Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/7

CHAPITRE VII

LES SEIGNEURS ENGAGISTES DE DOURDAN
1478-1559


Étampes et Dourdan, rendus à Louis XI, furent bientôt aliénés de nouveau ; mais Dourdan fut démembré du comté d’Étampes et cessa d’être en relation directe avec cette ville, dont il avait si longtemps partagé toutes les fortunes. La charte datée d’Arras, avril 1478, qui donne le comté d’Étampes à Jean de Foix, vicomte de Narbonne, nous apprend que le roi « ne veut et n’entend être aucunement compris en ce don les châtel, terre et seigneurie de Dourdan, et ses appartenances et appendances quelconques, dont puis aucun temps il a fait don et transport à son amé et féal escuyer d’écurie Pierre Gobache[1]. »

Ce don avait été d’abord purement verbal ; il remontait « à cinq ans en ça ou environ, pour recongnoissance et récompense de plusieurs très grans, agréables et recommandables services faitz par l’amé et féal conseillier et maistre d’ostel Pierre Gobache[2]. » Et comme « lors estoit débat, question ou procès en la court de parlement pour raison de la conté d’Estampes, » le roi « n’avoit commandé lors aucunes lettres du dit don. » Mais « pour ce que puis naguères, dit le roi, ledit procès ainsi pendant a été vuidé et déciz par arrest de nostre court de parlement, savoir faisons que nous les choses dessusdites considérées, bien recors et commémoratifs dudict don verbal par nous faict à icelui nostre conseillier Pierre Gobache, considérans que depuis icelui il sest toujours emploié de bien en mieulx en nostre service et nous a fait plusieurs autres grans et agréables services dignes de grant rétribucion et recommandacion, tant ou faict de nos guerres que autrement en plusieurs et maintes manières, voulant par ce lui entretenir le dit don, donnons, cédons, etc., lesdits chastel, chastellenie, terre et seigneurie de Dordan… pour en joyr par icelui et ses hoirs… en prandre et percevoir… les fruis, proufitz, revenus et émolumens en quelque manière qu’ilz viennent ens, tant en justice, juridiction, haute, moienne et basse, honneurs, hommaiges, fiefz, arrière-fiefz, etc. »

Ce sieur Gobache ou de Gobaches jouit de Dourdan pendant une dizaine d’années. Nous retrouvons dans les comptes de l’ordinaire de Dourdan rendus par Robert le Charron pour les années 1485-1491[3], des contrats passés par ce seigneur qui donnent d’intéressantes indications sur l’ancien domaine de Dourdan. Par devant Gervais Chalas, bailli, et Jacques Charles, tabellion-juré, Pierre de Gobache, le 6 mai 1483, baille à titre de rente perpétuelle, pour lui et ses hoirs, « à Jehan Seigneur Charron, demeurant à Dourdan, le manoir, maison, maizure, cour, jardin et appartenances assis audit Dourdan, appelé l’Hostel des Murs, avec tout autant de prez qui est entre ledit manoir et l’eauë de l’estang, entre les deux chaussées, » sauf « un buisson ou tallope où de présent a des épines plantées, que mondit seigneur réserve pour l’ébat et la nourriture de ses conils » ou lapins. — Il baille, en outre, soixante arpents de terre, « à les avoir et prendre le plus près possible dudit hostel tant qu’il en pourra fournir et le surplus, depuis la voie de l’orme galopin, en tirant au long du chemin d’Auneau, du côté devers Chastillon, en soy rabattant devers le champtier de Gallion, desquelles terres en doit avoir quarante arpens en nature. » Le preneur est autorisé à échanger certaines pièces contre des enclaves, et à ameilleurer le domaine. Lui et ses ayants cause pourront prendre du bois mort dans la forêt de Dourdan « pour eux chauffer et faire leur proffit. » Le prix du bail consiste en dix-huit septiers de grains, mesure du lieu, deux tiers en blé, un tiers en avoine, à livrer chaque année, à la Saint-Martin d’hiver ; par suite, viennent s’ajouter huit deniers parisis de cens[4].

Aux comptes de l’ordinaire pour l’année 1484, on lit encore : « De la rente du moulin de Poutelet, assis près de la chaussée dudit grand étang de Dourdan, du côté devers le Chastillon, baillé à rente et cens de nouvel par les gens et officiers au dit Dourdan, comme vaccant et demeuré longtemps en la main du roy notre syre en ruyne et non valloir, à Mathurin Salligot et Achille Badin, ensemble et l’un pour le tout, à la quantité de quatre septiers de bled mouture, à la mesure du dit lieu, et deux poulets, le tout payable au jour et feste de saint Rémy par an. »

En 1484, Dourdan fut retiré par Charles VIII des mains du sieur de Gobaches, et pendant trente ans demeura réuni à la couronne. Mais en 1513, au milieu des guerres étrangères qui ruinaient alors la France, Louis XII, se trouvant dans de grands embarras de finances pour l’entretien de ses troupes, aliéna une partie de son domaine, et moyennant 80,000 livres (320,000 fr. environ), engagea Dourdan, avec Melun et Corbeil, à Louis Malet de Graville.

Cet illustre personnage, seigneur de Montagu, Marcoussis et Bois-Malesherbes, chambellan et conseiller du roi Louis XI, amiral de France, gouverneur de Picardie et de Normandie, grand veneur du roi Louis XII, d’une antique famille normande qui prétendait remonter au temps de Jules César et « avoir été sire en Graville premier que roy en France, » possédait déjà, par son alliance avec les de Montagu, beaucoup de fonds de terre dans la châtellenie de Dourdan. Riche et puissant, il fut le bienfaiteur de Marcoussis. Il n’oublia pas Dourdan. Une tradition, qui était encore vivante du temps de de Lescornay, lui attribue la reconstruction des tours, clochers et voûte de l’église Saint-Germain, détruits en 1428 par Salisbury. Ce qu’il y a de certain, c’est que sur la première clef de cette voûte étaient gravées les armes du pape ; sur la seconde, celles du roi, et sur la troisième, celles de l’amiral de Graville, qui sont : de gueules à trois fermaux d’or. Le style de plusieurs décorations fines et délicates exécutées à l’intérieur et à l’extérieur de l’église, principalement au portail de la place, porte l’empreinte de cette époque.

Un très-curieux codicille, trouvé en 1515, après la mort de ce seigneur, et précisément daté de 1513, année de l’achat de Dourdan, mérite ici quelques détails. Nous devons avouer à nos lecteurs que le sire Louis Malet de Graville passe pour avoir été un personnage assez rapace et très-soigneux de ses intérêts pécuniaires. L’acte de générosité qu’on va lire a semblé à quelques auteurs une sorte de restitution, un honorable et dernier scrupule.

Considérant d’abord que pendant fort longtemps il a eu « gros estat, grosses pensions, grands dons et profits de la chose publique, en quoy a été ladite chose publique chargée ; » considérant ensuite les « urgens affaires » du royaume, pour lesquelles « le pauvre peuple est, de présent, fort grevé, comme chacun sçait, » Louis de Graville, « après y avoir pensé et repensé, » donne et lègue purement et simplement « à ladite chose publique » les quatre-vingt mille livres qu’il a versées entre les mains du roi, et pour lesquelles les seigneuries de Dourdan, Melun et Corbeil lui ont été hypothéquées. Il rend, après lui, sans aucune indemnité, les terres qu’il tenait du roi pour l’engagement de ce prêt, « sauf le droit qu’il avait sur ledit Dourdan de piéça. » — « Quant à nos héritiers, dit-il, nous leur laissons des héritages et autres biens assez… et nous supplions très-humblement le roy qu’il luy plaise diminuer ez bailliages les plus grevez de son royaume ladite somme de 80,000 livres tournois, afin que le pauvre peuple prie Dieu pour luy et pour moy[5]. »

Rentré, par ce codicille, en possession de Dourdan, François Ier en disposa, en 1522[6], en faveur d’un illustre capitaine, l’un des plus vaillants guerriers du xvie siècle, le sieur de Montgommery, seigneur de Lorges, dont il voulait récompenser les services, sans rancune pour la blessure involontaire qu’il avait reçue de lui, dit-on, l’année précédente, dans un jeu à Romorantin. La jouissance de Dourdan fut accordée à Montgommery pour dix années, avec son habitation dans le château et son chauffage dans la forêt. En même temps, Louis de Vendôme, prince de Chabanais et vidame de Chartres, marié à Louise, fille aînée de l’amiral de Graville, lui abandonnait la capitainerie de Dourdan, dont il avait été pourvu lui-même quelque temps auparavant.

Avant l’expiration des dix ans, le roi songea à distraire Dourdan de son domaine : car nous trouvons qu’en mars 1529 (n. s. 1530[7]), François Ier, le prisonnier de Pavie, s’étant engagé, par le traité de Cambrai, à céder à l’empereur, comme partie de sa rançon, les terres possédées en Flandre par la duchesse Marie de Luxembourg, douairière de Vendôme, donna à cette dernière, en compensation, avec le duché de Valois et le comté de Montfort, la terre et seigneurie de Dourdan.

Quoi qu’il en soit, en 1536 François dispose de nouveau de Dourdan. Cette fois, ce n’est plus en faveur d’un vaillant capitaine ou d’un fidèle serviteur, c’est pour l’amour d’une belle dame, sa puissante favorite, Anne de Pisseleu, comtesse d’Étampes. Être comtesse, c’était trop peu pour la maîtresse d’un roi. En choisissant Étampes pour y loger de France la plus belle, François voulut en faire un duché, et pour donner au présent plus de valeur, il y fit entrer les châtellenies de Dourdan et de la Ferté-Alès[8]. Pendant dix ans, la belle duchesse jouit largement de sa souveraine faveur et de son riche domaine, mais à la mort de son royal protecteur elle perdit tout (1547). La France oublia la favorite, et Henri II reprit le duché.

Les comptes de l’ordinaire de Dourdan, rendus, pour les années 1540 à 1549, par Louis Tirard[9], receveur ordinaire, nous apprennent que pendant ce temps le roi, comme naguère le seigneur de Gobaches, se réservait toujours, dans la terre des Murs, près le grand étang, affermée aux descendants de Jean Seigneur Charron, le buisson ou tallopée planté d’épines pour l’ébat et la nourriture des conils du roy notre sire. Peut-être le galant roi vint-il chasser à Dourdan, sur les terres de la belle Anne, lorsque, le 26 février 1547, il demeura à Rochefort, un mois avant d’aller mourir au château de Rambouillet[10].

Henri II fit ce qu’avaient fait beaucoup de ses prédécesseurs ; manquant d’argent, il engagea une partie de son domaine. Ce n’était pas la première fois que Dourdan sortait de cette manière des mains du roi de France. Les besoins étaient pressants ; Henri voulait retirer des mains des Anglais les places qu’ils occupaient encore dans le Nord ; il avait à entretenir une foule de gens de guerre dont les exigences embarrassaient singulièrement le trésor. C’est sur ces entrefaites que Dourdan fut vendu, en 1549, à faculté de rachat perpétuel, à François de Lorraine, duc de Guise, en même temps que les seigneuries de Provins et de Saumur, par les commissaires du roi, « avec les aydes qui en dépendent, » pour la somme de « sept vingt quinze mil quatre cens quatre vingt unze livres ung solz tournois. » En reconnaissance des services du duc, très-vantés par le roi, « et pour le désir, ajoute le monarque, que nous auons d’auantager notre dit cousin des prérogatives et prééminences qui puissent tourner à l’ornement et décoration des choses ainsi par lui acquises, lui avons octroyé par ces présentes… pouuoir, puissance et faculté de nous nommer et présenter gens idoynes, capables et suffisans aux bénéfices desdites châtellenies, ressorts et juridictions d’icelles… ensemble à tous et chascuns les états et offices royaulx ordinaires, et davantage aux extraordinaires, des aydes et choses extraordinaires dont il joyt, etc.[11]. »

François de Lorraine ayant, « par inadvertance, » négligé de faire publier et enregistrer ces dites lettres, et craignant quelque opposition, en obtient confirmation par lettres nouvelles du 27 juin 1557[12]. À la mort de Henri II, le duc de Guise, qui a paisiblement joui de son droit, « crainct et doubte que cy après on lui voulsist mectre ou donner en cela quelque trouble, destourbier ou empeschement au moyen du trespas du roy depuis intervenu. » Il demande et obtient les lettres de continuation nécessaires le 15 janvier 1559[13].

L’année 1556, sous ce nouveau seigneur, fut consacrée pour Dourdan à un acte sérieux et pacifique, qui occupera dans le chapitre suivant la place qu’il mérite ; nous voulons parler de la rédaction des coutumes, véritable bienfait du roi Henri II. Cette opération importante et délicate, cette fixation des droits et des usages, ne pouvait se faire sans l’intervention et la participation de tous les ordres de la société, et c’est pour nous, en même temps qu’un repos après et avant tant d’orages, un curieux spectacle, une précieuse occasion de faire connaissance avec tous les personnages qui, à des titres divers, prétendaient avoir alors sur notre contrée des droits de propriété ou des traditions de censive, de patronage et de suzeraineté.

  1. Fleureau, p. 192.
  2. Lettres patentes de février 1478. — Arch. de l’Empire, reg. X1a. 8607, fo 151.
  3. Tiré des extraits faits par la Cour des Comptes, le 18 août 1679, à la requête du duc d’Orléans, qui désirait justifier de ses droits domaniaux. — Archv. du Loiret, A. 1380.
  4. Vidimus des présentes, en 1496, par Gervais Chalas, bailli, et transcription par Jean de la Croix, tabellion juré de Dourdan.
  5. Ce testament, cité comme modèle, fut imprimé dans plusieurs livres d’église de l’époque, et on prétend que Richelieu le fit réimprimer pour le comparer au sien. Voir, pour la biographie de l’amiral de Graville, les intéressants détails donnés par M. Malte-Brun dans son Histoire de Marcoussis, charmant volume, chronique d’une châtellenie voisine de la nôtre. — In-8o, Paris, 1867.
  6. Lettres patentes du 4 décembre 1522, transcrites aux comptes du domaine de la même année.
  7. Archives de l’Empire, X1a. 8612, fo 202.
  8. « …Par ces présentes, unissons et incorporons les chastellenies, terres et seigneuries de Dourdan et la Ferté-Alès aux honneurs, priviléges, prérogatives, libertez, franchises, exemptions et prééminences appartenant à duché, sous une seule foy et hommage de nous et de nostre couronne, et sous le ressort immédiat de nostre Cour de Parlement : voulant que tous les vassaux et autres gens, de quelque autorité et condition qu’ils soient, tenans noblement ou roturièrement desdits comté d’Estampes et chastellenies de Dourdan et la Ferté quand ils feront doresnavant leurs hommages et bailleront leurs denombremens et adveus, les fassent et baillent sous le nom et tiltre de duché, et semblablement tous leurs autres actes et reconnoissances. » (Lettres-patentes d’érection, janvier 1536. — Archives de l’Empire. X1a 8613, fo 9.)
  9. Une rue de Dourdan (de la rue de Chartres à la rue Neuve) porte encore aujourd’hui le nom de Tirard.
  10. Itinéraire des rois de France. — Pièces fugitives, etc.
  11. Lettres patentes du 8 avril 1550. — Archives de l’Empire, X1a. 8621, fo 184.
  12. Archives de l’Empire, X1a, 8621, fo 185.
  13. Idem, 8623, fo 100.