Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/8

CHAPITRE VIII

LES COUTUMES DE DOURDAN
1556


Comme toutes les coutumes des autres villes du royaume, composée d’usages successivement établis, la coutume de Dourdan n’avait pas encore été rédigée. Un édit de Charles VIII, en 1453, avait, il est vrai, ordonné cette rédaction ; mais un siècle s’était écoulé, et faute d’un texte certain, « les subjectz étoient tumbez en grandes involutions de procès, confusion, difficultez et despences de faire preuves. »

Frappé de ce désordre, Henri II nomma une commission chargée de se transporter partout où besoin serait, dans les diverses provinces et seigneuries ressortissant par appel en la Cour du parlement, et le 28 décembre de l’an 1556, Dourdan vit arriver dans ses murs le président Christofle de Thou (père du fameux historien) et les deux conseillers du roi Barthélemy Faye et Jacques Viole, venant d’Étampes, où ils avaient achevé leur tâche. Dès le 19 octobre, le bailli de Dourdan, Tristand le Charron, avait reçu ordre des commissaires royaux de convoquer à jour fixe « tous et chacuns les prélatz, abbez, chapitres, collèges et personnes ecclésiastiques, ducz, comtes, barons, chastellains et seigneurs justiciers, les officiers du roy, advocatz, procureurs, bourgeois, les manans et habitans, et gens du tiers estat des villes, villaiges et lieux enclavez au dedans dudict bailliaige et ancien ressort d’iceluy, pour veoir proceder à la rédaction desdictes coustumes, icelles accorder, mettre et rédiger par escript, lire et publier, pour dorenavant estre gardées et observées par loy. » Le bailli s’était hâté de faire faire cette assignation par le premier sergent royal du bailliage, et, bon gré, mal gré, « sous peine de prinse et saisie de leurs biens, » tous les ayants cause, dûment mis en demeure, étaient réunis le mardi 29 décembre, « heure de sept heures, attendant huict heures du matin, » dans la salle du Plaidoyé, ou auditoire qui s’ouvrait dans l’ancienne halle de Dourdan.

Maître Pierre Rousselet, greffier du bailliage, ayant donné lecture des ordonnances royales, appela les trois états.

D’abord, l’État d’Église :

Par leurs procureurs comparurent :

Révérend Père en Dieu, messire Charles Guillart, évêque de Chartres, représenté par Jehan Peronnel, vice-gérant du grand archidiacre de Chartres en son siége de Dourdan.

Le révérendissime cardinal de Chastillon, pour les droits qu’il prétend, à cause de son abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, à Sonchamp, Authon, le Plessis-Saint-Benoît et Sainville.

Messire Eustache du Bellay, évêque de Paris, à cause des prieurés de Louye et de Saint-Arnoul, dont il est prieur.

Maître Jacques de Monthelon, grand archidiacre de Chartres.

Les religieux, abbé et couvent de Saint-Chéron-lès-Chartres, pour leurs droits de censive.

Les religieux, abbé et couvent de Clairefontaine, pour le fief des Jalots et autres droits.

Les religieux, abbé et couvent de Morigny-lès-Estampes, pour leur droit de censive.

Les doyen, chanoines et chapitre de l’Église de Paris, pour leurs droits au village de Corbreuse, Outrevilliers, la Grange-Paris, Aizainville et environs.

Les religieuses, abbesse et couvent de Longchamp, pour censive et autres droits.

Les religieuses, abbesse et couvent de Villiers-lès-Estampes, pour dîmes inféodées et autres droits.

Puis se présentèrent :

Frère Pierre Prieur, prêtre, prieur-curé de l’église Saint-Germain de Dourdan.

Maître Jacques Soullay, prieur, et frère Jacques Audren, prêtre, curé de l’église Saint-Pierre.

Frère Louis Guérin, prêtre, prieur-curé de l’église Saint-Léonard des Granges-le-Roy.

Frère Antoine de Lyon, commandeur d’Étampes, pour le fief de la Roche.

Maître Hiérome du Tertre, official du grand archidiacre en son siége à Dourdan.

Maître Jacques Le Maire, promoteur dudit archidiacre à Dourdan.

Maître Jean Bernard, curé de Sermaize.

Maître Claude de la Montenelle, curé de Corbereuse.

Maître Jean le Meignan, maître et administrateur de l’hôtel-Dieu de Dourdan.

Maître Nicolas Butin, chapelain de la chapelle Saint-Georges, assise à Blancheface.

Après l’État d’Église, l’État de noblesse :

En tête, haut et puissant seigneur François de Lorraine, duc de Guise, pair de France, seigneur usufruitier de Dourdan, représenté par Me Pierre Gonnot, son procureur et receveur.

Puis, messire Aloph de l’Hospital, chevalier, seigneur de Saint-Mesme, le Jallier, Denisy, Corpeaux, Roullon, Semonds, les Jourriats, Grousteau, Chenevelle et Vauloseil. Il était là en personne, pour défendre les intérêts de ses nombreux et riches domaines, assisté de ses deux avocats.

Messire Jehan le Clerc, chevalier, seigneur de Beauvais.

Noble homme maître Adrian du Drac, conseiller du roi au parlement ;

Noble homme maître Jacques Hurault, conseiller du roi en son grand conseil, seigneur du Marais, le Val-Saint-Germain, Chasteaupars, les Mignères et Grillon.

François de Hémery, écuyer, seigneur de Blancheface, la Bretonnière et le Mesnil.

Jean de Grante, écuyer, seigneur du Coulombier, Malassis et Beaurepaire.

Jean de Boulhard, seigneur du Grand-Platel, et Grateloup.

Noble homme maître Pierre Chevalier, conseiller du roi et maître ordinaire en sa chambre des comptes, seigneur du Tertre.

Damoiselle Isabeau de Buserolles, tutrice des enfants de Jean du Guéregnard, seigneurs de Bellanger.

Maître Jacques Boudet, avocat au parlement, seigneur de l’Eschanson.

Maître Jacques Bougon, seigneur de Hautes-Mignères.

Antoine de Lucault, Jacques d’Averton, Adrian Berthelot, pour le fief de Maudestour.

La veuve de Jean de Pouy, pour ses filles, dames de Bandeville, assis à Corbreuse.

François Simonneau, seigneur de Pinceloup, assis en la paroisse de Sonchamp.

Thomas Brémant, écuyer, pour le fief et moulin de Grandville, assis en la paroisse du Val-Saint-Germain.

Noël Boutet, seigneur du Bois-Poignant.

Claude des Mazis, écuyer, seigneur de Drouville et de Marchais en partie.

Jacques de Morinville, écuyer, seigneur de Chantinonville.

Tristand de Longueil, seigneur de Bichetelle.

Après la noblesse, et avant le tiers état, comme une sorte d’ordre intermédiaire, le corps des officiers du roi à Dourdan :

Le bailli, Tristand le Charron.

Le prévôt, Étienne Hervé.

Deux élus, Hugues Poussepin et François Legendre.

Le commis à l’exercice de la justice des forêts, Pierre Boudet.

Le greffier des insinuations, Florent Gouyn.

Le fermier du tabellioné, Hannibal Périer.

Le notaire royal, Denis Fanon.

Un avocat, Guy Léomont.

Les procureurs Guillaume Fanon, Adam Charles, Jean le Camus, Marin Deschamps, Étienne le Doux, Jacques Yvon.

L’appréciateur juré, Jean le Mareschal.

Les sergents royaux Pierre Gueau, Philippe Trousse, Denis Belhomme, Jacques Hourry, Louis et Étienne Chanteau, Jacques Boudon, Jacques Dugué.

Les sergents verdiers de la forêt, Gilles Liger et Jean de Blèves.

Les sergents royaux en l’élection, Julian et Denis Boutet.

Le maître-maçon juré pour le roi au bailliage, Pierre Leroy.

Enfin le Tiers État :

Représentés par leurs procureurs presque tous gaigers, c’est-à-diremarguilliers des paroisses, comparurent les manans et habitants de :

Dourdan ;

Sainte-Mesme et Denisi ;

Les Granges-le-Roi ;

Authon et le Plessis-Saint-Benoît ;

Sermaize ;

Corbereuse ;

Roinville ;

Val Saint-Germain ;

Chantinonville ;

Moiretel et Marchais.

A l’appel de leurs noms ne répondirent pas plusieurs curés du bailliage, plusieurs seigneurs possesseurs de quelques fiefs ou de quelques droits aux environs, maître François Buron, maître et administrateur de la maladrerie Saint-Laurent de Dourdan, les manants et habitants de Sonchamp et de Sainville ; défaut fut donné contre eux.

La discussion commença. Plusieurs protestations se produisirent. Avant toutes, celle du procureur du roi, qui s’éleva fort justement contre les titres de fiefs prétendus par certains seigneurs, « à cause que plusieurs d’eux avoient grandement dilaté leurs fiefs sur la forest de Dourdan, de laquelle ils estoient voisins, au grand dommage du roy ; tendoient à s’en estranger, s’advouant d’autres seigneurs loingtains pour oster la cognoissance de telles usurpations ; et que de ce qu’ils en tenoient n’avoient baillé adveu ne dénombrement qui fust suffisamment receu et vérifié. » — Triste mais inévitable résultat des fortunes si variables de notre pauvre ville pendant les siècles qui venaient de s’écouler.

Les procureurs du cardinal de Chastillon, à cause de son abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, tentèrent de soustraire Sonchamp, Authon et Sainville à la juridiction et aux coutumes de Dourdan, en invoquant celles d’Orléans, Montfort et Étampes. Mais le procureur du roi leur prouva que c’étaient des usurpations et des abus, et il ajouta, ce qui était très-vrai, que « depuis plus de soixante ans Dourdan avoit été aux mains des usufruictiers, auxquels le roy l’avoit baillé, et qui n’avoient eu le soing de faire garder les droicts du roy. »

Autrement graves et inquiétantes furent les prétentions du substitut du procureur d’Étampes, Girard Garnier. Invoquant la réunion de la châtellenie de Dourdan au duché d’Étampes, il dit avec dédain que « ceulx de Dourdan se seraient ingerez de vouloir faire rédiger quelques prétendues coustumes, et à ce faire appeler les habitans d’Authon, le Plessis-Saint-Benoist, Congerville et Sainville, de la jurisdiction du dict bailliage d’Estampes, et déjà appelez comme subjects à ses coustumes. » Il protesta de nullité pour tout ce qui se ferait, et se vanta « de faire cy-après contraindre les habitans de Dourdan à se régler selon les coustumes d’Estampes. »

Repoussant vigoureusement l’attaque et traitant le plaidoyer de Garnier « d’impertinent et sans raison, » le procureur du roi représenta l’antique et actuelle possession de Dourdan par la couronne, rappela ses protestations au sujet des villages cités lors des récents débats pour la rédaction des coutumes d’Étampes, où personne n’avait jamais eu l’idée d’appeler Dourdan, et bien loin, ajouta-t-il, que Dourdan eût rien à démêler avec Étampes, c’est Étampes qui autrefois ressortissait à Dourdan pour les cas royaux. D’ailleurs, les coutumes de Dourdan avaient toujours été fort différentes de celles d’Étampes, coutumes toutes bretonnes introduites jadis à Étampes par les ducs de Bretagne. Quant aux villages en cause, réunis à la châtellenie de Dourdan par lettres patentes du 2 août 1532, c’est à Dourdan qu’ils payaient les droits seigneuriaux, c’est au bailliage de Dourdan qu’ils appartenaient.

Calme et impartiale, la commission royale n’en continua pas moins son œuvre ; mais les deux parties furent renvoyées à la cour de parlement le lendemain des Roys.

Rejetant tour à tour les prétentions des chanoines du chapitre de Paris, seigneurs de Corbreuse, qui voulaient se rattacher à la prévôté de Paris, les réclamations de Chatignonville, du Val Saint-Germain, du Marais, Bandeville, Roinville et Villeneuve, qui revendiquaient le ressort de Montfort ou celui de Montlhéry, le procureur fit valoir les droits de Dourdan sur ces villages, qui « avoient voulu se distraire à l’appétie de leurs seigneurs et esgarer les droicts du roy. »

Personne n’élevant plus la voix, acte fut donné des protestations, et la rédaction des Coutumes commença. Les trois États prêtèrent serment « de rapporter, en leurs consciences et loyautez, les coustumes anciennes qu’il avoient veu garder audict bailliage, et aussi dire ce qui est subject à réformation, correction ou modération, pour le bien, proufit et utilité du pays. » Rousselet donna lecture des cent cinquante-un articles présentés par les officiers royaux comme composant la coutume de Dourdan, et le procès-verbal de la séance nous a conservé les amendements ou additions à bon nombre d’entre eux, de l’avis des trois États. Le droit coutumier était devenu droit écrit. En ordonnant que « lesdites coustumes seroient entretenues, gardées et observées pour loy, » la commission royale y attachait la sanction pénale, et, revêtue du seing et des armes des magistrats qui avaient accompli leur tâche, la Coutume de Dourdan était portée à Paris, à côté des autres coutumes du royaume, dans le grand arsenal juridique d’où sont sortis les codes de notre législation moderne.

Outre l’insertion qui fut faite de la Coutume de Dourdan dans le Coutumier général, une édition spéciale en fut donnée par Jacques Boudet, avocat au parlement et seigneur du fief de Leschanson, sis à Dourdan, en un petit volume in-8 de 51 pages, sous le titre de Covstvmes dv bailliaige et chastellenie de Dovrdan, à Paris, « pour Galiot du Pré, libraire iuré de l’Vniversité, au premier pillier de la grand salle du Palais, 1559. » L’éditeur dédie son livre à « monseigneur messire Gilles le Maistre, premier président en la court de parlement, » et, dans une emphatique préface, il l’assure de la reconnaissance des habitants de Dourdan, qui « sous sa faveur se sentent délivrez des troubles, esquelz Licurge ancien législateur des Lacédémoniens a quelquefois mis sa république, pour avoir deffendu de ne rediger par escrit les coustumes sous lesquelles il commendoit de vivre. »