, mais encore les législatures locales, les gouverneurs des états, les juges. Sauf le président et le sénat qui restent provisoirement en fonctions, c’était une sorte de renouvellement de tous les pouvoirs, de consultation universelle du pays. Et cette consultation prenait d’autant plus d’importance, elle pouvait être d’autant plus décisive qu’elle ressemblait à un jugement demandé au pays sur toute une administration, sur tout un ensemble de faits ; elle survenait après un nouveau règne des républicains, depuis deux ans maîtres de la présidence et des majorités, au lendemain du bill Mac-Kinley, de cette charte d’un protectionnisme outré qui peut avoir une si grave influence et sur toutes les conditions intérieures de la vie américaine et sur les relations des États-Unis avec toutes les nations commerçantes du monde.

La politique des maîtres du jour, de M. Harrison, de M. Blaine, de M. Reed, de M. Mac-Kinley, de M. Edmunds, serait-elle sanctionnée par le vote populaire ? C’était toute la question. Les républicains n’ont certes rien négligé pour s’assurer la victoire. Ils ont usé et abusé de tous les moyens d’influence ; ils ont été aidés par les chefs puissans d’industrie dont ils venaient de consacrer les monopoles et qui avaient déjà fait les frais de la dernière élection présidentielle. Le secrétaire d’État lui-même, M. Blaine, s’est mis en campagne. Les partisans du tarif-bill ont été trompés dans tous leurs calculs, dans toutes leurs espérances ; ils ont été battus dans les élections du congrès comme dans les élections des législatures locales et des gouverneurs. Le vote du 4 novembre a été une véritable révolution d’opinion, un désastre complet pour les républicains. Leurs adversaires, les démocrates, n’ont pas seulement gardé leurs avantages dans le sud, ils ont étendu de toutes parts leurs conquêtes et obtenu d’immenses majorités dans le nord et l’ouest, dans les plus vieux états de l’Union, là même, ou le parti républicain semblait jusqu’ici le plus fortement retranché, là aussi où les influences industrielles et protectionnistes paraissaient prépondérantes. Les états de Massachusetts, de Rhode-Island, de New-Hampshire, de Connecticut, de Michigan, qui donnaient, il y a deux ans, une si forte majorité au président Harrison, passent en grande partie aux démocrates. Boston a élu un gouverneur démocrate ; un des plus grands états, un des plus puissans par l’industrie, la Pensylvanie, a son gouverneur démocrate. Dans l’Ohio, M. Mac-Kinley, celui qui a donné son nom au tarif-bill, au nouvel évangile protectionniste, est resté sur le champ de bataille. Tout bien compté, les républicains sortent meurtris et singulièrement diminués de cette mêlée électorale. Ils n’avaient déjà dans le dernier congrès qu’une très faible majorité, dont ils ont abusé jusqu’au bout, à outrance ; dans le nouveau congrès, qui est le cinquante-deuxième, depuis la fondation de l’Union, ce sont les démocrates qui reprennent l’avantage et vont avoir une majorité de près de 80 voix. C’est un déplacement complet, le signe d’une volte-face caractéristique dans les masses électorales.

Au fond, cette défaite des républicains d’Amérique n’a rien d’extraordinaire. Elle est la suite des fautes d’un parti qui a été grand autrefois par la puissance morale et qui, depuis nombre d’années, est en train de se perdre par ses excès de domination. Elle a, sans doute, une cause immédiate dans la réaction soudaine, presque violente, suscitée par ce bill Mac-Kinley, imaginé comme un moyen de captation, comme un coup de tactique. Les républicains, revenus au pouvoir avec M. Harrison, ont cru se populariser en opposant un protectionnisme effréné à la politique de libéralisme commercial modéré du dernier président, M. Cleveland. Ils ont cru séduire et rallier à leur cause les intérêts égoïstes, en fermant à peu près au commerce étranger le marché américain. Ils n’ont pas vu que, s’ils donnaient satisfaction à certains intérêts, aux puissans entrepreneurs d’affaires qui leur ont ouvert leur caisse dans les élections, ils froissaient d’autres intérêts plus nombreux, qu’un excès de protection devait avoir ses contre-coups dans toute la vie américaine. Ils ont soulevé contre eux les masses, Les grandes consommatrices, qui ont vu aussitôt tout renchérir, les fermiers, qui n’ont pas tardé à se ressentir des lois nouvelles dans leur industrie agricole. Ils ont provoqué, par un faux calcul, une opposition inévitable et redoutable ; mais, à part ce bill de protectionnisme violent et imprévoyant, qui est venu au dernier moment, à la veille des élections, c’est par toute leur politique que les républicains ont réussi à exciter les mécontentemens et à perdre leur autorité. Le fait est que les républicains américains ont tout épuisé pour assurer leur règne en se créant une majorité factice. Ils ne se sont pas bornés à épurer la chambre des représentans par le moyen commode des invalidations arbitraires, ils ont fait mieux pour le sénat. Ils ont introduit dans l’Union quatre nouveaux états qui sont à peine peuplés, mais dont la représentation leur assurait dans le sénat une majorité plus compacte. Une fois maîtres des majorités et du pouvoir, ils n’ont plus connu de frein. Ils ont tout plié, le trésor comme le reste, à l’intérêt de parti. La liste des pensions, ouverte à la fin de la guerre de sécession, est devenue elle-même un moyen de gouvernement ou de captation. Par un phénomène singulier, au lieu de diminuer par la mortalité, elle ne fait que s’accroître par une série d’interprétations habilement calculées. Les républicains, par un bill tout récent, l’ont encore étendue de façon à y comprendre, après les blessés, les éclopés et les parens des victimes, les cliens du parti, — si bien que, vingt-cinq ans après la guerre, il y a aujourd’hui près de 600,000 pensionnés, et le budget des pensions va dépasser 80 millions de dollars. Voilà de quoi alléger les excédens du trésor dont on se plaignait et de quoi grossir les dépenses que l’esprit de parti ne cesse d’augmenter pour prolonger son règne. Le résultat est ce vote du 4 novembre, témoignage des mécontentemens croissans, présage du déclin imminent des républicains aux États-Unis.

Ce n’est point, à la vérité, que ce scrutin, quelque significatif qu’il soit, puisse avoir un effet immédiat, soit pour ce bill Mac-Kinley qui intéresse l’Europe, soit pour la direction générale des affaires américaines. D’abord, cette chambre renouvelée ne se réunira qu’au mois de mars, et même à la rigueur la réunion pourrait en être encore ajournée. De plus, s’il y a dans cette chambre des représentans récemment élus une majorité nouvelle, les républicains restent toujours provisoirement maîtres de tout par la présidence et le sénat, qui ne seront pas soumis à l’épreuve d’un nouveau scrutin avant deux ans. Ce vote du 4 novembre ne demeure pas moins une protestation des plus accentuées ; il est le signe d’un mouvement décide d’opinion fait pour contenir l’esprit de parti, et si, malgré tout, les républicains s’obstinaient dans leur politique, ils ne feraient probablement qu’ajouter aux irritations, enflammer les ressentimens et les instincts d’opposition dans les masses. C’est donc une situation assez nouvelle qui commence avec le scrutin du 4 novembre ; c’est une crise qui s’ouvre dans la grande république américaine, et, si l’on voulait : s’élever un peu plus haut, on pourrait ajouter que ce qui arrive aux républicains des États-Unis est un exemple saisissant de plus pour les partis qui, dans tous les pays, prétendent abuser de la domination, de leur règne d’un jour !


CH. DE MAZADE.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Une crise financière d’une remarquable intensité a éclaté à la fois à Londres et à New-York et tenu notre marché dans l’attente des conséquences que le krach de la spéculation anglo-saxonne pouvait entraîner. Il s’agit uniquement d’une crise de crédit. Les disponibilités ont fait défaut au moment où les spéculateurs, engagés au-delà de leurs forces, auraient eu le plus urgent besoin de trouver auprès des banques les facilités habituelles.

La situation était déjà assez alarmante le mois dernier. Chaque liquidation successive du Stock-Exchange était attendue avec une véritable anxiété. Celle du 15 octobre s’était passée assez convenablement, la suivante fut plus laborieuse.

A New-York, dans le même temps, le marché monétaire devenait de plus en plus serré. L’énorme spéculation qui s’était engagée pour la hausse de l’argent fin à l’occasion du silver-bill était en pleine déroute, le cours du métal retombant de 54 francs à 47. Le vote du tarif Mac- Kinley et le « cyclone » électoral qui en fut la conséquence achevèrent de bouleverser toutes les combinaisons des spéculateurs américains.

A Londres enfin, la Banque d’Angleterre, dont la réserve ne dépassait plus 11 millions livres sterling, s’est vue obligée d’élever le taux de l’escompte à 6 pour 100, presque à l’improviste, un vendredi, en dehors de toutes les conditions ordinaires dans lesquelles les modifications de taux sont décrétées. Un simple retrait de quelques millions par la Banque de Paris pour la Banque d’Espagne précipitait ainsi une mesure devant laquelle les directeurs de l’établissement anglais reculaient depuis six semaines dans la crainte de déterminer au Stock-Exchange une perturbation pouvant aboutir à un cataclysme.

Pendant les deux journées du 10 et du 11 courant, on a pu craindre que le désarroi ne dégénérât en débâcle au Stock-Exchange et en Amérique. A New-York, la panique fut extrême, d’énormes paquets de titres inondèrent le marché, les actions de plusieurs compagnies de chemins de fer subirent d’invraisemblables dépréciations. Aujourd’hui, le calme est rétabli d’un côté comme de l’autre de l’Océan-Atlantique. Les marchés ont été assainis par la violence même de l’ouragan. Les titres dépréciés sont passés des mains des spéculateurs abattus dans celles de financiers plus solides, on considère que la crise a traversé sa phase aiguë. D’ailleurs, la Banque de France a résolu de venir une fois de plus au secours du marché anglais. Dans sa séance du jeudi 13, le conseil de régence a donné son approbation à une proposition du gouverneur tendant à consentir à la Banque d’Angleterre un prêt de 75 millions de francs en or pour trois mois, à 3 1/2 pour 100 d’intérêt.

Au moment où se termine cette première quinzaine de novembre, les marchés financiers d’Europe semblent donc sur le point de voir se résoudre heureusement les difficultés de crédit qui ont pris, pendant quelques jours, un caractère si alarmant. Sur plusieurs des grands fonds d’état, la spéculation n’a même pas attendu cette heure de détente générale pour commencer le mouvement de hausse qui prépare et annonce d’importantes opérations. La rente française, tout d’abord, a été relevée de 94.30, cours de compensation, à 95 francs, même à 95.20. Pendant le mois d’octobre, qui a été une période de réaction et de tassement, les ventes d’inscriptions de portefeuille provoquées par les hauts cours et les besoins de fin d’année ont trouvé leur contre-partie immédiate dans les achats de la Caisse des dépôts et consignations pour le compte des caisses d’épargne. Ces achats se sont élevés à 35 millions, dépassant la moyenne mensuelle des trois premiers trimestres de l’année, qui avait été de 30 millions. Le rendement des impôts continue à présenter d’importantes plus-values qui promettent, pour l’exercice 1890, un excédent de recettes de 50 à 60 millions. La discussion du budget est menée rapidement, sans incident notable, et l’emprunt de 700 millions, si longtemps retardé, sera voté dans quelques jours.

Depuis plusieurs mois, le 4 pour 100 russe 1880 se tenait à 99 francs, arrêté devant le pair de 100 francs, dont ne le séparait plus qu’une unité. Cette courte distance a été franchie dans la dernière semaine, et le cours de 100 francs a été inscrit. Mais il ne l’a été que pour un ou deux jours, un coupon semestriel étant arrivé le 13 courant à échéance, ce qui a ramené le prix du titre à 98.40. La Banque de Paris, de concert avec un certain nombre de maisons et de banques de Berlin et de Saint-Pétersbourg, a conclu avec le ministre des finances de Russie un contrat pour l’émission d’un emprunt de 100 millions de roubles en titres 3 pour 100, destiné à la conversion d’obligations de chemins de fer 5 pour 100. L’opération aura lieu probablement dans les premiers jours de décembre. La rente espagnole, grâce aux disponibilités que la Banque d’Espagne a su se procurer au dehors, est restée tenue avec plus de fermeté que ne le comporterait la situation très précaire du Trésor.

L’Italien a reculé au-dessous de 94 francs, puis s’est rapproché de ce niveau. Dans six ou sept semaines sera détaché un coupon de 2 fr. 17, et le prix se trouvera ainsi ramené au-dessous de 92. Le marché allemand a décidément refusé les nouveaux titres 4 pour 100 des chemins de fer. Le Trésor, très à court de ressources, s’est vu obligé d’écouler une nouvelle partie des rentes du fonds des pensions et d’offrir un intérêt de 5 pour 100 pour ses bons à un an.

Le 3 pour 100 portugais a été l’objet de rachats de spéculation qui l’ont tenu entre 58.50 et 59.50. Un emprunt est indispensable; mais il faut d’abord que le conflit avec l’Angleterre soit réglé ; des négociations nouvelles ont été ouvertes pour cet objet, et la détresse financière obligera le cabinet de Lisbonne à capituler.

Le Hongrois et l’Unifiée ont été tenus à leurs cours du mois dernier. Un commencement de reprise s’est dessiné sur les valeurs turques. Le gouvernement argentin a envoyé à Londres un délégué chargé de négocier avec la maison Baring et d’autres grandes banques de Londres des arrangemens qui permettent à la fois aux créanciers européens de voir s’améliorer la valeur de leurs créances et aux gouvernans à Buenos-Ayres de contracter un nouvel emprunt.

Les États-Unis du Brésil lancent une première opération financière en France. Il s’agit de 50,000 obligations 5 pour 100 de 500 francs d’une compagnie des chemins de fer Sud-Ouest brésiliens, qui a obtenu la concession d’un réseau dans les provinces situées entre Rio-de-Janeiro et l’Uruguay. Les titres, dotés d’une garantie de l’État pendant trente ans, sont offerts à 426.25. C’est le Comptoir national d’escompte et la Société générale qui ouvrent leurs guichets à cette émission.

La Banque de Paris, la Banque d’escompte et le Crédit lyonnais ont très vivement monté à 880, 582.50 et 815. Les actions de cette dernière société vont être réduites en nombre et complètement libérées à l’aide d’un prélèvement sur les réserves. Les actions de nos grandes compagnies de chemins de fer sont tenues au plus haut, celles des compagnies étrangères, Autrichiens, Lombards et Nord de l’Espagne, ont été offertes et se cotent en réaction. Le Gaz est tenu à 1,470, dans l’attente de la décision du conseil municipal. Le Suez et la plupart des grandes valeurs industrielles ont été très recherchés.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.