Albin Michel (p. 205-211).


ISOARD EST GUÉRI


Isoard est guéri. Ce matin, il quitte l’asile. Ébloui par la liberté il s’est arrêté à la grille et regarde l’avenue en face de lui.

Depuis huit jours Isoard me voyait rôder dans son établissement, il me connaissait bien.

— Je vous emmène déjeuner, lui dis-je.

Il me répondit :

— Je ne suis pas trop bien habillé.

Nous partîmes.

Isoard est solide. Il avait fait la guerre « sans rien ».

— Alors je rentre au village. J’étais maréchal-ferrant. J’allais me marier quand je tombai dans la tristesse. Je ne savais pas me remonter. J’avais peur de tout. Si le facteur m’apportait une lettre, je ne l’ouvrais plus. C’est comme des malheurs que je supposais dedans. Cela dura deux mois. Puis un jour j’ai voulu me défendre. Je croyais que tout le monde guettait mon passage pour me faire du mal et j’ai frappé un camarade tant que j’ai pu. Je revois bien tout maintenant. On a bien fait de m’enfermer, j’aurais pu tuer, peut-être.

— Il y a longtemps ?

— Eh bien ! c’était voilà le coup de deux années.

— Et qu’avez-vous fait à l’asile ?

— J’ai attendu de guérir pendant un an et pendant l’autre année j’ai attendu de sortir.

Je m’attablai au restaurant du Dôme avec Isoard.

— Je ne vais peut-être plus savoir me tenir à table, dit-il.

— Et quand vous avez été guéri, que fit-on de vous à l’asile ?

— On me laissa parmi les fous. Je disais au docteur : « Cela va me redonner la maladie ! » Il me répondait : « Il faut que je vous observe. »

Oh ! il était bien gentil. C’est lui qui m’a fait sortir. Voilà son certificat. Il dit bien dessus que je suis tout à fait normal.

Isoard n’avait manié ni couteau ni fourchette depuis deux ans et il contemplait ces instruments avec soulagement.

— C’est la preuve que je suis libre, disait-il.

Et il ajoutait comme pour ne rien cacher de la simplicité de son âme :

— Ça me fait bien plaisir.



Isoard prenait un train à trois heures pour rentrer chez lui.

— Je vais vous accompagner dans votre pays, lui dis-je, cela ne vous ennuie pas ?

C’était à soixante kilomètres de là.

On arriva au bourg.

— Voilà ma forge, dit-il, en s’arrêtant devant une baraque.

Un autre forgeait à sa place. Il le connaissait bien.

— Eh bien ! bonjour ! qu’il lui dit.

Le forgeron en resta le marteau sur l’enclume.

— Ah ! c’est toi ? qu’il dit. On t’a relâché ? C’est-y que tu serais guéri ?

— C’est que ça va bien maintenant.

— Alors tu vas voir ta mère ?

— Eh oui ! je rentre.

Nous reprîmes notre chemin.

— Bonjour ! dit Isoard à un autre villageois.

L’autre répondit : « Eh bien ! je t’avais cru mort. »

Voici sa maison. Nous entrons. La mère lavait du linge dans la cour.

— Bonjour ! dit Isoard.

La mère se retourne, lâche son battoir.

— Je suis tant contente que tu reviennes déjà. Alors, ces messieurs t’ont donné un bon certificat ?

— J’ai le certificat.

— Eh bien ! assieds-toi donc, ainsi que le monsieur qui t’accompagne. C’est-y qu’il sort de l’asile départemental, aussi ?

Je partis dans le village. La nouvelle était déjà connue. Le forgeron me demanda :

— Pourquoi qu’on l’a relâché, puisqu’il était fou ?

Je suivis le forgeron à l’auberge.

— Vous savez-t-y qu’Isoard est de retour ? lança l’homme.

— Et pourquoi qu’on l’a relâché ? dirent les braves gens.

— D’abord il ne pourra plus travailler. Tu vas pas lui rendre ta forge, toi, Monchin ?

— S’il vient même pour se faire ferrer j’en voudrons point.

Le maire était parmi les buveurs.

— Mais il est guéri, dis-je, il est comme vous autres. C’est moi qui le ramène !

Alors le maire proclama :

— On ne veut pas de fou dans le village. Puisqu’il y a des maisons exeprés pour eux, pourquoi qu’on ne les y garde pas ? La première fois qu’il bouge un doigt, je le fais remballer. Voilà !

Voilà !