Chronique de la quinzaine - 14 janvier 1873

Chronique n° 978
14 janvier 1873


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 janvier 1873.

L’année qui commence, qui compte quelques jours à peine, sera-t-elle bienfaisante et propice ? sera-t-elle pour notre pays éprouvé l’année de la délivrance, des réparations nécessaires, de l’activité patiente, régulière et féconde dans la sécurité reconquise ? Verra-t-elle renaître, au lieu des contentions passionnées et stériles, les émulations généreuses de toutes les bonnes volontés animées avant tout du patriotique désir de relever la puissance et l’honneur de la France ? C’est le secret de l’avenir de demain, de cet avenir qui devient à chaque instant le passé.

Toujours est-il que cette année nouvelle a eu du moins la fortune de faire son entrée dans le monde honnêtement, modestement, sans bruit, sans agitations et sans orages. On n’a pas célébré sa naissance avec pompe dans les régions officielles comme aux temps où les cortèges défilaient aux Tuileries. Il n’y a pas eu même le plus petit discours aux réceptions de Versailles. Tout s’est passé avec simplicité, sans cérémonie, et en définitive rien n’est venu troubler ces premiers jours d’une année dont l’histoire ressemble jusqu’ici à celle des peuples heureux qui ont la bonne chance de ne pas faire parler d’eux. On dirait qu’un peu de ce souffle favorable qui est dans l’air et qui émousse les rigueurs ordinaires de la saison est passé dans les esprits. La politique est comme la température, elle s’est adoucie tout à coup après les violentes bourrasques de la fin de l’autre année. Lorsque l’assemblée se réunissait il y a deux mois, on ne parlait que de guerre, de gouvernement de combat, de crises inévitables ; on semblait marcher au milieu de toutes les passions prêtes à prendre feu. L’assemblée vient de se retrouver de nouveau à Versailles après quelques jours de vacances, elle a repris son œuvre avec le plus grand calme et de l’humeur la plus tranquille, comme si elle avait oublié pour le moment tout ce qui l’a émue et troublée il y a quelque temps.

Du déchaînement bruyant des partis, de cette agitation plus apparente que réelle pour la dissolution immédiate de l’assemblée, de ces conflits menaçans entre les fractions conservatrices de la chambre et le gouvernement, que reste-t-il aujourd’hui ? Assurément tout n’est pas fini, toutes les difficultés ne sont pas résolues, tous les orages ne sont pas dissipés, ils renaîtront peut-être encore, d’autres querelles qu’on ne prévoit pas pourront s’élever. En attendant, on est revenu au calme et à la trêve par une appréciation plus juste des choses. Le discours de M. Dufaure, appuyé par une certaine vigilance administrative, a jeté la confusion dans le camp dissolutioniste ; les divergences qui pouvaient se manifester dans la commission des trente et aboutir à des déchiremens nouveaux, ces divergences ont diminué au lieu de s’accentuer. Tout était à la guerre il y a six semaines, tout est maintenant à la conciliation et à la paix. On a bientôt compris qu’on s’était laissé emporter un peu loin par la passion de combat, que le meilleur moyen d’inspirer de la confiance au pays était de rester maître de soi-même, et le plus clair résultat des dernières crises a été de montrer que toutes les résolutions extrêmes ne conduisaient qu’à des impossibilités, qu’on ne pouvait se passer les uns des autres, qu’il y avait entre la majorité de l’assemblée et le gouvernement un lien indissoluble formé, imposé par un patriotisme supérieur. La réflexion, la vue du péril, la pression des circonstances et de l’opinion universelle, ont ravivé le sentiment des transactions nécessaires, et c’est ainsi que l’assemblée, un instant si agitée le mois dernier, a pu reprendre l’autre jour ses travaux dans des conditions d’apaisement qui sont la plus heureuse inauguration d’une année nouvelle.

Puisque le sentiment de la nécessité supérieure des choses a vaincu l’esprit de parti dans ces luttes passées, puisque la paix des pouvoirs publics a retrouvé les garanties que lui avaient fait perdre momentanément les susceptibilités, les malentendus et les défiances, l’essentiel maintenant est de tirer quelque avantage de cette victoire du bon sens, d’affermir autant que possible le terrain reconquis par une juste et prévoyante modération. Il ne suffit pas de se reposer dans la satisfaction d’avoir échappé à une crise qui pouvait être des plus périlleuses, il faudrait encore, si on le pouvait, se prémunir d’avance contre les crises qui pourraient renaître, écarter le danger de conflits incessans entre les pouvoirs. C’est surtout aujourd’hui l’œuvre de cette commission des trente, qui au milieu des dernières agitations parlementaires a été en quelque sorte chargée de liquider ces tristes querelles et de créer des conditions nouvelles en donnant une certaine cohérence, une certaine fixité à une situation qui sera tout ce qu’on voudra, définitive ou provisoire, qui dans tous les cas doit être adaptée aux premières nécessités de l’existence nationale. Où en est-elle de ses travaux, cette commission chargée d’étudier un problème d’autant plus difficile à résoudre qu’on se donne beaucoup de mal pour éviter de le regarder en face ? Où en sont les sous-commissions qui ont été nommées pour examiner de plus près toutes ces questions plus ou moins constitutionnelles, la formation d’une seconde chambre, les attributions des pouvoirs publics, les rapports de M. le président de la république et de l’assemblée, la responsabilité ministérielle ? Tout ce qu’on peut dire pour le moment, c’est que ces sous-commissions n’ont point interrompu leur travail même pendant les vacances, c’est qu’elles ont eu plusieurs fois des conférences, soit avec M. le président de la république, soit avec M. le garde des sceaux, et qu’en fin de compte cet examen en commun semble avoir conduit à un rapprochement de vues et d’opinions sur quelques-uns des points essentiels. On était parti d’une divergence presque complète, d’une sorte d’antagonisme avoué, constaté par le vote du 29 novembre ; on est arrivé, à ce qu’il paraît, à une certaine entente préparée et singulièrement facilitée sans doute par la discussion du 14 décembre sur la dissolution, par le discours de M. Dufaure. Cette entente serait même assez marquée, s’il est vrai que d’un côté on ne contesterait plus à M. Thiers le droit d’intervenir dans les débats parlementaires, et que M. Thiers à son tour ne refuserait pas de laisser réglementer ce droit d’intervention par la parole et par l’éloquence. C’est là, on le sait, un des points les plus délicats.

À bien dire, le danger, l’écueil dans toutes les combinaisons qui ont été mises en avant, et elles sont certes assez nombreuses, le danger est dans cet effort raffiné et subtil auquel on semble se livrer pour éluder les difficultés, pour faire un peu de définitif sans sortir du provisoire ou pour couvrir le provisoire d’une légère apparence de définitif, pour trouver en un mot un modus vivendi qui ne décide rien et ne compromette rien. M. Thiers disait spirituellement au début de ces conférences de la commission des trente qu’on cherchait à Rome ce modus vivendi sans le trouver, mais qu’il ne fallait pas se décourager, qu’on le découvrirait peut-être à Versailles. Le meilleur moyen de le trouver est de ne pas trop se perdre dans des raffinemens de casuistique constitutionnelle ou dans les subterfuges de l’esprit de parti, d’aller simplement, résolument, à la réalité des choses. Quelle est aujourd’hui cette réalité des choses ? On le sait, on le voit tous les jours. Il y a une assemblée qu’on veut justement maintenir dans ses droits, dans sa prépondérance de pouvoir souverain ; il y a un gouvernement qui n’est au premier abord que le mandataire de l’assemblée, mais qui, lui aussi, a jusqu’à un certain point sa vie propre par son origine morale, par l’autorité des services qu’il a rendus, par l’ascendant et la popularité de l’homme qui le personnifie ; il y a enfin une république qu’on peut n’accepter que par raison, si l’on Vâut, qui existe néanmoins, qu’on ne peut même pas remplacer, qu’on ne peut pas refuser non plus de doter des conditions de sécurité sociale et politique inhérentes à un régime régulier. Il s’agit de combiner ces élémens divers, de faire marcher d’intelligence ces deux pouvoirs que la prudence la plus vulgaire défend de séparer, et de les concilier sur le terrain de cette république dont M. Thiers a dit qu’elle resterait conservatrice, ou qu’elle ne serait pas.

Le problème n’est point facile à résoudre sans doute. Les complications se multiplient aussitôt qu’on aborde les solutions pratiques, dès qu’on touche à cette création d’une seconde chambre en présence d’une assemblée souveraine, dès qu’on veut définir et régler les attributions, les rapports des pouvoirs qui existent aujourd’hui. Les antagonismes mêmes qui se sont produits, les incidens qui se sont succédé, ajoutent aux difficultés ; tout cela est possible, nous en convenons. Au-dessus de toutes les questions secondaires, il y a cependant une question supérieure qu’un des membres les plus éclairés de l’assemblée, M. Henri Germain, précisait récemment avec une singulière netteté. Au-dessus de tous les détails d’exécution, il y a cette nécessité souveraine, dominante, de ne pas rester indéfiniment à la merci des conflits, des chocs et des aventures, de ne pas maintenir une incohérence ruineuse pour le présent en vue d’un avenir incertain et insaisissable. De toute façon, puisqu’on a mis la main à l’œuvre aujourd’hui, on ne peut plus s’arrêter, il faut aller jusqu’au bout. Reculer devant un tel problème serait désormais le plus triste aveu d’impuissance, et le parti conservateur français est le premier intéressé à préparer, à créer une organisation publique devenue nécessaire, précisément parce qu’il a la légitime ambition d’offrir plus que tout autre au pays les garanties de sécurité, de fixité dont il a besoin maintenant plus que jamais. M. Germain le dit avec bon sens : « Serait-il prudent que l’assemblée se séparât sans avoir créé les organes essentiels d’un régime régulier ?.. Ne vaut-il pas mieux que notre régime politique ait été défini avant les élections prochaines ? Le parti conservateur n’a-t-il pas le plus grand intérêt à trancher cette question, afin de ne pas engager la lutte électorale sur la forme du gouvernement ?.. » Qu’arriverait-il, si par une sorte d’abandon sans prévoyance on se laissait aller au courant des choses sans rien préparer, sans rien créer, ou si l’on attendait le dernier moment pour faire une sorte de constitution testamentaire ? On se présenterait aux élections avec des forces divisées et indécises, avec des résolutions sans autorité sur l’opinion, avec ce dangereux relief d’une assemblée qui aurait manqué de confiance et d’initiative, qui aurait laissé échapper l’occasion la plus favorable pour accomplir un grand acte politique. Eût-on été en mesure de se servir du [louvoir, de changer quelques administrateurs, le pays n’arriverait pas moins au scrutin plein de perplexités, exposé à d’irréparables méprises. On n’aurait fait ni les affaires de la France, ni les affaires du parti conservateur lui-même, on aurait peut-être frayé le chemin à l’anarchie ou à la dictature, — à la dictature à travers l’anarchie. Ce sont là justement les considérations qui rehaussent le rôle et les devoirs de la commission des trente au moment où elle va se prononcer sur les questions aussi délicates que complexes qu’elle a été chargée d’étudier et de résoudre.

L’erreur ou le malheur de certaines fractions conservatrices de l’assemblée a été de se méprendre assez gravement sur notre situation, de méconnaître la seule politique possible aujourd’hui pour la France, en paraissant engager une lutte de susceptibilités, d’arrière-pensées, ou même de principes si l’on veut, contre le gouvernement, lorsqu’il s’agissait bien plutôt de s’entendre avec lui pour trancher des questions de l’intérêt le plus immédiat et le plus pressant. Que les esprits extrêmes de la droite poussent jusqu’au bout cette guerre au nom de la légitimité qu’ils croient servir, rien de plus simple : ce sont les radicaux de la royauté ; c’est l’éternel penchant des radicaux de la droite ou de la gauche de tout sacrifier à une idée fixe, à un intérêt de parti. Les esprits plus réfléchis et plus modérés ont bientôt senti qu’ils s’engageaient dans une voie sans issue. Ils se trompaient en effet, et, s’ils n’ont pas été suivis dans leur campagne, c’est qu’ils se laissaient entraîner à une politique qui ne répondait ni à l’instinct du pays, ni aux nécessités publiques, c’est qu’on n’a pas voulu aller, fût-ce en fort bonne compagnie, à une périlleuse aventure. Ils s’affaiblissaient ainsi eux-mêmes aux yeux de la nation, ils compromettaient leur autorité de politiques et de sages le jour où ils semblaient cesser d’être les conseillers sympathiques, les appuis du gouvernement, pour prendre l’apparence d’ennemis décidés à marcher sur lui, à le subjuguer, à le réduire à merci ou à l’abattre, au risque de donner le signal de nouvelles crises, pour lesquelles, il faut l’avouer, le public a peu de goût. Chose curieuse et qui s’est vue plus d’une fois depuis un an, on a poursuivi, harcelé le gouvernement sur des points où il avait raison de résister, dans des occasions où en se défendant il sauvegardait l’intérêt du pays, les dernières garanties qui nous restent, et on lui a cédé là où il n’avait pas toujours raison. Ou l’a quelquefois entouré de susceptibilités et de méfiances pour des choses presque puériles ou dangereuses, et on l’a laissé libre lorsqu’on aurait pu lui rendre service à lui-même en s’efforçant de l’arrêter ou de le stimuler sans le blesser. Là est le faux calcul. Les hommes éclairés des fractions conservatrices auraient pu et pourraient encore exercer bien plus utilement leur influence, si, au lieu d’avoir toujours l’air de mettre en doute l’existence du gouvernement et de lui disputer son avenir, ils mettaient de côté toutes ces discussions vaines et irritantes sur le caractère définitif ou provisoire de la république, pour s’attacher à ce qui intéresse le plus essentiellement le pays. Qu’on s’inquiète un peu moins du superflu et qu’on s’occupe de ce qu’il y a de plus sérieux, de ce qu’on peut appeler d’abord les institutions élémentaires de tout régime régulier, des grandes mesures réorganisatrices, des lois de reconstitution sociale, de toutes ces questions qui disparaissent trop souvent dans le tumulte des passions des partis et des conflits de pouvoirs ou d’influences.

Ces questions, elles sont certes assez nombreuses, elles touchent à notre état militaire, aux finances, à l’instruction publique. Tout cela se presse sous nos yeux. On a fait l’an dernier une loi sur le recrutement ; mais ce n’est là en quelque sorte que la base. Il reste à s’occuper de la vraie reconstitution militaire, de la réorganisation de l’armée active, de l’armée territoriale. Où est la loi qui doit donner satisfaction à cet intérêt souverain ? A-t-elle été préparée par la commission parlementaire qui travaille depuis plus d’un an ? Doit-elle sortir des délibérations du conseil supérieur de la guerre qui se réunit sous la direction de M. le président de la république lui-même ? Est-on arrivé à un résultat après des études si mûrement poursuivies ? Assurément personne ne peut contester ce qui a été fait depuis le fatal dénoûment de la dernière guerre pour remettre sur pied notre puissance militaire, pour relever notre armée ; malheureusement il est bien clair qu’il y a encore beaucoup à faire pour rendre la sève de la vie, la confiance, l’ordre, la discipline, à ce grand corps militaire qui se ressent des désastres d’où il est sorti mutilé, et la loi qui fixerait toutes les incertitudes, qui réglerait définitivement l’organisation nouvelle en disant à l’armée ce qu’elle doit être, aiderait sans nul doute à cette œuvre réparatrice. Et les finances ! On a discuté le budget, nous en convenons ; on a voté l’an dernier toute sorte d’impôts pour créer des ressources proportionnées aux immenses chargés qui pèsent sur nous ; mais voilà justement la difficulté. La question financière est-elle résolue par le système qui a été suivi ? Les impôts ont-ils produit ce qu’on attendait ? Suffiront-ils pour faire face à toutes les nécessités, pour maintenir un certain équilibre aussi nécessaire que difficile à réaliser ? C’est au moins le sujet du doute le plus sérieux ; la vérité est que les impôts nouveaux n’ont pas produit ce qu’on croyait pouvoir espérer. Il y a un ralentissement sensible sur les douanes, sur les postes, sur les contributions indirectes, et nous ne parlons pas, bien entendu, de l’impôt sur les matières premières, qui pour l’instant représente bien moins une ressource réelle qu’un chiffre nominal. Bref, tout bien compté, le déficit de l’année écoulée s’élève à plus de 150 millions. C’est déjà fort grave, on en conviendra, pour la première expérience d’un système financier.

Peut-on du moins avoir plus de confiance pour l’avenir et se figurer que les recettes publiques reprendront leur élan ? L’année 1873 sera-t-elle plus heureuse que l’année 1872 ? Nous voulons le croire, une certaine amélioration est possible. Il ne faut pas cependant se faire illusion, parce que le déficit tient à la nature des choses bien plus qu’à une circonstance accidentelle. Il y a en effet une limite d’aggravation au-delà de laquelle les impôts ne peuvent plus donner ce qu’on leur demande, ils sont en quelque sorte au bout de leur force de production. C’est ce qui est arrivé. On a cru l’an dernier que le meilleur moyen, le moins dur pour le pays, était de procéder par des surtaxes ajoutées aux impôts existans déjà, par des monopoles comme celui des allumettes, par des combinaisons fiscales formant une maille étroite et serrée. On n’a pas voulu admettre que ces moyens, bons peut-être dans des circonstances ordinaires où ils auraient pu être employés avec mesure, étaient complètement insuffisans dans la situation la plus extraordinaire qui ait été infligée à un peuple, et que, pour épargner au pays un sacrifice considérable, mais temporaire, on allait faire peser sur lui une charge permanente, d’autant plus fatigante qu’elle se présente à toute heure et sous toutes les formes. On voit ce qui en résulte. Le pays ne sent pas moins le fardeau qui lui a été imposé, et les impôts, poussés au point où ils n’ont plus toute leur élasticité productive, n’assurent plus toutes les ressources dont on aurait besoin. Tous les calculs sont déjoués, de telle sorte qu’on se retrouve en présence d’un problème qu’on croyait avoir résolu. Il faudra peut-être revenir sur ce qu’on a fait, recourir à des moyens nouveaux. Tout dépend de ce qui va se produire dans le mouvement du revenu public entre la discussion récente du budget de 1873 et la discussion qui s’ouvrira bientôt sans doute sur le budget de 1874. Ce sont là des questions faites pour attirer, pour intéresser les esprits prévoyans, pour ramener notre politique dans une sphère où il n’y a place que pour des contradictions sincères, loyales, utiles, fructueuses, que le gouvernement lui-même ne pourrait songer à décliner, puisqu’il y trouverait une garantie, une force de plus dans l’œuvre laborieuse qu’il poursuit avec l’assemblée.

Qu’on remarque un instant le profit qu’il y a pour tout le monde à rester, à revenir sur ce terrain des discussions sérieuses. Depuis quelques jours, un débat des plus intéressans est engagé devant l’assemblée Il y a eu, il est vrai, entre un député de la droite et M. Gauibetla un de ces conflits de paroles que le président est obligé de dénouer par un rappel à l’ordre, et qui prouvent qu’il est toujours plus facile d’échanger des interpellations violentes que de porter son contingent de lumières dans l’examen des affaires du pays. À part cette bourrasque d’un instant, la discussion est digne de la question dont l’assemblée est occupée. Il s’agit de la reconstitution du conseil supérieur de l’instruction publique, qui a disparu dans les dernières tempêtes. C’est une loi non-seulement conservatrice, mais libérale, puisqu’elle a pour objet de placer au sommet de l’enseignement public un pouvoir de surveillance élu, une sorte de gouvernement moral réunissant toutes les forces vives du pays, des représentans du clergé, de L’Université, de la magistrature, de l’armée, de l’industrie. Le parti radical, selon son habitude, a défendu la doctrine de l’autocratie de l’état sur l’enseignement. La loi nouvelle, extension de la loi de 1850, œuvre de conciliation et de libéralisme, a été soutenue par des conservateurs et des libéraux de tous les rangs et de toutes les nuances, depuis M. Vacherot jusqu’à M. l’évêque d’Orléans. M. le duc de Broglie, comme rapporteur, a surtout défendu et commenté la loi en discussion dans le langage le plus élevé et le plus éloquent Quant à M. Jules Simon, il est trop conciliant pour ne pas s’entendre avec M. le duc de Broglie, avec M. l’évêque d’Orléans, comme au besoin avec quelques radicaux. Il ne demande pas mieux que d’être d’accord avec tout le monde, pourvu que tout le monde soit d’accord avec lui pour le considérer comme un ministre indispensable, et M. le président de la république ne peut certainement qu’être touché de cet attachement d’un de ses collaborateurs au poste de douleur oia il reste enchaîné. Au demeurant, ces discussions sont rassurantes et utiles. Elles sont bonnes pour le pays dont elles font les affaires, bonnes pour l’assemblée elle-même, où elles ramènent cet esprit de conciliation, ce sentiment des choses sérieuses qui préviennent ou atténuent les crises politiques.

Au milieu de ces préoccupations de tous les jours, voici cependant un événement qui en d’autres temps aurait eu pour notre pays une importance décisive. L’empereur Napoléon III vient de mourir àChislehurst des suites d’une opération tentée pour prolonger ses jours. Il s’est éteint presque subitement dans l’exil qu’il s’était fait, qui semblait presque le dénouaient naturel de cette existence aventureuse, et ce qui n’est peut-être extraordinaire qu’en apparence, c’est que sa mort a produit plus d’effet au dehors, en Angleterre, en Italie, qu’en France même. C’est tout simple : celui qui fut l’empereur était pour les Anglais le négociateur du traité de commerce, pour les Italiens le promoteur de la guerre de 1859, pour tous un personnage placé un instant au premier rang dans les affaires du monde. Pour la France, il ne représentait plus que la catastrophe la plus douloureuse dont notre pays ait été la victime depuis des siècles. Ce n’est point sans doute le moment de juger cette destinée étrange, romanesque et fatale. L’empereur Napoléon III est à peine refroidi dans son cercueil, et il a été pendant près de vingt ans le souverain accepté de notre pays. Quand le jour de la vérité viendra, on s’apercevra peut-être que ce personnage impérial a dû son élévation et sa fortune bien moins à son habileté et à la puissance de son esprit qu’à son nom d’abord, puis aux événemens qui l’ont porté, et qu’il n’a pas su même toujours maîtriser. On l’a pris quelquefois pour un calculateur redoutable, pour un profond politique. Non, en vérité, il n’était rien de tout cela, il n’avait ni des idées suivies, ni des vues politiques précises, ni même la force de travail et d’application nécessaire pour l’immense pouvoir qu’il s’était attribué. Il s’engageait dans une affaire sans en prévoir les conséquences, et il s’arrêtait par lassitude sans savoir ce qui sortirait des complications qu’il avait créées. Aussi la plupart da ses entreprises restent-elles marquées de ce sceau des choses obscurément conçues et toujours inachevées. C’était un esprit chimérique, rêveur, agité de fantaisies conspiratrices même sur le trône et ne sachant trop ce qu’il voulait. Il n’a paru grand quelquefois que parce qu’il était à la tête de la France. Les bonapartistes assurent aujourd’hui que l’empereur est mort, mais que l’empire est vivant. C’est au contraire l’empire qui a été frappé par les derniers événemens, car enfin il est un souvenir qui revient invinciblement à l’esprit. De tous les gouvernemens qui se sont succédé depuis quatre-vingts ans, et il y en a eu beaucoup, l’empire seul a eu le cruel privilège d’attirer sur la France trois invasions. Au moins Napoléon Ier disparaissait-il en prodiguant encore les éclairs de génie dans une dernière lutte. Napoléon III a disparu sans lustre et sans gloire, laissant à l’armée les souvenirs d’un malheur immérité, à la France la cuisante amertume d’une mutilation nationale, avec toutes les difficultés d’une situation à refaire, d’une politique à retrouver dans des ruines.

Ces difficultés sont partout pour nous aujourd’hui ; elles naissent en grande partie de l’incohérence de cette politique impériale qui n’a su rien faire, rien achever, et qui nous laisse l’embarras de toutes les contradictions. L’empereur Napoléon III voulait-il jusqu’au bout l’unité de l’Italie ? Voulait-il maintenir le pouvoir temporel du pape ? On ne le sait plus en vérité. Toujours est-il que si cette politique, par la manière inconsistante et confuse dont elle a été pratiquée, n’a pas eu pour la France les résultats heureux qu’elle aurait pu avoir, elle a eu au-delà des Alpes une conséquence indestructible, l’avènement d’une nation qui a su conquérir sa fortune par sa constance, qui sait aujourd’hui mériter de la garder par son habile modération. Désormais tout est fini, l’Italie existe, elle est à Rome comme à Venise, le pouvoir temporel a disparu, et ce serait une singulière illusion de croire que par de la malveillance, par de la mauvaise humeur ou des taquineries, on peut changer ce qui est accompli.

Voilà ce qui doit bien entrer dans l’esprit de nos ambassadeurs qui vont à Rome représenter la France auprès du souverain pontife, résidant au Vatican, en même temps qu’un de nos ministres nous représente auprès du roi Victor-Emmanuel, qui est au Quirinal. M. de Bourgoing s’y est trompé, il s’est cru le représentant d’une autre politique, et il n’a fait qu’aggraver son erreur par une démission parfaitement irréfléchie qui pouvait mettre le gouvernement dans l’embarras, soit vis-à-vis de l’Italie, soit vis-à-vis des catholiques de l’assemblée, toujours prêts à se jeter sur cette question romaine. Heureusement cet incident est terminé. M. de Bourgoing en est pour la démission qu’il a bien fait de donner, puisque c’est ainsi qu’il entendait son rôle. Il est remplacé par M. de Corcelles, qui a paru hésiter d’abord, et qui n’a évidemment accepté de rester comme ambassadeur auprès du saint-siége que parce qu’il a cru pouvoir concilier les égards dus au souverain spirituel de l’église et les nécessités de la politique française. Ce qu’il y aurait de mieux maintenant serait de laisser retomber dans l’oubli les interpellations qu’on annonçait. Ce serait certainement utile de toute façon, car enfin à quoi veut-on arriver ? Veut-on simplement garantir la liberté du souverain pontife ? Cette liberté, quoi qu’on en dise, est entière. La France peut même maintenir dans les eaux italiennes un navire qui reste à la disposition du pape, lorsque le gouvernement italien pourrait après tout dire qu’un navire dans ses eaux équivaut à un régiment sur son territoire. Si l’Italie parlait ainsi, que pourrait-on répondre ? D’un autre côté, croit-on qu’il soit bien utile de se livrer sans cesse à des récriminations blessantes, de troubler les rapports d’amitié, de cordialité qui doivent exisler entre l’Italie et la France ? La meilleure politique est celle qui ne parle pas inutilement et qui sait garder ses amis naturels au lieu de s’aliéner ceux qui n’ont aucune raison d’être des ennemis.

Depuis que l’année est commencée, l’Allemagne en est à se demander par tout ce qu’elle a de journaux, et même par ses principaux orateurs parlementaires, quelle est la vraie signification d’une sorte de crise ministérielle qui s’est récemment produite à Berlin. Est-ce une crise ministérielle ? C’est là justement la question sur laquelle les commentaires se succèdent, que toutes les explications des journaux officiels ou semiofficiels n’ont pas contribué à rendre plus simple, et que les ministres eux-mêmes, interpellés dans le parlement, n’ont peut-être pas eu le don d’éclaircir. Toujours est-il que pour ces premières heures de l’année il y a eu en Prusse un changement assez sérieux, quoiqu’il garde encore un certain caractère énigmatique. M. de Bismarck, qui a passé ces derniers mois à Varzin, qui a laissé le ministre de l’intérieur, le comte Eulenbourg, et ses autres collègues se débattre dans une sorte de conflit avec la chambre des seigneurs à l’occasion de la réforme de l’organisation provinciale et communale, M. de Bismarck est rentré à Berlin, et après une entrevue qu’il a eue aussitôt avec l’empereur Guillaume, il a donné sa démission de président du conseil dans le cabinet prussien ; M. de Bismarck reste, il est vrai, ministre des affaires étrangères de Prusse, et ne quitte pas bien entendu le poste supérieur de chancelier de l’empire. Le ministre de la guerre, le général de Roon, a reçu d’abord la délégation de la présidence du conseil à titre provisoire et comme doyen d’âge ; mais bientôt un nouveau rescrit royal ou impérial a fait le général de Roon président du conseil effectif et définitif du ministère prussien. Ainsi M. de Bismarck, restant toujours chancelier de l’empire d’Allemagne, se trouve n’être plus que simple ministre dans un cabinet dont il était, il y a peu de jours encore, le chef presque souverain et incontesté. C’est là le fait ostensible. Quel en est le caractère politique ? Cette évolution ministérielle est-elle ce qu’on peut appeler un événement ? Est-ce enfin une épreuve inattendue pour l’ascendant de M. de Bismarck, qui se serait vu obligé de plier momentanément devant des difficultés extérieures ou intérieures qu’il ne voudrait pas aborder de front ?

C’est ici précisément que commence le conflit des commentaires et des interprétations. Non, disent les uns, la dernière crise de Berlin n’a aucune signification sérieuse, encore moins est-elle un échec pour l’influence du chancelier. M. de Bismarck a voulu tout simplement alléger son fardeau, écarter de lui les détails fatigans du gouvernement. Aujourd’hui aussi bien qu’hier il reste l’arbitre de la situation. Comme chancelier de l’empire, il garde la direction de la politique allemande ; comme ministre des affaires étrangères, il garde sa place dans le cabinet prussien, et là où il est il ne peut y avoir aucune prépondérance rivale. Il est l’âme du conseil, l’inspirateur de toutes les résolutions. C’était le cabinet Bismarck, c’est encore le cabinet Bismarck. Il n’y a rien de changé, la direction reste invariable ; les réformes libérales entreprises ou encouragées par le chancelier ne seront pas interrompues ; la guerre engagée contre le cléricalisme, contre Rome, sera continuée. Ainsi parlent les amis de M. de Bismarck, et ce qu’il y a de curieux, c’est que ceux qui désireraient le plus que la dernière crise eût toute l’importance d’une sérieuse évolution politique affectent la même incrédulité. Ils ne croient pas du tout à une modification dans les affaires de la Prusse. Tout récemment un des orateurs les plus habiles de l’opposition catholique dans la chambre de Berlin, M. Windthorst, rappelait que le changement de ministère avait eu lieu le jour de la fête de saint Thomas l’incrédule, et il ajoutait : « Moi aussi, je reste incrédule quand on me dit que ce changement est le prélude d’un revirement dans la politique intérieure. Je verrais avec joie le gouvernement sortir de la fausse voie où il est entré ; mais je ne puis pas l’espérer. »

Est-il bien vrai cependant que la dernière crise berlinoise n’ait eu qu’un caractère et des résultats absolument insignifians ? Sans doute, disent bien d’autres, le prince de Bismarck ne cesse pas d’être le personnage le plus considérable de la Prusse et de l’Allemagne, dont il a renouvelé la fortune, et sa prééminence n’est point menacée. Il n’a point eu à subir un échec d’influence, puisqu’il n’y a point eu de lutte ostensible, puisque rien ne s’est fait qu’avec son concours, sur sa demande, selon le désir qu’il a exprimé au roi. Il n’est pas moins certain que le déplacement ministériel qui vient de s’accomplir a quelque importance dans la situation intérieure de la Prusse. D’abord le nom même du nouveau président du conseil a sa signification. Le général de Roon n’est pas le premier venu ; « il ne nous a pas habitués à le regarder comme un homme de paille, » disait récemment un député, M. Virchow, qui cherchait le sens de cette nomination. Le général de Roon en effet est un des réorganisateurs de l’armée prussienne ; il est un de ceux qui ont contribué aux victoires allemandes. Il jouit de la confiance intime, de la faveur particulière du roi, qui voit en lui un de ses serviteurs les plus habiles et les plus dévoués, et qui vient de couronner sa longue carrière militaire du titre de feld-maréchal. Par lui-même, un tel homme n’est pas fait pour jouer un rôle banal de prête-nom, et la preuve, c’est que, si le premier jour il n’a été qu’un président du conseil par le privilège de l’âge, il est devenu bientôt un chef de ministère réel et complet institué par le souverain. De plus il est avéré que depuis quelque temps le général de Roon se montrait assez opposé à certaines lois libérales soutenues par le gouvernement, si bien qu’il avait cru devoir donner sa démission par raison de santé, et il a retrouvé la santé, il a retiré sa démission pour devenir président du conseil. Par le fait, le général de Roon représente au pouvoir les répugnances du parti féodal et religieux contre les lois réformatrices, et un peu aussi peut-être les susceptibilités du parti militaire vis-à-vis de la prépotence de M. de Bismarck. En un mot, la dernière crise ministérielle de Prusse est un incident qui a déjà la signification la plus sérieuse et qui peut avoir les conséquences les plus imprévues.

Que faut-il conclure de ces explications diverses ? Il y a peut-être une certaine part de vérité dans les unes et dans les autres. Il est possible en effet que le ministère prussien reconstitué sous les auspices du général de Roon soit par la force des choses comme un point d’arrêt dans la politique réformatrice inaugurée depuis quelque temps à Berlin, dans cette sorte de guerre engagée centre les influences aristocratiques et cléricales, et ce qui tendrait à le prouver, c’est que déjà on paraît avoir retiré un projet sur le mariage civil. Il est possible que l’empereur Guillaume, en chargeant M. de Roon de faire de la temporisation, de la conciliation avec le parti féodal et religieux, n’ait fait que revenir à de vieilles préférences, qu’il ait cédé à un penchant secret que M. de Bismarck lui-même aura voulu ménager. De deux choses l’une : ou cette politique réussira, et M. de Bismarck en tirera parti comme de toute autre combinaison, — ou elle échouera, et le chancelier restera plus que jamais maître de la situation. De toute façon, comme ministre des affaires étrangères de Prusse, comme chancelier de l’empire, et plus encore par l’autorité de son esprit, de sa hardiesse, de ses services, il garde évidemment la haute direction de la politique de l’Allemagne. Au point de vue de la position personnelle de M. de Bismarck dans le cabinet prussien, les derniers changemens peuvent avoir quelque valeur au moins pour le moment; à un point de vue plus général, ils ne changent rien. Ils laissent le chancelier avec le même pouvoir, et on pourrait l'ajouter, en face des mêmes difficultés inhérentes à cette unification allemande qui a été commencée, continuée par la guerre, mais que la politique seule peut achever. Ces difficultés, qui sont de toute nature, elles se reproduiront plus d'une fois, elles apparaissaient hier encore à l'occasion de l'institution d'une haute cour de justice impériale qu'on veut créer au-dessus de toutes les juridictions particulières. Le projet présenté au conseil fédéral par le ministre de la justice de Prusse, M. Leonhardt, poussait l'unification jusqu'à la dernière limite et tendait évidemment à faire tout converger à Berlin, qui serait devenu ainsi le centre judiciaire de l'Allemagne. La Bavière, le Wurtemberg, la Saxe ont résisté et revendiquent l'indépendance souveraine, l'autonomie de leurs jurisprudences diverses en tout ce qui ne contrarie pas le droit général de l'empire. Il a fallu ouvrir des conférences nouvelles entre états fédérés, faire la part des susceptibilités particularistes. On en est là, et M. de Bismarck, tout entier aujourd'hui à son rôle de chancelier, n'est pas au bout de son œuvre de hardi Prussien s'efforgant d'absorber l'Allemagne.

CH. DE MAZADE.


LES THÉATRES.
OPÉRA. — LA COUPE DU ROI DE THULÉ.

Parmi tant de monde assistant vendredi à la première représentation du Roi de Thulé, nombre de gens ont dû se demander quelle pouvait bien être la moyenne des talens dans ce fameux concours auquel l'opinion prit sa part d'intérêt. Nous sommes de ceux qui se sont posé la question, et nous cherchons encore quelle devait être la valeur des ouvrages refusés, alors que l'ouvrage proclamé le meilleur de tous par le jury vaut lui-même si peu de chose et par son poème et par sa musique. Le poème surtout mérite d'attirer la curiosité : l'art en est véritablement enfantin. Depuis Aladin et sa lampe merveilleuse, le talisman n'avait plus guère paru à l'Opéra que dans Robert le Diable, et pour y jouer un rôle épisodique. L'heure était sans doute venue de réhabiliter sur notre première scène un vieux moyen qui semblait désormais abandonné aux féeries du Ghâtelet et de la Gaîté. Cette coupe de la ballade, si mélancolique entre les mains du caduc monarque trépassant, devient dans l’opéra un talisman comme le pied de mouton ; elle donne le pouvoir, confère les droits souverains à qui la possède ; « par elle, tout est possible. » Aussi tout le monde se la passe. Au moment d’expirer, le roi la confie à son fou de cour en lui recommandant de ne la remettre qu’au plus digne, et voilà ce maître Triboulet improvisé du coup grand-électeur de l’empire. Qui maintenant choisira-t-il ? Personne. Il toise dédaigneusement cette tourbe officielle qui se rue au-devant des camouflets d’un vil bouffon, et superbe, ironique, d’un geste écrasant de mépris, il lance la coupe dans les flots. « Mon amour à qui me la rapportera ! » s’écrie aussitôt sa majesté la reine. Tudieu ! belle dame, comme vous y allez ! Le roi Richard à Bosworth n’offrait pour un cheval que son royaume, et vous, vous mettez à l’encan votre personne auguste et sacrée pour un joyau.

Elle vendit son amour de colombe
Pour un bijou !

Bien fol en effet ce pauvre pêcheur de perles qui relève à l’instant le défi et plonge au fond de l’océan pour rattraper la coupe ! Il se nomme Yorick, c’est cet éternel ver de terre amoureux d’une étoile qui, depuis Ruy Bias, traîne partout. Suivons de notre mieux ses évolutions sous-marines, pénétrons avec lui dans la grotte des sirènes et saluons Claribel, la déesse de céans. Claribel, c’est Mlle Rosine Block avec une perruque blonde. Et dire que devant cette éblouissante océanide le pêcheur Yorick reste froid ! Elle l’aime pourtant, elle, la reine des Ondines, et quand il remonte vers la terre avec sa coupe reconquise, lui promet d’accourir à son premier appel. Bonne fille au demeurant que cette Claribel, et qui ne ressemble en rien aux créatures néfastes et démoniaques de la tradition légendaire. Voyez Goethe, Uhland, Justin Kerner, Arnim, Edouard Moerike, tous les poètes qui ont vécu dans la familiarité des esprits élémentaires, leurs nixes sont des êtres fallacieux, mauvais, des types de séduction et de perfidie, de gracieux vampires à couronne de nénufar. Écoutez, dans Moerike, l’histoire de l’enchanteur Dracon et de la belle Liligi. « La princesse s’endort, et pendant son rêve il lui semble qu’elle entend les harmonies des sphères ; Dracon alors s’empare du corps inanimé de la jeune fille, et, porté sur son manteau fantastique, gagne l’océan, y plonge avec sa proie et va frapper à la porte de corail, amenant aux sept sœurs Liligi, qui sera nixe un jour. » Les forces élémentaires ne séjournent pas seulement sous les eaux, le naturalisme du nord en a peuplé la création. Comme l’océan et les fleuves, la terre et l’air ont une vie mystérieuse ; mais ce que toutes ces forces ont de commun, c’est qu’elles sont également hostiles à la race humaine, elles ne vous aiment, ne vous recherchent, que pour vous engloutir. La Claribel de l’Opéra possède au moins sur toutes les autres nixes et sirènes cet avantage d’avoir un cœur sensible et romanesque, préparé d’avance à tous les dévoûmens. Elle prend au sérieux son pêcheur de corail, l’aime d’amour comme Julio aime Saint-Preux, et ce croquant qui dans son palais d’azur l’a dédaignée, au lieu de le harceler de sa vengeance, elle vient, elle l’immortelle, la déesse, le relancer jusque parmi les vivans, pour le ramener ensuite conjugalement faire de l’égoïsme à deux dans son aquarium.

Dire que la musique complète ce poème serait aller contre la vérité, car ce poème, qui ressemble à tout, ne s’opposait à rien. Insuffisant en soi et médiocre, affectant dans son style un certain romantisme qui n’en relève pas la platitude, sa fable prêtait à l’interprétation musicale; Weber, passant par là, eût fait un Oberon. L’auteur du libretto de Guillaume Tell, M. de Jouy, s’écriait en parlant de Rossini : « Je lui avais donné deux nationalités, l’Allemagne et la Suisse, et de ces deux couleurs le malheureux n’a rien su faire! » Peut-être y avait-il aussi une belle antithèse à trouver dans le sujet du Roi de Thulé? Avec les amours criminelles de la reine Myrrha et son courtisan Angus, qui rappellent la Gertrude et le Clodius d’Hamlet, on aurait pu, en pleine fantaisie, aborder le drame. Le compositeur, M. Eugène Diaz, a négligé toute couleur, il n’a fait ni rouge ni bleu, il a fait pâle, — lui, le fils d’un si fier coloriste! Citons pourtant une délicieuse barcarolle au moment où la mer s’entr’ouvre au second acte pour laisser voir au pêcheur éperdu de jalousie les ivresses amoureuses de la reine et de son prétendant. On détacherait de la sorte plusieurs morceaux gracieusement inspirés : la romance d’Yorick au premier acte, et, tout de suite après la sortie du bouffon, un petit chœur charmant; mais ce ne serait toujours là que des pages d’album, et franchement à l’Opéra les albums sont trop peu de chose.

Ah ! senz ’ amare
Andar sul mare
Coll’ sposo del mare,
Non puo consolare !

Ce vague et douloureux motif que soupirait dans sa gondole la jeune épouse de Marino Faliero, je le livre à la méditation de tous les musiciens qu’un souffle dangereux de la fortune aura poussés trop tôt vers l’Opéra. S’embarquer ainsi sans précédens, sans grande vocation, senz’ amare, sur cette immense et trompeuse mer, vouloir y naviguer dès le début, quelle entreprise! On ne sait pas tout ce que ces puissans moyens mis à votre disposition font peser sur vous de responsabilité; tout ce spectacle merveilleux, toutes ces voix, toutes ces résonnances, vous attirent; vous ne voyez pas le péril, vous ne voyez que le succès. On va au-devant des écueils, des mirages, on engage sa jeunesse et son inexpérience, on épouse le vieux doge, et c’est ensuite à ne jamais s’en consoler.


F. DE L.


ODÉON. — LES ERINNYES.


La tragédie de M. Leconte de Lisle est une véritable gageure soutenue contre le modèle que le poète se propose d’imiter : on dirait qu’il a voulu trouver quelque chose de plus fort que la force même, et que, pour y parvenir, il a resserré, condensé, ce que le théâtre avait de plus violent. La Clytemnestre d’Eschyle s’associe avec son amant Égisthe pour abattre son époux à coups de hache : à son tour, elle succombe sous le couteau de son fils Oreste après avoir vu poignarder le complice de son forfait. Ces deux crimes, d’où l’auteur grec avait tiré deux tragédies, sont réunis dans un seul drame : la Clytemnestre de l’auteur français égorge son Agamemnon sans qu’Égysthe paraisse, ni qu’elle ait besoin soit d’un aiguillon pour accomplir son forfait, soit d’un aide pour venir à bout du vainqueur d’Ilion. Égisthe ne se montre pas davantage dans l’expiation de cet assassinat : il ne vient ni insulter au souvenir du roi des rois, dont il occupe la maison et le trône, ni enflammer la vengeance d’Oreste par la vue de l’amant et du meurtrier; Clytemnestre suffit à toutes les entreprises et à toutes les horreurs de ce toit maudit des Atrides.

On ne simplifie pas impunément la simplicité même. En supprimant Égisthe, l’auteur a ôté de ce drame un contre-poids nécessaire et renversé l’équilibre des passions qui en forment le soutien. Le fardeau des crimes de cette reine devient trop pesant pour qu’elle le supporte. Ce n’est pas tout; en écartant l’amant, il a réellement effacé l’amour forcené qui fait sacrifier l’époux. Que reste-t-il? La vengeance d’un vieux grief maternel, du sang d’Iphigénie offert aux dieux, il y a dix ans, pour obtenir des vents favorables. Qui peut croire à cet assassinat prémédité durant tant d’années par une mère, quand il n’y a dans sa vie de tous les jours aucun aliment pour entretenir cette fureur? Et puis cette longue préparation du crime, cette embûche ménagée dans l’ombre, est-elle autre chose qu’un attentat, une férocité? Où est le drame, si Clytemnestre n’aime pas d’un amour aveugle autant qu’il est criminel l’ennemi de son époux, le fils de Thyeste, l’homme qui voit déjà entre lui et le fils d’Atrée des injures sanglantes, des haines, des parricides qui ont fait reculer le soleil d’horreur? Il est vrai que le mot d’amour est quelquefois prononcé dans cette tragédie :

J’aime, je règne; et ma fille est vengée!


mais ce n’est qu’un mot, une parole convenue et comme une concession à l’usage de faire Clytemnestre amoureuse. Dans la tragédie d’Eschyle et dans les autres sans nombre où s’agite cette reine terrible, la vengeance d’Iphigénie sert de prétexte à l’assassinat dont l’infidélité conjugale est la véritable cause : ici, c’est l’amour qui est le prétexte. On dirait que, pour en parler le moins possible, le poète a eu le soin d’ôter le rôle qui en rappelle nécessairement l’idée.

Il n’est pas inutile de rappeler que M. Leconte de Lisle n’a jamais mis d’amour dans ses vers; il nomme souvent Éros le fils d’Aphrodite, il le loue et le célèbre, mais de sang-froid. Ses poésies sont belles et glacées comme des statues de marbre; la passion en est sévèrement bannie comme une laideur, comme un transport qui défigure. Les anciens, surtout des siècles les plus purs, ont partout adoré la beauté et rarement touché à l’amour : disciple scrupuleux, il a imité, exagéré leur calme olympien, et il laisse aux modernes cette folie, à laquelle il ne croit sans doute pas. Cependant, s’il était nécessaire de faire une exception à la règle qu’il s’est imposée, c’était dans la circonstance présente; son modèle même lui en faisait une loi, et l’on n’accusera pas Eschyle d’être tendre ou de donner dans la galanterie. Le vieux poète grec attribue à Égisthe un pouvoir illimité sur Clytemnestre, cet empire absolu d’un amant, qui a fait oublier tous les devoirs de l’épouse. Qui le sait mieux que M. Leconte de Lisle, qui a fait d’Eschyle une traduction exacte et animée[1]? Cette femme grecque, à laquelle il est défendu même d’avouer publiquement son amour pour son mari, comme on le voit par ses premières paroles à l’arrivée d’Agamemnon, elle ose se dire aimée d’Égisthe. « Je ne crains pas d’entrer jamais dans la maison de la terreur (le temple de la crainte), aussi longtemps qu’Aigisthos, qui m’aime, allumera le feu de mon foyer, comme il l’a déjà fait avant ce jour. En effet, il est le large bouclier qui abrite mon audace. » Voyez aussi comme cet amour est assaisonné de jalousie, et comme la passion jouit de sa revanche. « Le voilà gisant, celui qui m’a outragée, les délices des Khryséis, qui ont vaincu devant Ilios. Et la voici, la captive (Cassandre), la divinatrice fatidique, qui partageait son lit, venue avec lui sur les nefs... Elle gît, la bien-aimée ! et les voluptés de mon amour en sont accrues. » A la place de ces sentimens si vrais, si féminins, que voyons-nous dans M. Leconte de Lisle? Le vers que nous venons de citer, et les deux suivans ;

Maintenant que la foudre éclate au fond des cieux!
Je l’attends, tête haute et sans baisser les yeux!


Nous ne lui demandons pas, en l’imitation d’un ancien, ce que les anciens s’interdisaient au théâtre, l’expression détaillée et complaisante de l’amour. La réalité était là dans le personnage d’Egisthe, il suffisait; mais M. Leconte de Lisle veut être plus Grec et plus ancien qu’Eschyle. La suppression de ce personnage altère profondément celui de Clytemnestre; non-seulement elle se charge de tout le crime, mais de toutes les haines et de toutes les noirceurs qui se comprenaient mieux dans le fils de Thyeste. La reine d’Argos en son absence fait le tyran et menace le peuple quand celui-ci, représenté par le chœur, fait mine de se révolter contre les meurtriers de son roi. Une femme adultère hait son époux parce qu’elle le craint; mais celle-ci n’a d’autre passion que sa haine même, et il faut reconnaître qu’elle l’exprime en beaux vers.

……….. Je le hais.
Je hais tout ce qu’alma, vivant, ce roi, cet homme.
Ce spectre ; Hellas, Argos, la bouche qui le nomme,
Le soleil qui l’a vu, l’air qu’il a respiré.
Ces murs, que souille encor son cadavre exécré.
Ces dalles, que ses pieds funestes ont touchées.
Les armes des héros par ses mains arrachées.
Et les trésors conquis dans les remparts fumans,
Et ce que j’ai conçu de ses embrassemens!


Jamais on n’a exprimé plus vivement que M. Leconte de Lisle la haine dans un cœur de femme : il y manque seulement une cause pour engendrer tant de haine. Heureusement pour le poète et pour l’actrice qui interprète ce rôle, la flamme criminelle de Clytemnestre est dans toutes les mémoires, et ce que l’auteur ne dit pas est jusqu’à un certain point convenu entre lui et l’auditoire. Sans ce compromis, je ne sais ce qui adviendrait des splendides hémistiches du poète; devant un auditoire illettré, il serait impossible de jouer les Érinnyes. Applaudissant ces vers à la fois emportés et sonores, entraîné par la fureur tragique de Mme Marie Laurent, familier d’ailleurs avec le sujet, le public ne songe pas à se demander ce qui rend cette femme si audacieuse et si féroce qu’elle défie les dieux sans nécessité et qu’elle déteste l’enfant qu’elle a mis au monde. Lancé dans cette voie, le poète ne peut s’arrêter. Substituée par lui à Égisthe, Clytemnestre a des raffinemens d’inimitié que l’adultère et la jalousie elle-même ne sauraient avoir : elle ne veut pas accorder la sépulture à son époux, dans le sang duquel elle a eu le loisir d’éteindre sa furieuse colère, à cette Cassandre, qu’elle a aussi frappée de sa hache, on ne sait pourquoi, n’étant pas jalouse.

Point de libations ni de larmes pieuses!
Qu’on jette ces deux corps aux bêtes furieuses,
Aux aigles que l’odeur conduit des monts lointains.
Aux chiens accoutumés à de moins vils festins!
Oui! je le veux ainsi : que rien ne les sépare,
Le dompteur d’Ilios et la femme barbare,
Elle, la prophétesse, et lui, l’amant royal,
Et que le sol fangeux soit leur lit nuptial !

À ce luxe de cruauté, nous voyons un grand inconvénient : il sera

difficile d’admettre dans la seconde partie que le tombeau d’Agamemnon, comme le sujet l’exige, soit dressé à la porte même du palais des meurtriers, plus difficile encore de comprendre qu’une femme capable d’une haine posthume si violente soit sujette à des terreurs de conscience mal assurée, et envoie faire des libations sur la cendre de sa victime, afin de retrouver le sommeil de ses nuits.

Le personnage d’Oreste n’est guère moins altéré que celui de sa mère par la suppression d’Égisthe. En ôtant l’amant qui protège la femme adultère et coupable d’assassinat, on ôte précisément ce qui la rend le plus odieuse. Cet homme est son bouclier, comme elle le dit dans Eschyle; s’il est écarté, s’il ne se met pas entre elle et son fils, qui pourra s’expliquer le redoublement de fureur qui précipitera celui-ci contre sa mère? Il faut qu’Égisthe vienne s’assurer de la mort prétendue d’Oreste, qu’il fasse entrevoir ses soupçons, pour que le fatal dénoûment s’accomplisse sans retard; il faut d’ailleurs qu’il fasse depuis longtemps gémir sous le joug la fille du roi des rois, afin qu’elle soit pour son frère une cause d’irritation de plus. En effet, dans cette seconde partie, celle du châtiment, Oreste est chargé par l’auteur de toute la noirceur du parricide, comme Clytemnestre l’était tout à l’heure de tout l’odieux de l’assassinat : son Electre est réduite aux proportions d’une fille douce et timide, aimant bien son frère, mais incapable de vouloir la mort de sa mère. Rien de moins antique, et il en résulte un Oreste qui ne l’est pas davantage ; un parricide sans cœur ni entrailles, qui n’hésite pas, comme il arrive à celui d’Eschyle, au moins un moment. Ce n’était pas trop des avertissemens de Pylade et de la dureté d’Electre, ce n’était pas trop surtout de la religion des oracles et de l’empire inéluctable de la fatalité pour faire passer le parricide.

Cet Eschyle, que M. Leconte de Lisle traduit si bien et suit, à notre gré, peu fidèlement, entoure son Oreste de toute sorte de justifications. Il a pour l’exciter le voile trempé de sang où les meurtriers d’Agamemnon l’enveloppèrent pour le tuer plus sûrement; il conçoit des remords et semble crier grâce à Pylade, il accuse Apollon qui l’arme d’un couteau contre sa mère; aussitôt après avoir frappé, il va expier son crime à Delphes. Tout le pousse en avant; nul n’a horreur de lui, si ce n’est lui-même. Rien de semblable dans l’Oreste du poète français, et, pour nous en tenir à ce point seul de la volonté des dieux, il n’a qu’un mot, et qui n’indique pas une foi profonde :

Un Dieu me fait signe d’en haut,
Et mon père du fond de l’Hadès me regarde
Fixement, irrité que la vengeance tarde.


Il n’y a que la religion des morts dans les Érinnyes. Oreste jouit de son parricide au lieu d’y être poussé; il ne se venge pas moins lui-même que son père; il discourt avec Clytemnestre, dont il prolonge le supplice, lorsqu’il ne fallait que de courtes répliques où se résument, comme dans des sanglots, la fureur insensée d’un fils et l’agonie d’une mère. Ce n’est pas elle, comme dans Eschyle, comme dans tous les poètes qui ont touché à cette affreuse situation, ce n’est pas elle qui dit : « Je suis ta mère! » c’est lui qui, avant de frapper, se donne le sauvage plaisir de crier : « Je suis ton fils ! ;>

Reconnais ton enfant! C’est moi. J’ai bu ton lait,
J’ai dormi sur ton sein, et je t’ai dit : « Ma mère! »
O souvenirs! ô jours de ma joie éphémère!
Et toi, tu souriais, m’appelant par mon nom.


Il serait fâché d’accomplir la volonté des oracles sans se montrer féroce tout à son aise. Un tel fils est digne d’une telle mère, et voilà comment les vers de M. Leconte de Lisle, taillés dans le marbre, frappent l’imagination sans aller au cœur.

Une remarque curieuse à faire sur cette tragédie, c’est que l’auteur est fataliste dans toutes ses poésies à peu près, et que dans sa pièce il supprime pour ainsi dire la fatalité. Autre chose est d’écrire des pages brillantes sur l’implacable sérénité de la nature, sur la faiblesse de l’homme et de ses vertus, sur le sourire inflexible des dieux dans leur olympe éloigné de nous, — autre chose de montrer un héros luttant avec les décrets divins qu’il ne peut comprendre, toujours abattu, jamais vaincu cependant, et réagissant par la liberté. La fatalité dans le premier cas est celle d’une philosophie panthéiste dont les poètes peuvent tirer de beaux effets; dans le second, la fatalité est une foi religieuse que nous ne pouvons admettre, mais que nous admirons dans Eschyle, qui transfigure les forfaits ordonnés par les dieux, et sanctifie les expiations les plus terribles, A notre avis, on ne peut prendre d’Eschyle les expiations, les forfaits, la terreur, et laisser absolument le reste. Si je ne me trompe, M. Leconte de Lisle a transporté sur notre scène les horreurs en ôtant la divine superstition qui les explique : lui qui connaît à fond Eschyle, on dirait qu’il obéit au préjugé vulgaire qui fait de ce poète le modèle du genre horrible.

Nous avons dû montrer combien le procédé suivi par lui est contraire à l’art dramatique, et comment, en voulant concentrer le poète grec et l’exagérer, il cesse d’être humain. Sa tentative est loin cependant d’être malheureuse; le succès des Érinnyes est assez marqué pour récompenser ses efforts et pour avertir le théâtre, qui s’abandonne trop souvent aux vulgarités. Le but n’est pas atteint; mais le poète s’engage dans une voie où la critique ne peut le suivre qu’avec intérêt; que la composition de la tragédie et le dessin des caractères appellent davantage son attention, que sa confiance dans les détails du style et dans l’éclat de la poésie, sans être diminuée, laisse la première place à l’étude de l’ensemble. Dans une œuvre originale, qui ne sera ni soutenue ni enchaînée par un chef-d’œuvre classique, l’épreuve pourra être plus décisive.

Les acteurs ont eu leur part dans le bon accueil fait aux Érinnyes. Nous rendions tout à l’heure justice au talent de Mme Marie Laurent. Mme Regnard a tiré un fort bon parti de son rôle de Kasandra, où elle a mis de la noblesse et de la distinction ; le personnage un peu amolli d’Électre a trouvé une compensation et une sorte d’excuse dans le gracieux débit d’une actrice qui ne semblait pas destinée à représenter la terrible sœur d’Oreste.


LOUIS ETIENNE.


ESSAIS ET NOTICES.

L’Instruction du peuple, par M. Émile de Laveleye[2].

Le livre de M. de Laveleye ne pouvait venir à un moment plus opportun. L’instruction primaire est à l’ordre du jour ; cette question passionne les esprits en France et en Allemagne, en Angleterre et en Russie, en Belgique et en Portugal, et même en Amérique. Les partis politiques aussi bien que les partis religieux s’en sont emparés et l’ont inscrite sur leurs drapeaux. L’avenir des nations, M. de Laveleye a eu raison de le dire, dépend du degré d’instruction qu’elles atteindront, et cette vérité, aujourd’hui banale, explique parfaitement la chaleur mise partout dans la discussion des matières d’enseignement, les sacrifices que divers états se sont imposés et ceux qu’on leur demande encore.

Une question aussi importante ne se pose pas sans soulever des problèmes nombreux, dont l’étude est rendue difficile par la résistance des habitudes, par l’irritation des passions, par les appréhensions des intérêts. Ce sont ces problèmes que M. de Laveleye se propose de résoudre. Sa méthode est simple, mais elle n’en est que plus efficace : il va droit au but. S’agit-il de démontrer que « l’instruction du peuple est la question la plus urgente et la plus importante de notre temps, » il fait toucher du doigt cette vérité que, pour ceux auxquels l’instruction est conférée, c’est une parcelle de puissance et de lumière qu’on leur donne, car knowledge is power ; savoir, c’est pouvoir, « Indispensable pour accroître les richesses, l’instruction ne l’est pas moins pour apprendre à en faire un bon usage. Presque partout le salaire de l’ouvrier est insuffisant pour satisfaire ses besoins rationnels, et pourtant quelle grande part n’en consacre-t-il pas à des dépenses inutiles ou même nuisibles? Incapable de prévoir, l’esprit borné au présent, il n’apprécie pas la puissance émancipatrice de l’épargne. Avide d’excitations violentes et matérielles, trop souvent il ne goûte que les plaisirs des sens, et, s’il gagnait plus, ce ne serait que pour dépenser plus. Veut-on qu’une augmentation de salaire soit pour le travailleur un moyen de s’affranchir, qu’on lui donne, par l’instruction, le goût des plaisirs de l’esprit et de la prévoyance. » Et ce raisonnement se trouve appuyé par des faits nombreux et bien choisis, prouvant jusqu’à l’évidence que, pour qu’un peuple produise beaucoup et dispose sagement de ses produits multipliés, il faut qu’il soit éclairé.

Les classes inférieures ne sont pas les seules qui profitent de l’instruction qu’on revendique pour elles, c’est dans l’intérêt de la société tout entière et surtout des classes élevées qu’on la demande. « Un grand danger, dit M. de Laveleye, peut menacer la civilisation. Si, en même temps que le besoin de bien-être se généralise dans le peuple, les lumières et la moralité se répandent dans toutes les classes de façon à inspirer aux uns la justice et aux autres la patience qu’exigent les réformes pacifiques, le progrès régulier est assuré; mais, si l’on maintient en haut l’instruction, la richesse et l’égoïsme, en bas l’ignorance, la misère et l’envie, il faut s’attendre encore à de terribles bouleversemens. » Du reste, c’est une vérité généralement admise maintenant que le suffrage universel sans l’instruction universelle conduit à l’anarchie et par suite au despotisme.

S’il en est ainsi, l’intervention de l’état dans l’enseignement primaire est indispensable, et il n’était vraiment pas nécessaire de le démontrer. C’est pour l’état un acte de légitime défense. Toutefois, si M. de Laveleye consacre un chapitre à cette question, c’est pour répondre non à ceux qui prétendent que l’initiative privée fera tout, mais à ceux qui offrent de se charger de la tâche à leur profit. On comprend qu’il s’agit du clergé. Or comment répond M. de Laveleye à cette offre? En démontrant, par l’exemple de Naples et du Portugal d’une part et de l’Angleterre de l’autre, le fait suivant : tant que l’église a seule été chargée de l’instruction populaire, celle-ci a été à peu près nulle, et si elle ne fait pas de progrès dans certains pays catholiques depuis que l’état s’en occupe, c’est surtout par suite de l’hostilité du clergé. Lorsque le clergé a été le maître absolu, il n’a rien fait, et maintenant qu’il a cessé de l’être, il empêche les autres de faire mieux que lui. D’ailleurs, dans les deux pays les plus réfractaires à l’intervention de l’état, l’Angleterre et l’Union américaine, l’action de l’état se fait de plus en plus sentir, à la satisfaction croissante de tous les partis.

Passe encore pour l’intervention de l’état quand il se borne à subventionner les écoles, à les faire participer aux largesses du trésor ; mais qu’il n’aille pas au-delà. S’il veut inspecter, on réclame la liberté religieuse ; s’il veut introduire l’obligation scolaire, on revendique la liberté du père de famille. On a le droit d’être surpris que dans la seconde moitié du XIXe siècle il soit encore nécessaire de défendre l’instruction obligatoire ; c’est qu’on prêche des gens qui ne veulent pas entendre. Les partisans de l’obligation ont beau répéter à satiété que le père pourra envoyer l’enfant dans l’école de son choix, ou l’instruire lui-même, et qu’on ne lui impose qu’une chose, c’est de ne pas laisser l’enfant croupir dans l’ignorance ; leurs adversaires affectent toujours de confondre l’obligation de l’instruction avec l’obligation de fréquenter une école déterminée. M. de Laveleye sait poursuivre ses adversaires jusque dans leurs derniers retranchemens ; il les y accable d’argumens, mais, nous craignons bien, sans les faire capituler. Il démontre successivement que l’obligation est juste, qu’elle est utile, qu’elle est applicable. Nous craindrions d’affaiblir son argumentation en la résumant, car tout porte, tout contribue à donner de la solidité au raisonnement. Aussi nous bornerons-nous à citer une simple note, une impression de voyage, que M. de Laveleye nous communique pour ainsi dire en passant.

Après avoir dit que la plupart des auteurs de traités de droit naturel ont admis que les parens doivent non-seulement nourrir, mais encore instruire leurs enfans, les alimens étant aussi indispensables à l’esprit qu’au corps, il ajoute ce qui suit : « Un jour j’entendis un mot qui fit pénétrer jusqu’au fond de mon cœur la force de cet argument. En descendant dans l’Engadine par le col de Feneta, je rencontrai une femme du village de Süss, où je me rendais, et je cheminai avec elle. Je lui parlai de ses enfans et lui demandai s’ils allaient à l’école. — Mais ils y sont tous obligés, me dit-elle. N’en est-il pas de même chez vous? — Quand je lui répondis que non, son étonnement fut grand. — Comment se peut-il, reprit-elle, qu’il y ait au monde des pays où des parens puissent commettre impunément le crime de ne pas instruire leurs enfans ? — En parcourant ensuite la haute vallée de l’Inn, j’admirai ces beaux villages si prospères dans une région que la neige couvre pendant six mois, et dont le climat est celui du Cap-Nord; mais je comprenais comment tant de bien-être peut se rencontrer sous un ciel si rude. L’instruction avait fait ici le miracle qu’elle fait partout. »

La gratuité de l’enseignement, que l’auteur examine dans le chapitre suivant, ne porte pas avec elle une évidence aussi, grande que l’obligation. On sait ce que l’on entend par gratuité de l’enseignement : c’est la suppression de la rétribution scolaire. L’instituteur doit toujours être payé ; mais au lieu de l’être à tant par enfant, il l’est à forfait, et la dépense est imputable sur l’ensemble des revenus de la caisse municipale. Dans la pratique, le traitement de l’instituteur est généralement fixe, et il est payé par le receveur communal ; seulement le receveur perçoit la rétribution scolaire, et la caisse communale se borne à compléter le chiffre. C’est un système mixte. De bons esprits pensent qu’il est le meilleur, et M. de Laveleye, si nous avons bien saisi le fond de sa pensée, s’en contenterait au besoin; mais, comme le mieux est l’ennemi du bien, il se prononce en faveur de la gratuité absolue, c’est-à-dire de la répartition des frais scolaires sur l’ensemble des habitans en proportion de leur fortune, et non sur les pères de famille seulement,

La thèse la plus difficile que M. de Laveleye ait eu à soutenir, c’est l’école laïque. Les esprits religieux pourront se mettre d’accord avec les indifférens et même avec les athées sur la justice de l’obligation et sur la nécessité de la gratuité, mais ils auront de la peine à bannir de l’école la religion. Ils veulent avec M. Guizot que « l’atmosphère de l’école soit religieuse, » et ils ne croient pas y parvenir sans l’enseignement du dogme. M. de Laveleye ne se dissimule pas la gravité de la question, mais il l’aborde sans hésiter. Il commence par reproduire tous les argumens qu’on a fait valoir en faveur des écoles soumises à la direction du clergé (catholique ou protestant), puis il présente les argumens opposés. Ce n’est qu’après avoir ainsi mis le lecteur au courant de la question qu’il pèse le pour et le contre et formule ses conclusions. « Du moment, dit-il, qu’on admet que l’état repose sur la raison et les églises sur la révélation divine, rien n’est plus facile ni plus essentiel que de respecter cette distinction dans l’école; il suffit de dire que l’instituteur enseignera la morale et le prêtre le dogme. De cette façon nul empiétement n’est à craindre : chacun reste dans le domaine où il est souverain. »

L’enseignement de la morale se trouve ainsi séparé de l’enseignement de la religion; mais n’allez pas en conclure que M. de Laveleye soit partisan de la morale indépendante, de la morale sans base religieuse. Il rejette loin de lui pareille doctrine; il déclare impossible de parler de devoir sans parler en même temps de Dieu et de l’immortalité de l’âme. Pour inculquer dans le cœur des enfans les notions du bien et du mal, il faut exposer dans l’école les idées religieuses générales qui leur servent de base, ainsi que cela se fait dans quelques pays. Or ces principes de morale et de religion ne sont point le monopole du clergé, et il appartient à l’instituteur de les faire connaître. Ceux qui revendiquent cet enseignement exclusivement pour le clergé tendent, sciemment ou non, à soumettre le civil au spirituel, l’état au sacerdoce, en un mot à établir une théocratie. « Si la raison humaine, dit M. de Laveleye, par ses propres forces et sans le secours de la révélation, ne peut s’élever aux notions du bien et du juste, le laïque est incapable de gouverner sans le secours de la puissance qui est le dépositaire de ces vérités, et le pape est, comme il le prétend, le souverain maître des peuples et des rois. L’objet du gouvernement, ajoute-t-il, est la déclaration du droit et l’organisation de la justice parmi les hommes. Or le droit et la justice ne sont que des applications de la morale. Le laïque est-il incompétent en fait de morale, il l’est nécessairement aussi en fait de droit, et il ne lui appartient pas de diriger la société, qui doit marcher vers la réalisation de la justice, ou qui tout au moins doit la faire respecter. »

Ainsi, ou il faut restaurer le système théocratique dans toute sa rigueur et introniser la toute-puissance ecclésiastique sur la ruine de la raison humaine, ou bien il faut admettre que l’instituteur laïque peut enseigner la morale sans se soumettre au contrôle de l’église. Il semblera à plus d’un lecteur que M. de Laveleye a rendu trop tranchée l’opposition des deux systèmes, qu’entre ces extrêmes il y avait place pour bien des situations intermédiaires et que la vérité était dans le juste milieu. Mais en fait de doctrines, les formules doivent être claires et nettes, sinon elles perdent toute signification, et surtout elles cessent d’être un appui solide dans la pratique. Du reste, les argumens les plus importans, les plus sérieux, les plus irréfutables de M. de Laveleye, ce sont les faits qu’il cite, et sous ce rapport il est d’une fécondité inépuisable. La Hollande et les États-Unis, deux contrées libres, religieuses, et où pourtant la loi interdit l’enseignement du dogme dans l’école primaire, lui en fournissent d’abondantes moissons ; il trouve des faits jusqu’en Belgique, le pays par excellence de l’ultramontanisme.

Telles sont les opinions de M. de Laveleye sur quelques-uns des points qui préoccupent en ce moment les esprits. La seconde partie du livre est consacrée à un exposé de la législation et de la statistique de l’instruction primaire dans tous les états de l’Europe et de l’Amérique, et même de l’Asie, de l’Afrique et de l’Australie. Les renseignemens puisés aux sources officielles sont accompagnés de réflexions et au besoin d’explications. Cette seconde partie sera fort appréciée, même par ceux qui ne partagent pas les opinions théoriques de l’auteur. Il est à désirer que les grandes questions trouvent ainsi des hommes d’études qui en préparent la discussion et mettent aux mains du public tous les documens qui s’y rapportent.


M. B.



Études sur l’aménagement des forêts, par M. Tassy ; Paris.


On sait que l’aménagement d’une forêt consiste à en régler l’exploitation de telle sorte qu’elle fournisse un revenu annuel aussi régulier et aussi avantageux que possible. Il importe aujourd’hui plus que jamais de ne rien oublier en vue d’améliorer la situation et d’augmenter le rendement de ce genre de propriété. D’abord il ne nous est pas permis de négliger une source quelconque de revenus ; ensuite nous avons perdu, avec l’Alsace et la Lorraine, une étendue considérable de forêts, domaniales, communales et particulières, ce qui a diminué d’autant la production nationale, déjà si insuffisante. Une condition indispensable pour atteindre ce but, c’est de distraire l’administration des forêts du ministère des finances et de la transférer à celui de l’agriculture. Cette modification a déjà été réclamée par un grand nombre de conseils-généraux et par la Société des agriculteurs de France.

Ce n’est pas pour se faire une source de revenus que l’état est propriétaire de forêts, c’est pour fournir à la consommation des bois de fortes dimensions, que les particuliers sont impuissans à produire, et pour conserver à l’état boisé les massifs qui peuvent exercer une certaine influence sur le régime des eaux ou sur la salubrité publique. Sans doute ces forêts, soumises à des exploitations régulières, produisent un revenu annuel ; mais la mise en vente des coupes a bien moins pour but d’alimenter le trésor que d’encaisser au profit de tous un produit qui n’appartient pas plus à l’un qu’à l’autre, et qui ne saurait constituer un profit commercial.

Il ne faudrait pas s’imaginer que la translation dont nous parlons serait sans importance. Il s’agit au contraire d’une réforme capitale d’où dépend l’existence même des forêts de l’état. Le ministre des finances en effet, préoccupé surtout de se procurer de l’argent, n’hésite pas, dans les momens difficiles, à sacrifier l’avenir au présent ; il anticipe sur les coupes, et même il aliène les forêts quand il croit l’opération favorable au trésor. Le ministère de l’agriculture procéderait suivant d’autres principes ; il s’efforcerait par des améliorations continues d’assurer la conservation des forêts et d’en augmenter la production ; jamais l’idée ne lui viendrait de les vendre. En quoi d’ailleurs les questions relatives au reboisement des montagnes, au pâturage, au régime des eaux, à la fixation des dunes, à la gestion des forêts communales, intéressent-elles le ministre des finances ? Elles lui sont absolument étrangères, et il n’y a pas plus de raison de lui en confier la solution que de mettre l’instruction publique entre les mains du ministre de la marine. Elles touchent au contraire à la production du sol et relèvent naturellement du ministre de l’agriculture.

Pour en revenir aux Études de M. Tassy, nous dirons que c’est un livre de principes plutôt qu’un traité pratique. L’auteur ne se dissimule pas qu’aux yeux de gens qui se disent habiles, et qui font peu de cas des théories, c’est là un grand défaut ; mais il ne craint pas d’arborer ouvertement son drapeau. « S’il est vrai, dit-il, que la théorie soit la raison des choses, l’explication des phénomènes de la nature et l’énoncé des règles à suivre pour faire servir ces phénomènes à la satisfaction des besoins de l’humanité, s’il est vrai au contraire que la pratique ne soit, que l’application de ces règles, n’y a-t-il pas entre la théorie et la pratique une union nécessaire qu’il serait aussi difficile de rompre que de séparer la main qui agit de l’esprit qui la dirige?.. — Abandonner la sylviculture aux simples ressources de la pratique, c’est la réduire à une routine incertaine et obscure, surtout dans un ordre de choses où les faits mettent plus de temps à se produire que l’homme n’en met dans l’accomplissement de sa destinée. On peut donc en conclure qu’en sylviculture, comme en toute autre matière, sans le secours de la théorie, le niveau des connaissances humaines ne pourrait jamais s’élever, puisque c’est à elle qu’il appartient d’étudier les phénomènes, de les grouper, et de faire profiter ainsi une génération de l’expérience de celles qui l’ont précédée.

Obéissant à ces principes. M. Tassy passe en revue les différentes circonstances dans lesquelles peut se trouver une forêt, et il examine d’une part quel est, au point de vue du propriétaire, état, commune ou particulier, le meilleur système d’exploitation; d’autre part, quels sont les moyens les plus pratiques et les plus rapides d’atteindre le but. La dernière partie de son ouvrage est consacrée à la discussion des mesures à prendre pour remettre la France dans un état normal, au point de vue des forêts et du pâturage. L’auteur propose de classer, au moyen d’une statistique générale, tout le territoire en trois zones, La première zone, comprenant les terrains dont le boisement ou le gazonnement sont reconnus nécessaires sous le rapport du régime des eaux, de la protection du littoral et de la défense du territoire, serait régie par l’administration forestière. La seconde comprendrait les bois domaniaux ou communaux non compris dans la première; ces bois seraient également soumis au régime forestier, plus les bois particuliers dont la conservation présente non plus un intérêt général, mais un intérêt local manifeste, et dont le défrichement serait prohibé; enfin la troisième zone renfermerait les portions du territoire affranchies de toute restriction. Avec un champ d’action ainsi déterminé, l’administration des forêts serait en mesure de gérer les bois et les pâturages, dont la disparition est aujourd’hui une cause de ruine pour les pays montagneux.


Le directeur-gérant, C. Buloz.

  1. Eschyle, traduction nouvelle par M. Leconte de Lisle; Paris 1872. Lemerre.
  2. Paris, Hachette et Cie.