N. S. Hardy, Libraire-éditeurs (p. 146-148).

L’OUTARDE


(wild goose — canada goose)


Infatigables voyageuses
En troupe franchissant les mers,
Sur les plages marécageuses
Nous descendons du haut des airs.
Vous, qui de notre bande ailée
Avez si bien tracé l’essor,
Merci ; je prends ma volée
Vers la terre du Labrador.
Hommage des Oiseaux Canadiens
A. Marsais.


Montréal, mars 1862.


Les auteurs Européens ont honoré cet oiseau du nom flatteur de cygne Canadien. Buffon le nomme l’oie-à-cravate : ce beau palmipède connu aussi en France, comme l’oie du Canada et auquel notre peuple a conféré le nom bien impropre d’outarde, est fort répandu sur tout le littoral du Saint-Laurent. Une outarde, dans le vieux pays, Otis Tarda, est un échassier des plaines, un coureur, non un palmipède.

« Une cravate blanche passée sur une gorge noire distingue cette oie… ; le bec et les pieds sont de couleur plombée et noirâtre ; la tête et le cou sont de même, noirs ou noirâtres, et c’est dans ce fond noir que tranche la cravate blanche qui lui couvre la gorge. Du reste la teinte dominante de son plumage est un brun-obscur et quelquefois, gris ; — la queue est noire. Au temps de Buffon, il y en avait plusieurs centaines sur le grand canal à Versailles, ou elles vivaient familièrement avec les cygnes ; il y en avait aussi une grande quantité sur les magnifiques pièces d’eau qui ornent les beaux jardins de Chantilly. Elles avaient également été introduites en Angleterre : on a réduit assez facilement à la domesticité, cette oie ; mais elle aime a cacher son nid, ou elle déposera de quatre à six œufs, d’un blanc sale. Le mâle, sentinelle vigilante, veille sur la famille et se montre courageux, féroce même contre tous ceux qui oseraient troubler la paix du foyer : il se tient debout, la tête levée, près du nid qui est placé sur la terre, entouré de roseaux et formé de joncs et d’herbes sèches ; il promène ses regards attentifs sur les environs, et prête l’oreille au moindre bruit. Le renard a beau se traîner entre les herbes ; il est aperçu, battu et mis en fuite. Audubon observa trois années de suite les allures d’un de ces jars, qui avait son nid près d’un lac.

« Toutes les fois, dit-il, que je venais visiter le nid de l’oiseau, celui-ci me voyait approcher avec un air d’indignation, se dressait de toute sa hauteur pour me regarder et semblait me toiser de la tête aux pieds ; puis, quand je n’étais plus qu’à quelques pas de distance, il secouait violemment la tête, et, s’élançant dans les airs, il se précipitait vers moi. Par deux fois différentes, il m’a atteint de son aile le bras droit, que j’avançais machinalement pour l’écarter, et avec une telle violence que je croyais un moment d’avoir le bras cassé ; après cette vigoureuse démonstration il revenait aussitôt vers le nid, et passait affectueusement sa tête et son cou autour du corps de la femelle ; puis, il reprenait, en me regardant, son attitude menaçante.

Les outardes sauvages se mêlent souvent aux outardes domestiques. Plus d’une fois, à l’approche des premiers froids, les paisibles cultivateurs de l’Île-aux-Grues ont remarqué une augmentation notable dans leurs bandes d’outardes apprivoisées : ce sont des outardes sauvages qui se mêlent à elles et qui les accompagnent dans les granges où elles sont parquées. Dès que cela a lieu, le propriétaire a soin de renfermer ensemble pour le reste de l’automne ses propres outardes avec les étrangères, et au printemps suivant, il est difficile de distinguer les outardes sauvages de celles qui sont apprivoisées : ce fait s’est reproduit nombre de fois à notre connaissance.

Les outardes reviennent du nord en septembre avec leurs jeunes que l’on nomme pirons : elles fréquentent pendant une couple de mois, leurs anciennes retraites ; puis, vers le 1er novembre, elles dirigent leur vol triangulaire vers le sud, et hivernent au Mexique, au Texas et en Pennsylvanie. Pendant le voyage, un jars robuste forme la pointe du triangle et fend l’air pour le reste du vol ; lorsqu’il est fatigué, un autre vieux jars prend sa place : telle est la méthode de migration.



Le Cygne du Canada.