N. S. Hardy, Libraire-éditeurs (p. 205-213).


REGRETS — SOUVENIRS — VŒUX D’UN CHASSEUR


Grand saint Hubert.
Ora pro nobis[1] !


Oh ! qui me rendra mes dix-huit ans, mes joviales chasses d’automne, mon fidèle terreneuve, mon grand fusil à canards, qui ne ratait jamais ; et pourtant, oncques je ne fus chasseur que de menu gibier !

Nemrod, Ismaël, Esaü, Chiron, Pollux, Castor, ces messieurs adoraient la chasse, les chiens, les chevaux. « Ulysse fut blessé par un sanglier qu’il chassait : Mithridate, dans sa jeunesse, chassa pendant sept années consécutives, couchant toutes les nuits à la belle étoile ; Darius fît écrire sur son tombeau qu’il avait été chasseur. Sylla, Sertorius, Pompée, Jules-César, Cicéron, Marc-Antoine, etc., étaient bons Veneurs. » N’en voilà-t-il pas plus qu’il en faut pour ceux qui prennent pour modèles, les grands chasseurs des temps antiques ? Venandi studium cole ! a dit Horace.

« Si Pépin-le-Bref fut élu roi des Français, dit Blaze, s’il devint la souche des Carlovingiens, il le dut encore plus à sa renommée de chasseur intrépide, qu’à l’honneur d’être fils de Charles-Martel. Pépin pourfendit un lion monstrueux et du même coup, entama le taureau que ce lion étranglait. Cet acte de force et de courage imprima le respect aux nobles qui l’accompagnaient ; dès ce moment, la déposition de Childeric fut résolue. »

Par la chasse, on a de bons soldats, avec de bons soldats, on « conserve sa liberté » comme l’a dit Michel-Ange Blondus, dans son livre sur la chasse, dédié à François I.

La chasse au faucon, la fauconnerie, précéda la chasse au tir, laquelle ne s’affermit que vers 1630. La fauconnerie était surtout l’amusement des grands et dans l’ancienne monarchie française, le Grand Fauconnier du Roi était un personnage important. « Les princes et les prélats aimaient furieusement la chasse ; ils transportaient partout leurs oiseaux, même dans les églises. On les plaçait, pendant la messe, sur les marches des autels, au bord des chaires. Les dames suivaient la chasse, partout, le faucon sur le poing. C’était un plaisir pour elles ; aujourd’hui, les chasseurs les laissent à la maison, et souvent, c’est tant pis pour eux. »

Et le chien, l’ami de l’homme, n’a-t-il donc pas sa part des dangers et des plaisirs de la vénerie ?

« En effet, » dit encore Blaze, « cette intelligence de chien qui prend le vent, qui marche avec précautions, qui châtonne, est une chose admirable. Médor, mon fameux Médor, me rapportait un lièvre, chemin faisant, il tombe en arrêt sur un perdreau : Médor est immobile, la patte en l’air, le lièvre à la gueule ; le lièvre, le chien, le perdreau, rien ne bouge. Quel tableau plus ravissant ! quel spectacle plus suave peut jamais inonder l’âme d’un chasseur de jouissances plus positives ! Quand on voit un trait pareil, on nourrirait son chien avec des écus de six livres, si l’on en pouvait trouver encore. »

Les chiens de chasse avaient, eux aussi, leur fête patronale en France, à la Saint-Hubert, car saint Hubert a détrôné Diane[2].

Au glorieux jours du Canada primitif[3], le gibier abondait, dans les forêts, sur les battures, les grèves, les cours d’eau, jusque dans le voisinage des villes. Panthères du nord, ours, wapites, loups, caribous, loups-cerviers, renards, vaches-marines ; voilà pour les amateurs de grosses pièces, pour les DuChaillu et les Jules Gérard de l’époque. Il est fait mention, dans le dernier voyage de Jacques-Cartier[4], de la férocité des panthères, grosses comme des lionnes, dans le voisinage d’Hochelaga, dont deux se seraient pendant la nuit, introduites jusque dans l’un des canots de la Ville de Bordeaux, et aurait enlevé le lieutenant St-Pierre, qui y commandait avec un compagnon, et cela malgré les coups de mousquet que Jacques Cartier et ses hommes tirèrent. Mais les panthères du nord ont disparu, aussi bien que les vaches-marines et les wapites.

Les grèves de Beauport, donc, que d’hécatombes de canards a dû y immoler, en 1627, le Nemrod de l’endroit, le seigneur Robert Giffard, de la cache, ou loge qu’il s’était construite, au rapport de Sagard, sur les bords du ruisseau de l’Ours, à la Canardière ?

Le gouverneur de la Nouvelle-France, concessionnaire, en 1646, des Îles-aux-Grues et des Îles aux-Oies[5], Chs. Huault de Montmagny, pense-t-on qu’il ne s’en tenait qu’aux canards et aux bernaches, épargnant les volées d’outardes, d’oies sauvages, et même les cygnes qui, en août et en septembre, fréquentaient la dune ou les battures ! Ces mâles figures de nos temps héroïques, les Marguerie, les Lauzon, les Lambert-Closse, les de Rouville, les de Maisonneuve, les LaSalle, les de Beaujeu, explorateurs ou colons, traçant le sillon, le fusil en bandoulière ; ou côtoyant, bien armés, la voie publique d’alors, c’est-à-dire, le sentier de la forêt, en quête de découvertes, n’étaient-ils pas, bons chasseurs aussi bien que braves soldats ? Chasseurs pour subsister, guerriers pour se défendre, ou par goût, par instinct, ou parce qu’ils avaient du sang français dans les veines ; mais pardon, ombres vénérées de nos pères, si un simple chasseur des villes ose profaner vos immortelles mémoires en les évoquant.

Énumérer tous les endroits de chasse dans notre pays, encore si giboyeux, malgré les colossales tueries du passé, ce serait une tâche plus qu’herculéenne.

Les deux rives du Saint-Laurent, depuis l’entrée du golfe jusqu’aux chûtes de Niagara, sept à huit cents lieues à parcourir ; voilà une partie de chasse à satisfaire le plus ardent veneur. Comme Jacques Cartier, aux Îles-aux-Oiseaux, en 1534, vous y trouveriez du gibier pour frêter un trois-mâts ; vous en pourriez faire des salaisons, au besoin.

Les tributaires de l’Outaouais, la Longue-Pointe sur le lac Érié, les vastes marais du lac Saint-Clair, la baie de Burlington, à l’ouest ; la pointe au Père, la batture aux loups-marins, la dune à l’Île-aux-Grues, les battures de Mille-Vaches, de l’Île Blanche, de l’Île-aux-Lièvres, les Pèlerins[6], les Îles de Sorel, les battures de la baie du Febvre, les plages de Kamouraska, la batture aux alouettes, voilà des localités qui, en septembre, peuvent entrer en comparaison avec ce que le vieux monde a de plus giboyeux[7]. Quant aux parages de la baie d’Hudson, les lacs du Nord à l’intérieur, les rives de l’Océan glacial et les îles du bas du fleuve, où couve le gibier, l’on sait que l’abondance en était telle que les premiers explorateurs l’ont consignée dans leurs relations ; que nombre de goélettes des États-Unis, y viennent encore chaque année, en mai et juin, en enlever des charges entières d’œufs. Heureusement, que notre Législature a su réprimer ces attentats contre l’espèce ailée. La protection du gibier, après avoir été longtemps méconnue, a enfin obtenu, parmi nous, droit de cité ; nos lois de chasse améliorées, font l’admiration de nos voisins, qui fondent depuis quelques-années des clubs pour la protection du gibier, et passent des ordonnances de chasse à notre exemple ; ce ne sont pas les seuls avantages qu’ils retireraient, s’ils avaient le bon esprit de s’annexer au Canada !

On a, en Canada chassé aussi, longtemps comme des barbares, des Goths et des Ostrogoths.

Rien n’était respecté : on n’épargnait nul être emplumé. Il y a encore, nous le craignons, parmi ceux qui épaulent le fusil, des âmes abjectes, désavouées de saint Hubert, capables de tirer une bécasse sur son nid au printemps, de dénicher un merle, une bécassine, une perdrix ou même un canard branchu, pour en vendre les œufs. Il n’y a que l’amende ou la prison qui puisse faire respecter par ces misérables, le temps sacré de l’incubation des œufs, de l’éclosion des jeunes. C’est par le fouet de la loi seul que vous ferez comprendre à cette canaille que, pour chaque oiseau des espèces sédentaires tué au printemps, c’est une couvée entière, peut-être quinze individus de perdus pour l’automne.

L’on a réussi, de cette sorte, à éloigner le gibier des villes et à le refouler aux îles solitaires du bas du fleuve, aux côtes inaccessibles de la baie d’Hudson, où il se rencontre encore en nombre prodigieux. C’est par ces impitoyables tueries, en tout les temps de l’année, que nos voisins ont réussi à exterminer le saumon dans l’Hudson, le dernier saumon ayant été capturé, il y a plus de cinquante ans.

L’espace me manque pour noter les endroits de chasse autour de Québec. Le Bas-Bijou est à peu près épuisé ; Château-Richer et Sainte-Anne ne fournissent que rarement leurs 4,000 bécassines des temps passés. La bécasse est plus rare, à la côte à Bonhomme, aux Salines, à la baie du Febvre[8]. Saint-Joachim donne moins d’outardes que par le passé. Les tourtes, jadis, si nombreuses qu’on les tirait, en 1814, sur les glacis de Québec, ont presque disparu ; il faut aller dans le district de Niagara ou au Kentucky pour les retrouver.

  1. Saint Hubert, d’une famille noble d’Aquitaine, était dans sa jeunesse au service de Pépin d’Héristal, père de Charles Martel. Il aima d’abord le monde et la chasse avec passion ; bientôt, les conseils de saint Lambert, évêque de Maestricht, lui firent embrasser l’état ecclésiastique, et quand saint Lambert mourut, il devint évêque à sa place, en 708.

    Tout en détruisant le culte des idoles dans les Ardennes, le saint s’amusait a tuer les loups et les sangliers. Sa réputation s’étendit au loin ; il faisait des miracles, entre autres, la pluie et le beau temps, recette fort agréable pour un chasseur.

    En 731, il transféra son siège épiscopal de Maestricht, à Liège, dans la cathédrale qu’il fit bâtir, et mourut en 737.

    Son corps, déposé d’abord dans cette église, fut transporté, par ordre de l’empereur Louis-le-Débonnaire, à l’abbaye d’Andain, dans les Ardennes, et dès ce moment, en l’année 825, cette abbaye prit le nom de Saint-Hubert.

    Cette translation, approuvée par le concile d’Aix-à-Chapelle, se fit avec une grande pompe. L’empereur voulut y assister, tous les chasseurs l’accompagnèrent. L’année suivante, on fit une procession commémorative de cette cérémonie ; et de là, les pèlerinages qui se font encore tous les ans.

    La dévotion pour saint Hubert devint si grande, que tous les seigneurs des environs offraient à l’abbaye d’Andain, les prémices de leur chasse et la dixième partie du gibier qu’ils tuaient chaque année : probablement saint Hubert ne les mangeait pas, mais les moines s’arrangeaient de manière que rien ne fût perdu.

    — (Blaze.)
  2. « On vient de réparer, au château de Chantilly, la Chapelle où se célébrait la messe des chiens. Du temps des Condé, cette messe avait lieu chaque année à la Saint-Hubert. La chapelle était parée comme aux grands jours ; des fleurs étaient répandues sur les dalles ; des fleurs jonchaient le chenil, composé, comme on sait, d’une aile entière de la seconde cour circulaire du château.

    Le plus vieux gentilhomme, monté sur le plus vieux cheval, suivi du plus vieux chien, accompagné du plus vieux piqueur, ouvrait la marche des chiens se rendant à la messe. Ce jour-là, le peigne, la brosse et l’éponge donnaient au poil tout le lustre de l’étiquette ; les queues et les oreilles adoptaient la forme la plus grave. Les remontrances et l’eau de savon venaient à bout des plus rebelles.

    Introduits par ordre de race, au centre de la chapelle, on les rangeait de front, d’après l’âge ou le mérite, devant le tableau de saint Hubert, exposé sur le maître-autel. L’aumônier du château commençait ensuite le sacrifice de la messe et rien n’était omis dans la liturgie spéciale ; puis, il montait en chair et prononçait le panégyrique du patron des chasseurs et des chiens. Malheur au pointeur qui eût baillé à l’exorde ! Malheur au lévrier qui eût dormi sur ces pattes au second point !

    Cette cérémonie, qui a très-réellement existé pendant de longues années, avait pour but d’éloigner des chiens, la gale, le flux du sang, les vers, le mal d’oreille, les crevasses, les morsures des serpents, les piqûres des plantes vénéneuses, les blessures du sanglier et surtout la rage.

    Blaze.
  3. « En la saison les champs sont tous couverts de Grues ou Tochingo, qui viennent manger leurs bleds quand ils les sement, et quand ils sont prests à moissonner : de mesme en font les outardes et les corbeaux, qu’ils appellent Oraguan, il nous en faisaient par-fois de grandes plaintes, et nous demandaient le moyen d’y remedier : mais, c’estoit une chose bien difficile à faire : ils tuent de ces Grues et Outardes avec leurs flesches, mais ils rencontrent peu souvent pour ce que si ces gros oyseaux n’ont les ailes rompues, ou ne sont frappez à la mort, ils emportent aysement la flesche dans la playe, et guerissent avec le temps, ainsi que nos Religieux de Canada l’on veu par expérience d’une Grue, prise à Kebec, qui avait été frappée d’une flesche Huronne à trois cents lieues au délà, et trouvèrent sur sa croupe, la playe guérie, et le bout de la flesche, avec sa pierre enfermée dedans. Ils en prennent aussi quelque-fois avec des collets. »

    (Le Grand Voyage Du Pays Des Hurons.)
  4. Manuscrit découvert dans la Bibliothèque Royale de Bruxelles, en 1855 par M. Viger.
  5. « L’Isle-aux-Coudres et l’Isle-aux-Oies méritent d’être nommées en passant. La première est souvent remplie d’élans qui s’y rencontrent ; la seconde, est peuplée en son temps d’une multitude d’oies, de canards, d’outardes, dont l’île, qui est plate et chargée d’herbe comme une prairie en paraît toute couverte. Les lieux circonvoisins retentissent incessamment des cris de ces oiseaux. »

    (Relations des Jésuites, le Père P. Lejeune.)

    « Il y a deux Isles-aux-Oies ; la première se nomme la Petite, l’autre la Grande, Isle-aux-Oies. Les dames religieuses de l’Hôtel-Dieu acquirent cette dernière, en 1711, du sieur Paul Dupuy, vieillard septuagénaire, qui y avait élevé une nombreuses famille, après avoir quitté le régiment de Carignan, où il était officier. Le nom de Sainte-Marie qu’elles lui donnèrent, n’est pas resté. — Histoire de l’Hôtel-Dieu.

  6. Depuis que le gouvernement met en force la loi de chasse, chaque printemps aux Pèlerins, vis-à-vis Saint-André, il y a une affluence prodigieuse de gibier sur ces trois lieues de rochers, asile des goélands, des pigeons de mer et d’une multitude d’autres espèces aquatiques.
  7. M. George Barnston, de la Compagnie de la Baie d’Hudson, lisait en 1861, en présence de la Société d’Histoire-Naturelle de Montréal, un Mémoire sur le gibier qui fréquente le nord du continent, dont nous extrayons ce qui suit :

    « It is very difficult to form anything like an accurate idea of the various species of geese that have just been passed in review, vis : the Canada gray goose, the lesser grey goose, the Brant goose, and the white fronted goose. Of the quantity shot at particular points where they become an article of provisions, we may arrive at a wide, but still a better estimate. Seventeen to twenty thousand geese are sometimes killed by the Albany Indians in the autumn or fall of the year, and ten thousand or more in the spring,

    making a total, for these coast Crees alone, of at least
    30,000
    Not speaking so certainly of other natives, I would place the Moose Indians as killing at all seasons
    10,000
    Rupert’s River natives
    8,000
    Eastmain and to the north, including Esquimaux
    6,000
    The Severn Coast I cannot compute as yielding less than
    10,000
    The York Factory and Churchill Indians, with Esquimaux beyond, must dispose of
    10,000
    Making a total of geese killed on the coast, of
    74,000

    As many geese must die wounded, and others are got hold of by the foxes and wolverines, we may safely allow the total loss to the flocks while running the fiery gauntlet, as equivalent to 80, 000. I was at one time inclined to believe that two-thirds of this number was, or might be, the proportion for autumn hunt, but it is probably nearer, the newly fledged flocks, as they pass southward along the bay. I have lately been informed by an old and experienced hunter, that he believes that for every goose that is killed, above twenty must leave the bay without scaith, as although there is sometimes destruction dire among some lots that feed in quarters frequented by hunters, yet innumerable families of them alight on remote and quiet feeding grounds, remain unmolested and take wing when the cold sets in, with their numbers intact. I must allow the correctness of this remark, and the deduction to be drawn from it, is that 1,200,000 geese leave their breeding grounds by the Hudson’s Bay line of march for the genial south. Of the numbers to the westward along the arctic coast, that wend their way to their winter quarters straight across the continent, we can form but a very vague opinion, but computing it at two-thirds or more of the quantity supposed to leave the eastern of the arctic coast, we cannot have less than two millions of geese, composing the numerous battalions which pass over the continent between the Atlantic and the Rocky Mountains, borne aloft generally like the scud, and as swiftly hastened on, by the force of the boreal blast.

    « I ought to observe that the Brant geese, Bernicla Brenta, are not included in the above estimate. They are pretty numerous on the Atlantic coast, but are quite neglected by the Indians, in general, of Hudson’s Bay. »

  8. Voilà encore un endroit, où la loi de chasse s’est fait favorablement sentir. Par malheur, les paysans ont abattu une grande partie des broussailles et des taillis, qui abritaient les mares et les petits lacs de cette vaste batture ; le gibier y afflue moins que dans les premiers temps. La Baie du Febvre est un des rares endroits, où couve la bécasse ; sur les hauteurs en arrière, il s’est fait des chasses prodigieuses.