Chronique de la quinzaine - 14 mai 1889

Chronique n° 1370
14 mai 1889


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mai.

S’il fallait encore une preuve que la France garde à travers ses révolutions une inépuisable vitalité, que les agitations des partis ne sont qu’une fausse expression de sa vie nationale, qu’on risque toujours de se tromper en jugeant notre pays par ces bruyantes et stériles agitations, s’il fallait cette preuve, elle est faite maintenant une fois de plus. Elle est faite, et par l’esprit qui se dégage de cette récente commémoration du 5 mai et par cette exposition qui vient de s’ouvrir, qui atteste la sève, l’activité, la puissance ingénieuse de notre pays. Certes ce ne sont pas les contre-temps qui ont manqué. On dirait que depuis quelques années et jusqu’à la dernière heure, toutes les passions conjurées ont fait ce qu’elles ont pu pour fausser, dénaturer ou contrarier ces deux grandes manifestations qui se préparaient, le Centenaire et l’Exposition universelle. Les partis n’ont trouvé rien de mieux que de redoubler de violences, de s’agiter plus que jamais, de nous assourdir de leurs batailles stériles, de crises ministérielles et parlementaires. Rien en vérité n’a été négligé pour nous donner aux yeux du monde l’air d’une nation qui ne sait plus où elle en est ni ce qu’elle veut, que ranarcliie et la dictature vont se disputer. Eh bien ! non, et c’est justement ce qu’il y a de curieux. Au dernier moment, cette France toute factice des partis et des factions s’est évanouie ; il n’est plus resté que la France vraie et vivante, sensée et laborieuse, qui se retrouve toujours quand il le faut, qui s’est retrouvée une fois de plus dans ces manifestations du centenaire et de l’exposition aussi caractéristiques l’une que l’autre.

Qu’est-ce en effet que cette fête commémorative qui a été célébrée le 5 mai à Versailles et dans toutes les communes de France ? Elle a eu précisément ce caractère de ne consacrer la victoire d’aucun parti, de rester la fête de la nation pour ainsi dire, la commémoration publique de la révolution dans ce qu’elle a eu de plus pur, de plus légitime et de plus incontesté. C’est la première date, la date de l’avènement d’un monde nouveau, celle que les malheurs et les crimes n’ont point obscurcie, que tous les Français peuvent fêter, parce que pour tous elle représente ce qui est désormais acquis, l’égalité des droits, l’abolition des privilèges, l’unité sociale et politique du pays. C’est la date de la France nouvelle, et si quelque chose peut prouver, après cent ans, que la révolution est finie, que les passions qui prétendent encore la continuer sont désormais factices, c’est le calme avec lequel tout s’est passé. Le chef de l’État qui est aujourd’hui M. le président de la république, et qui aurait pu tout aussi bien porter un autre titre, s’est rendu à Versailles accompagné des ministres, des présidens des chambres, de tout un cortège officiel. Il a visité en cérémonie la salle des Menus-Plaisirs où il a retrouvé les souvenirs des états généraux qui allaient être la première assemblée constituante ; il est allé de là au vieux palais de la royauté, dans le salon des glaces, où des discours de circonstance ont été prononcés par tous les dignitaires de l’État, où M. l’évêque de Versailles lui-même n’a point hésité à haranguer le premier magistrat de la république. Ni grande foule ni démonstrations extraordinaires, c’est le bilan de la journée à Paris, et au demeurant si, au départ du cortège officiel pour Versailles, il n’y avait eu l’acte d’un misérable fou qui n’a eu peut-être d’autre idée que de faire parler de lui en tirant sur la voiture de M. le président de la république, tout se serait passé aussi simplement, aussi pacifiquement que possible. C’était la célébration d’un événement de l’histoire !

Que dans quelques-uns des discours qui ont été prononcés il y ait eu l’intention de confondre dans cette date du 5 mai la révolution tout entière, l’émancipation d’un peuple et les excès qui l’ont compromise en la déshonorant, qu’il y ait eu des euphémismes pour voiler ce qu’il aurait mieux valu désavouer avec éclat, c’est possible. En réalité, il est certain que la masse de la population, même à Paris, n’est pas aux manifestations révolutionnaires, aux tentatives de réhabilitation des époques sinistres. Ce que la France a célébré, ce qu’elle entend célébrer, c’est bien 1789, ce n’est pas 1793 ; ce qu’elle a fêté, ce qu’elle a voulu fêter, c’est l’ère de la grande reformation nécessaire, ce n’est j)as l’ère des exécutions et des proscriptions, dont le souvenir a si longtemps pesé et pèse encore sur ses destinées : elle l’a montré par son altitude, par son calme, et par le fait, dans cette journée du 5 mai, la France a prouve qu’en dépit des partis elle reste toujours la nation aux instincts justes et modérés, comme elle a prouve le lendemain, par l’exposition, qu’en dépit de ses épreuves elle n’a rien perdu de la fécondité de son génie, de son courage au travail, de son énergie inventive, de l’éclat de ses arts et de ses industries.

C’est déjà presque une merveille que cette Exposition universelle ait triomphé de tout ce qui pouvait la ruiner d’avance ou lui préparer un fastueux échec. La date elle-même, toute naturelle pour nous sans doute, ne semblait pas heureusement choisie pour les convenances internationales. Il y avait une sorte de gageure, dans cette coïncidence de l’anniversaire d’une révolution qui a si profondément ébranlé les trônes, remué l’Europe, et d’une Exposition conviant tous les États, tous les gouvernemens au grand rendez-vous du Champ de Mars. C’était donner un prétexte trop facile à toutes les mauvaises volontés. On pouvait bien penser que la plupart des monarchies européennes refuseraient de prendre une part officielle à une Exposition commémorative d’une révolution, et que tous les ennemis avérés ou déguisés de la France se hâteraient de réveiller toutes les suspicions, toutes les susceptibilités contre la nation qu’ils appellent la grande perturbatrice du monde. C’était aisé à prévoir ; c’eût été peut-être aisé à conjurer avec un peu de paix intérieure, avec une certaine stabilité des institutions, avec des affaires assez sagement conduites pour désarmer les défiances. Malheureusement, depuis que cette idée d’une Exposition universelle coïncidant avec le Centenaire s’est produite, la politique est allée au hasard. Il y a eu pour le moins cinq ou six ministères ; il y a eu une crise présidentielle, des incohérences parlementaires, les désorganisations radicales, les agitations dictatoriales. Il n’y a pas eu seulement ces luttes intérieures des partis jouant sans prévoyance et sans profit avec la paix civile, avec les institutions, avec la dignité morale du pays, il y a eu des instans où la guerre extérieure a paru près d’éclater : si bien que plus d’une fois on a pu se demander ce qui en serait de cette Exposition si pompeusement promise !

Tandis que tout s’agitait dans les sphères politiques, cependant, l’œuvre marchait sans interruption et sans bruit. Une population d’ouvriers poursuivait son immense tâche sous la conduite d’une légion d’ingénieurs et d’architectes habiles, dirigés eux-mêmes par l’énergique et fertile activité de M. Alphand. On ne se demandait pas qui était au pouvoir, M. Goblet, M. Floquet ou M. Tirard, s’il y aurait dissolution ou revision, — le moment était bien choisi ! — ce qui en serait du général Boulanger et de ses ambitions ou de ses intrigues. On allait toujours sur la foi de la fortune de la France ; on forgeait et on tordait le fer, on traçait des jardins, on élevait des palais, on préparait la place hospitalière promise aux nations étrangères. On ne s’est pas arrêté un instant, — et au jour fixé, sans un retard d’une heure, d’une minute, l’Exposition a pu être inaugurée ! Que les agitateurs de la politique ne se hâtent pas de triompher : ce n’est pas leur ouvrage. Ce sont les gens de labeur et d’industrie qui ont réparé leurs fautes, qui par leur activité et leur zèle intelligent ont su inspirer aux étrangers la confiance que les maîtres des ministères et du parlement n’inspiraient pas. C’est la revanche du travail, de la persévérance féconde, du génie des constructions contre les partis qui auraient pu tout perdre. Aujourd’hui elle est ouverte, cette exposition universelle qui ne dément pas son nom ; elle se déploie dans son ampleur savante, dans sa vaste et ingénieuse ordonnance. Du premier coup, on peut dire, sans y mettre de vanité, que c’est la réalisation brillante et heureuse d’une idée largement conçue, exécutée avec autant de puissance que de sûreté. M. le président de la République, qui n’a été que juste, en disant, le jour de l’inauguration, dans un langage bien inspiré, que c’était l’œuvre de la France, non d’un parti, M. le président de la République a rappelé la première Exposition qui s’ouvrait en 1798, sous la direction de François de Neufchâteau, — et qui réunissait 110 exposans ! On n’en est plus là ; l’Exposition d’aujourd’hui dépasse non-seulement celle de François de Neufchâteau, mais toutes celles qui se sont succédé depuis, en 1855, en 1867, en 1878. Elle les dépasse et par l’étendue et par l’habile diversité des combinaisons et par la nouveauté des moyens que la science et l’art réunis ont mis au service des ingénieurs. Pour bien des visiteurs venus des extrémités du monde, aussi bien que du fond de la France, l’attrait souverain de l’Exposition est sans doute cette tour merveilleuse, qui s’élève à 300 mètres vers le ciel. La tour Eiffel est en train de devenir légendaire, elle l’était déjà avant d’être achevée. Certainement c’est un prodige de piécanique savante, une étonnante apothéose du fer, un objet gigantesque de curiosité ; ce n’est peut-être pas l’œuvre d’un art bien caractérisé. On ne voit pas bien ce qu’elle représente, à quoi elle peut répondre. Elle sera probablement au bord de la Seine un I colossal sur lequel pourra se poser de plus près, comme un point « sur le clocher jauni, » la lune d’Alfred de Musset. Mais ce n’est qu’un détail, une attestation isolée, un peu énigmatique, de la science des ingénieurs. Ce qu’il y a réellement d’intéressant, de frappant, c’est l’ensemble de cette Exposition qui embrasse l’immensité du Champ de Mars, les pentes vertes du Trocadéro, aussi bien que l’Esplanade des Invalides, — qui comprend une série de constructions, distribuées avec autant de goût que d’ordre, tour à tour grandioses ou pittoresques, destinées à recevoir toutes les œuvres des arts et des industries du monde. C’est un abrégé de tous les produits du génie humain. On avait hâte d’arriver à cette Exposition, qui va être sûrement l’attrait des étrangers aussi bien que des Français, et qui a de plus l’avantage d’éclipser momentanément la politique, — si tant est que cette politique morose, obsédante et irritante ne revienne pas avec nos chambres, qui rentrent aujourd’hui même au Luxembourg et au palais Bourbon.

À dire vrai, c’était presque entendu que l’Exposition devait être le signal bienfaisant d’une sorte de suspension d’hostilités de quelques mois entre les partis. Malheureusement, il y a trêve et trêve, et il est trop évident que tous les partis acharnés à se disputer le pays entendent l’armistice d’aujourd’hui à leur manière, qu’ils l’acceptent à la condition de s’en servir au profit de leur cause ou de leurs passions. Ce que feront les chambres qui vont se retrouver en présence, c’est l’imprévu. Assurément, si elles avaient un peu de prévoyance et de raison politique, elles éviteraient de se rejeter dans des luttes violentes, de réveiller des questions irritantes, de rendre plus sensible le contraste entre leurs vaines agitations et les vœux de la France laborieuse ; elles se borneraient à voter le budget qu’on leur demande, — puis elles se retireraient, laissant au pays les avantages de cette trêve qu’on lui a promise, le temps de réfléchir avant le grand scrutin où il doit dire, autant qu’il le peut, le dernier mot des conflits du jour. Oui, si elles étaient sages, elles agiraient ainsi ; mais ce serait peut-être se laisser aller à un optimisme un peu naïf de croire que des chambres, dont l’une a toutes les inquiétudes d’une fin prochaine et l’autre est sous le poids d’un procès d’État embarrassant, vont montrer tout à coup une mesure, un esprit politique qu’elles n’ont jamais eus. Elles sont à la merci des incidens, d’une interpellation délicate, d’un débat imprévu qui peut tout précipiter, — et, sans attendre ce que fera le parlement, déjà les chefs de partis ou ceux qui passent pour des chefs de partis n’en sont pas à entrer dans la lutte. Ils sentent bien que l’Exposition est une diversion, qu’elle n’est pas une solution, qu’ils approchent à grands pas des élections, qu’ils vont se trouver en face d’un pays incertain, partagé, froissé dans ses sentimens et dans ses intérêts, excédé d’une politique irritante et impuissante. Il y a surtout un point qui semble préoccuper une certaine classe de républicains, ceux qu’on appelle les opportunistes, c’est la nécessité de raffermir une situation si profondément ébranlée, en essayant de ramener ou de rassurer les instincts conservateurs. M. le président de la chambre des députés, un homme fort doux, dans le discours qu’il prononçait l’autre jour à Versailles, ne se défendait pas de quelques allusions aux affaires du moment et adressait un appel assez mélancolique aux conservateurs qu’il pressait de se rallier, s’ils voulaient reprendre » leur place dans la direction des affaires du pays. » M. Jules Ferry, qui rentre tout armé en campagne et qui haranguait il y a quelques jours ses électeurs de Saint-Dié, se donne plus que jamais pour un modéré ; il ne parle que de tolérance, de république ouverte, de la nécessité de rendre un gouvernement à la France.

C’est d’un bel effet dans des discours ; mais si la situation est aujourd’hui étrangement compromise, si toutes les forces politiques sont plus ou moins désorganisées, s’il n’y a ni la paix morale dans les foyers ni l’ordre dans les finances, s’il n’y a pas de gouvernement, si le pays poussé à bout a paru un moment se laisser tenter par de décevantes aventures, qui donc a créé ou permis tout cela ? Qui donc s’y est prêté, si ce n’est ceux qui ont régné depuis dix ans sans partage, qui ont été les promoteurs ou les complices ou les complaisans d’une politique prétendue républicaine dont le seul et dernier résultat est une crise certainement redoutable pour la république elle-même ? Si les conservateurs, qui représentent, une partie considérable du pays, se sont retirés dans leur camp et semblent provisoirement se refuser aux transactions, qui donc les a rejetés dans une hostilité irréconciliable en leur déniant presque le droit de cité dans l’état, en les excluant même de la commission du budget ? Il faut parler sérieusement des choses sérieuses. Il y a eu un moment, — on le rappelait ces jours derniers encore, — le moment du ministère Rouvier, où les conservateurs, par patriotisme, par modération, se montraient tout disposés à ne créer aucune difficulté, à seconder même, si on le voulait, tout ce qui serait tenté dans l’intérêt de l’ordre financier et d’un apaisement moral. On n’a pas osé les avouer pour alliés ! on leur a déclaré fièrement qu’on ne voulait qu’une majorité de républicains, — comme si trois millions et demi de Français ne comptaient pas dans la « direction des affaires du pays ! » De peur de paraître suspect de connivences orléanistes, on a redoublé de violences, de vexations et de délations dans les provinces à l’égard de tout ce qui n’était pas républicain. Bref, par un aveuglement de coterie et de faction, au risque de compromettre les intérêts les plus sérieux de la France, même de la république, on s’est exposé à faire des ennemis de ces conservateurs dont on aurait grand besoin aujourd’hui.

Et maintenant même, ces conservateurs dont l’hostilité est devenue un péril, dont le concours serait après tout singulièrement utile, comment prétend-on les désarmer ou les rallier ? La question devient assez sérieuse, assez pressante au moment où la campagne électorale se dessine déjà, où les programmes commencent use préciser et où les députés, à la recherche d’une réélection, font des discours. — Avoue-t-on simplement, virilement qu’il y a eu des fautes commises, des excès de partis, des abus de la fortune de la France, des violences faites aux sentimens religieux, des entraînemens d’arbitraire ? On peut lire tant qu’on voudra les plus récens discours de M. Jules Ferry, de M. Raynal, de bien d’autres opportunistes, tous modérés, à ce qu’ils croient ou à ce qu’ils disent. Ils avouent bien, si l’on veut, assez vaguement, d’un ton léger, qu’il a pu y avoir quelques erreurs ; mais ces erreurs, ils les oublient généreusement, ils se les pardonnent et sont tout prêts à recommencer. Le fait est qu’ils ne désavouent rien de leurs systèmes financiers, de leur politique religieuse, de leurs procédés administratifs. Ils restent si bien ce qu’ils sont qu’en ce moment même, les ministres de l’opportunisme se proposent, à ce qu’il paraît, de demander au sénat le vote d’une loi, qui dans un intérêt électoral promet aux instituteurs ce qu’aucun budget ne pourra leur donner, et que le gouvernement aurait aussi, dit-on, i’intention de hâter le vote de la loi militaire. M. Jules Ferry lui-même, loin de convenir qu’il a pu se tromper et de paraître disposé à profiter d’une cruelle expérience, ne cesse de tirer vanité de tout ce qu’il a fait. Au fond, il reste persuadé que le pays s’est laissé abuser, que les mécontentemens sont une illusion, que le vrai et unique mal est qu’il n’y a pas depuis longtemps de gouvernement, une main vigoureuse pour manier le pouvoir. Et quel est son secret pour relever ce gouvernement nécessaire ? M. Jules Ferry en est encore aujourd’hui comme hier à cette vieillerie usée et surannée de la « concentration républicaine. » Il fait des appels désespérés à tous les républicains, — sans excepter les radicaux qu’il croit convertir. En d’autres termes, pour remédier aux profonds malaises du pays, M. Ferry propose tout simplement de reprendre plus que jamais et de continuer la politique qui a créé ces malaises, — de jouer le même air en le jouant mieux ; pour refaire un gouvernement, il ne trouve rien de mieux que de s’acharner à des idées qui sont la ruine de tous les pouvoirs, sans se douter qu’on ne refait pas un gouvernement à volonté, avec des expédiens, pas même en introduisant la raison d’État dans la politique, ou, comme il le dit, en « mettant la main au collet » des gens. Cela ne suffit pas ! Le seul résultat auquel arrive M. Jules Ferry, c’est de se démener dans le vide, entre les radicaux qui se moquent de ses appels, et les conservateurs dont il justifie les méfiances.

Non, évidemment, ce n’est pas avec une politique d’expédiens et de subterfuges, qui nie le mal pour n’avoir pas à le réparer, ce n’est pas avec cette politique qu’on peut aller sérieusement aux élections prochaines. S’il est encore un moyen de ressaisir la confiance publique, de rallier l’opinion ou de la détourner des périlleuses aventures où sombreraient toutes les libertés, c’est d’aller droit aux faits, à la réalité du moment ; c’est d’offrir au pays qui n’aspire qu’à vivre en paix un programme précis, sensé, pratique, comme celui que la nouvelle « union libérale » propose à tous les esprits sincères, à qui il n’a manqué peut-être jusqu’ici que d’être soutenu avec plus de fermeté et de suite, avec une énergie de résolution dont les modérés se sont crus trop souvent dispensés. Ce programme, il n’a rien que de simple : il se dégage de la situation même et va au vif des choses ; il est surtout le seul avec lequel on puisse refaire un gouvernement et rassurer les instincts conservateurs.

Rendre l’autorité morale à l’administration en la dégageant des passions de combat, de la tyrannie des délations et des coteries locales ; mettre fin résolument aux guerres religieuses dans les écoles, dans les bureaux de bienfaisance comme dans les hôpitaux ; rompre avec une politique financière de gaspillage et d’expédiens qui, pratiquée par un simple particulier, le conduirait à la ruine ; déclarer nettement qu’on ne veut d’aucune des prétendues réformes radicales, ni de l’impôt sur le revenu, ni de la séparation de l’église et de l’état, ni de toutes les mesures qui ne sont que des menaces ou des actes d’oppression ; dégager enfin de cette série de réparations un gouvernement fait pour relever notre pays dans les conseils des nations : c’est là le programme d’une politique vraie et sérieuse. Ceci du moins est clair. Que des conservateurs engagés par leur passé, par les luttes qu’ils ont soutenues ou par des opinions plus absolues, poursuivent la réalisation d’autres espérances, d’un autre idéal, cela se peut ; ils sont dans leur droit, — à condition de ne pas compromettre leur cause par des alliances équivoques. Mais il y a sûrement dans le pays, dans cette masse vivante et obscure de la nation, bien des conservateurs d’instinct, de sentiment, d’intérêt, qui se croiraient encore heureux d’avoir le gouvernement que leur offrent des libéraux bien intentionnés. Rien après tout ne les sépare sérieusement de ce programme de réparation et de modération, qui a le mérite de répondre aux vœux de la France du travail, de cette France sensée, industrieuse et toujours féconde qui vient de se révéler avec éclat à l’Exposition du Champ de Mars.

On ne peut s’y tromper, cette Exposition, qui est un succès flatteur pour la France et en définitive un gage de paix, a éveillé des impressions et des sentimens assez divers en Europe. C’est un fait avéré aujourd’hui. Les grandes monarchies européennes ont décidément cru devoir s’abstenir jusqu’au bout, sans donner d’ailleurs à leur abstention un caractère blessant pour les susceptibilités françaises. Elles n’ont pas paru au Champ de Mars, au moins par leurs ambassadeurs, uniquement peut-être parce qu’elles n’avaient pas pu paraître la veille à Versailles. Lord Lytton lui-même s’est trouvé justement avoir à faire ce jour-là un voyage en Angleterre. Les ambassadeurs de Russie, d’Allemagne et d’Autriche avaient pris par la même occasion un congé momentané. Le digne représentant de l’Italie, le général Menabrea avait probablement à consulter M. Crispi et s’est trouvé absent à son tour. On ne peut guère s’en étonner ni s’en émouvoir.

C’était prévu depuis longtemps. Dès le premier jour, les gouvernemens des grands états monarchiques n’avaient pas laissé ignorer qu’ils ne pouvaient s’associer officiellement aux fêtes du Centenaire, et parmi les principales puissances, il en est qui ne pouvaient décemment, sans se manquer à elles-mêmes, sans manquer à de touchantes convenances de famille, fêter l’anniversaire de la Révolution française. C’était inévitable. L’absence au surplus a été atténuée autant qu’elle pouvait l’être et elle n’a pas été sans compensation. Si lord Lytton n’a pas figuré au Champ de Mars, le prince de Galles a saisi tout récemment l’occasion de témoigner ses sympathies pour l’Exposition parisienne, et le lord-maire de Londres a paru ces jours derniers en gala, avec ses massiers et ses huissiers, à un banquet de l’Hôtel de Ville où tout, en vérité, s’est assez bien passé. Si les grandes puissances ont donné congé pour le jour de l’inauguration à leurs ambassadeurs, quelques-unes, la plupart, ont autorisé leurs chargés d’affaires à montrer par leur présence à l’ouverture de l’Exposition qu’elles ne boudaient qu’à moitié. Si la représentation des souverains a manqué, la représentation des peuples n’a pas fait défaut. Toutes les nations de l’Europe et de l’univers, accourues spontanément au grand rendez-vous, sont représentées au Champ de Mars par les productions de leur génie ou de leur industrie. De tout cela, il ne reste qu’une question déjà rétrospective d’étiquette monarchique que chacun a résolue comme il l’a voulu, qui ne troublera pas sûrement les relations des États et qui va se perdre dans le succès désormais assuré, éclatant, d’une manifestation du travail universel, faite pour intéresser, captiver et amuser le monde. Ce qu’il y a de certain, c’est que de la part de la France il n’y a rien eu, ni dans les dernières fêtes, ni dans les discours prononcés à Versailles et à Paris, qui pût prolonger ou aggraver cet incident de diplomatie monarchiste. M. le président de la république a parlé en homme attentif à respecter toutes les susceptibilités, heureux de recevoir les hôtes de la France, — et, chose extraordinaire, au banquet de l’Hôtel de Ville, à ce banquet où a paru le lord-maire, le président du conseil municipal n’a parlé ni de laïcisation, ni d’autonomie, ni de réformes sociales ; il s’est exprimé comme le plus simple des hommes, sans oublier le vœu pour la paix ni le toast aux hôtes illustres, aux représentans des puissances étrangères. Décidément tout se transforme avec l’Exposition ! Les étrangers peuvent venir : ils trouveront à Paris, non des révolutions, mais la cordialité d’une ville heureuse de se sentir encore une fois la cité hospitalière des peuples.

D’ailleurs, aujourd’hui en Europe, la politique, la grande politique, paraît avoir aussi sa trêve. Il y a sans doute des affaires pour tout le monde : pour l’Allemagne, qui a en Westphalie des grèves croissantes, de plus en plus inquiétantes, — pour l’Italie, qui en est à se demander si elle tentera une expédition nouvelle en Abyssinie, comment elle viendra en aide à la désolante misère des Pouilles. À tout prendre, il y a moins d’événemens d’un ordre général que des incidens comme il y en a dans tous les pays, — et un des plus curieux de ces incidens est certainement ce qui arrive en Hollande. C’est une sorte de coup de théâtre qui vient de se produire. Il y a quelques semaines tout au plus, le mois dernier, le roi Guillaume paraissait être dans un état assez grave pour que le gouvernement se crût obligé de demander aux états-généraux, réunis en assemblée plénière, l’institution d’une ; régence, — d’une double régence, à La Haye et à Luxembourg. À La Haye, on a marché prudemment, sans se hâter. À Luxembourg, le futur héritier du grand-duché, le duc Adolphe de Nassau, désigné pour exercer la régence, est arrivé moins comme un régent que comme un prince souverain venant prendre possession de son état. Il a trouvé dans la ville, dans la population, dans les chambres du grand-duché, un accueil cordial, empressé, auquel il a répondu de la meilleure grâce du monde, en prince inaugurant son règne. Il a pris le gouvernement, il croyait sans doute le garder ; mais c’est ici que commence ce qu’on pourrait appeler la comédie s’il ne s’agissait pas d’un souverain qui était hier encore à la mort.

Ce roi Guillaume, frappé d’impuissance, condamné ou à peu près par les médecins, a retrouvé tout à coup un peu de santé, la lucidité de son esprit, une certaine volonté. Il n’est pas guéri d’un mal incurable aggravé par l’âge ; il est sorti d’une crise qui a failli l’emporter. Les chambres hollandaises, sans embarras, se sont empressées de saluer le retour de leur souverain à la vie et au règne. À Luxembourg, la surprise paraît avoir été plus grande. Le coup de théâtre est venu réveiller l’hôte du palais de Luxembourg dans la lune de miel de sa souveraineté. Le duc de Nassau était en pleine possession de son autorité ; il ne pouvait néanmoins songer à retenir un pouvoir que le roi se déclarait décidé à reprendre le 3 mai, — et il est reparti pour Francfort comme il en était venu, escorté des sympathies de la population luxembourgeoise, qui retrouve aujourd’hui son roi. Qu’il y ait eu dans toutes ces péripéties des froissemens intimes, — pour le duc, qui a vu si vite s’évanouir son rêve, comme pour le roi Guillaume qui, en revenant à la santé, a peut-être trouvé qu’on avait été un peu prompt à disposer de son héritage, c’est possible. On a même dit que le roi aurait eu l’intention de demander un changement dans les conditions d’hérédité du grand-duché ; mais ce serait ici une affaire européenne, et les journaux allemands qui ont raconté cette histoire ont peut-être dit ce qu’ils craignaient plus que ce qui était vrai.

Y aurait-il aussi des incidens de frontières pour la confédération helvétique, pour cette vieille gardienne des Alpes ! La Suisse qui a toujours à concilier ses libertés et sa sûreté, son indépendance et sa neutralité, la Suisse serait-elle exposée à avoir des querelles, tout au moins des difficultés avec sa puissante et terrible voisine, l’Allemagne ? Entre états limitrophes, il y a inévitablement sans doute des contestations, des conflits de police, de mauvaises affaires dues le plus souvent à des excès de zèle d’agens chargés d’une surveillance avouée ou clandestine. Jusqu’ici, depuis nombre d’années, il n’y avait eu de ces mauvaises affaires qu’entre la France et l’Allemagne, qui se touchent par des points douloureux, et quelques-uns de ces incidens n’ont pas été en leur temps sans gravité. Depuis quelques jours c’est avec la Suisse que l’Allemagne est en contestation, et c’est pour une question de police que s’est engagée la grande querelle accompagnée comme d’habitude de polémiques acerbes et menaçantes des journaux allemands.

Ce n’est pas tout de faire la police chez ses voisins, il faut encore la faire adroitement et surtout ne pas se laisser prendre. C’est ce que n’a pas su faire l’agent Wohlgemuth, placé à Mulhouse comme dans un poste d’observation vis-à-vis de la Suisse. L’agent Wohlgemuth, envoyé tout exprès par la préfecture de police de Berlin, était chargé de surveiller les mouvemens de la frontière, l’introduction des écrits anarchistes dans l’Alsace-Lorraine, les rapports entre les socialistes suisses et les socialistes allemands. Il faisait son métier, et pour mieux le faire, en homme de police entendu, il s’était empressé de nouer des intelligences en Suisse, d’avoir des émissaires dans les conciliabules socialistes. Il avait particulièrement embauché un ouvrier de Bâle, le Bavarois Lutz, qui était dans toutes les menées socialistes, et dont il faisait une sorte d’agent provocateur au service et aux gages de l’Allemagne. Malheureusement, il ne s’est pas contenté ce cela, il a eu l’idée de se risquer lui-même en Suisse, d’aller arranger ses affaires de police avec son agent à Rheinfelden, et c’est ce qui l’a perdu. À peine arrivé à Rheinfelden, il a été arrêté, — accusé et convaincu de pratiques d’embauchage, de tentatives propres à créer des difficultés intérieures et extérieures à la Suisse. Il n’a été relâché, après neuf jours de captivité, que pour être expulsé par un arrêté du pouvoir fédéral, qui a pleinement approuvé tout ce que la police du canton d’Argovie avait fait, — et voilà la querelle engagée entre l’empire allemand et la Suisse. L’affaire est loin d’être terminée, elle dure encore ; elle est assez délicate pour créer sinon un trouble sérieux, du moins une certaine tension entre Berlin et Berne. La police de Berlin a pris fait et cause pour son agent emprisonné, expulsé, et les journaux allemands, ces invariables auxiliaires de la diplomatie du chancelier, se répandent depuis quelques jours en menaces contre la Suisse, qu’ils accusent d’avoir pris traîtreusement Wohlgemuth dans une embuscade, qu’ils somment assez brutalement de faire réparation à l’Allemagne. La Suisse, de son côté, sans se laisser intimider, défend ses actes et son droit. De part et d’autre, à Berlin comme en Argovie et à Berne, on fait des enquêtes qui naturellement se contredisent comme toujours. Le seul point clair, c’est que Wohlgemuth a été l’objet de traitemens sommaires que les Allemands déclarent contraires au droit des gens, — que les Suisses considèrent comme justifiés par les procédés et les manœuvres de l’agent indiscret de Mulhouse.

Comment finira ce singulier différend ? Jusqu’ici la Suisse, retranchée dans son droit et dans sa neutralité, parait peu disposée à capituler devant plus fort qu’elle, à se rétracter ou à donner les réparations qu’on lui demande. L’Allemagne, à son tour, semble persister dans sa guerre de récriminations, dans ses menaces de représailles. À première vue, il n’y aurait pas d’issue. Il est cependant impossible qu’une affaire de ce genre aboutisse à un conflit plus aigu, toujours périlleux pour la paix, ou même à une interruption des rapports diplomatiques L’Allemagne, pour toute vengeance, sans aller plus loin, cédera-t-elle à la fantaisie d’établir une sorte de cordon sur la frontière de Suisse, comme elle l’a fait sur la frontière de France, à se hérisser dans l’Alsace-Lorraine, en multipliant de tous côtés les difficultés de communications, les précautions méticuleuses, les prohibitions et les vexations de police? C’est encore possible. On ne voit pas bien, à la vérité, ce que l’Allemagne elle-même gagnerait à abuser de sa puissance et de son poids, à faire de la séquestration un système, une politique. Ce sont les relations d’industrie et de commerce entre les pays limitrophes qui en souffriront encore plus que les propagandes socialistes, toujours habiles à passer à travers tous les réseaux de police des frontières. La Suisse, en remplissant ses devoirs internationaux avec indépendance, défend sa neutralité en temps de paix, et c’est pour elle le meilleur moyen de se préparer à la maintenir comme une précieuse sauvegarde en temps de guerre.

Ch. de Mazade.





LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE.




De la hausse faite sur nos fonds publics immédiatement après la liquidation de fin avril, sans doute en l’honneur de la célébration du Centenaire et de l’ouverture de l’Exposition universelle, il ne reste plus rien. Trois jours de réaction ont défait l’œuvre de la première semaine de mai. Le 3 pour 100, porté de 87,40 à 87,90, a été ramené à 87,40. L’Amortissable, parti de 89,60, s’est élevé jusqu’à 89,97 pour revenir à 89,47, et le 4 1/2, poussé de 105,30 à 100,22, a perdu plus d’une unité en deux Bourses et reste à 105,10. Le mouvement de hausse avait été entrepris à l’emporte-pièce par quelques spéculateurs hardis, et il réussissait à la faveur du mouvement parallèle exécuté sur les fonds étrangers par des syndicats internationaux. Mais le comptant n’a pas suivi l’impulsion avec la docilité espérée et les acheteurs se sont un peu hâtés lorsqu’il s’est agi de réaliser des bénéfices. De là un recul assez vif sur des cours dont le caractère factice éclatait à tous les yeux. Ce recul peut prendre encore une certaine extension ; il n’indique point cependant une situation de place réellement embarrassée et on ne saurait en inférer que les dispositions vont subir une modification caractéristique sur l’ensemble des marchés financiers.

Le mouvement avait été surtout très artificiel sur le 4 1/2, à propos duquel on faisait circuler le bruit d’une conversion facultative en rente 3 pour 100. Le ministère des finances ne s’est nullement, paraît-il, occupé d’un projet de ce genre, et il est vraisemblable que l’on attendra l’échéance de 1893 où la conversion du 4 1/2 pourra être obligatoire et produire tous les avantages qu’en peut et doit espérer le Trésor. Les conversions n’en restent pas moins un genre d’opérations tout à fait à l’ordre du jour. Au moment où s’achève, en Angleterre, par le remboursement des dernières rentes consolidées 3 pour 100, la grande opération réalisée l’année dernière par M. Goschen, on prépare des conversions en Espagne, en Grèce, en Égypte, en Hongrie et en Russie. Pour la Hongrie et la Russie, il s’agit d’achever ce qui a été commencé avec le plus grand succès il y a quelques mois. Dans l’un et l’autre pays, tout ce qui restait de rentes 5 pour 100 doit disparaître pour faire place à des emprunts en 4 ou 4 1/2 pour 100.

C’est en 4 pour 100 que la Russie a déjà converti, une première fois en décembre de l’année dernière, 500 millions de francs de rentes 5 pour 100, et une seconde fois, en mars de cette année, 700 millions. L’opération actuellement préparée, et qui verra le jour probablement à la fin de mai, portera sur 1,200 millions, et le fonds offert au public sera encore du 4 pour 100.

Le 4 pour 100 russe 1880, qui a servi de type aux nouveaux emprunts, a été porté, depuis fin avril, de 96 à 97 francs et reste à 95 francs, ex-coupon de 2 francs détaché le 13 courant. Le Hongrois a gagné également une unité à 89. L’Italien s’est avancé de 0 fr. 40 à 97.90. Le ministre du Trésor a présenté des évaluations rectifiées, touchant le budget de 1889-1890. Grâce à des économies obtenues dans divers départemens et notamment aux travaux publics et à la guerre, le déficit présumé serait ramené de 54 à 37 millions. On sait d’avance que la réalité dépassera largement ces chiffres. On n’en doit pas moins féliciter les nouveaux collaborateurs de M. Crispi des louables efforts qu’ils font pour opérer toutes les réductions possibles dans les dépenses exigées par la politique de la triple alliance.

L’Extérieure d’Espagne a pu aborder le cours de 77, mais non sans avoir à subir de fortes réalisations qui l’ont fait reculer à 76 ¾. Le 3 pour 100 portugais s’est maintenu avec fermeté à 68 1/2, et l’Unifiée, ex-coupon de 10 francs, s’est avancée de 5 francs à 470. Il s’était produit, dans les premiers jours d’avril, une vive poussée des valeurs turques, Dette générale, Obligations des chemins ottomans. Obligations privilégiées et des Douanes, et cette amélioration a été presque intégralement conservée. La Banque ottomane ne s’est pas associée à cette hausse et reste négligée à 552.50. La Banque de France a été portée de 4,110 à 4,300 et finit à 4,205. Les bénéfices réalisés jusqu’ici dans le premier trimestre de 1889 dépassent d’environ 3 millions ceux de la période correspondante de 1888, ce qui justifie l’attente d’un dividende supérieur. De plus, il est toujours question du dépôt par le gouvernement, à la rentrée des chambres, d’un projet de loi portant renouvellement pour trente années du privilège de cet établissement.

La Banque de Paris, après avoir reculé de 765 à 742, a été relevée à 760. Dans l’assemblée générale du 3 courant, le président a exposé sous un jour très favorable la situation de cette institution de crédit. Les bénéfices de 1888, non compris les résultats de l’emprunt russe de décembre, et après amortissement complet des avances directement consenties au Comptoir d’escompte avant la crise, se sont élevés à 6,358,448 francs. Sur cette somme, après divers prélèvemens opérés, il a été pris le montant nécessaire pour le paiement d’un dividende de 40 francs par action, soit 8 pour 100 du capital, et il est resté 1,005,115 francs pour grossir le compte des bénéfices reportés. L’ensemble des réserves atteint 22,446,000 fr. Le conseil espère fermement que les avances faites, lors de l’explosion de la crise, au Comptoir d’escompte, et qui s’élèvent à 37 millions, ainsi que la part prise par l’établissement dans le syndicat qui a garanti jusqu’à la concurrence de 40 millions le prêt fait par la Banque de France au même Comptoir, ne laisseront aucune perte à la Banque de Paris.

Le Crédit foncier a été porté de 1,345 à 1,360, mais le courant général des réalisations l’a ramené à 1,340. Les titres des autres établissemens de crédit, Crédit lyonnais, Société générale. Banque transatlantique. Banque russe et française, Banque franco-égyptienne, ne présentent que d’insignifiantes variations de cours. Le Crédit mobilier s’est avancé de 15 francs à 440. Le dividende de cette société pour 1888 a été fixé à 27 fr. 50.

La Lænderbank d’Autriche a légèrement faibli à 507.50 depuis la mise en paiement de son dividende de 25 francs.

L’Action de Suez avait été portée fin avril à 2,435 francs. Vers cette époque parut une brochure exaltant les perspectives de hausse de cette valeur. On reconnut sans doute dans cette apparition le signal des ventes qui allaient se produire. L’action, en effet, s’est mise incontinent à baisser; elle reste à 2,370 francs.

Les Actions des Sociétés industrielles que le succès de l’Exposition peut affecter favorablement ont été spécialement recherchées, entre autres les Omnibus de 1,290 à 1,305, les Voitures à 850, la Compagnie transatlantique à 615.

Le Panama est calme entre 50 et 55. On n’en saurait dire autant de l’action du canal de Corinthe, qui a subi de fortes oscillations entre 125 et 175 francs, et que nous laissons à 160. Les actionnaires de l’ancien Comptoir d’escompte ont été invités à souscrire pour la formation du capital du Comptoir national d’escompte de Paris, titre définitivement adopté pour la nouvelle société. Il s’agit de 80,000 actions de 500 francs qui seront libérées de moitié dans un délai de trois mois. Le public peut également souscrire pour la portion de titres que les détenteurs d’actions de l’ancien Comptoir auront laissée disponible. Tout d’abord, le droit de préférence réservé aux actionnaires a été estimé très haut, la valeur de ce privilège se chiffrant par un déport de 40 à 50 francs, qui supposait une prime de 80 à 100 francs pour les nouveaux titres. Mais ce déport a aujourd’hui presque entièrement disparu, bien que la souscription ne soit close que le 15 courant. Le Comptoir national d’escompte de Paris a pris possession de fait de l’immeuble et des services de l’ancien établissement depuis le 1er mai. Les principaux administrateurs sont MM. Denormandie, ancien gouverneur de la Banque de France, Berger, de la Banque ottomane, et Vlasto, du Crédit mobilier. L’action de l’ancien Comptoir est tombée à 82 francs.

Les obligations de nos grandes compagnies se sont maintenues à des prix très élevés, celles du Nord à 424 francs, les autres de 415 à 418 francs. Les actions sont restées de même à peu près immobiles, sauf le Lyon, sur lequel un coupon de 35 francs, détaché le 6 courant, a été regagné aux deux tiers.

L’assemblée générale des actionnaires du chemin de fer du Nord a été tenue le 7 mai. Les propositions du conseil ont été adoptées à l’unanimité, entre autres la fixation du dividende de 1888 à 64 francs. Les résultats de cet exercice ont été très satisfaisans, les recettes ayant présenté une augmentation de 5,324,428 francs, tandis que les dépenses n’ont été augmentées que de 2,298,000 francs. Depuis 1883, la compagnie a pu réaliser 16 millions d’économies sur les divers services, bien que l’étendue du réseau exploité ait été accrue de 294 kilomètres. Ces économies ont servi à couvrir des charges d’intérêt et à régulariser des comptes d’attente. Pour 1888, une somme de près de 700,000 francs est portée à la réserve extraordinaire. Le président, M. de Rothschild, a fait remarquer que les conventions de 1883, « autour desquelles il s’est formé une légende, et que l’on qualifie de néfastes sans pouvoir avancer une explication plausible de cette appellation, » ont été, en ce qui concerne la compagnie du Nord, surtout avantageuses à l’État et au public, car elles comportent des abaissemens de tarifs qui se chiffrent par 4 millions annuellement.

L’assemblée des actionnaires de la compagnie de l’Est a eu lieu le 29 avril dernier. Les recettes brutes en 1888 ont été supérieures de 2,763,441 francs à celles de 1887; le produit kilométrique a progressé de 28,708 francs à 29,204 francs. Les dépenses ont été en diminution de 206,225 francs. Le bénéfice net est de 10,410,867 francs. L’insuffisance à la charge de l’État est de 10,339,132 francs contre 12,451,861 pour 1887.

Les Chemins autrichiens ne se sont pas écartés du cours de 522.50. Cependant, l’augmentation des recettes, du 1er janvier au 6 mai, atteint 2,514,7757 francs, avec 300 kilomètres de plus, il est vrai, en exploitation. Le cours du change, en outre, est en amélioration de 6 pour 100 depuis un an ; il y a donc lieu d’espérer une légère augmentation du dividende qui avait été de 17 fr. 50 pour 1887.

Les Lombards sont en hausse d’une dizaine de francs. Ici, l’amélioration des recettes et celle du cours du change ont commencé à produire leur effet. Le dividende ne saurait, cependant, dépasser encore, de quelque temps, 5 à 6 francs.

Les plus-values de recettes ne suffisent pas à expliquer la hausse qui s’était produite fin avril sur le nord de l’Espagne. Les cours actuels résultent d’une compétition très vive entre un groupe d’actionnaires français et un groupe espagnol, ce dernier voulant faire adopter par l’assemblée générale la proposition de porter à un compte d’attente le déficit du réseau des Asturies, au lieu d’imposer la charge de ce déficit au compte-revenu.

Le Saragosse, avec un dividende de 9 francs, est soutenu au-dessus du cours de 300 francs par l’espérance d’une augmentation notable des recettes en 1889.

Les journaux anglais ont publié ]o rapport adressé par le conseil d’administration de la compagnie des mines de Rio-Tinto aux actionnaires réunis en Assemblée générale à Londres, le 13 courant. On sait que l’exercice 1888 a produit pour cette société comme pour toutes les compagnies minières de cuivre en Espagne, en Amérique et dans le monde entier, des résultats absolument exceptionnels. Le dividende a été fixé à 42 fr. 50 pour chacune des 325,000 actions de la société et une somme de 5,055,000 francs, représentant plus de 15 francs par action, a été reportée à nouveau. Une partie des bénéfices a été en outre consacrée à divers amortissemens ; mais les commissaires, dans leur rapport, ont été d’avis que des sommes plus fortes encore auraient dû être appliquées à la réduction des dépenses de « déblayage et d’extension. » Il ne reste plus rien, bien entendu, des contrats passés avec la Société des métaux et le Comptoir d’escompte, pour la vente de 26,000 tonnes de cuivre à 68 livres sterling la tonne, pendant chacune des deux années 1880 et 1800. Les mines sont ramenées au régime peu rémunérateur du cuivre à 38 livres sterling la tonne.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.