Chronique de la quinzaine - 14 février 1878

Chronique no 1100
14 février 1878


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février 1878.

L’année est à peine commencée, et déjà une fortune étrange a rassemblé dans ces quelques semaines les événemens les plus graves, les mieux faits pour remuer le monde. À l’orient de l’Europe, l’empire turc en est à se débattre, à expirer peut-être sous la main victorieuse, habilement appesantie et implacable de la Russie ; le vieil équilibre des nations s’effondre sur le Bosphore, sans qu’on sache, sans qu’on puisse distinguer comment il sera remplacé ou reconstitué. À l’occident, dans cette ville de Rome qui s’est appelée jusqu’ici la ville éternelle, à un mois d’intervalle, la puissance des révolutions accomplies se dévoile par la mort presque simultanée de celui qui a été le premier roi d’Italie et de celui qui aura été le premier pontife représentant au Vatican une papauté spirituelle à côté d’une royauté nationale établie au Quirinal.

Victor-Emmanuel, par son âge, par la vigueur de son organisation, semblait pouvoir se promettre un plus long règne ; il a été prématurément frappé l’autre mois d’un mal subit qui l’a emporté en quelques heures. Sa mort a été comme un coup de foudre qui laisse encore l’Italie étonnée et émue. L’hôte du Quirinal était à peine enseveli au Panthéon d’Agrippa, l’hôte du Vatican, à son tour, Pie IX, vient de s’éteindre comblé de jours et d’épreuves, gardant jusqu’au bout, sous le poids de l’âge et dans le déclin de ses forces, la clarté de l’esprit, l’aménité du cœur aussi bien que la dignité du caractère. Plus d’une fois déjà on avait annoncé sa fin prochaine, et, à ne consulter que le cours naturel des choses, il aurait paru sans doute devoir devancer tous les autres. Pie IX a vécu assez pour voir disparaître la plupart de ceux qui ont été les grands acteurs du drame italien, et son plus habile coopérâtes, le cardinal Antonelli, et Cavour, le plus puissant, le plus généreux antagoniste du pouvoir temporel, et Napoléon III, cet ami qui lui a été plus fatal que beaucoup d’ennemis, et ce prince même qui de son vivant a hérité de sa couronne terrestre. Il est resté sur les ruines d’un ordre politique, de tout un passé dont il est la dernière personnification ; mais, dans ces ruines de la souveraineté temporelle, le pontife n’a point été diminué ; il a plutôt grandi au contraire, et il entre aujourd’hui dans l’histoire accompagné du respect, de l’émotion religieuse du monde. Il disparaît après avoir offert sur la chaire de saint Pierre le spectacle de cette étonnante longévité qui lui a permis de tout voir et de tout connaître, les révolutions les plus profondes, les crises nationales, les mobilités de la fortune, les espérances et les mécomptes, les exaltations et les amertumes. Il quitte la scène après avoir été, lui aussi, un personnage européen, universel, dans la période la plus agitée, la plus tourmentée du siècle.

C’est en effet la destinée de Pie IX d’avoir été mêlé à tout depuis plus de trente ans, de s’être trouvé jeté, avec son caractère ingénu, dans ce tourbillon d’événemens violens dont il a eu le singulier privilège d’être tour à tour l’instigateur et la victime. Au moment où il ceignait la tiare au mois de juin 1846, il était jeune encore pour un pape, il n’avait que cinquante-quatre ans, et il était à peu près inconnu. Il sortait de son évêché d’Imola, il n’avait la pourpre que depuis peu d’années. Certes, lorsque le 17 juin 1846 Mastaï Ferretti était élu pape sous le nom de Pie IX, personne ne se doutait que ce jour-là s’ouvrait un règne qui allait durer plus que tous les autres règnes des papes, qui dépasserait les « années de Pierre, » et que ce pontificat serait illustré et assombri par une série d’épreuves dont le dernier mot devait être la fin de la papauté temporelle. Qui aurait pu lire dans un avenir pourtant si prochain ? Le successeur du pieux et modeste Grégoire XVI qui venait de mourir apparaissait seulement alors comme un pontife plein de candeur, comme un souverain aux intentions généreuses fait pour rendre un gouvernement réparateur à ces malheureux états romains, perdus par un régime suranné de routines ecclésiastiques. Il semblait être le gage d’une régénération possible et régulière. Pie. IX lui-même n’était pas insensible aux séductions de ce rôle qu’on lui faisait presque au sortir du conclave, que l’imagination publique agrandissait rapidement et qu’il acceptait de bonne grâce. Il avait, avec le désir du bien, le goût de cette popularité si nouvelle pour un pape ; il n’avait pas malheureusement, avec ces dons aimables, le génie capable de tout conduire, de tout régler dans un mouvement qui le fascinait et le troublait en l’entraînant, en lui arrachant d’heure en, heure ce qu’il voulait bien accorder et ce qu’il aurait voulu retenir. L’amnistie, les réformes, les manifestations contre l’Autriche, la garde civique, la liberté de la presse, la constitution, tout se pressait. S’il y eut jamais un temps d’enivrement et d’illusions, c’est cette période de deux années où l’Italie entière s’ébranlait au nom de Pie IX, où un pape libéral et national semblait donner l’exemple à tous les autres princes de la péninsule, et où du haut de la tribune française M. Thiers s’écriait d’un accent sympathique : « Courage, courage, saint-père ! » En peu de temps, ce pape que « Dieu avait donné à l’Italie, » selon le mot du roi Charles-Albert, était devenu l’homme le plus populaire de l’Europe, au grand ébahissement des réactionnaires de tous les pays qui voyaient presque en lui un jacobin !

Comment tout cela devait-il finir ? Avant que deux années fussent écoulées, une révolution nouvelle avait éclaté en France et avait mis le feu à tous les élémens incandescens au-delà des Alpes. La guerre contre la domination étrangère, contre l’Autriche, avait été proclamée, et on avait essayé d’entraîner à la croisade le gonfanon de l’église. Les mouvemens populaires remplissaient l’Italie de confusion. La marée révolutionnaire montait de toutes parts, jusqu’à ce que l’assassinat de l’héroïque Rossi, devenu dans le péril le premier ministre constitutionnel du saint-siège, obligeât le pape à quitter nuitamment le Vatican et à se réfugier à Gaëte, laissant Rome à la république et à Mazzini. C’est là le point d’arrêt. À partir de ce moment, tout change, la réaction commence pour ne plus être interrompue. Le pape libéral de 1846 revient à l’inflexibilité du prêtre, du pontife.

Un jour Pie IX racontait avec bonhomie l’histoire d’un enfant qui avait vu un magicien jouant avec le diable, qu’il faisait tour à tour apparaître ou disparaître à volonté. L’enfant avait bien retenu le mot pour faire apparaître le diable, il n’avait pas le secret pour le faire disparaître. Pie IX se comparait naïvement à cet enfant. Il s’était trouvé, il est vrai, un terrible magicien pour l’aider à faire rentrer sous terre le « diable » révolutionnaire, et ce magicien c’était la force ; c’était l’intervention française à Rome ; c’était le triomphe universel de la réaction en Europe ; mais la force seule ne résout pas ces problèmes, et elle ne fonde rien : c’est une magicienne suspecte ! Au fond, il y avait un désastreux malentendu. Sans doute, lorsqu’en 1846 et 1847 on voulait faire du pape un héros de libéralisme, un chef de toutes les revendications nationales, on lui imposait un rôle qu’il ne pouvait pas accepter ou qu’il ne pouvait du moins concilier que dans une certaine mesure avec le caractère universel du pontificat. Et Pie IX, lui aussi, s’est évidemment mépris, lorsqu’après 1850, restauré et soutenu par la force des armes, il a cru qu’il n’y avait plus qu’à effacer les souvenirs d’un passé si récent, à oublier 1846, à revenir aux traditions de résistance absolue, d’immobilité théocratique. Il n’a pas vu que s’il avait été défendu contre de simples mouvemens révolutionnaires, contre des explosions d’anarchie, le péril serait bien autrement grand pour lui le jour où il se trouverait en face d’une Italie libérale et nationale coordonnée, représentée par un gouvernement régulier. C’est ce qui est arrivé ; c’est ce qui a laissé le saint-siège désarmé et a fait sa faiblesse en présence de cette émancipation italienne si habilement conduite de Novare au congrès de Paris, du congrès de Paris à la guerre de 1859, de l’annexion de la Lombardie à l’annexion de la Toscane et de Naples, de Turin à Florence et de Florence à Rome. Le pontife s’est trouvé pour ainsi dire pressé, entouré, assiégé par cet affranchissement méthodique d’un peuple jusqu’au jour où il n’a plus eu d’autre refuge que le Vatican.

Tout lui a été fatal depuis vingt-cinq ans, et la crainte de recommencer une expérience qui n’avait pas été heureuse, et ses scrupules de prêtre, et un certain sentiment de dignité devant la violence des événemens, et la vaine protection de la France qui ne lui a donné qu’une sécurité trompeuse. Cette situation extrême où la royauté temporelle des papes a fini par disparaître, ce n’était point sans doute Pie IX qui l’avait créée, il l’avait reçue compromise, presque désespérée. Aurait-il pu la relever, la raffermir tout au moins, en reprenant avec plus de suite et de fermeté cette œuvre de réformation qui avait décoré d’un si beau lustre les débuts de son règne ? Il ne l’a pas essayé ; il s’est même défendu contre toute tentation de ce genre, et en fin de compte, devant ses contemporains, il reste un de ces princes destinés à illustrer par leur vertu, par leurs qualités attachantes, des crises où ils combattent désormais pour l’honneur des principes plus que pour la victoire.

Ce qui est certain, c’est que dans une carrière qui, depuis trente ans, n’a pas cessé d’être un drame, qui a été semée de toute sorte de péripéties, d’incidens pathétiques, de scènes émouvantes, Pie IX a traversé toutes les situations sans y laisser l’intégrité de son caractère et de son esprit. On a dit souvent que le cardinal Antonelli avait été le véritable inspirateur de la papauté, qu’il dirigeait tout ; c’était une erreur. Le cardinal Antonelli, tant qu’il a vécu, a eu assurément une grande place dans les conseils du Vatican ; il portait avec une habileté souple et ferme le poids des affaires, et il savait donner à la diplomatie romaine le relief de sa parole. Pie IX restait le vrai pape, et il a mis son empreinte dans tout son règne. Ce ne fut pas sans doute, au point de vue humain, un politique de premier ordre. Il y a dans sa vie deux parties qui se querellent ou se contredisent, et le pontife absolu du lendemain des révolutions semble faire pénitence des velléités libérales du pape de 1847. L’adversaire des idées modernes se dévoile dans ces encycliques, dans ces dogmes nouveaux par lesquels il a étonné le monde, dans des accès de zèle sacerdotal ; mais le lendemain comme la veille, dans ses passions de prosélytisme comme dans ses contradictions apparentes, c’est bien toujours le même homme avec cette nature impétueuse et fine, ardente et aimable, séduisante et mobile, qui a fait sa force, peut-être aussi sa faiblesse. Nul moins que Pie IX ne ressemblait à ces papes mondains des temps passés qui mettaient tant de calculs dans leur politique ; il était de la race des vrais pontifes : simple, sincère et intrépide, avec une candeur absolue de foi qu’il poussait jusqu’au mysticisme, qu’il savait en même temps parer d’esprit et de grâce. Quand on l’approchait, on ne pouvait qu’être frappé de ce mélange de piété attendrie, d’ingénieuse bonne humeur et de pénétrante finesse qui donnait à sa physionomie une originalité si expressive. Il avait la gaîté d’une conscience tranquille, et c’est avec une sorte d’ingénuité de cœur, bien plus que par des préméditations ambitieuses, qu’il a accompli les actes les plus éclatans, les plus audacieux, les plus hasardés de son règne.

Inflexible pour l’honneur et l’intégrité du pontificat, il savait bien à quoi s’en tenir, il ne se faisait pas illusion : témoin le jour où on lui rappelait que, suivant une promesse divine, la barque de Pierre ne pouvait périr, et où il répondait spirituellement que la promesse divine avait parlé de la barque, qu’elle n’avait pas parlé de l’équipage. Il avait de ces mots d’une douce et fine ironie par lesquels il déconcertait les plus graves personnages, et, à mesure que les événemens se déroulaient autour de lui, il continuait la lutte parce qu’il y voyait un devoir ; il ne croyait plus guère au succès, il s’attendait à tout. Assurément l’entrée définitive des Italiens à Rome en 1870 l’avait blessé ; il avait protesté, sans prolonger une résistance inutile, et il avait trouvé une forme de protestation perpétuelle en s’enfermant comme un captif au Vatican ; c’était sa manière de ne pas reconnaître le fait accompli. Il y était cependant préparé, il n’avait pas attendu au dernier moment pour se demander ce qu’il ferait le jour où le dénoûment éclaterait. Sa vraie pensée, en dépit de tous les conseils, avait été de rester à Rome ; il s’était toujours dit que la place du pape, sauf des violences qu’il n’avait point à craindre, était auprès de la « confession de saint Pierre. » Au fond, devant ce mouvement national qui le pressait, qu’il se croyait obligé de combattre, il se retrouvait Italien ; il sentait remuer en lui une fibre mystérieuse, et, tout en protestant, il s’intéressait à ce qui se passait en Italie. Il s’informait avec une vive curiosité de l’état de l’armée nouvelle, et il n’aurait craint nullement de se mettre sous sa garde. Dans une circonstance où le corps d’occupation français devait partir, avant 1870, il y avait eu une négociation pour mettre une garnison italienne à Rome. Pie IX ne pouvait surtout se défendre d’une vieille affection pour Victor-Emmanuel comme pour la famille royale, pour sa filleule, la jeune et gracieuse reine de Portugal ; il aimait ces princes, qui avaient pourtant fait l’Italie, qui étaient ses voisins au Quirinal, et, on vient de le voir, le jour où une catastrophe imprévue a frappé le roi, le vieux pape a senti s’émousser dans ses mains toutes les foudres pontificales. Il a pleuré le vaillant prince, et il a retrouvé dans son cœur une inspiration souveraine pour lever toutes les difficultés, pour imposer silence aux oppositions qui s’élevaient déjà au sujet des honneurs religieux ; il a envoyé ses prêtres et ouvert ses églises. Son dernier acte a été un témoignage de sympathie pour le roi et pour l’Italie. La piété intime et attendrie l’a emporté sur les conseils de la politique ou de l’esprit de secte. Sympathie humaine, piété généreuse, tout cela se mêlait à l’ardeur sacerdotale dans l’âme du Vieux pontife qui disparaît à son tour après avoir assisté à la plus grande transformation de la papauté et après avoir préparé dans son audace ingénue une révolution religieuse plus redoutable encore peut-être par les dogmes nouveaux dont il a pris l’initiative.

Quelles seront maintenant les conséquences de cette disparition soudaine qui n’a pourtant rien d’imprévu ? comment Pie IX va-t-il être remplacé sur cette chaire de saint Pierre, qui n’est plus que le siège d’une puissance spirituelle ? quels seront les rapports du nouveau pape avec l’Italie et avec les autres nations catholiques, avec le monde ? C’est le problème qui commence pour l’Europe, qui vient s’ajouter à tant d’autres problèmes. Les derniers actes de Pie IX ont eu du moins cet heureux effet de simplifier jusqu’à un certain point la situation en facilitant, en favorisant la réunion du conclave à Rome. Si des oppositions se sont produites au premier instant, s’il y a eu quelque tentative pour transporter la délibération des cardinaux sur quelque point du monde qu’on ne désigne pas, ces résistances de quelques prélats étrangers ont dû céder devant la considération qui avait déjà retenu Pie IX. Où la papauté se trouverait-elle mieux qu’à Rome, auprès de cette « confession de saint Pierre » à laquelle s’attachait le vieux pontife ? À Malte, elle serait perdue au sein des mers, isolée et séparée du monde. À Miramar, puisque ce nom a été prononcé, elle ne serait qu’une étrangère, peut-être un embarras pour l’Autriche. Il n’y aurait eu d’hésitations possibles que si la liberté avait manqué à Rome, si les dispositions de l’Italie eussent été douteuses, si les rapports avaient été difficiles. Rien de semblable n’existe. Le gouvernement italien s’est hâté de prendre toutes les mesures pour assurer l’indépendance absolue du conclave sans se mêler à ses délibérations. Tout est simple à Rome, et en réalité la question est plus qu’à demi résolue par les premières relations qui se sont établies pour préparer la libre réunion des cardinaux.

Le conclave peut s’ouvrir, il s’ouvrira, dit-on, dans cinq jours. Qu’en sortira-t-il ? Il ne faut pas s’attendre sans doute à ces coups de théâtre qu’entrevoient déjà les imaginations trop vives, à une rupture plus violente avec l’Italie, à des manifestations de nature à remuer l’univers. Les partisans du bruit, de la politique absolue, des résolutions extrêmes, s’il y en a au conclave, subiront nécessairement la puissance de la réalité. Ce qui est le plus probable et le plus désirable, c’est que de cette réunion de vieux chefs de l’église il sorte un pape modéré, prudent, assez pénétré de l’état du monde, des intérêts du catholicisme lui-même, pour ne pas jeter des difficultés nouvelles dans une situation déjà fort laborieuse et passablement précaire. Le nouveau pontife protestera contre la dépossession de la papauté temporelle, c’est vraisemblable et inévitable, puisqu’il y a des protestations traditionnelles au Vatican, puisque récemment encore le dernier secrétaire d’état, le cardinal Simeoni, protestait à l’occasion de l’avènement du roi Humbert. On fera des réserves, et, en définitive, rien n’empêche que les rapports avec l’Italie ne restent dans les termes d’une coexistence supportable. Selon toute apparence, il n’y aura pas plus de rupture éclatante que de réconciliation complète, ostensible. L’essentiel est qu’il y ait une sorte d’indépendance mutuelle acceptée et reconnue. Le nouveau pape lui-même est intéressé à ne rien précipiter, à ne rien compromettre ? Moins engagé que son prédécesseur, il peut se prêter à des combinaisons toutes pratiques de nature à créer par degrés un ordre à peu près régulier. L’Italie, elle aussi, est intéressée à tout faciliter dans la mesure des obligations qu’elle a prises, à ne rien faire par exemple qui dût fatalement provoquer le départ du chef de la catholicité en lui rendant le séjour de Rome intolérable. Elle est la première à le sentir, et le cabinet du Quirinal s’est hâté de réprimer ou de décourager des manifestations qui commençaient à se produire contre la loi des garanties. Qui gagnerait à ces extrémités, à ces scissions aggravées, à ces recrudescences de guerre ? Ce ne serait qu’un piège pour la papauté, un péril pour l’Italie, un embarras de plus pour les puissances catholiques dont le seul intérêt est l’indépendance de l’autorité spirituelle du chef de l’église. Le conclave, qui va se réunir, peut attester de la manière la plus utile cette indépendance par la liberté de ses délibérations et de son choix, en donnant au successeur de Pie IX une mission d’apaisement, non une mission de guerre et d’agitation religieuse. Nous n’avons pas besoin d’un conflit de plus.

Pour le moment, tandis que ces questions en sont encore à se débattre à Rome entre quelques vieux prêtres, l’Europe est assez occupée de ces affaires d’Orient qui s’aggravent de jour en jour, qui semblent désormais arrivées au point où il faut de toute nécessité un prompt dénoûment. Est-ce la paix qui se prépare dans le mystère des négociations ? Est-ce au contraire le commencement d’une série de complications bien plus vastes, bien plus redoutables, destinées à entraîner par degrés toutes les politiques, toutes les puissances ? Voilà la question qui, dans ces dernières semaines s’est assez envenimée pour tout dominer et tout éclipser. Une certaine obscurité, habilement prolongée, continue sans doute à régner sur la situation réelle des choses en Orient, sur la marche et le résultat des négociations, sur les dispositions des cabinets.

Ce qui est évident, ce qui éclate à travers tout, c’est que la crise orientale est à sa période la plus aiguë. Pour l’instant il n’y a plus d’indépendance ottomane, l’empire turc abattu, découragé, désorganisé, est à la merci du vainqueur ; la Russie triomphe au-delà de ses espérances ! Depuis quelques jours, depuis que les armées du tsar, par un mouvement audacieux en plein hiver, ont franchi en masse les Balkans, tout s’est précipité, les événemens ont pris d’heure en heure un caractère plus menaçant. Pendant qu’on en était à débattre toutes ces propositions d’armistice et de préliminaires de paix qui couraient les chemins à la recherche des quartiers-généraux, les Russes n’ont cessé de marcher, dérobant et hâtant leurs mouvemens. Un instant dans leur retraite les Turcs ont tenté un dernier effort du côté de Philippopoli, ils se sont battus courageusement ; mais cette résistance a été brisée, ce qui restait des forces ottomanes a été pris ou refoulé, et les Russes se sont déployés en toute liberté, gagnant du terrain, s’engageant sans péril, de telle façon que le jour où ils ont consenti à la signature d’un armistice et des préliminaires de paix, ils étaient déjà partout. Ils sont sur la Mer-Noire et sur la mer de Marmara ; s’ils n’ont pas occupé Gallipoli, ils n’en sont pas éloignés. Il y a quelques jours le chancelier de l’échiquier d’Angleterre, sir Stafford Northcote, parlait comme d’une hypothèse extrême et invraisemblable du cas où les Russes paraîtraient sûr la mer Egée ou à Salonique ; ils sont déjà, sinon précisément à Salonique où rien ne pourrait les empêcher d’aller, du moins sur d’autres points de la mer Egée. Ils rayonnent de toutes parts, en même temps qu’ils ont occupé sans coup férir les défenses avancées de Constantinople : ils tiennent Sainte-Sophie au bout de leur épée ! Ce n’est plus comme il y a cinquante ans, dans cette guerre de 1829 où la Russie, victorieuse mais épuisée, s’arrêtait sur la route d’Andrinople et se contentait de dicter une paix qui, en étant assurément onéreuse, laissait vivre l’empire ottoman. Aujourd’hui c’est la reddition à merci de la Turquie inscrite dans l’armistice, dans les préliminaires de paix, peut-être dans des engagemens secrets, et garantie par la présence d’une armée aguerrie, par l’ascendant d’une puissance militaire irrésistible. Il ne manque plus que l’entrée à Constantinople, et à l’heure qu’il est cette entrée est déjà peut-être accomplie. Les Russes voient se réaliser le rêve le plus ambitieux de leur politique. Ils ont une double satisfaction d’orgueil : ils accomplissent un vœu héréditaire, et après vingt ans ils ont la fortune d’aller chercher à Constantinople la revanche de leur mécompte de Sébastopol. Ils ont repris leur marche en Orient, et ils se croient libres de déployer tous leurs desseins.

Voilà certes en peu de jours bien des événemens gros de difficultés immédiates et de menaces pour l’avenir, pour un avenir qui n’est peut-être pas bien éloigné ! On abroge, du droit de l’épée victorieuse, de sa propre autorité, un ordre général reconnu et garanti par tout le monde. On fixe le sort d’un empire, on distribue les territoires, on érige des indépendances et des royaumes, on dispose des provinces, des ports, de la navigation des fleuves. La question est maintenant de savoir dans quelle mesure des arrangemens particuliers entre la Russie et la Turquie peuvent régler tant de choses considérables, comment ces combinaisons nouvelles se concilieront avec les vœux de l’Europe, jusqu’à quel point les puissances peuvent laisser passer des révolutions d’équilibre qui se déguisent à peine sous le nom d’une paix imposée par la victoire. Que la Russie, après une guerre heureuse, réclame le prix du sang versé, de ses efforts et de ses succès, on ne peut assurément s’en étonner. Elle peut infliger à la Turquie des conditions dures, c’est la loi des jeux de la force ; mais ici, il ne faut plus s’y tromper, ce n’est plus la paix conquise avec ses avantages, c’est la destruction de tout un ordre de choses ; c’est une situation absolument nouvelle caractérisée par la dépendance de ce qui reste de l’empire ottoman, c’est une transformation violente de l’Orient préparant fatalement pour un avenir prochain d’inévitables orages, de plus redoutables conflits, sans la participation de ceux qui ont toujours eu, qui peuvent avoir encore un rôle dans ces grandes et délicates affaires.

Il y a, dira-t-on, des questions d’intérêt général qui seront réservées à l’Europe ; la diplomatie aura l’occasion de se prononcer sur les détroits qui ferment la Mer-Noire ; Si on en parle dans les préliminaires de paix, ce n’est que pour la forme, un congrès ou une conférence en décidera. Il y aura sans doute une conférence, si on le veut, quand on sera parvenu à se mettre d’accord sur la ville où elle devra se réunir, sur la manière dont elle sera composée et présidée, sur l’objet précis de ses délibérations, sur les limites de sa juridiction. Quand tout cela sera réglé et entendu, il y aura une conférence ou un congrès, qui se réunira à Vienne ou à Bade, ou à Lausanne ou à Venise, à moins que ce ne soit ailleurs, — qui délibérera solennellement sur la manière de se passer des traités ! En attendant, les événemens marchent, et, sous le voile d’un armistice, la guerre poursuit son œuvre jusqu’au bout. Les questions les plus graves, les plus contestées et les plus contestables, sont tranchées par la force, et l’Angleterre, l’Autriche, commencent sans doute à voir ce qu’elles ont gagné à laisser éclater la guerre, à prendre tant de soins pour définir leur neutralité, pour borner leur action à la sauvegarde de ce qu’elles ont appelé les « intérêts anglais, » ou les « intérêts autrichiens. » Elles sont exposées à se voir dépassées à chaque instant, et, pour ainsi dire, bernées par les faits accomplis, qu’elles ne peuvent plus ni enchaîner, ni retenir.

Ce que feront réellement aujourd’hui l’Autriche et l’Angleterre, on ne peut guère le préjuger, elles ne le savent peut-être pas elles-mêmes, elles sont positivement à l’heure qu’il est agitées et embarrassées, il n’est point douteux qu’elles ont l’une et l’autre des intérêts de premier ordre dans toutes ces affaires, non-seulement dans la question des détroits, mais dans bien d’autres questions, et qu’elles se trouvent maintenant l’une et l’autre dans une situation des plus difficiles par suite de la politique qu’elles ont suivie. L’Autriche a toujours sans doute la satisfaction de se dire qu’elle est de cette alliance des trois empires que de temps à autre on proclame de plus en plus solide, de plus en plus inébranlable. Elle en est venue peut-être à trouver que l’alliance lui coûte cher, que les « intérêts autrichiens » ne sont pas absolument sauvegardés par les victoires russes, par la présence des soldats du tsar à la messe de Sainte-Sophie. L’Autriche, à coup sûr, peut difficilement se résigner à laisser passer de nouveau les bouches du Danube sous la domination de la Russie, à voir s’élever et se développera ses frontières toute sorte de créations nouvelles, un royaume de Roumanie, un royaume serbe agrandi, une Bulgarie indépendante sous un prince russe. Reviendra-t-elle aux fameuses compensations dans l’Herzégovine et la Bosnie ? Elle serait peut-être exposée aujourd’hui, par une ironie singulière, à voir la Russie défendre contre elle l’indépendance de l’empire ottoman. Ce serait le dernier mot de la comédie. Le fait est que l’Autriche, en laissant, pour ainsi dire, courir les événemens, sans avoir de garanties réelles, s’est placée dans une situation désavantageuse vis-à-vis de la Russie, qui a bien moins à craindre pour ses communications militaires depuis qu’elle a les bords de la Mer-Noire et qu’elle dispose de l’empire turc. L’Autriche ne peut cependant laisser tout s’accomplir, livreuses intérêts les plus évidens, et c’est là justement pour elle le nœud de la situation.

Quant à l’Angleterre, elle est en proie au plus singulier conflit intérieur. Elle se demande chaque jour si elle doit se fâcher ou si comme le lui propose M. Gladstone, elle doit se réjouir de tous les bienfaits que la Russie est occupée à conquérir pour les populations de l’Orient. En réalité, l’Angleterre se sent depuis quelque temps dans une des conditions les plus pénibles où elle se soit jamais trouvée, parce qu’elle comprend tout à la fois le péril qui menace sa puissance, son prestige, et la difficulté de saisir cette redoutable question qui l’obsède. L’Angleterre n’est pas contente d’elle-même, et elle a bien quelque raison. Sa diplomatie, même d’après les papiers qui viennent d’être publiés, ne joue pas un rôle glorieux. Il y a quelques semaines, à propos de l’armistice et des préliminaires de paix, elle a été assez lestement évincée par le prince Gortchakof, et ce qui vient de lui arriver au sujet de l’entrée de son escadre dans les Dardanelles n’est pas fait pour relever son orgueil. Une première fois elle a voulu faire entrer sa flotte dans le détroit, puis elle l’a rappelée. C’était avant la signature de l’armistice. Une seconde fois depuis l’armistice, tout récemment, elle a renouvelé ses ordres, elle a voulu user du firman qu’elle avait déjà obtenu du sultan ; mais alors tout s’est trouvé changé. Les commandant des forts des Dardanelles ont manqué d’instructions ; des difficultés se sont élevées à Constantinople, l’ambassadeur britannique, M, Layard, paraît s’être emporté, menaçant de forcer le passage, et on l’a laissé d’abord se fâcher, menacer. Les difficultés seront levées sans doute si elles ne le sont à l’heure qu’il est, la flotte entrera, si elle n’est déjà entrée ; seulement, par une dernière dérision, les Russes prennent maintenant prétexte de l’arrivée des vaisseaux anglais pour faire eux-mêmes leur entrée à Constantinople, de sorte que voilà l’Angleterre dûment convaincue, au moins au dire du prince Gortchakof, d’avoir provoqué un événement qu’elle aurait certes voulu empêcher. Le ministère a, sans contredit, sa part dans ce décousu, dans ces incohérences pénibles pour l’orgueil britannique, et l’opposition, elle aussi, a pris certainement une immense responsabilité en affaiblissant depuis un an. Le ministère par ses déclamations, au risque d’obliger l’Angleterre à un bien plus grand effort le jour où elle voudra décidément réparer les fautes de sa politique, reconquérir son influence. Aujourd’hui, à vrai dire, la question est moins à Londres et à Vienne qu’à Berlin ou à Varzin. Que veut réellement M. de Bismarck ? quelle politique poursuit-il dans le silence énigmatique où il se renferme depuis assez longtemps ? De cette politique dépendent évidemment en partie les résolutions de l’Angleterre et de l’Autriche. Que le chancelier allemand tienne à prouver sa cordialité au cabinet de Saint-Pétersbourg, cela n’est point douteux ; mais d’un autre côté peut-il s’exposer à mécontenter l’Allemagne elle-même en livrant à la Russie l’Orient, les bouches du Danube, en favorisant la prépondérance outrée d’un formidable empire slave ? Par cet intérêt, il est lié à l’Autriche et à l’Angleterre elle-même. Ainsi tout reste étrangement obscur dans ces fatales ; affaires d’Orient, Il va y avoir un congrès, on le dit, soit ; il s’agit maintenant de savoir si dans ce congrès c’est la paix définitive, désirable qu’on va conclure, ou si c’est une guerre nouvelle, bien autrement compliquée qu’on ira préparer. Il faut bien voir les choses comme elles sont.

Ces grandes questions qui agitent le monde, qui occupent sans cesse les esprits réfléchis ont du moins un mérite ; elles ramènent à leurs vraies proportions tous les petits conflits qui ont leur importance, sans doute, mais qui n’ont pas toujours autant d’intérêt que le croient ceux qui s’y trouvent mêlés. Y a-t-il eu récemment des menaces de crise à Versailles ? Le sénat se dispose-t-il à voter les lois sur le colportage, sur l’état de siège, sur les crédits supplémentaires ? La chambre des députés a-t-elle eu quelque velléité d’ajourner, par mesure défensive le vote du budget ? C’est une histoire qui, pour aujourd’hui, pâlit devant les grands événemens qui s’accomplissent, dont la France elle-même ne saurait se désintéresser, quoiqu’elle ne doive y prendre part que par une politique de circonspection et de fermeté. Au milieu de ce mouvement européen qui suit son cours, cependant, s’il y a des princes qui meurent, si la politique a ses deuils, la science, elle aussi, a ses victimes. Depuis quelque temps, la science française a perdu des hommes comme M. Leverrier, comme M. Regnault ; hier encore elle vient de perdre M. Claude Bernard, qui a décoré la Revue de quelques-unes de ses pages les plus substantielles et les plus brillantes. M. Claude Bernard était le créateur de la physiologie expérimentale. Il a eu le privilège d’être parmi nous un de ces génies favorisés qui agrandissent la science, non-seulement pour leur pays, mais pour le monde tout entier. M. Claude Bernard avait, de plus, l’art de populariser la science. Sa mort est un événement dans le fracas de tant de choses qui passent.

ch. de mazade.




Frederic Ozanam, professor at the Sorbonne, his Life and works, by Kathleen Omeara, Edimbourg, 1877.


Une Anglaise d’un rare mérite vient de consacrer tout un livre à l’un des écrivains qui honorent le plus la haute littérature française dans la première moitié de notre siècle. Frédéric Ozanam, professeur à la Sorbonne, sa vie et ses œuvres, tel est le titre de l’ouvrage ; l’auteur est Mlle Cathleen Omeara, qu’un beau et dramatique roman sur les épreuves de la Pologne avait déjà recommandée à l’estime du public lettré en Angleterre et ailleurs. Si notre illustre collaborateur Jean-Jacques Ampère était encore de ce monde, c’est lui qui devrait parler à nos lecteurs du livre de Mlle Omeara. Il avait déjà signalé ici même plus d’une page de l’éloquent écrivain. A défaut d’Ampère, plus d’un s’en chargerait, car la tradition des idées que représentait Ozanam n’a pas encore disparu, Dieu merci ! de notre société bouleversée. Comment ne pas s’attacher à une œuvre aussi large et aussi féconde que celle d’Ozanam, dans un temps où les meilleures doctrines tendent chaque jour à devenir stériles et à dégénérer en fanatisme ? Ozanam avait mis le centre de ses idées à l’abri de ces contagions malsaines ; sa foi, aussi haute que profonde, dépassait les polémiques vulgaires. Il ne craignait pour elle ni les progrès de la critique ni les découvertes de la science, car tout ce qui était progrès véritable ou découverte certaine avait son rang marqué d’avance sur l’échelle idéale où se plaisait sa pensée.

Est-ce que la révolution de 1848 le prit au dépourvu ? Pas le moins du monde. La république n’eut pas alors d’adhérent plus sincère que le rédacteur de l’Ère nouvelle. Avec des partisans comme celui-là, elle serait établie depuis trente ans. On vit bien quel était le patriotisme d’Ozanam, dans la sinistre journée du 25 juin, lorsqu’il eut tout à coup l’idée que l’intervention de l’archevêque de Paris pourrait arrêter la guerre civile. Il était alors dans les rangs de la garde nationale avec deux de ses amis, M. Bailly et M. Cornudet, auxquels il communiqua cette espèce de vision soudaine. Les trois amis partirent, allèrent trouver l’archevêque et lui exposèrent leur idée. L’archevêque répondit simplement : « La même pensée m’est venue, elle me tourmente depuis hier, mais comment dois-je m’y prendre ? Ne faut-il pas que le général Cavaignac approuve cette démarche auprès des insurgés ? où le trouver en ce moment ? .. » C’est dans le livre de Mlle Cathleen Omeara qu’il faut lire ce récit d’un bout à l’autre ; l’auteur a consulté tous les documens et recomposé en toutes ses parties cette scène héroïque et touchante qui fera éternellement honneur à la nature humaine.

Cette inspiration si française a été l’inspiration d’Ozanam dans tous les travaux de sa vie. La pensée maîtresse de tous ces beaux livres analysés avec talent par Mlle Cathleen Omeara, c’est le désir de mettre fin à la guerre civile qui trouble et pervertit les intelligences. Qu’il s’occupe des Germains primitifs ou de l’Italie du moyen âge ; qu’il étudie le gracieux épanouissement de la poésie franciscaine ou les sublimités austères de la Divine Comédie ; que, dans sa chaire de Sorbonne, à propos des littératures étrangères, il expose les origines chrétiennes de l’Europe moderne, ou qu’il rassemble autour de lui une bella scuola de jeunes disciples voués au soulagement des misères du peuple, — avant toute chose, il songe à combattre les préventions, les malentendus, les défiances, les haines, qui, dans les lettres comme dans la vie, arment l’une contre l’autre les deux moitiés de la société française. Rien de plus chrétien et de plus libéral, rien de plus large et de plus précis.

L’ouvrage de Mlle Cathleen Omeara est destiné à ses compatriotes de la Grande-Bretagne. Il est facile de voir que le noble écrivain poursuit deux buts : il veut réfuter ceux qui refusent au génie catholique l’intelligence et la pratique de la liberté, il veut aussi avertir ceux des catholiques de son pays qui ont peur en effet de cette liberté virilement comprise et pratiquée. Louer l’esprit, la parfaite mesure de la personne d’élite qui a écrit ces pages, ce ne serait pas égaler la récompense à la valeur de l’œuvre ; il faut ajouter que ce livre peut faire beaucoup de bien, non-seulement en Angleterre, mais en France. Traduit, il contribuerait à détruire bien des préjugés, aussi bien à droite qu’à gauche.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.


La Guerre de trente ans, par MM. Coppée et d’Artois, 1 vol. in-18 ; Lemerre.


MM. Coppée et d’Artois ont eu l’idée de mettre sur la scène la grande figure de Du Guesclin ; malheureusement leur drame prit des proportions telles qu’il faudrait le remanier en grande partie pour pouvoir le faire représenter. Tel qu’il est sorti des mains de ses auteurs, ce poème a grand air, les pensées généreuses abondent, les vers sont bien faits, puis le souffle vraiment patriotique est bien là à sa place, car il s’agit de chasser l’étranger du sol de la patrie, et au temps de Du Guesclin on connaissait déjà ce mot de patrie. Dans une courte préface, MM. Coppée et d’Artois ont raison de dire que le sentiment public tend par trop aujourd’hui à la paix éternelle et oublie les choses de la guerre ; puisse ce livre contribuer à réveiller chez nous le désir des grandes choses et nous faire retrouver nos qualités d’autrefois.


Souvenirs et mélanges, par M. le comte d’Haussonville, 1 vol. in-8o ; Calmann-Lévy.


Le succès qu’a rencontré chez les lecteurs de la Revue 16 chapitre intitulé : la Vie de mon père, fait espérer, que le volume tout entier recevra le même accueil. M. d’Haussonville s’est plu à nous décrire cette vie des exilés pendant la révolution de 98, à nous les montrer portant hors de leur pays leur gaîté et leur insouciance, croyant toujours à une restauration de la monarchie légitime. Il nous montre ensuite ces mêmes exilés prenant à contre-cœur des charges à la cour de Napoléon Ier, et essayant, suivant le vœu du maître, de faire revivre les vieilles traditions. Ce premier chapitre est suivi d’un fragment qui ouvrit la publication du Bulletin français, publié à Bruxelles en collaboration avec Alexandre Thomas, qui, pendant plusieurs années, écrivit là chronique de la Revue ; puis viennent les chapitres intitulés : les Confèrenoes de Châtillon, le Congrès de Vienne, M. de Cavour et la crise italienne, qui, tous les trois, ont été publiés dans la Revue. Le livre se termine par deux discours prononcés par M. d’Haussonville ? comme on le voit par cette courte analyse, ce volume offre une lecture certainement instructive et variée.



Le Filleul du marquis, par M. André Theuriet, 1 vol. in-18 ; Charpentier.


Nos lecteurs connaissent déjà le Filleul du marquis, et le charmant roman de M. André Theuriet restera certainement longtemps encore dans leur mémoire. Il est rare de rencontrer aujourd’hui un récit aussi bien mené, des caractères aussi bien décrits et aussi attachans. Comme cette vie de la province est prise sur le fait, sans ces détails mesquins dont on encombre les romans qui paraissent chaque jour ; détails qui ne servent qu’à faire saisir le peu d’imagination de l’auteur ! Le Filleul du marquis ne nous montre pas de tels exemples, et nous pouvons être tout entiers à la lecture de ce récit, certains de ne pas être arrêtés par des inventaires ou des budgets de ménage.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.