Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/14

CHAPITRE XIV
JURIDICTIONS. — ADMINISTRATION.


Prévoté. — bailliage. — C’est à dessein que nous rangeons sous un même titre ces deux juridictions, parce que, après avoir été séparées d’abord, elles ont été longtemps de fait, puis définitivement de droit, réunies à Dourdan dans la même main.

La prévôté y était fort ancienne. Les premiers Capétiens eurent à Dourdan un prévôt (præpositus), comme tout seigneur en avait alors un dans chacun de ses domaines. Ce préposé représentait le maître, rendait la justice ordinaire et levait les impôts. Il tenait sa charge à ferme ; de là en général ses exigences et son impopularité[1]. Nous avons vu une commission donnée, dès 1116, par Louis le Gros à son prévôt royal de Dourdan, et le lecteur se rappelle les comptes de la prévôté de Dourdan pour l’an 1202, que nous avons cités au règne de Philippe-Auguste. Comme intermédiaire entre le prévôt et « la cour royale » où le souverain, assisté de ses grands vassaux, jugeait les causes importantes, apparut un autre délégué, le bailli. Partant pour la Palestine en 1191, Philippe-Auguste, dans son règlement pour l’administration du royaume, déclare qu’il a, dans certaines provinces, établi des baillis qui devront tenir leurs assises un jour par mois, entendre tous les plaignants, juger sans délai, évoquer les affaires concernant le roi et sa justice et tenir un rôle spécial des profits du roi. Le nombre de ces baillis ne s’élevait guère alors qu’à quatre. Étampes en avait un et c’est du bailli d’Étampes, Hugues de Gravelle, que relève la prévôté de Dourdan dans le compte de 1202. C’est lui qui établit le compte de la recette et de la dépense pour cette ville du domaine royal qui devait avoir un jour elle-même son bailli.

Saint Louis multiplia les baillis dont le chiffre atteint 17 sous son règne. Dourdan n’eut pas encore le sien. C’est le bailli d’Orléans, Johannes Jaucus, qui inscrit dans le compte de 1234, dont nous avons parlé en son lieu, la recette des grains de Dourdan et la dépense de ses travaux. Au compte de 1285, pour la reine Marguerite, alors usufruitière de Dourdan, c’est toujours de prévôté qu’il s’agit. C’est la préuosté de Dourdan que donne en 1307 Philippe le Bel à son frère Louis d’Évreux. Il est bien constant que le bailliage ne remonte pas à Dourdan au delà du xive siècle, en dépit des auteurs complaisants qui en font honneur à Hugues-Capet sans se soucier de savoir s’il y avait alors ou non des baillis.

C’est Louis d’Évreux qui demanda, suivant toute apparence, l’érection de Dourdan en bailliage, vers 1310, à moins que ce ne soit son fils Charles qui l’ait obtenue en 1327, en même temps que l’érection de sa baronnie d’Étampes en comté, car dès l’année 1329 figure un bailli à Dourdan, et depuis cette époque la liste des baillis de Dourdan nous est fournie d’une manière assez complète par des actes publics ou des titres particuliers que de Lescornay a vus et dont beaucoup ont été dépouillés par nous. C’est déjà pour le bailliage de Dourdan un brevet d’ancienneté fort honorable, et quand on considère le peu d’étendue de son ressort et le grand nombre de villes plus considérables longtemps privées de bailliage, on a tout lieu de penser que l’ancien village du domaine royal fut en cela privilégié de ses maîtres. Ce qui ajoute de l’importance au bailliage de Dourdan, c’est la coutume spéciale qui le régit de tout temps, une de ces coutumes qu’on appelait souchères et que nous avons vu rédiger et confirmer solennellement au xvie siècle.

Le prévôt n’en continua pas moins ses fonctions de juge ordinaire en matière civile, statuant en première instance ou souverainement sur les affaires entre roturiers, que le bailli n’attirait point à lui. La prévôté de Dourdan avait son sceau spécial. Ce sceau fait partie de la collection des archives de l’Empire, sous le no 4796, pour l’année 1333. Il est accompagné de trois contre-sceaux[2]. On se souvient que, dès 1190, un aveu de Messire Berthault Cocalogon propriétaire de droits seigneuriaux à Dourdan, avait été passé sous les sceaux de la prévôté de Dourdan.

Le bailli eut d’abord dans son ressort toute l’intendance des armes, de la justice et des finances. C’est ainsi que nous voyons à Dourdan les sentences des baillis s’appliquer indifféremment à ces trois ordres d’administration. Personnage judiciaire, le bailli relevait du parlement ; c’était là qu’on appelait de ses sentences. Personnage militaire, le bailli avait la convocation et la conduite de l’arrière-ban. Personnage financier, il devint quelquefois fermier. Le rôle militaire absorba le plus souvent les autres, et l’étude des lois se compliquant, le bailli, homme d’épée, devint juge médiocre. Charles VI, par une ordonnance du 27 mai 1413, lui permit de prendre des lieutenants ; Charles VII en fixa le nombre à deux, l’un général, l’autre particulier. Louis XII, en 1498, voulut obliger les baillis à prendre leurs grades ; c’est ainsi que les baillis de Dourdan Gervais Chalas, Simon le Doyen, Tristan et Girard le Charron, sont qualifiés en tête de leurs actes de docteur ou licencié ès loix. Enfin Charles IX, aux États de 1560, décida qu’à l’avenir tous les baillis seraient de robe courte et seraient dits d’épée. Le lieutenant-général devenait de fait le grand juge, et si le bailli conservait le privilége que la justice fût rendue et que les actes fussent intitulés en son nom, s’il gardait le droit de présider à son gré à tous les jugements, c’était à la condition de ne point opiner. Girard le Charron, mort en 1582, fut à Dourdan le dernier bailli de robe longue. Après lui, Pierre Boudon fut pourvu de l’office de lieutenant-général, tandis que Hurault, sieur de Vauluisant, devenait bailli d’épée.

Cette distinction s’est toujours conservée à Dourdan pendant les xviie et xviiie siècles ; mais les deux charges étaient loin d’avoir en pratique la même valeur. Celle de bailli d’épée, qui ne pouvait être donnée qu’à un gentilhomme, fut le plus souvent un titre honorifique recherché par quelque personnage notable de la contrée et accordé sinon vendu comme une faveur. Trois des membres de l’illustre famille de l’Hopital Sainte-Mesme, dont la seigneurie était enclavée dans celle de Dourdan et en absorbait presque le territoire, furent tour à tour baillis de Dourdan au xviie siècle, et on ne peut guère ouvrir un acte civil ou judiciaire de cette époque sans trouver en tête leur nom. Nicolas de Bautru, l’ami de Louis XIII, avait aussi joui du même titre. Au commencement du xviiie siècle, le marquis d’Effiat, le poëte Regnard, seigneur de Grillon, et Michel Lévy, grand propriétaire du pays, se transmirent la charge. Mais depuis la mort de ce dernier, c’est-à-dire depuis 1738 jusqu’en 1787, pendant l’espace de cinquante ans, la place demeura vacante et le lieutenant-général s’intitula dans tous les actes garde scel du bailliage attendu le décès de Monsieur le Bailli. Dourdan reprit néanmoins son bailli d’épée aux dernières heures de l’ancien régime et envoya sous ce titre, comme représentant aux États Généraux de 1789, le prince de Broglie de Rével, beau-frère du marquis de Verteillac.

La charge de lieutenant-général, laborieuse mission qui avait été dévolue à Pierre Boudon, en 1585, pendant les années troublées et malheureuses de la Ligue, fut exercée par lui durant quarante-cinq ans, sous Henri IV et Louis XIII, et reprise par son gendre Julien Guyot. En 1639, elle fut confiée, pour n’en plus sortir pendant un siècle et demi, à une très-honorable et très-ancienne famille du pays dont cinq membres portèrent successivement sur ce premier siége de magistrature un dévouement héréditaire. Cette famille, alliée aux plus nobles et aux plus antiques maisons de Dourdan (aux Lucas, les bienfaiteurs de l’Église au xve siècle ; aux Boutet, ces descendants du fameux privilégié de Chalo Saint-Mards, Eudes-le-maire ; aux Gouin, aux Le Roux, aux Pelault, ces administrateurs de Dourdan au xvie siècle ; aux de Lescornay que nos lecteurs connaissent bien ; aux d’Hémery, aux Saint-Pol, etc.), n’est point oubliée de la génération actuelle, et Dourdan aime à enregistrer dans ses annales les bons et loyaux services de Richard le Boistel, lieutenant-général pendant plus de cinquante ans, des deux Pierre Vedye qui siégèrent l’un après l’autre durant soixante-deux années, des deux Messieurs Roger qui eurent à lutter dans de tristes jours contre tous les assauts précurseurs de la crise qui les renversa[3].

La prévôté avait toujours, jusqu’au xviie siècle, existé à Dourdan à côté du bailliage et formé un premier degré de juridiction, dont les appels se portaient devant le lieutenant-général. En pratique, il y avait eu parfois des lacunes dans l’ordre de succession des prévôts, et le bailli ou son lieutenant, cumulant deux charges, avaient été quelquefois dits gardes du scel de la prévôté. La chose se généralisa, se régularisa en quelque sorte en octobre 1661. Anne d’Autriche, ayant alors démembré du comté de Dourdan la paroisse de Sermaise en faveur de Guillaume de Lamoignon, premier président en la cour du parlement, seigneur de Saint-Chéron, Bâville, etc., mit pour condition que les officiers du bailliage de Dourdan, qui perdaient quelque chose à cet amoindrissement du ressort, seraient dédommagés d’un autre côté. C’est alors que le premier président de Lamoignon donna, comme indemnité, à M. Vedye, lieutenant-général au bailliage, la charge et office de prévôt de Dourdan, et aux autres officiers du bailliage les diverses commissions de la prévôté. C’était en réalité une bonne mesure : supprimer un degré de juridiction, c’était supprimer pour les parties délais et dépens. Ce n’était toutefois pas l’affaire des procureurs et des gens de chicane, et les ducs d’Orléans durent à plusieurs reprises entendre des plaintes contre cette prétendue irrégularité. Ils finirent par désirer la sanction royale pour un état de choses qui présentait de véritables avantages et qu’ils avaient déjà établi dans d’autres villes de leur apanage, comme Romorantin et Beaugency. Louis XV, par un édit de février 1744, prononça la réunion définitive de la prévôté au bailliage dans la ville de Dourdan.

Le même édit unit les charges de lieutenant-général civil, de lieutenant criminel, de lieutenant-général de police[4] et de commissaire enquêteur et examinateur en un seul corps d’office et sous une seule et même lettre de provision ; ainsi que celles de procureur du roi du bailliage et de la police, en sorte que, à l’époque où notre histoire est arrivée, c’est-à-dire sous l’administration des ducs d’Orléans, le bailliage de Dourdan se compose : d’un bailli d’épée, — d’un président[5], — d’un lieutenant-général civil, criminel et de police, commissaire enquêteur et examinateur, — d’un lieutenant-général d’épée, — d’un lieutenant particulier civil et assesseur criminel, — d’un avocat du roi, — d’un procureur du roi, — d’un substitut du procureur du roi, — d’un commissaire de police, — d’un greffier en chef, — de trois notaires royaux et d’un tabellion[6], — de six procureurs qui le sont aussi des autres juridictions, — de quatre huissiers audienciers, — de quatre sergents royaux.

Jouissant d’une coutume spéciale, le bailliage ressortit nuement et sans moyen au parlement de Paris, à l’exception des cas de l’édit dont les appels se portent au Présidial de Chartres.

Son ressort[7], primitivement beaucoup plus considérable, comme on a pu s’en convaincre par les prétentions élevées lors de la rédaction des coutumes, est singulièrement amoindri, car il est réduit, pour première instance des cas ordinaires, à la ville de Dourdan et à la paroisse voisine des Granges-le-Roi, et pour les appels sans contestation aux seules paroisses de Roinville, Sainte-Mesme et à cinq hameaux qui ont bailliage ou mairie. Il y a contestation pour les paroisses de Corbreuse, Chantignonville, Sainville, Richarville, le Val et les justices particulières du Plessis-Saint-Benoît qui relèvent leurs appels, suivant l’inclination des parties, soit au bailliage de Dourdan, soit à ceux d’Orléans, Étampes, Montfort, etc., sous prétexte qu’il n’y a pas eu de décisions prises à leur égard lors des réclamations produites devant les rédacteurs des coutumes[8]. Cette réduction de ressort s’est peu à peu consommée, pour la première instance, par l’établissement des justices seigneuriales dans les paroisses et même dans de simples hameaux, et pour les appels par l’érection en pairie du marquisat de Bâville, par l’établissement du bailliage seigneurial du comté de Rochefort et par l’ambition envahissante des bailliages d’Orléans et de Montfort. Le bailliage de Dourdan a conservé toutefois la connaissance des cas royaux sur les marquisat de Bâville, comté de Launay-Courson, baronnie de Saint-Yon, pairies relevant nuement du parlement de Paris, et la justice de Corbreuse relevant de la barre du chapitre de Notre-Dame de Paris.

Il y a aussi en titre un lieutenant de messieurs les maréchaux de France, juge du point d’honneur dans l’étendue du bailliage de Dourdan[9].

BAILLIS DE DOURDAN :
1329 Nicolas le Camus (exerçait en).
1363 Guillaume Langloys.
1367 Jean Noël.
1378 Jean Sainse.
1395 Jean Davy — qui fut aussi bailli d’Étampes et chancelier du duc d’Orléans.
1400 Martin Gouge.
1402 Jumain le Febure.
1430  — Girard le Coq.
1439 Jean Desmazis — qui fut aussi bailli d’Étampes et gouverneur de toute la contrée.
1463 Philippe Guérin — grand pannetier de France et seigneur du Bréau Sannapes.
1473 Jean le Moyne.
1479 Jean Coignet.
1480 Gervais Chalas.
1498  Jean Belin.
1502 Simon le Doyen.
1535 Antoine Daubours.
1537 Tristan le Charron.
1577 Girard le Charron — dernier bailli de robe longue.
BAILLIS D’ÉPÉE :
1589  Hurault — seigneur de Vauluisant.
1604  Anne de l’Hopital Sainte-Mesme.
1634 Nicolas de Bautru.
1671  Anne de l’Hopital Sainte-Mesme.
1688 Guillaume François de l’Hopital.
1705 Antoine Ruzé, marquis d’Effiat.
1708 Jean François Regnard — le poëte.
1714  — Michel Jacques Lévy.
1736 Vacance indiquée sur les titres par ces mots : à cause du décès de M. le Bailli.
1789 De Broglie de Revel — prince du Saint-Empire.
LIEUTENANTS-GÉNÉRAUX AU BAILLIAGE :
1585 Pierre Boudon.
1630 Julien Guyot — son gendre.
1639 Richard le Boistel.
1696 Pierre Vedye — petit-neveu du précédent.
1733 Pierre Vedye — officier au régiment de Provence, fils du précédent.
1758 François Henri Roger — gendre du précédent.
1787 Pierre Vedye Roger — fils du précédent.

Gouvernement de la ville et du chateau. — A côté du bailli nous devons placer un autre personnage, uniquement militaire cette fois, qui tantôt ne fait qu’un avec le bailli, tantôt est distinct de lui. De tout temps, il y a eu quelqu’un chargé de la garde du château sous le nom de capitaine, et ce capitaine, étendant son titre, prit le plus souvent le nom de gouverneur de la ville et du château. Bien que ce titre ait toujours été conféré à des personnes de distinction, le bailli d’épée et le corps du bailliage ont toujours prétendu précéder, lors des cérémonies publiques, ces capitaines du château.

Nos lecteurs n’ont point oublié Jean Desmazis, le bailli vendu aux Anglais, qui prit en 1428 le titre de gouverneur et capitaine de Dourdan ; — le malheureux capitaine Jehan de Gapaume livré aux Anglais par les siens en 1442 ; — Louis de Vendôme, prince de Chabanais, qui céda sa capitainerie, en 1522, au sieur de Montgommery, seigneur de Lorges ; — le comte de Choisy qui rendit la ville aux Huguenots en 1567[10] ; — Louis de l’Hôpital Vitry qui se retira en 1589 par scrupule de conscience devant Henri IV ; — le fameux capitaine Jacques nommé par la Ligue et héros malheureux du glorieux siége de 1591 ; — Monsieur de Garantières qui fut chargé de pacifier le pays ; — Monsieur du Marais le bon gouverneur de 1616 ; — Monsieur de Buy qui remplaçait son père ; — Monsieur de Montbazon, le chevalier d’honneur de Marie de Médicis ; — Nicolas de Bautru, comte de Nogent, l’ami de Louis XIII.

De Bautru avait obtenu du comte de Montbazon ce titre de gouverneur à la condition que la charge reviendrait après lui aux Montbazon. La condition fut remplie : par provision royale du 26 septembre 1661, Louis de Rohan, prince de Guéménée, duc de Montbazon, pair et grand veneur de France, fut nommé capitaine et gouverneur de Dourdan et prêta son serment ; mais satisfait du titre il « donna au sieur Jean de Lescornay, écuyer, seigneur de Fortin[11], conseiller, maistre d’hostel ordinaire du Roy, commissaire ordinaire de ses guerres et capitaine de ses chasses et plaisirs dans l’étendue du présidial de Saint-Pierre-le-Moutier, à cause de sa fidélité et de ses services, la lieutenance ès dites capitainerie et gouvernement de la ville, chasteau et comté de Dourdan, pour l’y représenter et agir comme s’il était présent, vacquer à la garde, défense et tuition desdits ville, chasteau et comté, et pour avoir plus de moyens de s’en bien acquitter, tous les fruits, profits, émoluments, gages, droits, prérogatives, priviléges y attachés[12]. »

Les comptes de l’ordinaire pour l’année 1646 nous apprennent qu’en fait de profits, Monsieur de Bautru avait, comme gouverneur, une gratification de 25 livres et 30 cordes de bois de la forêt. Le prince de Guéménée prend soin de se réserver le bois. Nous ignorons quel pouvait être le grand bénéfice du sieur de Lescornay. Le logement dans le château, presque abandonné alors, n’avait guère de quoi le séduire ; désirant toutefois en prendre possession, il eut soin de demander au bailli un procès-verbal de l’état des lieux, « pour ne répondre que de ce qui s’y sera trouvé. » L’état des meubles ne fut pas long à faire, Monsieur de Bautru avait emporté jusqu’au dernier.

Les baillis qui se succédèrent à Dourdan aux xviie et xviiie siècles revendiquèrent en général ce titre d’honneur. Les l’Hopital Sainte-Mesme, le marquis d’Effiat, s’intitulent gouverneur de la ville, château et comté de Dourdan ; — Regnard, le poëte, porte le nom de capitaine du château ; — Michel Lévy, fils de Jacques, le grand bailli, a celui de gouverneur et capitaine du château ; — le duc d’Orléans prend lui-même le titre de seigneur et gouverneur de Dourdan ; — le comte de Verteillac, grand sénéchal et gouverneur du Périgord, est dit gouverneur de la ville et château de Dourdan ; — le duc de Tresme est désigné de la même façon et prime tous les officiers du bailliage sur les almanachs royaux (1773-1786) ; — le comte de Verteillac, le fils, se contente à la même époque d’être qualifié capitaine et concierge du château (1773). Ce n’était pas la première fois que de nobles personnages acceptaient cette fonction : « Soubs chacun des capitaines, dit de Lescornay, il y auoit encore un concierge qui auoit la charge de la porte et des prisons qui estoient dans le chasteau, aucuns desquels se trouuent qualifiez gentils-hommes et escuyers. » Le compte de 1646 nous apprend que Jacques de Lescornay était « propriétaire de l’office de concierge du château » et la somme de 100 livres lui est allouée à ce titre.

On peut voir à la bibliothèque de l’Arsenal, à Paris, sur une charmante aquarelle ou lavis qui fait partie du curieux album de paysages exécutés dans nos environs par le marquis d’Argenson, chancelier du duc d’Orléans, une fidèle représentation de la belle maison dite du Parterre construite à Dourdan par Michel Lévy, acquise et habitée depuis 1738 par la famille de MM. de Verteillac, gouverneurs de Dourdan.

Dans un coin du dessin, le marquis d’Argenson a écrit de sa main : Gouvernement de Dourdan, avec la date 1753.

Corps de ville. — L’assemblée des habitans réunie « au son de la cloche, en la manière accoutumée, » devant l’auditoire ou l’église, en présence d’un notaire ; l’attroupement en plein air des notables, officiers, bourgeois, marchands, manants, composant comme on disait, « la partie la plus saine » des habitants et donnant leur avis pour les affaires d’intérêt commun, jouent plus d’une fois un rôle dans la suite de cette histoire, et le soin qu’on mettait à enregistrer les opinants nous a conservé les noms de nos pères à plus d’une époque, avec leurs délibérations pleines de patriotisme et de bon sens. Il y avait toutefois un homme, élu par l’ensemble des habitants, qui était comme le représentant, le chargé d’affaires de ses concitoyens ; c’était le syndic. La moindre paroisse rurale qui avait d’ailleurs, elle aussi, son assemblée d’habitants, avait un syndic. Avec les progrès toujours croissants de la centralisation administrative, la position du syndic, au xviie et surtout au xviiie siècle, devint insensiblement fort dépendante. Il est alors beaucoup plus l’homme du gouvernement que celui de la ville, et, bien qu’élu pour la forme, il n’est plus guère que l’agent du subdélégué de l’intendant pour les opérations de la milice, les travaux de l’État ou l’exécution des lois générales. C’est que l’assemblée des habitants elle-même, bien que convoquée en fait comme autrefois, a déjà perdu au fond toute son initiative et sa valeur. Nous l’avons constaté une fois de plus en étudiant dans ses détails l’administration de Dourdan sous Louis XIV et ses successeurs.

Au lieu du simple syndic qui suffisait à la paroisse ordinaire, les traditions, les besoins du service, la dignité, parfois l’amour-propre entraînaient, dans les villes importantes, toute une hiérarchie de fonctionnaires municipaux chargés, sous les noms de maire, d’échevins, etc., de gérer les affaires de la communauté et de la représenter dans les occasions solennelles. Les rois avaient exploité la chose, et la vente, devenue forcée, des offices municipaux constituait un des profits de leur trésor. La ville de Dourdan, en général, se contenta modestement d’un syndic, excepté à quelques époques du xvie, du xviie et du commencement du xviiie siècle, où, soit nécessité, soit convenance, elle fut décorée de ce qu’on appelait un corps de ville en règle.

C’est ainsi que nous avons rencontré sur notre route : Denis Boutet et Noël Boutet désignés dans un bail de la terre de Grillon, en 1565, deux des échevins dudit Dourdan ; — Denis Chardon, conseiller du roi, garde-note héréditaire, maire perpétuel de la ville et comté de Dourdan (1711). — Avant lui, Louis Guyot, maire perpétuel de ville et paroisse de Dourdan, et Benoît Michau, son lieutenant de maire dataient leurs actes : de notre chambre commune de l’hostel de ville (1706). Au corps de ville se rattachait la milice bourgeoise, sorte de garde nationale que nous voyons figurer à Dourdan en cas d’alerte ou de cérémonie (Te Deum pour la paix, 1749 — révolte des prisons, 1764, etc)[13]. Plus pratique que le reste du corps de ville, la milice bourgeoise dure plus longtemps et apparaît plus souvent à Dourdan que les maires et échevins. Claude Guerton, Léonard Dossonville sont désignés, l’un comme premier, l’autre comme second capitaine de bourgeoisie de la ville de Dourdan en 1697 ; — Jean Camus figure comme l’un des lieutenants de ladite bourgeoisie en 1710 et Paul Henry Flabbée en est le commandant en 1764. Aux solennités, la milice marche en quatre compagnies de 40 hommes chacune, ayant à leur tête leurs officiers et leurs drapeaux d’étoffe bleue et rouge avec croix blanche, portant aux coins les armes du duc d’Orléans et de la ville. Quatre tambours, deux hautbois et quatre violons les précèdent dans les grandes circonstances, et quatre hallebardiers aux livrées de la ville complètent l’escorte du maire ou du simple syndic.

Dourdan n’ayant ni octrois proprement dits, ni deniers patrimoniaux, une municipalité au grand complet était d’une médiocre utilité. Au commencement du xviiie siècle, on vit s’éteindre celle qu’on avait essayé d’établir, mais sans remboursement de finances pour ceux qui étaient pourvus des anciens offices. Plus d’une famille en fut alors pour ses frais et garda un mauvais souvenir de la mairie et de l’échevinage. Aussi les nouveaux offices créés par l’édit de novembre 1733 ne furent pas levés à Dourdan. La ville n’y gagna rien, bien au contraire. Pour tenir lieu de la finance de ces offices vis-à-vis du roi qui ne voulait rien perdre, il fut perçu à son profit, par arrêt du conseil du 20 décembre 1746, des droits d’octroi sous le nom de droits municipaux, à l’entrée des vins dans la ville. La perception de ces droits, au bout de trente ans, avait remboursé au quadruple le fonds des offices délaissés, et persistait toujours au détriment de la ville qui, privée de ce secours d’octroi, était entièrement dépavée et se voyait réduite à implorer la générosité du monarque pour obtenir une remise qu’elle sollicita vainement jusqu’à la veille de la révolution. On comprend que la question des offices municipaux fût peu populaire à Dourdan. C’est ainsi qu’en janvier 1750, à l’occasion de la réunion de ces offices, le subdélégué eut mille peines à décider la communauté des habitants de Dourdan à nommer, suivant l’usage, un homme vivant et mourant au roi. Peu s’en fallut que l’assemblée réunie à ce sujet ne se terminât par un acte de refus, c’est-à-dire de rébellion. Lorsqu’en 1772 le roi déclara par édit qu’il se réservait de pourvoir d’autorité aux offices négligés, le subdélégué, en indiquant à l’intendance les noms de quelques personnes en état d’être revêtues de ces charges forcées, ajoutait : « Le rétablissement des maires et échevins est fort peu du goût des Dourdanais. Les anciens se rappellent le peu d’utilité de ceux qui ont été jadis supprimés et de la perte des finances que leur famille a supportée. »

Toutefois les intendants ne comprenaient pas qu’une ville chef-lieu d’élection pût se contenter d’un syndic comme un simple village. Ils insistaient à chaque instant sur « l’indécence » de la chose et nous avons sous les yeux un long mémoire daté du 20 août 1762[14], qui est un projet complet de corps de ville, fort honorable à la vérité pour Dourdan, mais demeuré sans exécution.

Lorsque, aux derniers jours de l’ancien régime, Dourdan eut une municipalité, elle se composait en 1789 d’un maire en titre d’office, reçu depuis peu au bailliage, d’un syndic, de neuf membres choisis parmi les citoyens, de deux curés, sans échevins[15].

Nous parlerons ici des armoiries de la ville de Dourdan. Si nous ouvrons de Lescornay, qui avait pu recueillir les anciennes traditions à ce sujet, nous lisons, sans plus de détails : « Les armoiries de Dourdan sont trois pots et n’ay autre raison pourquoy elles ont été prises telles, sinon qu’anciennement il s’y en faisoit grande quantité, comme i’apprends par les vieux comptes du Domaine dans lesquels il y a article de recepte du droict qui appartenoit au Roy sur chacun four à cuire pots, joinct que dans le pays la terre propre à tel ouurage se trouue en abondance. »[16] Telle est, évidemment, l’origine de ces trois pots qui, en 1624, avaient une date immémoriale. Dans une petite note écrite sur Dourdan, au commencement du xviiie siècle, M. Vedye ajoute : « Les armoiries de la ville sont trois pots d’or en champ d’azur, deux et un. Quelques-uns ont joint trois fleurs de lis d’or et on les trouve des deux façons sur des monuments fort anciens. On en ignore l’origine ; il y a lieu de penser qu’elles sont venues du grand nombre de fours à pots qui étoient à Dourdan et aux environs. Il y a en France un ancien proverbe qui dit, en parlant d’un homme inepte : il est neuf comme les pots de Dourdan. »

Nous avons cherché vainement un de ces monuments anciens portant des armoiries. Elles ont sans doute disparu à la révolution[17]. D’après un croquis qui nous a été communiqué, l’ancienne forme adoptée pour la figure des pots de Dourdan aurait été celle d’une sorte de bouteille renflée, à goulot décoré d’une moulure et rappelant un peu les poteries romaines. Il est certain que la représentation ancienne des armoiries de Dourdan différait de celle usitée pendant le xviiie siècle, qui a fait des vieux pots de Dourdan trois élégants vases de fleurs à anses contournées. C’est de cette façon toute moderne que nous les voyons figurés sur le cartouche d’une carte manuscrite de l’élection de Dourdan, datée de 1743, et sur le sceau de la municipalité créée à Dourdan en 1789. Ce sceau, qu’il est rare de trouver intact, est ovale, de vingt-huit millimètres de hauteur : écu d’azur à trois vases de fleurs, à anses, deux et un, sous un chef de gueules à trois fleurs de lis en fasce ; timbré d’une couronne de perles et entouré de branches de laurier. Autour, ces mots : « Municipalité de Dourdan[18]. »

Nous avons retrouvé un dessin colorié, daté de 1790, qui a dû servir de modèle pour l’exécution de ce sceau ou, tout au moins, pour la fixation à cette époque des armoiries de Dourdan. Écu d’azur, pots d’argent, fleurs de lis d’or sur chef de gueules, couronne de perles, tout y est indiqué de la même manière. Au lieu de branches de laurier, ce sont des branches de lis rattachées par un ruban qui porte ces mots : « Liberté, loyauté, franchise. » Au-dessus du ruban on a écrit : « Néant pour le Ruban et la Devise. » Au-dessus de la couronne, on a esquissé au crayon une lance qui paraît soutenir le tout, et porte un noeud sur lequel se lit cette autre devise : « Ils sont de fer, » fière allusion aux pots de la fable, qui brisaient ceux qui les heurtaient.

Subdélégation. — Nous avons dit que Dourdan était chef-lieu d’une élection. L’élection était une circonscription administrative et fiscale qui correspondait à peu près à notre arrondissement moderne et formait une subdivision de la généralité. L’institution des généralités remonte à François Ier. La France était divisée en trente-deux généralités administrées par les Intendants.

L’élection de Dourdan, située, partie dans le Hurepoix, du gouvernement de l’Ile-de-France, partie dans la Beauce, du gouvernement de l’Orléanais, appartenait au diocèse de Chartres et à la généralité d’Orléans. Bornée par les élections de Paris, d’Étampes, de Pithiviers et de Chartres, elle avait, prétendaient nos pères, « la forme d’une raquette de paulme, » s’étendant vers Paris, se rétrécissant vers Orléans. Elle contenait soixante-sept paroisses, faisant ensemble environ six mille feux taillables, qu’on pouvait évaluer à 24,000 habitants (1753)[19].

Voici l’appréciation tout à la fois topographique et morale qui était faite de l’élection de Dourdan par un de ses administrateurs au milieu du xviiie siècle :

« La partie de cette élection qui est située dans le Hurepoix est coupée de montagnes et vallées qui renferment des terres à froments et seigles, plantées d’arbres fruitiers, de vignes et de bois. Les habitants de cette partie, à l’exception des laboureurs et artisans, sont, ou occupés aux travaux de la terre et vignes, ou bûcherons ; mais généralement, ils sont tous d’assez mauvais caractère, méchants, brouillons, braconniers et de mauvaise foi.

La partie qui est dans la Beauce ne contient que des terres à grains de différentes qualités et quelque peu de bois, dont la plus grande partie est nouvellement plantée. Les habitants, en général, sont laborieux mais peu industrieux, étant naturellement attachés aux anciens usages qu’ils ont reçus de leurs pères pour la culture des terres, la nourriture des bestiaux et les autres ouvrages de la campagne. Les hommes sont occupés aux travaux de la terre et quelques-uns aux apprêts des ouvrages de bonneterie de laine au tricot, qui fait l’occupation du plus grand nombre des femmes qui travaillent, partie pour les marchands de Dourdan, dans les paroisses qui en sont voisines, partie pour différents marchands de ce commerce qui y sont répandus. Ils sont généralement doux, bons, paisibles et tranquilles.

L’élection de Dourdan est une de celles du royaume qui, dans son peu d’étendue, renferme le plus de haute noblesse, et dans ses soixante-sept paroisses elle contient plus de trente châteaux possédés depuis le prince jusqu’au simple gentilhomme[20]. »

L’intendant, sorte de préfet, avait dans chaque élection un subdélégué qui le représentait et faisait en quelque façon les fonctions du sous-préfet actuel. Le subdélégué, qui se choisissait une personne de confiance pour lui servir de greffier, avait un rôle important. Il appartenait au pays, il connaissait la population et ses besoins ; il pouvait en être l’interprète auprès de l’intendant, haut personnage étranger à la contrée et trop souvent à ses intérêts. Dourdan eut heureusement pour subdélégués, pendant les difficiles années du xviiie siècle, des hommes consciencieux et dévoués. MM. Charles-Jouan, Boucher, Vedye, Henri Roger, cumulèrent la plupart du temps avec l’administration du bailliage cette mission délicate. Nous avons été à même de voir le zèle et l’ordre qu’apportaient ces deux derniers fonctionnaires dans leurs relations avec l’autorité supérieure. Leur famille a conservé d’énormes registres où, jour par jour, pendant cinquante ans, les laborieux subdélégués transcrivaient, en regard de leurs réponses, les nombreuses pièces de leur correspondance avec messieurs de Bouville (1723), de Baussan (1739), Pajot (1740), de Barantin (1747), de Cypierre (1760), intendants d’Orléans[21].

Dans le long dépouillement de cette correspondance, qui nous a fourni plus d’un renseignement local intéressant, nous avons touché du doigt et vu fonctionner en détail ce rouage si important de la subdélégation, rouage inventé par l’ancien régime quand il s’agit de créer la machine moderne de la centralisation administrative, rouage souvent décrit d’une manière générale, mais trop rarement étudié à fond.

Sans prétendre en aucune façon à cette étude, nous dirons que le subdélégué de Dourdan nous apparaît tout à la fois : comme agent actif et exécutif du gouvernement, donneur d’avis et commissaire enquêteur du contrôleur général, confident intime de l’intendant.

« Agent actif » de l’État : c’est lui qui, tenant sous sa main le syndic et le collecteur, veille à l’exécution de toutes les lois générales, édits journaliers, règlements spéciaux. L’impôt l’occupe chaque année pendant plusieurs mois. Il doit se trouver dans la paroisse de son élection que l’intendant a choisie pour y faire le « département. » Confection des rôles, choix et élection des collecteurs, plaintes des contribuables, réclamations des privilégiés, il fait, il entend, il transmet tout. A Dourdan c’est souvent l’occasion de luttes violentes, de cabales passionnées contre le subdélégué, en dépit du zèle avec lequel il prend les intérêts de la ville quand il s’agit d’obtenir « modération » de la taille, et de l’influence efficace que lui donne alors son honorable caractère.

La levée de la milice est une opération délicate qui offre toujours au subdélégué plus ou moins de difficultés. A Dourdan il y a beaucoup de jeunes gens privilégiés, c’est-à-dire exempts. En vertu des ordonnances royales du 30 octobre et du 20 décembre 1742, tout le fardeau retombe sur les petits marchands, artisans, hommes de travail et leurs enfants. En 1743, Dourdan qui renferme 550 feux fait comparaître au tirage 33 jeunes gens et doit fournir 5 miliciens sur les 90 qu’on demande pour l’élection. En 1747, on compte 70 garçons au-dessus de 16 ans ; 50 sont admis à tirer au sort et trois miliciens sont fournis. En 1762, le roi qui veut entretenir le pied de guerre complet, sans aggraver les charges de la milice, demande aux villes des recrues prises sur les mendiants et vagabonds. Il faut voir comme le sieur du Rocher, entrepreneur du recrutement, est secondé à Dourdan par les jeunes gens de la ville qui conduisent eux-mêmes à Orléans les pauvres diables engagés bon gré mal gré qu’il s’agit de faire agréer par l’intendant, sous peine de partir à leur place. Transport des miliciens, congé des miliciens, miliciens réfractaires ou déserteurs, circulaires, arrêts, ordonnances à ce sujet remplissent les cartons du subdélégué. Sans compter les transports d’effets militaires par corvée auxquels les habitants se prêtent toujours de très-mauvaise grâce, les passages de troupes ou de prisonniers de guerre très-fréquents alors et qui demandent beaucoup de précautions pour l’approvisionnement et la garde de l’étape ; témoin le séjour de 2,400 Hollandais à Saint-Arnould, le 20 mars 1746 : au lieu de voler et de brûler comme ailleurs, ils sont enchantés de leur réception et du subdélégué de Dourdan et les officiers votent des remercîments pour n’avoir payé que deux livres 15 sols par repas.

Les chemins sont aussi une matière à mémoires et à déplacements. Études, plans, devis, passent sous les yeux du subdélégué ; les ponts et chaussées sont un corps puissant qu’il faut ménager au moins autant que la gent corvéable qu’on ne ménage pas toujours et qui se plaint souvent et, vers la fin du siècle, s’insurge quelquefois. Griefs des conducteurs contre la corvée, de la corvée contre les conducteurs, de l’administration contre l’entrepreneur, de l’entrepreneur contre l’ingénieur, tout est transmis le plus souvent par les subdélégués. C’est une justice à rendre à ceux de Dourdan et principalement à M. Vedye, qu’ils ont beaucoup fait ou obtenu pour les routes qui environnent Dourdan et dont nous reparlerons ailleurs.

La santé publique tient une grande place dans les rapports de la subdélégation. Les maladies épidémiques, les soins donnés en ce cas aux malades, les honoraires des médecins, les médicaments et les bouillons fournis parl’État, tout est rigoureusement enregistré. C’est le subdélégué de Dourdan qui donne un certificat de 80 saignées et de 150 émétiques administrés pendant les épidémies de Sermaise et de Roinville en 1752 ; c’est lui qui fixe à 12 livres chacun des 67 voyages faits par les chirurgiens de Dourdan aux malades de Guillerval et de Monnerville en 1755, et à 5 livres les visites faites à Corbreuse pendant l’épidémie de 1756. Maintes questions lui sont adressées à ce propos, et l’État, qui commence à se mêler de tout, envoie au subdélégué, qui est obligé d’en accuser réception, des recettes médicales à l’usage de ses administrés : annonce d’un nouveau sel remplaçant avantageusement le sel de Glauber ; — formule d’une poudre contre la rage, faite de racine d’églantier arrachée avant la Saint-Jean « du côté du soleil levant » et incorporée dans une omelette ; — méthode de secours aux noyés consistant à les rouler dans un tonneau percé par les deux bouts ; — boîtes « du docteur Helvetius » accordées comme une faveur chaque année et à tour de rôle aux paroisses de l’élection ; — ce n’est là qu’un échantillon de ce que nous avons sous les yeux. Les maladies des bêtes à corne dans la contrée, en 1746 et 1747, les prétendus empoisonnements de bestiaux, etc., remplissent des centaines de lettres, et l’exprès fait deux fois le chemin de Dourdan à Orléans pour un cheval morveux ou une vache mal enterrée.

Nous ne parlons pas ici des rapports détaillés et quotidiens sur les subsistances, les récoltes, les marchés, le prix du blé ; nous aurons occasion, en traitant du marché aux grains, de voir à l’œuvre le subdélégué de Dourdan. — Nous omettons aussi ce qui a trait à la charité officielle, secours, envois de riz, etc. Le chapitre de l’hospice contient à ce sujet quelques renseignements. Disons seulement que la misère, affreuse à Dourdan vers la fin du xviiie siècle, trouva dans M. Roger un avocat plein de cœur et, comme on disait alors, de « vraie sensibilité. »

« Donneur d’avis, » commissaire enquêteur, le subdélégué répond aux incessantes questions qui lui sont posées par le ministère, et on ne se figure pas ce qui pouvait passer par la tête d’un contrôleur général, actif et universel comme l’était par exemple un M. Orry. Les papiers s’égarant facilement dans les bureaux, le même renseignement est souvent deux ou trois fois redemandé. Il faut dire, à toute heure, comment le blé est semé, comment il lève, comment il pousse ; — si on fume, si on marne, si on défriche ; — si on plante des mûriers blancs ; — si on fait bien le miel, comment on tond la laine, comment on tanne les peaux ; — le procédé employé dans telle industrie, la méthode qu’on pourrait imaginer pour telle autre ; — la dette de tel corps d’État, quand on a vingt fois certifié qu’il n’y en a chez aucun ; — s’il y a des jeunes gens de bonne mine dans les familles nobles de campagne pour en faire des pages au roi ou à monseigneur ; — si les couvents ont de belles chartes pour les archives ; — si l’on a trouvé dans la monnaie de bonnes pièces pour la collection du roi ; — si on veut des billets de loterie, etc. Le tout accompagné de tableaux et d’états à remplir, avec instructions multipliées qui finissent par fatiguer la patiente administration de Dourdan et lui arrachent cette réponse de mauvaise humeur : que depuis le temps qu’on demande des tableaux, on commence à savoir les faire. Quand les gazettes deviennent à la mode et que le gouvernement veut y mettre la main et intéresser ses abonnés, c’est au subdélégué qu’on demande les faits divers et les petites nouvelles, et, comme il n’arrive en général à Dourdan rien de bien extraordinaire, le subdélégué a le regret de n’avoir rien à envoyer, et c’est avec plaisir qu’il saisit l’occasion d’une histoire de chasse ou d’une aventure de sa fermière, comme nos lecteurs ont pu en voir. Toutefois, à mesure que le siècle marche et que la fermentation s’opère, le langage des subdélégués change de ton. D’avertisseurs passifs et respectueux ils deviennent parfois des conseillers sévères ou même des censeurs indépendants. Ils ne dissimulent pas certains dangers, ils ne cachent pas certaines inquiétudes, ils ne reculent pas devant certains mots. Le terme de « Républicain » est déjà sous leur plume bien avant que le trône se croie menacé. Pour nous, la transformation est très-sensible.

« Confident de l’intendant, » le subdélégué est son correspondant intime et, en général, à Dourdan, son ami. A quelques rares exceptions près, le subdélégué de Dourdan supprime le Monseigneur quand il écrit. C’est chez lui que l’intendant descend et loge quand il vient, et cette modeste hospitalité est vingt fois par an l’occasion d’offres, d’excuses, de remercîments sans nombre. Il y a souvent échange de lettres confidentielles. Si la Dauphine passe par Étampes en 1745, le subdélégué a sa conduite diplomatique tracée ; si le prince Édouard Stuart vient coucher huit jours à Rochefort, chez le prince de Montauban, en octobre 1747, et revient souvent chasser incognito pendant l’hiver, l’intendant écrit au subdélégué qui lui demande ses instructions : « Allez faire votre cour et, sans le faire paraître, faites comprendre que je suis bien aise d’être agréable. » Le subdélégué ne se fait pas faute d’esquisser, au besoin, devant l’intendant, le portrait de ses collègues ou de ses concitoyens : « le curé est une tête, le lieutenant un ancien dissipateur ; » les bourgeois sont « un tas d’écrivailleurs, » toujours prêts à faire des mémoires contre l’administration ; la population elle-même est « très-ingrate, ce qui n’empêche pas d’avoir pour elle des entrailles de père. » L’intendant accueille avec bénignité les justifications que le subdélégué se croit obligé de rédiger en face de ses détracteurs, et lui offre des consolations philosophiques. Quand il y a moyen d’accorder quelque cent livres de gratification à son subdélégué, ou quelque modération de sa taxe, l’intendant ne le néglige pas. Aussi, il reçoit des épîtres de bonne année, ou, s’il perd sa femme, des lettres de condoléance fort touchantes, et le subdélégué a maintes complaisances que l’intendant accepte ou provoque volontiers. C’est au subdélégué qu’il s’adresse pour avoir un bon pâté ou de belles écrevisses pour la fête de sa fille, ou un panier de gibier pour un confrère ; à lui qu’il demande de la graine d’œillets, « pour lesquels le pays est, dit-on, fort bon. » C’est lui qu’il prie de chercher une maison de campagne pour un ami, ou de faire faire ses bas de soie au métier par les ouvriers de Dourdan. « Ils sont chers, mais ils sont si bons ; je vous en envoie six paires au lieu de trois ; madame l’intendante grondera, » — « Mille grâces. Je vous ferai passer la somme par monsieur un tel, à moins que vous n’aimiez mieux venir à Orléans, que je vous la gagne au piquet. » Charmants rapports, comme l’on voit ; curieuse étude de mœurs qui amusera peut être le lecteur, si elle ne l’instruit pas.

Élection. — C’était, à proprement parler, le tribunal où les élus rendaient leur justice et où se jugeaient en première instance les différends sur les tailles et les impôts, à l’exception des gabelles et des domaines du roi. Quand le roi avait, dans son conseil, arrêté le chiffre de la taille et de ses accessoires, réparti la somme totale entre les généralités, fixé le moins imposé, et fait connaître à chaque intendant la quote-part de sa province, l’intendant répartissait entre les élections, les élus entre les paroisses, et dans la paroisse, des collecteurs nommés à tour de rôle étaient tenus de percevoir, à leurs risques et périls, la somme portée au brevet.

En 1557, à la demande du duc de Guise, l’élection de Dourdan fut augmentée d’un bureau de recette et un office de receveur fut créé par lettres patentes. Jusque là les collecteurs des paroisses portaient leurs deniers au bureau de Chartres. L’élection de Dourdan ne dépendait pourtant aucunement de celle de Chartres, car elle recevait ses mandements particuliers pour les tailles, faisait ses départements et jugeait tout comme celle de Chartres. Son administration se composait d’un président, un lieutenant, deux élus, un procureur du roi, deux receveurs des tailles, un greffier en chef et deux huissiers audienciers[22].

N’oublions pas les « collecteurs. » Les collecteurs n’étaient pas des officiers, des fonctionnaires proprement dits, c’étaient des habitants, des citoyens comme les autres, choisis d’office et à tour de rôle, et qui étaient, à beaucoup d’égards, fort à plaindre. Pris parmi les individus honorables et solvables de la paroisse ou de la ville, ils avaient la mission délicate de la répartition et de la perception de la taille. On comprend, à première vue, le difficile, l’odieux même du rôle, les susceptibilités, les rancunes, les accusations de partialité, les ennuis sans nombre que suscitait au pauvre collecteur un mandat qui faisait de lui un homme puissant, il est vrai, mais presque toujours suspect et fort souvent ruiné. Quand le tableau des collecteurs était fait par le syndic et les collecteurs en charge, il était affiché à la porte de l’église Saint-Germain et la cloche convoquait les habitants. « L’approbation ou l’acte de refus » étaient déposés au greffe de l’élection avant le 1er octobre de chaque année et, sur réquisitoire du procureur du roi, il était procédé à la « condamnation » des collecteurs.

La généralité d’Orléans était toujours plus chargée que les autres comme impôt ; on savait que les laboureurs tiraient du numéraire de la vente de leurs grains pour Paris, et on s’arrangeait de façon à le leur faire rendre. La ville de Dourdan n’avait pas les ressources de la culture, tous les malheurs passés avaient apauvri ses habitants, et son commerce de bas, un instant très-florissant, tombait chaque jour en décadence ; elle avait souvent bien de la peine à payer la taille et surtout ses accessoires et tous les impôts qui s’y ajoutaient. Nous avons vu, sous Louis XIII, de Lescornay apitoyer M. de Bautru sur « la somme excessive à laquelle la ville de Dourdan était taxée par le conseil pour la taille, à cause de quoy elle se dépeuploit de jour à autre, » et lui montrer « par les roolles des tailles que de huit cents qui y estoient compris il y en avoit 450 si misérables qu’ils n’estoient taxez chacun qu’à un double, un sol, deux sols, et ainsi en montant jusqu’à vingt sols, et que toutes leurs taxes ensemble ne reuenoient qu’à huit vingts livres, qui faisoient que la ville n’en estoit gueres soulagée et qu’en effect toute la taille n’estoit payée que par un petit nombre qui ne pouuoit plus subsister. » Le collecteur reçut 200 livres de la générosité du roi en l’acquit de ces pauvres gens.

Le règne de Louis XIV, avec son faste et ses guerres, fut loin d’alléger le fardeau, et Dourdan, qui avait peine à suffire à la taille, en maudissait les accessoires motivés par de coûteuses campagnes : « Ustensiles, supplément de fourrage, habillement, état-major de milice, etc. » Cependant, le chiffre devait toujours grossir ; en 1698, l’élection de Dourdan tout entière avait dû payer 82,802 livres de taille[23] ; juste cinquante ans après, en 1748, elle en payait 142,532. Ce qui rendait la taille plus odieuse et plus lourde, c’était l’inégalité, l’arbitraire complet de sa répartition. En 1732, le subdélégué de Dourdan recevait du contrôleur général et de l’intendant des lettres qui signalaient cet abus d’une manière sanglante et invitaient à y porter remède[24]. M. Vedye, qui entrait alors en charge à Dourdan, mit tout en œuvre pour donner une base rationnelle et équitable à une opération qui n’en avait pas d’autre que le caprice. Il eut à soutenir une véritable lutte contre une partie de la population, aux intérêts de laquelle il se dévouait en dépit d’elle, et les malveillances, les calomnies, les délations qu’il dut subir éclatent dans toutes les pièces que nous avons sous les yeux. Il s’agissait de donner à la terre, à ses produits, une évaluation raisonnée, de rechercher les rapports de la propriété et du revenu, d’adapter la charge aux ressources de l’industrie et du commerce, d’obtenir que la consommation et la valeur des fonds en général, discutées contradictoirement entre les maîtres dans le sein de chaque communauté, fussent révélées et utilisées pour la fixation de chaque état. Ce système de rôle proportionnel et tarifé, longtemps combattu, ne prévalut à Dourdan qu’en 1747. Nous en donnons à la fin de ce volume quelques extraits qui nous ont paru intéressants pour l’étude à la fois générale et locale[25].

Maitrise des eaux et forêts. — Unie au bailliage jusqu’à Philippe de Valois, la justice des eaux et forêts eut son administration spéciale à dater de cette époque. Le maître particulier qui fut alors pourvu pour les pays de France, Brie et Champagne, établit un siége à Dourdan, comme il le fit dans chacun des bailliages de ces provinces, et il y commit un lieutenant pour connaître des différends qui naîtraient en son absence. L’édit de 1554 crée des maîtres dans chacun des bailliages, Dourdan a le sien. Sa juridiction s’étend fort loin, elle est du département de l’Ile-de-France et du ressort du siége de la table de marbre de Paris. Elle se compose d’un maître particulier, d’un lieutenant, d’un garde-marteau, d’un procureur du roi, d’un greffier en chef, de deux huissiers audienciers, d’un receveur des amendes, de deux arpenteurs et quatre gardes. Nous les avons vus à l’œuvre dans le chapitre précédent.

Parmi les personnes de distinction qui furent revêtues, à Dourdan, de ces charges estimées comme très-honorables parce qu’elles touchaient au domaine royal, nous citerons comme maîtres particuliers : Anne de l’Hôpital Sainte-Mesme (1680), — Charles Jouan (1736), — Jacques Raymond, marquis de l’Hôpital, comte de Sainte-Mesme (1760), — Odile de Pommereuil (1761-1783), — Sénéchau (1783). — Comme lieutenants : André Le Roux (1612), — le poëte Regnard 1709, — Thomas de Lescornay, écuyer, sieur du Mont (1718), — Jean Raphaël Curé (1758), — Étienne Mathis (1777), — Carrey (1783), — Chavanne (1786), etc.

Capitainerie des chasses. — La chasse a de tout temps attiré les souverains à Dourdan ; elle a fait souvent l’honneur ou la fortune de ce royal rendez-vous, elle a été parfois sa ruine. De tout temps on a gardé avec un soin jaloux le gibier du maître, et jadis les gardiens ont quelquefois été pour le pays presque aussi malfaisants que la bête fauve ou la garenne. Nous n’avons pas besoin de rappeler les doléances répétées et amères du pauvre paysan de Dourdan contre « la chasse de ladite forêt et la gent établie pour garder icelle. »

De toutes les servitudes de la terre au moyen âge, il n’y en avait peut-être pas de plus dure que ce droit exclusif dont jouissait le seigneur et que le laboureur payait de son pain. Un capitaine et son lieutenant veillaient, à Dourdan, à l’intégrité de la chasse royale. Si tous les rois avaient ressemblé à Louis XIII, Dourdan ne s’en serait pas plaint. D’autres faveurs compensaient alors largement cet abus du bon plaisir. Mais le grand règne amena l’abandon de Dourdan, le souverain n’y vint pas chasser[26] ; la capitainerie sembla d’autant plus onéreuse qu’elle était inutile. Louis XIV la supprima.

La déclaration du 12 octobre 1699 qui réduit le nombre des capitaineries des chasses et restreint le pouvoir des gouverneurs sur les terrains fixés pour leurs plaisirs, la déclaration du 27 juillet 1701 qui en est le complément et concerne spécialement les capitaineries de l’apanage du duc d’Orléans, abolissent, en même temps que d’autres, la capitainerie de Dourdan, et le ton libéral de l’édit semble déjà une concession à l’esprit nouveau[27].

Il était impossible toutefois de laisser sans aucune protection une chasse princière ; le duc d’Orléans créa un conservateur particulier dans l’étendue du comté de Dourdan. César-Pierre de La Brousse, comte de Verteillac, capitaine au régiment de Penthièvre cavalerie, fut pourvu de cet office. M. Odile de Pommereuil, cornette au régiment de La Ferronays-dragons, fut son lieutenant.

Si la capitainerie royale dans ce qu’elle avait de trop odieux disparaissait à Dourdan, il restait malheureusement encore bien des abus particuliers. Chaque seigneur de fief avait en effet établi à son profit une sorte de capitainerie et changé un droit honorifique en commerce de gibier. Aussi les terres étaient-elles ruinées, et les encouragements donnés aux défrichements étaient-ils annulés par les dégâts de chasse. « Je me tairai, dit le subdélégué de Dourdan justement indigné, car toutes les observations que j’ai faites à ce sujet et tant d’autres que je pourrois faire deviendroient infructueuses dans un siècle où des protections particulières heurtent de front le bien général. » (Lettre du 22 août 1773.)

Grenier a sel. — Dourdan fut privé jusque vers la moitié du xviiie siècle de cette branche d’administration. La ville et les paroisses de l’élection étaient tributaires sur ce point d’Étampes, Montfort l’Amaury, ou Chartres. Il y avait là une anomalie et une gêne qui préoccupaient vivement les hommes dévoués aux intérêts de Dourdan. M. Vedye fit un mémoire, M. de Verteillac usa de son crédit, M. d’Argenson, chancelier du duc d’Orléans, prêta son appui, M. Odile de Pommereuil sollicita à Paris pendant plus de dix-huit mois et, en dépit des oppositions rivales, la cause fut gagnée et un édit du roi Louis XV, daté de Versailles, 28 janvier 1743, créa dans la ville de Dourdan un grenier à sel avec une juridiction complète.

On est frappé en lisant cet édit, du contraste qui règne entre l’excellent exposé de ses motifs et l’esprit rigoureux et anti-économique de l’institution elle-même : « Les habitants des paroisses, dit l’édit, trouveront un avantage considérable dans ce nouvel établissement par les relations continuelles de commerce qu’ils ont avec cette ville de Dourdan, à cause de sa manufacture de bas au métier et à l’aiguille, et par rapport aux marchés qui se tiennent les samedis en cette ville… Ces habitants après avoir, les uns vendu leurs grains et denrées dans ces marchés, les autres apporté les deniers de la taille ou délivré leur ouvrage aux fabriquants de la ville, auront la facilité d’y lever le sel nécessaire pour leur provision, sans frais ni perte de temps. » Cinquante-cinq paroisses composent ce nouveau ressort, dont trente-cinq distraites du grenier d’Étampes, douze de celui de Montfort et six de celui de Chartres. « Les habitants desdites paroisses seront tenus de prendre au grenier de Dourdan tout leur sel qui leur sera délivré au prix de quarante et une livres le minot (montant avec les 4 sols pour livre et les droits manuels à 51 livres, 6 sols, 6 deniers), leur défendant de le prendre ailleurs et de se servir d’autre sel que de celui qu’ils auront levé dans ledit grenier, sous les peines portées par l’ordonnance des gabelles. »

L’édit créait en même temps toute une série d’offices et d’officiers. En instituant un tribunal en règle, l’État travaillait pour son fisc et comptait avec raison sur des délits qui ne pouvaient manquer[28].

C’est au château que fut établi le grenier à sel ; c’est M. de Verteillac, gouverneur de la ville, qui se chargea de l’aménagement. Le 3 mai 1743, il obtint la permission de faire démolir, sur une longueur de trente-six toises, l’ancien corps de bâtiment du château qui regardait la rue de Chartres et contenait les écuries, et d’en employer les matériaux à une construction nouvelle sur l’emplacement de la grange qui faisait face à la place, à droite de l’entrée principale. Au bout de deux mois à peine, le sel était entassé dans deux beaux greniers, et la tour d’entrée attenante, avec la grande chambre voûtée du concierge, était convertie en dépôt ouvert à 2 heures les mercredi et samedi. M. de Verteillac, qui avait avancé l’argent, s’assurait le loyer de ces greniers, et au cas de changement, un remboursement de 3,000 livres[29].

Auditoire royal. — Lieu de réunion commun à toutes les juridictions, l’auditoire royal de Dourdan était, l’on s’en souvient, situé au premier étage, dans la vieille halle. On y montait par un escalier de grès ; la chambre du barreau s’ouvrait la première, garnie de son bureau, de bancs, de chaises et des perches d’appui des procureurs. Derrière, était la chambre du conseil. Dans ce modeste et antique prétoire, s’agitèrent pendant des siècles tous les débats civils et judiciaires de nos pères. Audiences quotidiennes du lieutenant du bailliage, grandes assises du bailli, jugements sommaires du prévôt, sentences pour un denier de cens non payé et condamnations capitales, procès forestiers ou litiges féodaux, ventes publiques, adjudication des droits affermés assemblées des habitants, élections, tout se passait dans l’auditoire. C’est à sa porte que le crieur proclamait les enchères, à sa porte que l’huissier à cheval, assisté de son trompette, lisait et affichait les annonces, avant de les attacher sur le poteau servant de pillory, à l’endroit de la monstre de Dourdan, sur le marché à l’avoine, où les malheureux condamnés demeuraient exposés avant les exécutions.

Les ducs d’Orléans trouvèrent un peu mesquin le siége de leur justice ; au xviiie siècle ils le transportèrent au château. À gauche en entrant dans la cour, le rez-de-chaussée du bâtiment de Sancy fut disposé pour servir d’auditoire. Une salle d’audience, une salle du conseil, une chambre pour les archives furent installées à la suite l’une de l’autre. Tendu de tapisserie bleue à fleurs de lis jaunes, le nouvel auditoire de Dourdan appartenait à jour fixe et à tour de rôle à chacune des juridictions. Le château, devenu le siége pacifique des affaires, ouvrit dès lors à tous venants sa grande poterne jadis mystérieusement fermée, et juges, plaideurs, marchands et acheteurs de sel passèrent et repassèrent à toute heure sur le nouveau pont de pierre qui avait remplacé le pont-levis.

Officialité. — À côté de la justice laïque, la justice ecclésiastique avait aussi à Dourdan ses représentants. Depuis longtemps il y existait une officialité du grand archidiacre de Chartres où se portaient toutes les causes de cette compétence du doyenné de Rochefort. A la vérité, l’évêque de Chartres et son official contestaient ce droit à l’archidiacre, « néanmoins, disait-on alors, il en jugeait les appels en prononçant sans approuver la prétendue officialité. » Elle était composée d’un official, d’un vice-gérant, d’un promoteur, d’un greffier et d’un notaire apostolique. L’official, qui fut assez longtemps, vers la fin du siècle dernier, M. Legros, chanoine de Saint-André de Chartres, avait été choisi souvent parmi les curés des environs, parfois parmi ceux de Dourdan (Mre Antoine le Brun, 1687, etc.).

Services divers. — À ceux de nos lecteurs qui seraient curieux de connaître tous les rouages de l’ancien régime dans une ville d’élection, nous offrirons la liste des autres fonctionnaires chargés, à Dourdan, des affaires du Roi. À la suite du receveur des tailles et du receveur des gabelles, il y avait le contrôleur des vingtièmes ; — le contrôleur des actes des notaires et exploits, à la fois greffier des insinuations laïques, centième-denier, petit-scel, amortissements, nouveaux-acquêts et francs-fiefs ; — le conservateur des hypothèques ; — le directeur des aides qui était en même temps celui d’Étampes et qui avait choisi cette dernière ville pour résidence à cause des facilités de la grande route et de la poste ; — le receveur des aides qui demeurait à Dourdan, avec quatre employés ; — le receveur commis par les fermiers-généraux pour les droits de jauge et courtage, pour le transport des vins d’une généralité dans une autre ; — l’entreposeur des tabacs ; — le sous-ingénieur des ponts et chaussées[30] ; — l’expert juré à la voirie et principal conducteur des travaux du roi ; — le changeur du roi pour les monnaies.

N’oublions pas la directrice de la poste aux lettres : nos pères n’étaient pas si exigeants que nous. En plein dix-huitième siècle, ils ne recevaient leurs lettres que quatre fois la semaine, les dimanche, mardi, jeudi et samedi. Dans les dix dernières années de Louis XVI, l’extraordinaire en apportait les autres jours, mais de Paris seulement. — Pour aller à Paris, il fallait attendre le lundi ou le vendredi, jours de départ de la messagerie, à moins que l’on ne consentît à payer une chaise publique à quatre places qui allait et venait à volonté. Et quand nous parlons de messagerie et de chaise nous parlons de la période moderne du dernier siècle. Sous Louis XIV, il n’y avait pour tout service que la patache qui mettait une bonne journée à faire le chemin, et lorsque madame de Sévigné, venant de Paris, descendait à la grille du château de Bâville, chez monsieur de Lamoignon, elle avait besoin de se reposer et de maugréer contre la patache de Dourdan. Les hommes ne l’employaient guère, et c’est à cheval qu’ils allaient à Paris pour leurs affaires. Ceux qui n’avaient pas le moyen de louer un cheval se mettaient bravement en route à pied, et nos pères savent parfaitement les noms de tel ou tel qui, dans la même journée, faisait ainsi le voyage de Dourdan à Paris, aller et retour, c’est-à-dire, près de vingt-quatre lieues.

Nous allions omettre le service militaire de l’endroit. Il y avait autrefois à Dourdan un prévôt et une compagnie de maréchaussée ; mais lorsque celle-ci fut mise sur le pied militaire, la prévôté de Dourdan fut supprimée et il ne resta qu’une brigade de la lieutenance de Chartres, de la prévôté générale de l’Orléanais, composée d’un sous-lieutenant, un brigadier ayant brevet d’exempt, et trois cavaliers[31]. Six hommes constituent encore aujourd’hui la force armée de Dourdan. Si l’on excepte l’ancienne garde bourgeoise, la compagnie de vétérans chargée au commencement de ce siècle de la garde du château converti en prison centrale, les bataillons de la garde nationale de la République et de la Restauration et la compagnie des sapeurs-pompiers, la maréchaussée devenue gendarmerie a toujours paru suffisante aux habitants de Dourdan pour le maintien de l’ordre public. Dourdan a trop souffert, dans son passé, des garnisons et des hommes de guerre pour ne pas savoir se contenter et s’applaudir aujourd’hui du pied de paix.

  1. Comte Beugnot, préface des Olim.
  2. Description d’après l’inventaire de M. Douët-d’Arcq :

    Sceau. — Écu chargé d’une fleur de lys brisée d’une bande componnée. — Rond, de 40 mill.

    …OSITVRE…ORDA…

    (Sigillum prepositure de Dordano.)

    Appendu à un acte de « Gile de Braules, garde du séel de la prévosté de Dourdan, » du mardi avant la Trinité 1333. (Arch. de l’Emp., J. 166, no 18.)

    1er contre-sceau. — Écu chargé d’une aigle.

    ✠ S. BER…ERMESANT

    (Seel Bertaut Ermesant).

    C’est le sceau du prévôt. — A une charte de 1327 (J. 166, no 9).

    2e contre-sceau. — Écu à une fasce.

    SIGNVM ROLLON

    (Signum Rollon).

    C’est le sceau du prévôt. A une charte du jeudi après le Saint-Sacrement 1333. (J. 166, no 17.)

    3e contre-sceau. — Un pélican nourrissant ses enfants.

    ✠ S. IEHAN GARREFAVT

    (Seel Jehan Garrefaut).

    C’est le prévôt. A une charte de 1339, (J. 162, Montargis, no 12).

    Nous avons déposé au musée de Dourdan un moulage en soufre de ces sceaux.

    M. A. Moutié, de Rambouillet, possède dans sa belle collection de sceaux un scel et contre-scel de la prévôté de Dourdan pour 1437.

  3. Dourdan conservera, dans ses nouvelles archives, les brevets originaux des diverses charges exercées par cette famille.
  4. Office créé en 1700.
  5. Charge dont est revêtu en pratique le lieutenant-général.
  6. Voir, pièce justificative XVII, la liste de plusieurs de ces officiers royaux à diverses époques, dont nous avons eu occasion de relever les noms sur des actes publics ou particuliers.
  7. Voir, pour l’étude de cet ancien ressort, la liste des fiefs et des personnages cités dans le procès-verbal des Coutumes, chap. VIII, et la convocation du ban et de l’arrière-ban, faite par le bailli de Dourdan, le 24 avril 1697, à l’occasion de la guerre d’Espagne. Pièce justificative XVIII.
  8. Mémoire envoyé le 16 février 1740 par le subdélégué à l’intendance.
  9. Entre autres : Guillaume de l’Hôpital Sainte-Mesme (1699) ; — marquis de Chevrier (1741) ; — comte de l’Hôpital (1773) ; Cahouet de Neufvy (1783) ; etc.
  10. Girard le Charron, bailli de Dourdan, prend aussi le titre de gouverneur en 1579.
  11. Le frère de l’historien.
  12. Archives de la mairie. — Fonds Roger.
  13. En cas d’incendie, c’était elle qui portait secours. Il fut question de frapper de 3 livres de rente perpétuelle toute maison où le feu prendrait, comme indemnité pour les seaux de la ville.
  14. Fonds Roger.
  15. Arch. de l’Empire.
  16. P. 12.
  17. L’inscription commémorative de l’érection de la chapelle de la Vierge, à l’église, porte trois pots à anses de forme indécise. Un grès qu’on a enchassé à l’intérieur d’un jardin, à l’entrée de la rue Grouteau, offre trois pots grossièrement sculptés et sans caractère.
  18. Arch. de l’Empire, F. 7. 4388. — Décrit dans l’Inventaire, no 5576. — L’écusson de notre frontispice est la reproduction de ce sceau.
  19. D’après un mémoire manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal, l’élection de Dourdan ne se composait, en 1698, que de 65 paroisses et de 5,613 feux. — Voir pièce justificative XIX.
  20. Nous avons constaté, pour l’élection de Dourdan, dans l’Armorial manuscrit (généralité d’Orléans), rédigé en janvier 1702, en exécution de l’édit de novembre 1696, les noms de 40 familles déclarant des armoiries anciennes et de 61 familles en achetant de nouvelles, plus les communautés. C’était pour le fisc un produit de 1,570 livres. — Bibl. impériale, mss.
  21. Ces registres, restés dans nos mains à la mort de M. Félix Roger, d’Étampes, qui nous les avait confiés, ont été, l’an dernier, à notre prière, offerts par sa veuve à la mairie de Dourdan où ils seront déposés.
  22. Nous mentionnerons spécialement, parmi les fonctionnaires de cette juridiction : 1578. Jehan de Lescornay, président en l’élection de Dourdan. — 1588. Denis Peschot, contrôleur. — 1590. Antoine de Chavannes, président. — 1627. Claude de Lescornay, idem. — 1652. Pierre Vedye, lieutenant particulier. — 1670. Claude Chauvreux, président. — 1718. Louis Guyot, sieur des Pavillons et de Potelet, idem. — 1757. François-Henri Roger, idem. (Achète 4,000 livres sa charge des héritiers de Louis Guyot.) — 1772. Antoine-David Aubry, idem. — 1790. Gabriel-Jacques Chardon, idem.
  23. Mémoire pour l’Orléanais, à la bibliothèque de l’Arsenal.
  24. En 1718, l’élection de Dourdan recevait cette mauvaise note dans le rapport de l’intendance : « On observe que les officiers n’y sont pas zélés pour le bien des recouvremens et n’ont pas assez de vigilance pour l’expédition des jugemens, ce qui donne aux procureurs l’occasion de multiplier les frais. La noblesse ne paye, dans cette élection, ni dixièmes, ni capitations, entre autres MM. de Gauville, de Dampierre, Savary, etc., qui défendent même à leurs fermiers de payer. » — Arch. de l’Empire, H. 4793.
  25. Pièces justificatives XIX et XX.

    Le roi voulait bien accorder, chaque année, dans chaque généralité, une remise sur le chiffre total de la taille, etc. L’intendant en faisait le partage entre ses élections et dans l’élection entre les paroisses. En voici un exemple : de 1732 jusqu’en 1738, la taille demeura fixée à Dourdan, par brevet du roi, à 7,500 livres.

    En 1739, elle fut modérée à 7,000.

    Portée en 1740 à 7,090,

    Elle fut modérée, en 1745, à 7,020.

    En 1746, à 6,990.

    En 1747, à 6,290.

    En 1748, elle fut réduite à 6,000.

    La taille se doublait de l’impôt extraordinaire, qui atteignait :

    En 1745 6,055 livres.
    En 1746 6,042
    En 1747 6,028
  26. Ollivier Guerton s’intitule toutefois, en 1677, garde des plaisirs du roy au comté de Dourdan.
  27. Nouveau Code des Chasses, t. II, p. 249. Paris, in-12, 1784.
  28. Les premiers officiers du grenier à sel de Dourdan furent : Président : Claude Deslandre (remplacé par MM. Carrey et Decescaud). — Grenetier : Pierre Fougerange, lieutenant particulier du bailliage. — Contrôleur : Pascal Genest, lieutenant de l’élection. — Procureur pour le roy : Anselme Dramard, marchand drapier. — Greffier : Pierre Thibault, marchand. — Receveur : Odile de Pommereuil.
  29. Archives de l’Empire, O. 20250.
  30. C’était, en 1783, M. de Prony, l’aimable savant.
  31. En 1718, la maréchaussée de Dourdan, assez mal notée, se composait, suivant le rapport de l’intendance : d’un lieutenant criminel de robe courte, le sieur Nourry, habitant le plus souvent Paris et le reste du temps une petite maison à trois lieues de Dourdan ; — un exempt ; — un greffier ; — neuf archers. « Le lieutenant, qui n’a que 235 liv. de gages, s’en fait davantage, parce qu’il ne donne que 30 liv. à l’exempt au lieu de 150, et 20 liv. aux archers au lieu de 35, ce qui fait que le service ne se fait pas, tous les hommes étant à pied. » — Arch. de l’Empire, H. 4793.