Chronique de la quinzaine - 14 mars 1837

Chronique no 118
14 mars 1837


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 mars 1837.



Ce qui se passe depuis quelques jours est un spectacle tout nouveau, et dans la chambre et dans le ministère. Tout à coup, au moment où le ministère se croyait le plus assuré de sa majorité, la chambre des députés, où il se plaisait à compter un excédant de plus de cinquante voix en sa faveur, lui dénie son concours pour une loi politique, et lui refuse les moyens de répression qu’il regardait, lui, comme les seuls propres à assurer la tranquillité du pays. Ce n’est pas tout, ce fait si étrange est suivi d’un fait non moins nouveau. Le ministère n’accepte point le refus de concours de la chambre comme un avis de se retirer ; il reste, se dispose à resserrer ses rangs, repousse toutes les modifications qui lui sont offertes ou conseillées par ses officieux ou ses amis, et l’opposition, au lieu d’user de sa victoire, répond par des votes favorables, et tels que le ministère n’aurait jamais pu les espérer. Encore une fois, c’est un spectacle neuf, singulier ; et, de jour en jour, il devient plus difficile d’en prévoir le dernier acte.

Assurément, si le ministère était composé de deux nuances bien distinctes sans lien commun, il lui serait facile de savoir où il va, comme à la chambre de deviner le résultat de ce qu’elle vient de faire. Le rejet de la loi de disjonction disait assez haut à M. Molé qu’il est temps, ou de quitter le ministère ou de le modifier par l’adjonction du maréchal Soult, ou du moins de M. de Montalivet, qui veut aussi un pouvoir fort, qui a toujours combattu pour le gouvernement, mais qui n’est pas regardé comme un partisan de l’école doctrinaire. En quoi consiste l’esprit de cette école ? Nous serions peut-être aussi embarrassés de le dire que ceux qui la composent ; mais toujours est-il qu’elle existe, qu’elle est unie, qu’elle entre tout à la fois dans un ministère, envahissant tous les postes les plus importans, qu’elle en sort aussi tout à la fois ou à peu près, et qu’elle forme une sorte de camp retranché dans la chambre ; en un mot, qu’elle a tout le caractère d’un parti, avec ses chefs qui se placent à la cime des affaires, qui dominent et transigent tout à la fois selon l’occasion et la nécessité ; avec son gros d’armée qui obéit et répète la parole des chefs ; avec son arrière-garde et ses partisans qui dépassent quelquefois la tête, qui la compromettent, qui l’entraînent et lui font souvent la loi. On ne peut nier que dans ce parti, qui est d’ailleurs bien connu et qui est loin de vouloir cacher ses ressources, on ne veuille avec ardeur l’ordre, la force dans le pouvoir, l’obéissance dans les subordonnés, tout ce qui est indispensable dans une société qui veut durer et ne pas périr à la moindre secousse ; mais enfin ces choses si nécessaires, on les veut là, d’une façon si rude et si absolue, en se préoccupant si peu des nécessités d’en bas et de quelques garanties de plus en plus essentielles, à mesure qu’on augmente la force du pouvoir, que ceux-là même qui voudraient tout ce que veulent les doctrinaires, le veulent autrement qu’eux. Or, c’est ainsi que s’est formé le présent ministère, composé de deux, et même de trois membres qui voulaient l’ordre et la force dans certaines conditions, d’un chef qui veut la force et l’ordre avec une volonté moins âpre, quoique tout aussi prononcée, et de quelques autres qui suivent le flot, lequel grossit toujours du côté de la majorité numérique.

Deux lois politiques seulement ont été présentées par ce cabinet. La première vient d’être rejetée, et les partis encore tout haletans se préparent à se rencontrer de nouveau, quand viendra la discussion de la seconde de ces lois. Nous ne savons ce qui en adviendra, mais il est certain qu’en frappant ces deux lois, la chambre frapperait tout le cabinet.

Il n’est pas très constitutionnel de scruter l’intérieur d’un cabinet et de rechercher la pensée de chacun de ses membres, quand la responsabilité des mesures est en quelque sorte commune ; mais quoi de moins constitutionnel que tout ce qui se passe en ce moment entre la chambre et le ministère ? et nous pouvons bien, sans scrupule, passer outre, comme fait tout le monde en ce temps-ci. On a dit que les deux lois politiques de la session avaient été rédigées à l’insu de M. Molé, et adoptées dans le conseil par une majorité dont il ne faisait pas partie. Ce fait n’est pas exact. Il paraît que M. Molé approuvait, au contraire, la loi de disjonction, et que, ne la regardant pas comme contraire à la Charte, il s’était franchement disposé à la défendre à la fois contre les amendemens du parti ultra-ministériel et contre les attaques de l’opposition. On assure, au contraire, et l’on croit savoir que la loi de non-révélation n’était pas de son goût, et que s’il n’eût obéi qu’à ses penchans (ce qu’on n’est pas toujours maître de faire dans un cabinet, même quand on en est le chef), cette loi n’eût pas été présentée à la chambre.

La chambre jugera cette loi, comme elle a fait pour l’autre, avec certaines idées et certaines préventions qu’on ne peut blâmer et qui sont bien naturelles. Sa manière d’agir lors de ce dernier vote, bien que la forme n’en soit pas irréprochable, prouve que, loin d’avoir méconnu son origine dans ses vieux jours, elle est, au contraire, restée tout-à-fait l’enfant de ses pères et le fruit de l’œuvre populaire des électeurs. Il faut se mettre à tous les points de vue. Le point de vue de la chambre ne peut être tout-à-fait celui du ministère. Celle-ci a beau venir chez les ministres, leur tendre la main, leur offrir son constant et parfait concours ; quand vient une circonstance décisive, et quand elle peut agir en toute liberté sous l’incognito du scrutin secret, l’esprit défiant et actif de la commune se manifeste aussitôt, et la déclaration des droits se dresse toute vivante au milieu d’elle, au moment où l’on s’y attend le moins. De son côté, le ministère apporte toujours sur son banc la pensée qu’il y représente le roi et ses prérogatives, et qu’à lui est dévolu le soin de la dignité du souverain et de sa conservation personnelle. Et c’est ici la véritable pensée qui unit le ministère ; ce qui l’a mis d’accord sur un grand nombre de questions, où il y avait d’abord divergence ; ce qui l’a empêché jusqu’à ce jour de se disperser sur des routes différentes, ce sont les dangers, c’est la situation du roi. C’est pour cela qu’on s’est empressé de présenter les lois de famille qui pouvaient encore attendre une session ; c’est ainsi que les lois politiques ont été rédigées et consenties, parce qu’on s’est dit qu’il fallait défendre le roi contre les conspirateurs et contre les assassins. On a donc fait une loi pour punir les conspirateurs et une autre loi pour découvrir les assassins, la loi de disjonction et la loi de non-révélation, auxquelles ou peut sans doute reprocher, à l’une d’être irrégulière, mais certes moins choquante et moins en dehors de nos mœurs que la trahison sous le drapeau ; à l’autre de manquer de moralité, mais qui est assurément moins immorale que tous les projets homicides, exécutés ou non, que nous avons vus depuis deux ans.

Encore une fois, voilà pourquoi le cabinet a été d’accord, voilà sur quelle pensée il s’est réuni, et comment M. Molé, le modérateur du cabinet, de l’aveu même des organes de la presse qui voudraient lui contester ce rôle et surtout l’empêcher de le jouer, a trouvé, dans le sentiment de ses devoirs, l’abnégation nécessaire pour adopter une mauvaise loi politique qu’il n’avait pas approuvée, et pour marcher momentanément dans les voies d’un système où pouvaient l’arrêter quelques-uns de ses scrupules. On nous assure même que M. Molé poussera jusqu’au bout l’accomplissement du pénible devoir de sa position, et qu’il a insisté dans le conseil, contrairement à d’autres avis, pour que la loi de non-révélation soit discutée à la chambre des pairs et présentée, dans un bref délai, à la chambre des députés. Or, il y a d’autant plus de courage dans cette résolution de M. Molé, qu’il ne se dissimule aucun des embarras que lui prépare cette discussion, et que ses anciens rapports d’amitié avec M. Royer-Collard ont dû lui apprendre que ce vieux et puissant défenseur de la légalité, sous la restauration, a lu, il y a deux jours, à ses amis intimes, un brillant discours contre la loi, où il montre, dans un curieux épisode, de Thou forcé d’aller vendre à Richelieu la tête de son ami Cinq-Mars, si la loi de non-révélation eût existé du temps de Louis XIII. Il y a sans doute plus d’un argument de ce genre dans le discours de M. Royer-Collard, dont l’esprit bien trempé n’est pas de ceux qui s’engourdissent dans le repos.

Voilà deux lois politiques qui causent de terribles embarras au ministère, et qui ne paraissent pas venir d’une manière bien puissante à son aide. La loi de disjonction était presque inexécutable, à cause des difficultés de procédure sans nombre qu’elle élevait. Quant à l’autre, la loi de non-révélation, outre qu’elle n’a pas l’inconvénient de toucher au jury, et qu’elle n’a pas l’air, comme semblait celle-ci, d’être une vengeance contre le verdict de Strasbourg, qu’il faut subir en songeant chrétiennement aux autres profits de l’institution qui nous l’a valu, les amendemens de la chambre des pairs lui ôtent, en grande partie, le caractère de délation intime. Il y a quelque chose d’inquiétant dans ce mot de révélation ; et, en 1832, où l’on faisait encore plus la guerre aux mots qu’aux choses, la France entière (on sait que la chambre des pairs faisait à peine partie de la France en ce temps-là), la France entière applaudit quand on supprima de notre Code pénal le délit de non-révélation. C’est que toute la France n’avait pas été juge de délits politiques, c’est-à-dire placée, par la loi, dans la nécessité de condamner, avec quelques conspirateurs très sérieux, une foule de conspirateurs à la suite qui avaient médité la ruine de l’état, sans trop apercevoir les conséquences de leur complot à travers la fumée de l’estaminet, au fond duquel on allait les séduire. Quant à ces criminels obscurs, et stupides jusqu’à l’innocence, la cour des pairs et les jurés trouvaient souvent dans la loi de non-révélation, dont les peines n’étaient pas très graves, un moyen d’être clémens sans trop entamer leur conscience. Ils les jugeaient comme non-révélateurs, au lieu de les traiter comme coupables du crime de haute trahison, et un simple emprisonnement faisait justice de quelques pauvres diables, très indignes, en vérité, de monter sur l’échafaud. Ajoutez que la crainte de l’emprisonnement faisait quelquefois révéler un complot, et que d’autres fois, un conspirateur dévoilait un danger pour l’état, décidé par la certitude qu’il avait de changer de rôle en agissant ainsi. Sans doute la morale se révolte à l’idée d’une telle trahison ; mais les conspirations ne sont que des trahisons légalisées quand elles réussissent ; et quant à la révélation simple, la morale souffre bien aussi quelque atteinte de celui qui voit préparer en silence, près de lui, une machine de mort, sans avertir celui qu’elle doit frapper.

On peut contester l’excellence des moyens, mais le ministère, et particulièrement M. Molé, ont eu en cela l’intention bien formelle de défendre les jours du roi. Il n’est pas un membre de l’opposition, même de la gauche extrême, qui n’eût cherché quelque moyen semblable, si le roi s’était adressé à lui, comme il l’a dû faire à ses ministres, en les sommant de lui donner la protection dont jouit en France le plus obscur citoyen. Le moyen, en effet, quand on est ministre, de rester les bras croisés et de répondre seulement par un soupir plaintif, quand le chef de l’état vous demande, au nom de sa famille en larmes, la sécurité que son gouvernement a donnée à tous les citoyens, qui peuvent, grâce à la paix dont jouit le pays, traverser jour et nuit les cités et les routes, voyager à travers les forêts et les montagnes, sans que leur vie et leur bourse courent le moindre risque, tandis que le roi ne peut descendre l’escalier de son palais sans s’exposer à recevoir une balle ; — ou bien, si c’est un complot contre sa maison et son trône, quand il se plaint de voir le complot impuni, tandis que le vol d’un mouchoir, la tentative d’incendie d’une meule de foin, ou tout autre délit, sont si rapidement punis ou réprimés ?

Mais on a vu, et non peut-être sans raison, dans ces lois toute la préface d’un système, un pont pour arriver à la terre promise que nous montrent de loin les sentinelles perdues de la doctrine. Peut-être tout autre ministère, celui de M. Thiers, par exemple, qu’on ne pouvait suspecter, eût-il fait passer ces lois, ou quelques lois de cette nature ; car de quoi s’agissait-il ? de ce que veut tout le monde, de la sûreté du roi, c’est-à-dire du repos du pays. Mais sur le rempart que la prudence ministérielle élevait autour du prince, et auquel travaillaient presque d’accord M. Molé et M. Guizot, on voyait la presse avancée, la jeune presse ministérielle, comme elle se nomme, se hâter de braquer des canons, et montrer déjà dans ses mains la mitraille dont elle comptait bien les charger pour la confusion des factieux, c’est-à-dire de tous ceux dont le zèle monarchique n’est pas aussi pétulant que le sien. La chambre a refusé la loi. On ne peut blâmer la chambre.

Maintenant la discussion va s’ouvrir sur les fonds secrets. La chambre les accordera sans doute. C’est, nous dit-on, un moyen d’étendre la police, un moyen non politique de préserver le roi. Le ministre des affaires étrangères demande aussi un supplément de fonds secrets, car ce n’est pas seulement en France que doit s’exercer la surveillance du gouvernement. Les dépêches reçues récemment de Bruxelles et de Darmstadt prouvent que les machines infernales et les pensées d’assassinat s’expédient à présent du dehors au dedans, et que cette maladie contagieuse se dispose à faire le tour de l’Europe, comme la grippe et le choléra.

Il paraît que la connaissance qu’il a des dispositions de la chambre au sujet de la loi des fonds secrets, n’a pas peu déterminé M. Molé à insister sur la prochaine discussion de la loi de non-révélation. Le ministère a hâte de savoir ce que lui garde la chambre sous les votes de cette complaisante et immense majorité, dont il se sent un peu embarrassé. Cette tactique de l’opposition est vraiment remarquable et non moins nouvelle que l’est toute la marche des affaires depuis peu de jours. Un journal qui voit tout en noir, et qui semble vouloir élever le trône sur les décombres de ce régime, y voit l’abus et la ruine du gouvernement représentatif. Ceci est l’abus de la critique et du droit de vitupération. Avec un peu plus de calme et d’impartialité, on reconnaîtrait, au contraire, dans la méthode actuelle de l’opposition, une habileté qui n’est pas blâmable, et même quelque chose de mieux.

Si on recherchait tous les abus du gouvernement représentatif, si on fouillait dans cette chambre de fonctionnaires et jusque dans les rangs de ces députés indépendans, qui n’envient les fonctions de personne, mais qui ont des parens et des amis pourvus, de leur fait, de toutes sortes d’emplois ; si on allait par-delà encore, on s’assurerait sans doute et sans peine que le gouvernement représentatif n’est mu par des anges, ni d’une part, ni de l’autre, et que ce sont des hommes faillibles, préoccupés d’intérêts personnels, et animés de passions souvent peu nobles, qui mettent ses rouages en mouvement. Là, comme ailleurs, il faut se réjouir du bien, n’importe d’où vient sa source. Or, ce que nous voyons est un progrès, c’est une amélioration réelle. Quel que soit le motif de ce changement, il paraît certain que l’opposition systématique, qui voulait qu’un ministère eût tort tous les jours, à toutes les heures, dans tous ses discours et dans tous ses actes, soit qu’il fît marcher une armée ou confectionner un pont, percer une route ou signer un traité, soit qu’il se crût en droit de destituer un fonctionnaire ou d’en créer un, que cette opposition n’est plus supportable aujourd’hui. Il est donc avéré que l’opposition doit être juste, si elle veut qu’on l’écoute. Nous savons aussi bien que personne que c’est là simplement une tactique ; mais, enfin, la tactique est bonne, et l’opposition s’honore en l’adoptant.

Quoi qu’il en soit, la loi de non-révélation sera discutée. Le Journal de Paris a dit, avec plus d’esprit et de verve que de justesse, que la loi de disjonction a été tuée par le silence de M. Guizot et par la parole de M. Molé ; il lui est peut-être réservé de voir ces paroles démenties par les faits, et la loi de non-révélation périr par une marche contraire. Peu nous importe que ce pressentiment se réalise, car le ministère ne nous inspirera aucune inquiétude tant que M. Molé le couvrira de son nom. M. Molé agira dans ce cabinet, nous le pensons, comme il a agi à la chambre dans cette mémorable discussion. Ainsi qu’il se levait pour protester contre les amendemens qui étaient contraires à la constitution, ainsi il se lèverait sans doute dans le conseil pour s’opposer à toutes les infractions contre la Charte. C’est là son rôle ; il n’en a pas d’autre, et il ne saurait y faire défaut sans perdre aussitôt son influence dans le conseil, sa position dans la chambre, et manquer à la fois aux traditions de famille qui doivent le guider. Si nous ouvrons les mémoires du temps, nous verrons Mathieu Molé défendre la loi, tantôt dans le parti des princes, tantôt dans le parti de la cour, le centre gauche et le centre droit de l’époque, et se rendre ainsi propre à modifier tour à tour les deux partis et les préserver de leurs excès, ainsi que pourrait faire alternativement son successeur dans un ministère de centre gauche, où ses opinions le placeraient comme un élément de centre droit, et comme il devrait faire, comme il fait peut-être dans le présent ministère, où il représente assurément le centre gauche, avec sa modération qui n’est pas dépouillée d’énergie, et sa fermeté qui n’est pas revêtue de formes acerbes.

Avec l’autorité de son nom et de sa conduite, M. Molé peut donc, par sa parole, décider la chambre à voter pour la loi de non-révélation, dont il n’est pas l’auteur. Ce jour-là M. Molé aura sauvé son ministère, et sans doute il y prendra l’influence qui lui serait bien due. Qu’on ne dise pas que nous voulons tracer deux sillons à ce ministère, ou le diviser par une vieille tactique. Nous n’y songeons pas ; mais il y a une évidence qu’on ne peut se refuser à reconnaître. C’est la présence réelle de deux nuances d’opinion dans le conseil. Lisez la discussion de l’adresse, pesez les paroles de M. Molé et les paroles de M. Guizot, là est la nuance. Le refus d’admettre M. de Montalivet au ministère de l’intérieur, lors de la formation du cabinet, prouve que la nuance de M. Guizot dominait alors ; depuis le rejet de la loi de disjonction, il est permis de croire que l’influence de M. Molé augmente, si elle ne domine pas encore. En disant ces choses, nous n’avons pas la prétention de révéler un secret ; tout le monde les sait comme nous, et ce serait feindre que de vouloir les ignorer à présent. L’unité du cabinet existe cependant ; mais elle n’existe que dans une pensée principale, dans celle de la sûreté du roi.

Si donc le ministère succombe par le rejet de la loi de non-révélation et de la loi de disjonction, ce sera la faute de ceux qui ont donné à ces lois une couleur qu’elles ne devaient pas avoir, après tout. Nous ne parlons pas de l’opposition ; c’est son métier, et elle l’a très bien fait. Nous avons en vue les écrivains qui gourmandent le président du conseil, quand il se rend chez le président de la chambre, comme si le chef d’un ministère était jamais dispensé des lois de la politesse envers le représentant d’un pouvoir de l’état ; ceux qui, ayant de reste tant de logique et tant de verve, l’emploient à servir des passions qui ne sont pas même celles de leurs amis, et à épouvanter ceux-là même qui trouveraient un bon côté à leur système. Si la loi de non-révélation est adoptée, au contraire, ce ne sera qu’autant que le ministère effacera cette première impression de la chambre qui s’est manifestée par un vote défavorable, et qui se reproduirait infailliblement en présence de la sœur jumelle de la loi repoussée. Cette tâche appartient à M. Molé, et il ne peut la remplir qu’en adoucissant, par l’autorité qu’il vient d’acquérir, le système politique qu’il a consenti jusqu’à présent. Une vérité triviale à force d’avoir été dite, c’est que la France hait à la fois le despotisme et l’anarchie, les ordonnances de juillet et les journées de juin ; elle se défie également de ceux qui lui disent qu’il faut changer le système électoral, qui s’en vont criant que la chambre ne suffit pas aux besoins de la liberté, et de ceux qui crient tout aussi haut que la Charte ne suffit pas aux besoins du pouvoir. Nulle de ces opinions n’aura d’accès dans la chambre, et la majorité se montrera inexorable envers ceux qui seront même soupçonnés de les encourager et de les répandre. Que le ministère se règle là-dessus. Celui des ministres qui comprendra le mieux cette vérité, sera le plus influent.