Chronique de la quinzaine - 14 novembre 1864

Chronique n° 782
14 novembre 1864


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre 1864.

Les origines, la première phase de la convention du 15 septembre, n’ont point été heureuses. La venue au jour d’un acte diplomatique a rarement suscité autant d’anxiétés et de confusion. Accueillie d’abord par les émotions et les tristes scènes dont Turin a été le théâtre, entraînant la chute d’un ministère, servant de prétexte à un débat aussi passionné qu’oiseux à propos des conséquences hypothétiques que chacun lui attribue, il ne lui manquait plus que de devenir un sujet de contestation publique entre les diplomates mêmes qui l’ont conclue. Quand, il y a quinze jours, nous signalions l’inopportunité et le danger des controverses engagées dans les journaux sur la portée éloignée de la convention du 15 septembre, quand nous soutenions qu’il était imprudent et déraisonnable de torturer la convention en la commentant à outrance dans les sens les plus contraires, quand nous engagions la presse et l’opinion publique à s’en tenir aux termes mêmes et aux dispositions positives déjà si importantes de l’arrangement conclu entre la France et l’Italie, nous ne nous doutions pas que le péril des interprétations hypothétiques dût si tôt apparaître, nous n’avions pas prévu que des explications nouvelles sur le sens de la convention dussent être échangées entre les ministres des deux pays, nous nous étions attendus moins encore à la publicité qui a été donnée à ces explications. Il faut bien compter l’éclat des dernières dépêches parmi les incidens malencontreux qui ont marqué l’entrée de la convention du 15 septembre dans le monde.

Il n’est point dans notre rôle à nous, qui voulons ramener la convention du 15 septembre à la signification directe qui découle de ses dispositions formelles, de grossir les difficultés qu’ont révélées les dernières dépêches de MM. Drouyn de Lhuys, Nigra et La Marmora. Nous ne pouvons cependant nous abstenir de faire remarquer en passant ce qu’il y a d’étrange et d’insolite dans l’incident qu’on a cru devoir faire connaître au public. Il y a d’abord une question de forme à laquelle on nous pardonnera de nous arrêter : nous voulons parler de cette conférence ouverte entre le ministre de France et le ministre d’Italie, en présence et pour ainsi dire sous l’arbitrage de l’empereur. Nous sera-t-il permis de dire que le fait d’une réunion ainsi composée et d’un débat engagé entre de tels personnages a excité en nous une surprise extrême ? Voilà, suivant nous, un fait qui découvre étrangement la couronne. — Beau scrupule, répondra-t-on, et qui sied bien à des parlementaires impénitens ! — On nous récusera comme hérétiques. Il nous semble cependant qu’il n’est point nécessaire d’être entiché de formes parlementaires pour comprendre ce qu’il peut y avoir de délicat dans cette façon de traiter les affaires. Quoi ! un ministre français et un ministre étranger comparaîtront à titre égal devant le chef du pouvoir exécutif, discuteront devant lui des intérêts qui, dans les conseils de la France, ne peuvent et ne doivent être appréciés qu’au point de vue français, et le chef du pouvoir sera exposé à donner peut-être raison au ministre étranger et tort à son propre ministre ! Qui ne voit qu’en une telle rencontre, surtout si la publicité vient s’y ajouter, toutes les positions risquent d’être faussées et compromises ? A quelque point de vue constitutionnel que l’on se veuille placer, il est impossible de voir sans étonnement, dans une grande transaction politique, cette comparution d’un ministre français et d’un ministre étranger devant le chef de l’état. Les intérêts français impliqués dans une question internationale ne peuvent être discutés qu’entre Français dans la région où se prennent les résolutions gouvernementales. Il nous semble que la dignité même du ministre étranger et du pays qu’il représente veut également qu’il en soit ainsi. En nous permettant cette critique générale, nous ne croyons point donner une importance puérile aux questions de forme. Si l’on admet que la nature de nos relations avec l’Italie puisse autoriser à faire exception à la règle générale, si l’on suppose que nous avons le droit de traiter nos affaires avec l’Italie sans tant de réserve, et pour ainsi dire en famille, on ne comprend pas davantage la nécessité de cette haute médiation de l’empereur entre M. Drouyn de Lhuys et M. Nigra, on ne comprend pas cette dépêche télégraphique envoyée à Turin avec l’approbation impériale. N’aurait-on pas pu s’entendre par les voies ordinaires, dussent-elles être moins rapides ? Fallait-il gagner du temps à tout prix ? Le feu était-il donc à la maison ?

Cette hâte, cette précipitation, ont été également pour le public une cause de surprise. La publication du rapport adressé le 15 septembre par M. Nigra à son gouvernement mettait-elle en danger la politique française et dénaturait-elle le rôle de cette politique dans la convention ? Quand on voit où ont abouti les dernières explications, on ne peut plus attacher au premier rapport de M. Nigra une portée aussi perturbatrice. On a reproché à ce rapport de n’avoir point complètement rendu la physionomie de la négociation qui s’est terminée par la convention du 15 septembre. On a eu raison à un certain point de vue. Il est clair que le ministre italien n’a raconté la négociation qu’au point de vue de son pays ; ce n’était point à lui de l’apprécier au point de vue français, il devait penser que notre ministre des affaires étrangères saurait bien remplir la tâche qui le concernait. Et en effet, de l’aveu de tous, M. Drouyn de Lhuys s’est acquitté d’une façon très significative de cette tâche dans ses dépêches à M. de Sartiges et à M. de Malaret. Il y a plusieurs raisons qui devaient rendre la physionomie de la négociation différente pour M. Nigra et pour M. Drouyn de Lhuys. De ces raisons, la principale, suivant nous, c’est que M. Nigra et M. Drouyn de Lhuys ne pouvaient pas prendre à la même date l’origine de la négociation. Mêlé activement aux transactions communes à la France et à l’Italie depuis une époque éloignée, antérieure même à l’année 1859, M. Nigra ne pouvait voir dans la convention du 15 septembre que le développement logique de la politique commencée par M. de Cavour. M. Drouyn de Lhuys ne pouvait aller si loin dans le passé : il est naturel qu’il ne remonte pas au-delà de sa rentrée au ministère, et qu’il choisisse son point de départ dans les faits qui se sont produits depuis qu’il a repris la direction de notre diplomatie. M. Nigra ne pouvait oublier, que, peu de mois avant la mort de M. de Cavour, un arrangement semblable à celui qui vient d’être conclu avait été à la veille d’aboutir ; c’est par ses mains qu’avait passé la négociation de ce projet, qui peut-être, sans la mort de M. de Cavour, serait depuis longtemps réalisé. L’Italie actuelle est en grande partie l’œuvre de Cavour : était-il possible que M. Nigra négligeât, pour recommander à ses compatriotes la convention du 15 septembre, de leur apprendre qu’un arrangement analogue avait été la dernière pensée de cet homme éminent ? Que cette révélation ait dû paraître intempestive à notre ministre des affaires étrangères, il n’y a rien là non plus de surprenant : on comprend que M. Drouyn de Lhuys ne veuille point que quelqu’un vienne lui dire qu’il a couvé sans s’en douter un œuf de M. de Cavour ; Mi Drouyn de Lhuys est donc parfaitement dans son droit quand il fait remarquer les différences importantes qui distinguent la convention du 15 septembre 1864 du projet de 1861.

Que les points de vue de M. Nigra et de M. Drouyn de Lhuys ne se confondent pas, cela va de soi ; mais, cela ne changeant rien aux obligations positives contractées par la France et par l’Italie, à quoi bon accuser des divergences de point de vue et souligner avec une humeur défiante quelques-unes des obligations contractées ? Il ne suffit pas que l’Italie n’attaque pas le territoire pontifical, il faut qu’elle n’ébranle pas le pouvoir du pape par des manœuvres souterraines ; pourquoi aggraver par une hypothèse blessante une obligation positive franchement souscrite ? Vous ne voulez pas que Florence soit considérée comme une étape vers Rome, un grand nombre d’hommes d’état italiens ne le veulent pas plus que vous ; mais à quoi sert une déclaration pareille, quand l’Italie, pour obtenir le bénéfice que lui promet la convention, change sa capitale et promet de ne point attaquer Rome ? Ce bénéfice, quel est-il ? C’est l’évacuation de Rome par nos troupes. Or aucune des réserves récemment posées, et qui ne s’appliquent qu’à une époque où nous ne serons plus à Rome, ne nous dispense de remplir l’engagement que nous avons pris de retirer nos troupes dans deux ans. Le grand acte de la convention du 15 septembre est là tout entier, et il est impossible de l’obscurcir par des contestations qui ne portent que sur des objets indéfinis, éventuels et vagues. S’il était vrai que le pouvoir temporel ne pût subsister que par l’appui de l’intervention étrangère, en prenant la résolution de quitter Rome le gouvernement français aurait bien pris son parti de la chute du pouvoir temporel. Si le pape ne veut pas s’entendre avec l’Italie sur la question de la dette, s’il ne veut pas organiser la force militaire prévue par la convention, s’il ne veut pas se donner les moyens de défense et de conservation nécessaires à tous les gouvernemens, nous n’en retirerons pas moins nos troupes de Rome, quelles que puissent être pour la papauté temporelle les conséquences de notre départ. Voilà, selon nous, les suites de la convention qui devraient exciter l’anxiété des esprits. Qu’on y prenne garde, le premier péril auquel le pouvoir temporel sera exposé, c’est nous qui allons le lui faire courir en lui retirant notre protection militaire. La controverse diplomatique à laquelle la convention pouvait donner lieu, après une réponse de M. Drouyn de Lhuys à la dernière note du général La Marmora, sera terminée ; la convention sera dans peu de jours sanctionnée par le vote du parlement italien ; dans quelques mois, la capitale de l’Italie sera transférée à Florence. Il n’y aura plus alors à discuter sur des choses aussi vaporeuses que des aspirations nationales s’appuyant sur les forces de la civilisation et du progrès. Il faudra que la France avise, pour ce qui la concerne, à l’application de la convention ; il faudra qu’elle se prépare à l’évacuation progressive de Rome ; il faudra qu’elle interroge d’une façon pressante la cour de Rome sur ses intentions et sur ses projets ; il faudra qu’elle sache si la cour de Rome accepte ou refuse la transaction financière qui lui est proposée ; il faudra qu’elle sache comment le pape entend pourvoir à l’organisation d’une force protectrice de l’ordre dans ses états. Voilà une série de questions positives et de difficultés pratiques qui vont s’ouvrir et qui devraient dès à présent provoquer le travail d’une prévoyance sérieuse. C’est quand nous songeons à la partie de la convention qui concerne la France et la papauté que nous sommes plus portés à déplorer l’inopportunité et l’inutilité de la controverse diplomatique à laquelle nous venons d’assister. Qu’a voulu faire la France en signant la convention du 15 septembre ? Elle a voulu évidemment donner à l’Italie un secours moral. Nous aurions désiré que ce secours, pour garder toute son efficacité, fût généreux jusqu’au bout, et ne se laissât point piquer et offusquer par des susceptibilités de paroles ; nous le désirions surtout en songeant aux difficultés auxquelles nous nous heurterons nous-mêmes quand nous arriverons à l’exécution de la partie de la convention qui nous concerne.

Nous voudrions espérer que l’incident diplomatique dont nous venons de parler sera le dernier effet de la jettatura qui a frappé d’abord la convention du 15 septembre. La discussion du parlement italien a commencé une réaction de chances meilleures. La convention est décidément populaire en Italie ; la translation de la capitale, au lieu d’y être considérée comme la condition onéreuse de l’évacuation de Rome par la France, y est regardée par la majorité comme un avantage. Trois discours importans ont été prononcés jusqu’à présent : les discours de M. Boncompagni, de M. Visconti-Venosta et du général La Marmora. M. Boncompagni est un de ces Piémontais intelligens qui furent les collaborateurs actifs de Cavour. Le sacrifice de Turin lui est douloureux sans doute ; mais il se résigne volontiers à ce sacrifice en songeant au profit que l’unité italienne retirera de l’exécution loyale de la convention. M. Boncompagni est un des Italiens qui ont le plus de foi dans une réconciliation possible de l’église avec l’Italie, un de ceux qui sont le plus capables de faire réussir un jour cette œuvre de pacification politique et religieuse. M. Visconti-Venosta, qui était le ministre des affaires étrangères du dernier cabinet, a exposé avec un rare talent la politique au nom de laquelle il a eu l’honneur de signer la convention. Son discours a été si complet et a produit sur la chambre une impression si heureuse, que les membres du dernier cabinet n’ont plus rien à ajouter à cette apologie éloquente de leur politique, et que les plus importans, MM. Peruzzi et Minghetti, ont renoncé à prendre la parole. Le discours loyal et patriotique du général La Marmora a dignement complété la remarquable dépêche par laquelle ce ministre a répondu aux observations de M. Drouyn de Lhuys. Le général promet au nom du gouvernement italien l’exécution sincère du traité, et il croit qu’après cela on n’a point à demander compte à son pays de la nature de ses aspirations et de la confiance qu’il garde dans l’avenir. Le général n’approuvait pas la convention dans le principe, mais il voit les intérêts et l’honneur de son pays engagés, et il se dévoue, par une sorte d’esprit de discipline patriotique, à l’accomplissement d’une œuvre qui n’est pas la sienne. Peu habitué aux réserves parlementaires, il n’a nulle crainte de découvrir l’empereur Napoléon III et d’exprimer l’espoir que l’intérêt que l’empereur porte à la cause italienne la servira dans la solution de la question de Rome et de la question de Venise. Cet appel confiant adressé au gouvernement français ne serait qu’un calcul habile de la part de tout autre homme politique ; de la part du général La Marmora, c’est un aveu plein de franchise dont il est difficile de n’être pas touché. Il serait à souhaiter que les discours décisifs de M. Boncompagni, de M. Visconti-Venosta et du président du conseil empêchassent le parlement de perdre trop de temps dans une discussion inutilement prolongée. La convention donne un grand ébranlement à la politique italienne ; mais, pour que cet ébranlement soit profitable, il faut qu’il ramène promptement le parlement italien à la considération de la politique intérieure, et surtout de la politique financière. Le point le plus difficile de la politique intérieure est maintenant la question financière. Jusqu’à présent, le nouveau royaume italien a été dans une situation si incertaine et si mal définie, que la question financière était en quelque sorte abandonnée au hasard. Un pays formé d’annexions si diverses et si récentes, qui ne savait pas quand et où il s’arrêterait, qui ignorait si l’état de l’Europe ne lui imposerait pas au premier moment de nouvelles entreprises, ne pouvait avoir coordonné ses ressources et avoir proportionné régulièrement ses dépenses et ses revenus. La convention du 15 septembre, en limitant le rôle politique actuel du nouveau royaume, met l’Italie en demeure et en mesure de faire ses comptes et de les bien régler. Les illusions sont écartées, l’expérience des premiers tâtonnemens dans la région encore inconnue des finances ne peut plus se recommencer ; il ne faut pas que l’Italie se laisse aller à la dérive, à l’écueil de la hideuse banqueroute. Le désordre financier mènerait vite à la dissolution politique et, nous le répétons, la convention du 15 septembre doit marquer la date d’une organisation rationnelle des dépenses et des revenus de l’Italie. Le nouveau ministre des finances, M. Sella, nous parait avoir abordé cette question vitale avec une intelligente et courageuse énergie. M. Sella n’a pas craint de montrer le mal tel qu’il est. Il a inspiré aux esprits un effroi salutaire en les mettant en face d’un déficit de 300 millions. Contre un pareil état de choses, les expédiens de trésorerie ne sont qu’un leurre trompeur, les emprunts cessent d’être une ressource, car ils seraient bientôt impossibles. Il faut agir avant tout sur les dépenses et les ressources régulières, restreindre les unes par des économies radicales, accroître les autres par d’indispensables augmentations d’impôts. Ce n’est qu’après avoir diminué les dépenses et assuré l’accroissement des produits de l’impôt que l’on peut de nouveau s’adresser au crédit pour faire face aux besoins extraordinaires d’une période de transition. C’est ce que M. Sella a compris ; il nous serait difficile d’apprécier les mesures qu’il propose. Il en est de dures, telles que l’anticipation de l’impôt foncier ; mais il ne faut pas blâmer M. Sella de cette dureté, qui donne à l’Italie un avertissement sévère, Nous croyons que l’Italie aura encore besoin et avant peu de recourir au crédit, mais nous approuvons M. Sella d’exciter son pays à faire par lui-même un grand effort d’économie et de taxation avant d’émettre un nouvel emprunt. Le premier besoin de l’Italie en ce moment serait bien plus, suivant nous, d’avoir à sa tête un grand ministre des finances qu’un grand général ou un grand diplomate.

C’est lorsque l’Italie se sera constituée financièrement, lorsqu’elle aura consolidé l’ordre intérieur et affermi sa liberté d’action extérieure par l’organisation régulière de ses ressources, qu’elle pourra réaliser le brillant horoscope que lord Russell tirait d’elle l’autre jour en s’adressant à l’université d’Aberdeen, dont il est le lord-recteur. Le comte Russell a une nature d’esprit que l’on pourrait appeler historique, nature d’esprit rare parmi les hommes d’état anglais. En s’occupant du présent, lord Russell cherche à saisir la chaîne par laquelle il se relie au passé. En assistant aux événemens qui s’accomplissent en Italie, lord Russell croit voir la fin de cette longue période d’abaissement pour la péninsule, période ouverte par la politique et les entreprises de Charles-Quint. Ce point de vue, justifié par l’histoire, encourage les espérances des amis de l’Italie. Cette Italie morcelée et dépouillée d’autonomie qui s’est affranchie sous nos yeux, avec la domination autrichienne et ses petites dynasties étrangères, était bien en effet l’œuvre de Charles-Quint, et peut-on croire encore que ce vieux système, une fois renversé, se puisse jamais relever ? C’est du reste une chose curieuse que l’aplomb qu’ont retrouvé les ministres anglais malgré les échecs qu’a si récemment subis leur politique étrangère. Il y a en Angleterre, dans l’intervalle des sessions, Une continuation de vie politique que les ministres eux-mêmes se plaisent à entretenir. Inaugurations de monumens publics, expositions d’art ou d’industrie, fêtes universitaires, invitations de chambres du commerce, banquets du lord-maire, tout leur est une occasion de prendre la parole et de dire leur avis sur les événemens et les questions du jour. Les membres du cabinet anglais ne se sont point fait faute cette année de mettre ainsi leurs vacances à profit, et, à voir le ton de leurs discours, il ne paraît pas que la triste campagne du Danemark ait altéré leur bonne humeur. Naguère M. Gladstone faisait une promenade triomphale dans le Lancashire. Il y abordait toutes ces grandes questions où se complaisent la générosité de son esprit et la verve de son talent. Il y traçait le programme d’une politique nouvelle, de plus en plus animée de sympathie pour les intérêts sociaux et les progrès politiques des classes populaires. Lord Palmerston s’est prodigué : il a inauguré nous ne savons combien de chemins de fer ; il a parlé en l’honneur de sir George Lewis, cet homme d’état équitable et sensé qu’on considérait en Angleterre comme destiné à être un jour premier ministre, qui a été frappé d’une mort prématurée, et à qui ses électeurs ont récemment élevé une statue. Les chefs de l’opposition ont été plus sobres de paroles. M. Disraeli a prononcé devant un auditoire de fermiers des discours d’agriculteur ; lord Stanley, cet esprit exact et curieux, d’une impartialité si courageuse, a adressé à ses électeurs un de ces discours où se montre la solidité de la pensée bien plus que la recherche du langage. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une académie chez nos voisins pour que les hommes d’état y cultivent les lettres avec amour : M. Disraeli, le leader des conservateurs dans les communes, imprimait au commencement de cette année, en le dédiant à lord Stanley, un curieux poème à peu près inédit, the Révolutionary Epic ; le chef du parti conservateur, lord Derby, va nous donner une traduction d’Homère en vers. Il y a quelque chose de curieusement bucolique dans cette idée des deux chefs d’un grand parti anglais publiant dans la même année chacun son poème. Pour achever le tableau, il faudrait parler de ces imitations des grands poètes italiens que M. Gladstone écrit à ses momens perdus, si par une réserve raffinée l’illustre chancelier de l’échiquier ne se bornait point à faire part à un cercle d’amis de ces productions élégantes. En faisant allusion à ces distractions poétiques ou littéraires des hommes d’état de l’Angleterre, comment pourrait-on passer sous silence les honneurs que ces hommes viennent de rendre à un des plus illustres et des plus aimés de nos compatriotes, à M. Berryer, présenté au barreau anglais par lord Brougham ? Un pareil hommage rendu au plus éloquent de nos avocats est un de ces événemens heureux où se révèlent les grandes qualités par lesquelles, quoi qu’on en dise, la France et l’Angleterre sont dignes de se comprendre et de s’unir. C’est dans le vieux hall de Middle-Temple, dans la salle antique où ont été jouées les pièces de Shakspeare, que les avocats et les principaux magistrats de l’Angleterre ont reçu et fêté M. Berryer. En lisant le récit de ce banquet mémorable et les discours qui y ont été prononcés, un regret que nous exprimions ici récemment revenait à notre pensée. En Angleterre, la grande magistrature sort du barreau ; elle en est le couronnement naturel : de là cette confraternité persistante entre les lords-justices, les barons, le chancelier et les avocats, dont on retrouve souvent dans les procès anglais de nobles et touchans témoignages. Chez nous, en dépit de leurs affinités naturelles, la magistrature et le barreau sont deux carrières distinctes. Quel digne chef de la magistrature française, quel chancelier eût été M. Berryer ! Ce regret rêveur ne devait point être déplacé l’autre soir dans le hall de Middle-Temple ou au banquet du lord-maire, lorsque lord Palmerston, avec une délicatesse et une justesse de touche vraiment admirables, traçait un portrait si vrai du caractère politique de M. Berryer ; mais en ce moment c’étaient d’autres regrets qui agitaient l’âme de notre grand orateur : il ne pensait qu’à son pays, et l’émotion entrecoupait sa voix vibrante lorsqu’il voyait et décrivait en si beaux termes les nobles fruits que la liberté, chez nous encore si peu féconde, a produits en Angleterre. Enfin, parmi les associations d’idées auxquelles donnaient lieu ces scènes imposantes, comment omettre la pensée de l’âge des hôtes principaux de ces fêtes ? L’infatigable Brougham, le vif Palmerston, sont des octogénaires ; M. Berryer lui-même n’est séparé d’eux que de peu d’années. Qui n’admirerait le miracle de ces vertes vieillesses ? Toute la jeunesse de notre siècle s’est-elle donc réfugiée dans l’âme de ces magnifiques vieillards ? Serait-ce donc que la politique et l’éloquence réservent à leurs favoris le don de Jouvence ?

Un des sujets les plus familiers à l’éloquence de nos orateurs chrétiens est l’art mystérieux avec lequel la puissance divine sait faire sortir le bien du mal. La guerre civile d’Amérique semble nous préparer une surprise de ce genre. De l’acharnement de la lutte semble devoir sortir l’abolition prochaine de l’esclavage. Les hommes du sud avaient brisé l’union, non pas seulement par la crainte que l’abolition de l’esclavage ne leur fût imposée, mais pour se soustraire à la volonté de la majorité, qui entendait empêcher l’extension de l’esclavage dans les nouveaux territoires. Les sécessionistes, prévoyant que l’extension de l’esclavage ne serait plus possible, et que « l’institution sociale » serait à jamais renfermée dans les états où elle existait déjà, aimèrent mieux rompre l’Union que de renoncer à l’espoir de fonder de nouveaux états à esclaves. On se souvient d’un autre côté que M. Lincoln et son gouvernement ne songeaient point, au commencement de la guerre, à supprimer l’esclavage. M. Lincoln, par un scrupule de modération dont les fanatiques d’aucun parti ne lui tinrent compte, ne se proposait d’autre objet que le maintien de la constitution, c’est-à-dire le rétablissement de l’Union. En rentrant dans l’Union, les états confédérés auraient pu maintenir l’esclavage. Les abolitionistes ardens faisaient un crime à M. Lincoln de cette modération politique : des hommes tels que M. Wendel Philip ne la lui ont pas encore pardonnée.

Ainsi l’abolition de l’esclavage n’était dans les projets d’aucun des deux gouvernemens en guerre ; elle a fait son chemin toute seule, aidée par la force invincible des choses. Le gouvernement de M. Lincoln recourut, après deux années de lutte, à l’émancipation des esclaves, non point en se fondant sur des raisons de principe, mais en alléguant le droit et les nécessités de la guerre. Il décréta l’émancipation pour susciter une diversion au cœur du pays ennemi et plus encore pour chercher parmi les noirs des recrues nécessaires à l’armée du nord. Après cette émancipation présentée comme un expédient, si les états du sud eussent voulu revenir à l’Union, il est douteux que l’abolition de l’esclavage se fût accomplie ; la guerre cessant, l’expédient eût été probablement abandonné. C’est l’obstination aveugle du sud qui aura rendu l’abolition inévitable. Aujourd’hui les confédérés eux-mêmes, épuisés de ressources, parlent d’armer les noirs et d’affranchir ceux qu’ils enrôleront dans leurs troupes. Comme il arrive toujours dans les luttes à outrance, la passion devient plus forte que l’intérêt : on a voulu d’abord quitter l’Union pour sauvegarder un intérêt ; on aime mieux aujourd’hui sacrifier cet intérêt que de rentrer dans l’Union. On ne saurait trop admirer ici les effets de l’aveuglement humain, et cette force de la justice qui contraint les hommes à déjouer eux-mêmes les iniques desseins qu’ils avaient conçus. On peut désormais prédire avec certitude que l’abolition de l’esclavage sortira de l’effort impie que les politicians du sud, ne voulant pas endurer de perdre le pouvoir pour la première fois depuis quarante ans, ont tenté pour conserver l’esclavage et détruire cette grande Union américaine qu’ils avaient si longtemps gouvernée. À en juger par la délibération des gouverneurs des états confédérés, qui proposent à M. Jefferson Davis l’enrôlement des noirs, il n’est pas question encore d’une émancipation complète. Il ne s’agit que d’un expédient de guerre : les blancs manquant, et l’expérience ayant montré dans les armées du nord que les noirs étaient capables de faire un bon service militaire, on propose de recruter des soldats parmi les noirs et d’affranchir ceux que l’on armera. On ne dit rien encore des autres ; mais l’émancipation complète est la conséquence forcée de l’affranchissement individuel dont on parle, et même, si la mesure générale de l’émancipation ne précède pas l’enrôlement des noirs, comment pourra-t-on faire croire aux enrôlés qu’ils sont réellement affranchis ? On a contesté jusqu’à présent la prépondérance du nord, on a nié les victoires de l’Union. Y a-t-il une preuve plus assurée de cette prépondérance que l’expédient désespéré auquel les hommes du sud veulent recourir : quelle plus belle victoire pouvait obtenir l’Union que de contraindre ses ennemis à se faire eux-mêmes les artisans de l’émancipation ! A. côté de ce fait, les récens événemens de la guerre américaine ne présentent plus qu’un intérêt médiocre. Il semble que l’élection présidentielle ne sera précédée d’aucun fait de guerre important. Le gouvernement américain prépare une grande expédition maritime et militaire contre un port de la Caroline du nord, Wilmington, refuge des corsaires confédérés. Une reconnaissance générale des armées du Potomac et du James, dirigée par le général Grant contre les abords de Richmond, n’a point été poussée à fond : elle n’avait probablement d’autre objet que de contraindre Lee à garder avec lui toutes ses troupes et de l’empêcher d’envoyer des détachemens au sud et dans l’ouest. L’élection présidentielle, dont nous ne tarderons point à connaître le résultat décisif, tient en suspens les opérations militaires.

Il y a peu de chose à dire de notre politique intérieure. Nos chambres ne seront pas, dit-on, convoquées avant le mois de février. On emploiera le temps qui nous sépare de la session à deviser des modestes progrès parlementaires auxquels tendent des aspirations politiques qui sont aussi très modérées. On se demandera par exemple s’il est probable que les ministres soient bientôt appelés à prendre part aux discussions des chambres. Dans cet ordre de supputations et de conjectures, la chronique est si indigente que des correspondans de journaux étrangers s’amusent à annoncer la conversion de M. de Persigny au libéralisme : M. de Persigny deviendrait partisan de la coopération des ministres aux travaux législatifs. Au libéralisme futur de M. de Persigny, nous préférons certaines mesures sages adoptées sans bruit par M. Boudet. La direction de la presse au ministère de l’intérieur est supprimée. C’est un bon symptôme pour les journaux : l’intermédiaire d’un directeur ne peut leur être favorable ; il vaut mieux pour leur dignité et leur liberté qu’ils soient en contact direct avec la responsabilité ministérielle. E. FORCADE.



la crise des partis et le nouveau ministère en espagne.

L’Espagne est aujourd’hui en travail d’une idée qui la dirige, d’un parti qui se recompose sous un drapeau de libéralisme sensé, d’un pourvoir qui, par son action, par ses exemples, par son impulsion, remette un peu d’ordre dans une vie publique passablement incohérente depuis quelque temps. Le ministère du général Narvaez sera-t-il décidément ce pouvoir s’appuyant sur un parti éclairé par l’expérience, et marchant résolument à la réalisation d’un vrai régime de liberté constitutionnelle ? Il se évidemment d’hommes distingués et capables, qui ont l’intelligence d’un rôle réparateur dans une situation nouvelle. Le président du conseil, et avec lui le ministre des finances, M. Barzanallana, aussi bien que M. Llorente et M. Gonzalez Bravo, sentent manifestement que leur vie ministérielle est à ce prix, qu’ils ont besoin de faire quelque chose de nouveau et de sérieux, qu’ils ont surtout à éviter d’aller s’embourber une fois de plus dans la réaction, et c’est sous cette inspiration qu’ils ont mis dans leurs premiers actes un libéralisme qui est une promesse, qui a quelque peu déconcerté leurs adversaires ; mais le ministère réussira-t-il définitivement à se dégager avec une force suffisante de cette énervante confusion où sont tombés les partis, et à s’élever au-dessus de ce tourbillon de prétentions et d’intérêts personnels qui embarrassent toujours la politique de l’Espagne, qui en font trop souvent un frivole et désastreux imbroglio ? C’est là le problème qui a encore son inconnue, et qui, avant de se débattre dans les chambres, va se poser dans les élections d’ici à peu de jours. En attendant, tout se remue et s’agite à Madrid en vue de ces élections prochaines, dont le résultat, assez facile à prévoir dès ce moment, peut offrir un point d’appui au gouvernement, sans être par lui-même une solution. Le ministère triomphera donc certainement, et son succès sera même d’autant plus significatif qu’il y a réellement dans toute cette agitation électorale d’aujourd’hui un degré de liberté qu’on n’avait pas vu depuis longtemps au-delà des Pyrénées. Ce n’est là pourtant encore qu’un élément du problème. La vraie question est dans la politique à suivre, dans la manière de liquider en quelque sorte la situation épineuse et surchargée que les combinaisons décousues de ces dernières années ont léguée au pouvoir actuel.

La difficulté, le danger pour le ministère du général Narvaez n’est point dans l’hostilité d’un parti constitué, d’une force d’opinion organisée. Il y a longtemps que cette force compacte d’opinion n’existe plus en Espagne, que les partis sont en pleine décomposition, et les progressistes tout les premiers en sont à se débattre dans une incohérence dont ils viennent de donner une représentation nouvelle. Le parti progressiste espagnol, à vrai dire, joue un singulier rôle. Il a formé récemment à Madrid un comité central chargé de délibérer sur le système de conduite qu’il avait à suivre dans les circonstances actuelles, en présence du nouveau ministère. Il y avait dans ce conseil suprême des hommes comme M. Olozaga, le général Prim, M. Madoz, sans compter une multitude de délégués des provinces. Et à quoi est arrivé le comité central ? Il a fini par enfanter un manifeste solennel où il déclare que les progressistes n’ont qu’à s’abstenir dans les élections. Le parti progressiste a depuis quelque temps la passion dangereuse de l’abstention. S’abstenir l’an dernier dans les élections précédentes, cela pouvait ressembler à une protestation à demi justifiée contre un acte de politique méticuleuse qui avait à peu près supprimé le droit de réunion ; mais aujourd’hui, lorsque la presse vient de retrouver la parole, lorsque le droit de réunion vient d’être reconnu, lorsque les instructions ministérielles laissent le champ libre aux opinions, cela ne ressemble-t-il pas à une abdication ? Et ne voilà-t-il pas une étrange politique qui consiste à attendre en se croisant les bras, selon le langage du manifeste ? La vérité est que cette abstention, votée à l’unanimité, cache des dissensions profondes, et que le parti progressiste est plus que jamais divisé en deux fractions, dont l’une continue à se ranger ostensiblement sous la bannière du duc de la Victoire, tandis que l’autre, ayant pour chef M. Olozaga ou le général Prim, — c’est une question de préséance à vider, — va se perdre dans le jeune parti démocratique qui tend à se former au-delà des Pyrénées. On pourrait dire que ces divisions se compliquent d’une antipathie personnelle des plus vives entre le duc de la Victoire et M. Olozaga. Des médiateurs de bonne volonté ont essayé plus d’une fois de réconcilier les deux ennemis, et même récemment M. Olozaga en personne a fait tout exprès le voyage de Logrono, où le vieux duc est retiré. M. Olozaga en a été pour ses avances et pour son voyage ; le duc de la Victoire n’a voulu rien entendre, il a fermé sa maison à l’ennemi intime, il a décliné la présidence du comité de Madrid, et s’il s’est rallié en définitive à l’abstention, ce n’est pas sans faire des réserves pour le trône constitutionnel, dont les jeunes démocrates auxquels s’unit M. Olozaga paraissent faire bon marché, sans compter que le vieux duc n’avait pas beaucoup de peine à se rallier à un rôle qui est si bien dans ses habitudes, qu’il reprend invariablement toutes les fois qu’il n’est pas au pouvoir. Voilà où en est le parti progressiste au moment où se rouvre devant lui une carrière élargie par une politique plus libérale. Il attend les bras croisés, la conscience tranquille, et surtout fort homogène, comme on voit !

Malheureusement le parti conservateur, que représente en somme le nouveau ministère, n’est pas beaucoup moins divisé. La décomposition de l’ancien parti modéré a donné naissance à une multitude de fractions diverses dont l’une, la plus intelligente, sinon la plus nombreuse, a pour porte-drapeau dans la presse le journal le Contemporaneo, et a ses représentans dans le ministère. C’est la fraction qui s’efforce depuis quelques années de rajeunir le parti conservateur par un sentiment plus large des nécessités contemporaines, qui a plaidé plus d’une fois pour que l’Espagne reconnût l’Italie, qui voudrait éviter les diversions extérieures et lointaines devenues la plaie des finances, et tourner toutes les forces, toutes les préoccupations du pays vers le développement des institutions et des ressources intérieures. Le libéralisme est son mot d’ordre, et son moyen pratique est la franche et large application du régime constitutionnel, qui en réalité n’a guère été qu’une fiction jusqu’ici. À l’extrémité opposée s’est formée une autre fraction bien différente, celle des néo-catholiques, dont M. Nocedal s’est improvisé le chef, et qui a pour organe dans la presse le Pensamiento español. La politique des néo-catholiques est tout simplement une réaction déclarée, la réaction dans les relations extérieures aussi bien que dans le système de gouvernement intérieur. Cette fraction a fort peu d’action sur la masse du pays, mais elle a des ramifications dans le haut et le bas clergé qui lui prête sa force. D’autres, et en assez grand nombre peut-être, modérés de traditions, de goûts et d’habitudes, ne veulent pas de cette réaction outrée des néo-catholiques ; mais ils craignent fort aussi ceux qui ont l’air de prendre des allures de libéralisme ; ils ont peur des nouveautés, de la reconnaissance de l’Italie, de l’extension des libertés intérieures, ils sont un peu en froideur vis-à-vis du ministère, qu’ils accusent tout bas de compromettre l’intégrité des opinions conservatrices. Leur idéal, ce serait de s’asseoir tranquillement dans la victoire que vient de remporter leur parti, de recommencer le passé autant que possible, de gouverner, comme ont gouverné autrefois les modérés. Nous ne parlons pas de l’union libérale, qui a été un peu désarçonnée dans ces derniers temps, et qui, après avoir paru un moment vouloir s’abstenir, reste dans la lutte pour se défendre, pour conquérir quelques places au congrès.

C’est dans ces conditions où tout se mêle, où les questions personnelles jouent assurément un grand rôle, où toutes les influences se livrent des combats invisibles, c’est dans ces conditions que le ministère se trouve placé, poussé en avant par les uns, retenu par les autres, soupçonné de témérité s’il veut marcher dans le seul sens où il puisse trouver la force et la vie, accusé d’inertie s’il ne fait rien, et ayant en définitive à régler tout un héritage confus de difficultés politiques et financières, à redresser toute une situation. Les embarras du premier moment, on les conçoit ; il faut pourtant que le ministère se décide, s’il veut échapper à cette atmosphère d’intrigue où périssent si souvent les administrations espagnoles. Rallier les esprits à une direction intelligente et nette, raffermir l’autorité.de la loi, rassurer les instincts progressifs, donner l’exemple d’un gouvernement conservateur sachant être libéral et en imposer au besoin à tous les retardataires que traînent après eux les partis modérés, c’est là l’œuvre du nouveau cabinet, et les premières, les plus graves difficultés qu’il a rencontrées ne sont peut-être pas encore dans les hommes, elles sont surtout dans les choses elles-mêmes, notamment dans les finances. Ce n’est pas tout d’être au pouvoir, il faut vivre matériellement, il faut suffire d’abord aux besoins de tous les jours, et le ministre le moins embarrassé n’est point à coup sûr le ministre des finances. Le fait est que le prédécesseur de M. Barzanallana, M. Salaverria, qui a conduit les finances espagnoles pendant cinq ans, sous la présidence du général O’Donnell, et pendant la dernière année sous la présidence de M. Mon, a si bien manœuvré qu’il a laissé à ceux qui lui succèdent des charges immenses et des ressources problématiques ou compromises pour y faire face. C’est toute une situation à revoir, à liquider et à replacer dans des conditions normales. Si M. Barzanallana se tourne vers l’extérieur, il trouve les principales bourses de l’Europe fermées aux valeurs espagnoles par suite des procédés de M. Salaverria à l’égard des détenteurs de la dette passive et des coupons anglais ; s’il se tourne vers l’intérieur, il trouve un budget affligé d’un déficit de cinq cents millions de réaux, et de plus quelque chose comme une somme de dix-neuf cents millions de réaux due par le trésor à la caisse des dépôts et consignations. Il y a peu de jours, M. Barzanallana rassemblait les principaux capitalistes de Madrid porteurs de ces créances, et il s’est efforcé de leur persuader dans une pensée patriotique, pour soulager le trésor, d’échanger leurs titres contre des obligations hypothécaires des biens nationaux ; mais comme ces obligations étaient à longue échéance, qu’elles ne rapportaient d’ailleurs qu’un médiocre intérêt en comparaison de ce que rapporte l’argent à Madrid et même partout, le ministre des finances ne pouvait compter sur un grand succès. Il a donc été obligé de s’assurer les ressources premières du moment par d’autres opérations, par des emprunts. Seulement ce n’est là qu’un préliminaire. M. Barzanallana est un esprit habile et intelligent qui a pris son rôle au sérieux. Sa pensée paraît être de procéder à une liquidation véritable, d’attendre les chambres, d’exposer nettement, courageusement devant elles la situation financière réelle de l’Espagne, et, cette situation une fois constatée, de procéder, avec le concours du parlement, à une série de mesures destinées à élever le crédit de l’Espagne en lui rouvrant les bourses européennes, à créer au trésor des ressources permanentes par la réforme des impôts. En un mot, c’est toute une réorganisation financière et économique qui est projetée.

C’est là certes une pensée hardie, prévoyante et digne de réussir, mais dont la réalisation n’est possible, on le comprend, que si la politique lui vient en aide, si le nouveau gouvernement, par un large système de libéralisme, rallie toutes les forces vitales du pays, s’il fonde l’ordre sur la satisfaction de tous les instincts légitimes et de tous les intérêts. C’est toujours l’histoire de la bonne politique aidant à faire de bonnes finances. Comment M. Salaverria a-t-il conduit les finances espagnoles à l’état d’embarras où elles sont aujourd’hui ? C’est qu’à côté de lui il n’y avait point une bonne politique, c’est qu’on s’engageait étourdiment dans toute sorte d’aventures, comme celle de Saint-Domingue, auxquelles il a fallu suffire, et quand les ressources régulières ont manqué, on a dû recourir aux expédiens. Le terrain a manqué réellement sous les pieds du ministère O’Donnell, dont M, Salaverria était le grand financier ; ses successeurs ont été impuissans à relever cette situation, et ce sont toutes ces impuissances, toutes ces déperditions des ressources du pays, qui ont conduit au cabinet nouveau, auquel vient s’imposer naturellement une œuvre tout à la fois politique et financière. Comment le ministère Narvaez arriverait-il à réaliser cette œuvre, sur laquelle il paraît fonder son avenir, s’il se laissait atteindre par les antagonismes vulgaires, s’il reculait devant les nécessités les plus évidentes du temps, s’il hésitait encore à reconnaître l’Italie ou s’il allait surtout s’engager dans de nouvelles aventures, au Pérou ou ailleurs ? La première question pour lui et pour le pays est à l’intérieur. Avant de songer à se répandre au dehors, il faut que l’Espagne s’établisse solidement au dedans, et elle ne peut le faire qu’en complétant ses institutions, en acclimatant la liberté dans ses mœurs comme dans ses lois, en réformant son système d’impôts, en réglant sa situation financière, en affermissant son crédit par le respect de ses engagemens, en achevant ses travaux publics, en ouvrant des voies nouvelles à son industrie et à son commerce. Certes l’Espagne a le droit d’aspirer à reprendre en Europe la place qu’elle y a occupée dans d’autres temps ; cette place lui reviendra tout naturellement quand elle aura repris en quelque sorte la possession d’elle-même, et de nos jours une nation ne peut arriver à cet heureux équilibre que quand elle est sagement et libéralement gouvernée avec le concours et l’appui de l’opinion. Ainsi gouvernée, l’Espagne peut assurément aspirer à une grandeur nouvelle qu’elle n’a point connue depuis longtemps. Une occasion singulièrement favorable s’offre aujourd’hui au général Narvaez, secondé par des hommes comme M. Barzanallana, M. Llorente, M. Gonzalez Bravo, d’arborer cette politique. Rien ne lui fait obstacle, s’il sait être hardi, et c’est même son intérêt d’entrer résolument dans cette voie, car c’est par là seulement qu’il a la chance de durer et de vivre. C’est ainsi qu’il peut changer l’abstention actuelle des progressistes en une véritable déroute, donner au parti qui le secondera une cohésion et un ascendant nouveaux et mettre la monarchie constitutionnelle hors de tout péril.

CH. DE MAZADE.


ESSAIS ET NOTICES.

LA MÉTALLURGIE ET LES NOUVEAUX MÉTAUX.


Les publications sur la métallurgie se sont multipliées depuis quelques années aussi bien en France qu’en Allemagne et en Angleterre. Il y a là un sujet de réflexion, non-seulement pour le public spécial qu’intéressent les progrès de la science des métaux, mais pour ceux qui cherchent dans ces progrès mêmes une indication sur les tendances et sur les besoins particuliers des sociétés modernes. Quelques mots sur le sujet traité dans ces publications, et principalement sur les dernières découvertes de la métallurgie, montreront en effet combien cette histoire touche de près à l’histoire de l’humanité. Il n’est pas besoin de longs développemens par exemple pour préciser en quoi l’âge d’airain et l’âge de fer furent supérieurs aux âges qui les avaient précédés, et sur lesquels des recherches patiemment poursuivies apportent chaque jour, sinon des données complètes, au moins de précieuses indications. Depuis le jour où Tubalcaïn, le grand forgeron de la Bible, trouva le secret de fondre et de forger l’airain et le fer, les métaux n’ont pas cessé de jouer dans la civilisation des peuples un rôle dont l’importance ne peut échapper à personne. L’âge de pierre, qui marque l’origine du monde avant même l’âge d’or et l’âge d’argent, avait laissé les populations primitives du globe dans un état demi-sauvage. Ce qui reste des habitations lacustres découvertes depuis peu dans les lacs de la Suisse et jusque sur les bords du lac du Bourget, en Savoie, nous donne une idée fort médiocre de l’industrie de nos premiers pères. Ce que M. Boucher de Perthes a découvert en armes, outils, objets de tout genre de cette époque anté-historique, place à peu près nos aïeux au niveau de ces sauvages de l’Océanie, nos contemporains, demeurés fidèles aux traditions de l’âge de pierre. Si nous avons fait depuis les premiers temps un tel chemin dans les voies de la civilisation, c’est surtout, comme l’indique un livre récent[1], grâce à l’invention des métaux utiles. Les anciens avaient compris cette vérité, car ils attribuaient, on le sait, une origine divine aux premiers métallurgistes.

L’or, que les rivières roulent en paillettes, l’argent, qui existe aussi à l’état natif en cristaux, en filamens déliés, furent sans nul doute les premiers métaux qui se révélèrent aux hommes. L’argent s’isole au reste de certains minerais très répandus, comme la galène ou sulfure de plomb argentifère, par la scorification ou la coupellation, deux opérations très simples et que les premiers métallurgistes durent découvrir sans aucun effort dès qu’ils connurent le feu. Après les métaux précieux vinrent les métaux utiles, sans lesquels le monde n’eût pas fait de sérieux progrès. Le cuivre fut d’abord découvert, puis le fer, comme nous l’apprennent Homère, Hésiode et Lucrèce. Le cuivre l’emporta même toujours sur le fer pendant toute l’antiquité.

L’or, l’argent, le cuivre, l’étain, le fer, composent avec le mercure et le plomb, qui dut être découvert en même temps que l’argent, les sept métaux connus des anciens. Plus tard, les Arabes, voyant le plomb se réduire en argent à la fusion sur la coupelle et le vermillon natif produire, par la sublimation, le mercure liquide ou vif-argent, eurent l’idée de la transmutation des métaux, et l’alchimie fut créée. Partout alors on travaille au grand-œuvre, et pendant plus de dix siècles on se livre avec ardeur à la recherche de l’absolu. La science théorique est détournée de sa voie naturelle. Heureusement la pratique de la métallurgie, conservée avec une sorte de mystérieuse religion dans les ateliers, transmise de père en fils comme un secret, ne fit pas fausse route. Le point d’action fut seulement déplacé, et au fond des forêts de l’Allemagne le flambeau de l’art continua de brûler. C’est dans ces laborieuses officines que la méthode de coupellation fut de nouveau pratiquée sur une grande échelle, comme chez les anciens. On sait que cette opération consiste à séparer le plomb de l’argent par voie de fusion et d’oxydation. C’est là aussi que fut inventée la liquation, par laquelle on isole le cuivre du plomb, en se fondant sur la différence des points de fusion de ces deux métaux. Enfin c’est dans les usines allemandes qu’a été pour la première fois appliqué aux minerais d’argent ce traitement particulier qui mérite d’aller de pair avec le procédé d’amalgamation découvert par les Espagnols. Peut-être faut-il faire aussi hommage aux Allemands de la méthode d’inquartation, par laquelle on sépare l’or de l’argent. La préparation mécanique et l’enrichissement des minerais par le lavage sont dus aussi à l’Allemagne, et ce pays est resté encore aujourd’hui classique dans l’art d’exploiter les mines et de fondre les minerais. Quant au travail des alchimistes, il devait forcément produire fort peu de résultats pour l’avancement de la métallurgie. Au milieu du XVIIIe siècle cependant, la chimie naissait de l’alchimie, comme l’astronomie et la physique étaient sorties de la magie et de l’astrologie. Une série de nouveaux métaux jusque-là soupçonnés plutôt qu’isolés par les chercheurs, l’antimoine, le nickel, le cobalt, le bismuth, l’arsenic, le zinc, était découverte et classée. En même temps les Espagnols trouvaient le platine (platina, petit argent) dans les placers de l’Amérique.

À notre siècle appartenait l’honneur de coordonner les pratiques de la métallurgie avec les enseignemens des sciences théoriques qui lui viennent en aide, la physique et la chimie. Depuis lors, la production des métaux a suivi une voie ascendante ; l’aluminium, le magnésium ont même été séparés de leurs combinaisons ; des propriétés merveilleuses que jusque-là on avait été loin de leur supposer, comme l’inaltérabilité dans l’aluminium, le pouvoir éclairant dans le magnésium, ont été découvertes, et un jour la science fera sans doute de ces deux métaux les plus étonnantes applications. Mais que dire de ces autres corps métalliques qu’on n’aurait pas même imaginé de rechercher, et dont l’analyse du soleil est venue miraculeusement nous révéler l’existence il y a trois ans : le thallium, le rubidium, le cœsium ? On ne s’est point contenté de les découvrir parmi les substances dont est composé l’astre lumineux qui nous réchauffe ; on s’est mis à les rechercher dans les minéraux qui forment la croûte du globe. On les y a retrouvés, on les a isolés à l’état métallique, et qui sait l’emploi qui est réservé à ces nouveaux corps ? Le problème est de tous les instans, il intéresse chacun de nous. « Il s’agit d’appliquer à l’industrie les richesses qui dorment entre les feuillets de l’écorce terrestre et qui tous les jours, grâce aux progrès de la physique et de la chimie, nous révèlent des particularités nouvelles et des élémens de bien-être, des sources de puissance infinie pour l’avenir des sociétés humaines[2]. »

Le XIXe siècle s’est engagé résolument dans cette voie. Les modestes chercheurs n’alimentent plus en vain leurs fourneaux. Déjà le manteau du laboratoire a dévoilé plus d’un secret, et la métallurgie a reçu plus d’une bonne inspiration de sa sœur cadette, la chimie. Les pratiques de l’art se sont aussi perfectionnées, les traditions se sont transmises sans mystère, non plus seulement dans la même usine de maître à maître, et, comme autrefois, du père au fils, mais de peuple à peuple. La France, l’Allemagne, l’Angleterre, les trois pays métallurgiques par excellence, ont lutté d’émulation, et n’ont pas tardé à être suivies par la Belgique, la Suède et la Norvège, l’Espagne, l’Italie, la Prusse, la Russie et l’Autriche, toutes contrées minéralogiques également remarquables à des points de vue divers. Sauf en quelques cas particuliers, on a tenu à honneur de faire connaître publiquement les détails de procédés auparavant tenus secrets. De nouvelles découvertes, dans lesquelles s’est distinguée surtout l’Angleterre, qui occupe aujourd’hui la place jadis réservée à l’Allemagne, ont étendu le domaine de l’art. La fusion du carbure de fer dans le haut-fourneau, qui a créé à la fonte des emplois si divers, la cémentation ou aciération du fer forgé, le pattinsonnage, procédé curieux et de date récente, par lequel on enrichit considérablement la teneur en argent des plombs qui ne pourraient passer à la coupelle, toutes ces grandes inventions métallurgiques sont dues à des Anglais. Le pattinsonage, la plus ingénieuse de ces découvertes[3], a permis d’utiliser les plombs les plus pauvres, c’est-à-dire tenant à peine quelques grammes d’argent. L’Anglais Pattinson, qui a donné son nom à ce procédé, dont il est l’inventeur, a bien mérité à la fois de son pays et de l’Espagne. Dans cette dernière contrée, les mines de plomb et d’argent voisines de Carthagène ont vu se réveiller les splendeurs de leur passé, alors que les Phéniciens et après eux les Carthaginois avaient un comptoir à Gadir, la moderne Cadix.

En même temps qu’on perfectionnait partout les procédés métallurgiques, qu’on en inventait de nouveaux, la pratique s’est vulgarisée. Les fonderies, les forges, les ateliers, ont été partout libéralement ouverts aux élèves des écoles des mines, aux ingénieurs praticiens, aux savans, aux hommes du monde désireux de s’instruire et de voir, et si quelque chose est resté la propriété d’un établissement, c’est ce qu’on nomme si bien, en termes de métier, le tour de main de l’ouvrier. Pour mettre le comble à cette publicité libérale, la France, l’Allemagne, l’Angleterre même, après quelques hésitations bien concevables dans un pays où l’individualité est si prononcée, se sont comme à l’envi distinguées par des travaux où l’on s’est plu à décrire tous les procédés, même les plus délicats.

Il est constaté que la valeur annuelle des métaux bruts extraits en Europe seulement s’élève à plus d’un milliard de francs. La valeur du charbon minéral produit par toutes les houillères et employé en partie à la fusion des minerais atteint presque un chiffre pareil. Ajoutons que la Californie depuis quinze ans et l’Australie depuis douze versent annuellement, et à elles deux, plus d’un demi-milliard d’or sur le monde, et qu’enfin la quantité d’argent tirée de l’Amérique espagnole, bien qu’ayant décru de puis le commencement de ce siècle à cause de la mauvaise exploitation des mines, est encore de plus de 150 millions chaque année[4]. Ce simple aperçu montre le rôle important que jouent les métaux dans notre société moderne et celui qu’ils ont joué en tout temps, non-seulement comme signes représentatifs des valeurs, mais encore comme marchandises et éléments d’échanges. Si l’Angleterre est aujourd’hui si puissante, c’est qu’elle jouit sur presque tout le globe du monopole de la production et de la vente de la plupart des métaux, le fer, le cuivre, le plomb et l’étain. Ceux qu’elle ne produit pas, elle les achète : c’est sur Londres et sur Liverpool qu’on dirige les barres d’argent et les lingots d’or de tous les points de l’Amérique, c’est vers Swansea que les minerais de cuivre du Chili, de l’Australie, de Cuba, de l’Afrique, du monde entier, sont expédiés pour être fondus et raffinés. On sait au reste que la Grande-Bretagne produit à elle seule plus de 60 pour 100 de tout le combustible minéral extrait sur le globe. Or sans la houille il n’y a pas de calorique, partant pas de métallurgie possible.

Quels nouveaux procédés la métallurgie mettra-t-elle maintenant en œuvre ? Les temps de l’âge de fer semblent revenus. Aujourd’hui le fer, — et sous ce nom nous comprenons aussi la fonte et l’acier, — le fer est partout. C’est lui qui concourt à la défense des nations, car il compose l’armure du soldat et les terribles engins de la guerre ; mais c’est lui aussi qui ouvre la terre, soit par le pic du mineur, soit par la bêche et la charrue, pour en faire sortir toutes les richesses qu’elle nous réserve. C’est le fer qui forme ces voies nouvelles sur lesquelles roulent nos locomotives ; lui seul est le ressort et l’âme de nos ateliers ; il a même remplacé le bois pour la charpente des édifices. Aussi est-ce vers la fabrication du fer, de la fonte et de l’acier que tendent aujourd’hui les travaux de tous les praticiens. Déjà des résultats surprenans ont été obtenus en Allemagne par Krupp, dont on a pu admirer les gigantesques spécimens à l’exposition de Londres de 1862, et en Angleterre par Bessemer, qui trônait également dans le palais de Kensington. Les progrès de la sidérurgie, l’emploi de plus en plus répandu du fer et de l’acier, sont un des faits les plus notables que nous permettent de constater les diverses publications relatives aux sciences métallurgiques en 1864. C’est là un des traits caractéristiques de notre époque, et qui méritera d’occuper longtemps encore les praticiens et les savans.


L. SIMONIN.


V. DE MARS.

  1. Du Mineur, son rôle et son influence sur les progrès de la civilisation, par M. J. Fournet, professeur à la faculté des sciences de Lyon.
  2. George Sand, Voyage dans le cristal.
  3. La méthode du pattinsonage est fondée sur ce phénomène curieux qu’un bain de plomb argentifère fondu agité avec une cuiller se sépare en deux parties, l’une mousseuse, cristalline, qui retient une grande partie de l’argent et tombe au fond de la chaudière, l’autre qui reste liquide et s’appauvrit de plus en plus en argent. On comprend que de cette manière la concentration du précieux métal dans le plomb finisse par arriver au degré voulu, si l’on fait remonter les plombs enrichis de chaudière en chaudière, et si l’on fuit suivre aux plombs appauvris une marche inverse, en renouvellant à chaque fois le même traitement, la même séparation du bain en deux parties, l’une liquide, l’autre solide.
  4. Traité de Métallurgie, par le dr J. Percy, professeur à l’école des mines de Londres, traduit par MM. Petitgand et Ronna. Les chiffres que nous avons cités sont officiels et tirés d’une remarquable introduction des traducteurs.