N. S. Hardy, Libraire-éditeurs (p. 191-195).


LA CHASSE À LA PERDRIX


Le gibier, dans nos bois, commence à se montrer,
Vite, point de lenteur, il le faut rencontrer ;

 

Quand nous verrons venir les tourtes à foison,
Les timides perdrix errer sur nos côteaux,
Les pluviers abonder auprès de nos ruisseaux.
— Épitre de M. Bibaud à M. H. H. ……y.


Chaque année, septembre nous ramène une chasse qui, sans être bien fructueuse, ni bien aventureuse, a ses charmes. J’ai nommé la chasse à la gelinotte à fraise, connue au peuple sous le nom de perdrix de bois francs. Pour ce, ayez un bon chien, si vous désirez faire brancher le gibier, surtout avant la chute des feuilles. Dans la forêt dénudée au commencement d’octobre, l’œil découvre au loin, même sans le secours d’un chien, soit sur les rameaux des arbres, soit à terre, l’oiseau convoité, lequel, fort souvent, est d’un abord facile et va par bande, ou couvée, de huit à dix individus et plus.

J’ai vu faire d’excellentes parties de chasse dans les Bois Francs des Cantons de l’Est, ainsi que sur les versants des Laurentides, en aval de la baie St-Paul et de la Malbaie. À mon sens, rien de plus délectable, de plus favorable à la santé, qu’une course de trois à quatre lieues, en quête de perdrix, sous un beau soleil d’automne, sur les hauteurs giboyeuses et bien boisées, où croissent l’érable et le pin du Canada. Si, au lieu de pouvoir tirer le gibier presque aux portes de Québec, comme cela se faisait en 1648[1], il faut pénétrer au fond des forêts lointaines, jusqu’au lac Saint-Jean, même, pour l’avoir en abondance, la faute en est à ces misérables qui prétendent le tuer en tout temps. Dès 1731, existaient d’excellentes ordonnances de chasse en la colonie, que l’on aurait dû mettre en force[2]. Écoutons la voix prophétique de Frank Forester, foudroyant ceux qui massacrent le gibier à la saison de la reproduction des espèces : au temps où il écrivait, les Clubs pour protéger ne faisait que naître. « Dans moins de dix ans, » dit-il, « si l’on ne prend des mesures plus efficaces que celles qui existent pour sauvegarder la bécasse rouge, on la comptera au nombre des races éteintes, partout dans un rayon de cent milles des plages de l’océan Atlantique… et en moins de cinquante ans du jour où j’écris (1848), je suis convaincu que la bécasse rouge sera aussi rare dans les États de l’Est et du Midi, que l’est maintenant le dindon sauvage et le Tétras de prairies (Tétras Cupido). Le caille durera un peu plus longtemps et le Tétras gris (notre perdrix à fraise) « périra le dernier : mais le commencement du vingtième siècle verra nos grands bois, nos vastes savanes, les versants de nos montagnes, sans gibier, mornes et désolés[3]. »

Ses prédictions sont en train de se réaliser.

Mon journal de chasse me fournit l’extrait suivant :

« Je compterai toujours parmi mes chasses, sinon les plus fructueuses, du moins les plus agréables, une excursion que je fis avec un mien ami, une fraîche matinée de septembre, dans les érablières : qui tapissent le versant sud des montagnes du Château-Richer, côte de Beaupré.


C’était l’heure où les bois s’éveillent aux ramages
Des ruisseaux babillards et des oiseaux sauvages ;
Où du soleil levant, les radieux reflets,
Redonnent leur couleur aux feuilles des forêts.
L. P. Lemay.


« L’astre radieux du jour, vainqueur des brumes du matin, dorait en ce moment les cimes sombres de quelques chênes rabougris laissés dans les pâturages au pied des côtes, pour donner ombrage aux troupeaux ; la chute des feuilles approchait, c’était donc l’époque où les forêts du Canada se drapent dans leurs habits de fête. Vous êtes-vous jamais, cher lecteur rendu compte du coup d’œil éblouissant qu’elles présentent chaque automne à l’approche de ces jours alcyoniens, enivrants de mélancolie, que le paysan nomme l’Été de la Saint-Martin. On a bien raison de dire qu’à cette saison, la chaumière du plus pauvre bûcheron canadien est encadrée de splendeurs telles que l’Europe chercherait en vain dans ses parcs les plus fastueux. Avez-vous noté l’incomparable beauté des pins à cette saison ? les avez-vous vus, au moment où les autres arbres forestiers tout tristes, paraissent s’étioler, revêtir leur livrée la plus vive, la plus séduisante ? Qui peindra l’effet ravissant de l’aurore, versant à pleines mains, une pluie d’or sur leurs vertes chevelures émaillées de perles, ruisselantes de rosée, tandis que le côté de l’arbre, opposé au soleil, semble incrusté de bronze ? Sous certains rayons de lumière, le vert foncé, invisible, prédomine ; sous d’autres, cette nuance se confondra avec l’acanthe. Dans cette partie de la forêt, quelques rares épinettes semées avec un beau désordre parmi des groupes d’érables, de hêtres ou de bouleaux, donneront matière à de merveilleux contrastes ; dans cette autre région, une plaine brillante de jeunesse et de verdure, étalera à sa cime une touffe de feuilles rousses, irisées de violet : magiques guirlandes, bouquet féérique ! C’est la forêt enchantée d’Armide, moins les « cyprès saignants et les myrtes mystérieux » ? Ici une feuille aura un côté, carmin ; l’autre, marron. Là, un svelte érable ceindra son sommet verdoyant d’une zone écarlate ou d’un nuage d’or. Voyez là bas, ce solitaire, vieux géant de la montagne, aux ramées pendantes, au vert feuillage, abandonnant son tronc noueux aux caresses des vignes sauvages dont les festons empourprés l’enlacent, l’étreignent en tout sens ; bref, les monts semblent avoir dérobé à l’Empyrée, son inimitable coloris ; à Iris, sa ceinture ; partout, des teintes à désespérer le pinceau de l’homme. Vous pourriez, peut-être, si vous étiez Kreikoff[4] transférer à la toile quelques-uns des détails, mais l’ensemble, la vivacité des contrastes, la délicatesse des nuances, le divin afflatus qui vivifie ce tableau, qui me le donnera ? Pouvez-vous maintenant concevoir quelques unes de nos gloires, les reflets de l’aurore illuminant nos grands bois pendant une belle matinée d’automne.

« Nous cheminions rapidement l’un devant l’autre dans le sentier de la montagne, au sein des fougères et du thé sauvage dont les tiges nous inondaient d’une abondante rosée. Soudain notre chien d’arrêt d’aboyer énergiquement ; puis : Wi-r-r-r ! Glouc ! Glouc ! la note d’alarme de la perdrix, parmi les feuilles ; nous fîmes feu ensemble et un beau jeune coq, à l’œil noisette, à la fraise noire, tomba palpitant sur la rive d’un cours d’eau voisin. Mon camarade, bon luron, de s’écrier : « Excellent augure ! et pour nous préserver du rhumatisme et de l’humidité, trinquons à la naïade du ruisseau, qui nous a valu ce coup ; puis, nous mettrons à la broche notre perdreau pour notre repas du midi. »




  1. Un jeune chasseur canadien, M. Junot, nous informe que le nombre des perdrix blanches tuées l’automne de 1871, au lac Saint-Jean, a du atteindre le chiffre de 10,000. Il en a lui-même amené une charge de cheval au marché de Québec. On tire ce lagopède, avec du gros plomb, le matin, lorsqu’il sort de son trou dans la neige, où, la nuit, il a cherché abri contre le froid. Il est farouche et dur à tuer.

    Aux premiers temps de la colonie, on les tuait par centaine, à Beauport. Le Journal des Jésuites ajoute qu’« en 1648, il y eut une quantité prodigieuse de perdrix blanches : on en tua 1,200 dans un mois, à Beauport. »

  2. « Philippe de Rigaud, etc, et Michel Bégon, etc.

    « Ayant été informé que, depuis le 15e mars jusqu’au 15e juillet, il se fait une très-grande destruction de perdrix dans le temps qu’elles s’accouplent, par la facilité qu’il y a de les tuer, faisant alors connaître, par leur battement d’ailes, les endroits où elles sont, et pour empêcher la continuation de cet abus, dont s’ensuivrait infailliblement l’entière destruction de ces oiseaux dans la colonie, ce qui priverait le public d’une grande douceur pour la vie ; nous défendons à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, de tuer des perdrix depuis le 15 mars jusqu’au 15 juillet, à peine de cinquante livres d’amende applicable au dénonciateur ; et pour ôter tout prétexte d’en tuer, nous défendons sous la même peine, à toutes sortes de personnes d’en vendre ou acheter pendant le dit temps, et d’en apporter dans les villes et autres lieux de cette colonie, et de les exposer en vente…

    Bégon. »

    « Fait à Québec, 28 janvier 1721. »

  3. Frank Forester’s Field Sports.
  4. Artiste Canadien, mort aux États-Unis, dont les tableaux sont, en ce moment, fort recherchés.