N. S. Hardy, Libraire-éditeurs (p. 15-21).


LE CHASSEUR MODERNE

ARMEMENT — MUNITIONS — ÉQUIPEMENT



Le chasseur prend son tube, image du tonnerre.
II l’élève au niveau de l’œil qui le conduit.
Le coup part, l’éclair brille, et la foudre le suit.

Delille.


L’armement du chasseur a subi d’étranges phases, depuis la primitive bombarde (est-ce là l’origine du verbe bombarder ?) du quatorzième siècle — à la couleuvrine portative du quinzième, du poids de vingt-cinq a cinquante livres et requérant pour faire feu, les services de deux personnes.

Il paraîtrait qu’à la bataille de Morat, en 1476, les Suisses étaient armés de 6 000 couleuvrines.

Le fusil[1] retint la forme de la couleuvrine, jusqu’au commencement du seizième siècle, époque où les Espagnols inventèrent l’arquebuse, dont le tube était plus long, mais dont le calibre était moindre que celui de la couleuvrine ; elle se déchargeait au moyen d’une fusée lente.

En 1515, eut lieu à Neuremberg, Allemagne, une amélioration notable : l’adaptation de l’appareil que les anglais nomment wheel-lock, procédé vieux comme le monde : enflammer l’amorce par la friction du silex sur des pyrites.

On continua cependant, jusqu’en 1627, à employer dans les armées anglaises, l’arbalète et la flèche, engins de guerre peu dispendieux et fort destructifs entre les mains des robustes archers des temps passés ; une flèche bien dirigée perçait à jour la cotte de mailles, la plus ingénieuse, la plus forte, comme il est facile de s’en convaincre en examinant celles déposées dans les anciens musées.

Le fusil à pierre[2] vit ses plus beaux jours, vers 1815 ; l’habile Joseph Manton, le roi des armuriers, au dire de M. Greener, avait alors mis la dernière main à son arme chérie, — avant de se lancer dans la confection des fusils à percussion, — en ajoutant à son mécanisme, l’arrêt de sureté, pour retenir le cran du fusil, quand on le chargeait. (Alfred M. Mayer).

Le fusil à pierre, inventé en Espagne, en 1630, paraît avoir été introduit en France, en 1640. En 1671, il devint l’arme des Grenadiers Français ; en 1703, l’infanterie l’adopta à la place du mousquet. C’était, au début, une arme assez grossière. Le fusil-à-pierre de 1630, se maintint près de deux siècles. Vers 1826, on lui substitua le fusil à percussion : le colonel Hawker, sportsman distingué, se targua d’avoir suggéré, en 1818, au fameux armurier anglais, Joseph Manton, l’idée de la capsule fulminante. Manton l’eut bientôt fait adopter en sa patrie : puis, les armuriers des deux bords de la Manche, de se creuser le cerveau pour découvrir et faire accepter, chacun son système particulier de charger et d’amorcer.

Enfin, en 1836, l’ingénieux M. Lefaucheux, de Paris, inventa sa célèbre cartouche à brochette, qu’il adapta au fusil à culasse mobile, déjà connu, au lieu de la charge ordinaire et des capsules. Son compatriote, M. Beringer, se fit fort d’améliorer le système d’amorce de la brochette-Lefaucheux : ce dernier lui intenta procès, pour empiètement sur son brevet. Plus tard, vint la cartouche de cuivre, au lieu de la cartouche de feutre. Le fusil Lefaucheux, après avoir subi avec succès plus de dix années d’expériences en France, put triompher des préventions nationales des anglais. En 1854-5, M. Long, excellent armurier de Londres, l’introduisit au sport.

L’arme nouvelle ne fut pas acceptée sans réclame. Elle promettait beaucoup, il est vrai ; mais on prétendait que la charge n’avait pas la pénétration des anciens muzzle-loaders — fusils à baguette — que Joe Manton,[3] Westley Richards, Purdey, Hollis, Lancaster et consorts portèrent plus tard à la perfection, en Angleterre. La brochette disait-on, par la friction, causerait du jour dans la culasse ; l’air ou le gaz s’échapperait, ce qui pourrait faire cracher le fusil et produire des accidents.

Le professeur Alfred M. Mayer, de New-York, affirme que Joseph W. Long fut le premier à signaler, aux États-Unis, les avantages de ce procédé : les anglais, gens pratiques, s’en emparèrent et l’utilisèrent au degré que l’on connaît.

M. Lancaster, armurier de Londres fit subir à l’arme française diverses modifications : entre autres, dans le mode d’amorce, remplaçant la brochette par l’appareil dit « central fire » à percussion central, un progrès réel et permanent.

M. Daw avait, lui aussi, en Angleterre, tenté une autre modification du fusil Lefaucheux, dont l’idée première revenait de droit, dit M. Mayer, à M. Sneider, de Baltimore. En 1875, M. Lancaster ressuscita, où selon d’autres, adopta un mode inventé ou oublié, dans la confection du fusil, lequel porte le nom de Choke Bore, et consiste à réduire en étendue l’orifice du canon, afin de donner plus de résistance, de pénétration et moins de diffusion à la charge. Il est difficile de dire qui inventa réellement le Choke Bore. Dès 1787, M. Magné de Marolles, dans La Chasse au Fusil, avait mentionné, sans l’approuver, cette méthode ; le col. Hawker en parle, lui aussi, sans l’approuver, dans son volume publié à Londres, en 1814, Instructions to Young Sportsmen ; Deyeux y fait allusion dans Le Vieux Chasseur, en 1835. M. Greener, de Birmingham, réclama comme sienne, l’invention de Choke Bore. Le Choke Bore se pratique sur l’un des canons d’un fusil double : le canon à gauche généralement, bien qu’il existe sur les deux canons des fusils à canard, de longue portée. Il existe diverses modifications du Choke Bore : selon le mode de chasse que l’on se propose de faire. On a même inventé des fusils à trois canons ; le troisième (canon de carabine) placé sous les deux autres. Une autre modification récente du fusils de chasse, c’est la suppression du marteau, qui fait saillie à l’extérieur. Le fusil sans marteau, Field Hammerless Gun, sera-t-il le suprême degré de perfection, en un mot le fusil de l’avenir ? Nous nous garderons bien d’assigner des bornes aux conquêtes de l’esprit humain.

Les fusils à culasse mobile ont certainement des avantages incontestables, dirons nous, incontestés sur les fusils à baguette de notre jeunesses, bien que nous connaissons de vieux routiers, dont le coup porte rarement à faux, qui tiennent mordicus aux anciens fusils à baguette, muzzle-loader. Le Nestor des chasseurs, de St. Roch de Québec, Pitre Portugais, qui va faire le coup de fusil sur la grève du Château Nicher, de Ste Famille, etc., chaque automne depuis cinquante ans, bien que constant dans ses amours envers l’antique fusil à percussion, m’assure qu’il préférerait l’arme nouvelle, s’il pouvait s’en procurer une à son goût. Pour charger le fusil à culasse mobile, on n’a que faire d’en salir la crosse : on ne la dépose pas à terre.

Il s’encrasse moins à l’intérieur : chacun sait combien un fusil sale tire mal ; la différence entre les coups tirés le matin et ceux tirés à la fin du jour est bien connue.

On ne court aucun risque d’introduire une double charge dans le canon, comme pour le fusil à baguette ; on ôte, on change quand on veut, la charge, sans tire-bourre et sans tirer.

Eley, Greener, Bemington, et autres armuriers brevetés, ont récemment introduit des améliorations importantes dans la cartouche ; l’étui qui la renferme se compose d’un papier imperméable, qui n’écorche pas le canon du fusil, et que l’on peut charger jusqu’à quatre fois sans en détruire l’enveloppe. Les étuis de cartouche, en cuivre peuvent être remplis plus de vingt fois ; mais elles ont le désavantage de se dilater, par la chaleur, et d’égratigner quelquefois l’intérieur du fusil.

Si l’on tient à se procurer une bonne arme, il faut se méfier des fusils à bon marché, ou trop légers, aussi bien que de ceux qui ne portent pas la marque des épreuves officielles et le nom d’un armurier bien connu, gravé sur le tonnerre du fusil. Les Américains ont fait de merveilleux progrès, dans la fabrication des armes à feu : surtout des carabines pour abattre de loin le gros gibier. Les carabines de petit calibre ont dû céder le pas aux nouvelles carabines de Winchester Remington et autres armuriers bien connus.

Les fusils Anglais et Belges sont les seuls, croyons nous, qui portent constamment la marque officielle[4] des épreuves.

Il va sans dire que l’on doit essayer ou faire essayer, et cela plus d’une fois, une arme avant de l’acheter : Blase vous dira comment

Procurez-vous une carnassière à sac double, l’un pour les comestibles, l’autre pour le gibier. Votre toilette de chasseur devra être fort simple. Point de couleurs voyantes, dans vos vêtements. Casquette à visière — blouse de tweed, forte, mais légère : pantalons de corduroy — bottes canadiennes en cuir de bœuf à forte semelle — bien cirées.[5] L’indispensable gilet de flanelle sur la peau en tout temps — rempart contre les rhumatismes : le ceinturon pour contenir les cartouches et l’appareil pour les recharger, le couteau de chasse, la lunette d’approche pour la chasse au gros gibier, la griffe pour extraire l’étui de la cartouche, le sifflet pendu à la boutonnière, la clochette dans votre carnassière, pour le chien chassant dans un taillis — le fouet en poche, quand il est revêche : et vous voilà au grand complet. Le collier de force, usité en France et, un peu, en Angleterre — recommandé par Blaze et Berreyre, est peu connu au Canada.



  1. Les premiers fusils doubles parurent en France ver 1750.
  2. Fusil vient du mot Focile, qui signifie, en Italien, pierre à feu. L’usage de la poudre, comme engin de guerre, date du quatorzième siècle. Chose singulière, les canons se chargeant par la culasse sont de très ancienne origine, et les fusils se chargeant de la même manière sont aussi d’origine ancienne.
  3. Cet éminent armurier expira à Londres, le 29 juin 1835, âgé de 69 ans. Il fut enterré avec distinction à Kensington et ce fut le fameux Col. Hawker qui prépara son épitaphe.
  4. La loi de la Grande-Bretagne oblige tout armurier qui confectionne des canons de fusil soit pour l’Angleterre — ou pour l’étranger, à les soumettre à deux épreuves sérieuses — dénommées provisoire et définitive. Deux associations anglaises sont autoirsées par la loi à faire ces épreuves : the London Gun Makers Company, à Londres, et the Birmingham Guardians à Birmingham : le test est le même aux deux endroits.

    La Belgique a également passé de sages ordonnances pour régler l’épreuve officielle des canons de fusils : le bureau est situé à Liège ; chaque pays, chaque compagnie a sa marque particulière, ses modes d’épreuves.

    La France a aussi, à Ste Étienne, un bureau où se fait l’épreuve des armes fabriquées en cette contrée.

  5. La cire, le suif de mouton, l’huile de pieds de bœufs (neats foot oil) en proportion suivante : huile de pieds de bœuf une chopine, cire d’abeille deux onces et suif de mouton deux onces compose un enduit excellent, pour rendre souples et imperméables les bottes, pourvu que l’on ajoute un double de caoutchouc entre les semelles.