Chants populaires de la Basse-Bretagne/Perrine Le Mignon


PERRINE LE MIGNON
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I

S’il vous plait, écoutez et vous entendrez chanter
Une chanson nouvelle qui a été composée cette année ;
Elle a été faite à une jeune mineure qui était servante
À Lannion, dans une hôtellerie.[1]

La nuit de la fête des Rois, l’année passée,
Arrivèrent deux maltôtiers pour demander à loger :
Ils ont demandé à manger, et aussi à boire,
Et la servante la petite Perrine pour les servir.

— Sauf-vos-grâces, dit l’hôtesse, pour cela elle ne fera pas ;
Voilà sept ans qu’elle est dans ma maison et jamais homme elle n’a servi.
Pendant que la servante la petite Perrine les servait à table,[2]
Le cœur des maltôtiers s’échauffait pour elle.

Quand ils eurent soupé et que l’heure fut venue d’aller se coucher,
Ils demandèrent une lanterne, avec de la lumière ;
Ils demandèrent une lanterne, avec de la lumière claire,
Et la servante la petite Perrine pour les reconduire chez eux.

Celle-ci (l’hôtesse) est une femme pleine de bonté,
Et elle allume de la lumière dans la lanterne pour la donner à sa servante :
— Voici la lanterne, avec une lumière claire dedans,
Allez à présent, petite Perrine, les reconduire chez eux.

Quand ils furent rendus à quelque distance de la maison,
L’un des maltôtiers se détourna vers la petite Perrine :
— Eteignez votre lanterne, petite Perrine, éteignez votre lumière claire.
— Comment pourrai-je alors retourner à la maison ?

— Venez avec nous, petite Perrine, venez avec nous dans notre maison.
Je vous donnerai à goûter de trois sortes de vins.
— Merci, Messieurs, merci de votre meilleur vin,
Chez ma maîtresse il y en a de quatre sortes, et j’en bois quand je veux.

— Venez avec nous, petite Perrine, venez au bord du quai,
Afin que nous disposions de vous à notre volonté.
— Sauf votre grâce, maltôtiers, je n’irai pas,
Tout honnête homme est à présent couché dans son lit ;

J’ai dans cette ville des cousins prêtres,
Et quand je paraîtrai devant eux, comment (oser) lever la tête ?
Celle-ci (l’hôtesse) est une femme pleine de bonté,
Et elle reste, la nuit, sur pied, pour attendre sa servante.

Dix, onze heures sont sonnées, il est minuit passé,
La servante la petite Perrine ne revient pas.
Cette femme va alors au lit de son mari :
— Seigneur Dieu, mon mari, vous dormez sans souci,
Et la servante, la petite Perrine ne revient pas !

— Seigneur Dieu, dit-il, je ne dors pas sans souci ;
J’ai un frère prêtre qui dira une messe pour elle ;
Qui dira une messe pour elle, à l’autel du rosaire,
Afin que Dieu veuille qu’elle arrive à la maison.

Il quitta son lit, pour parcourir les rues,
Tant et si bien qu’il arriva aux buttes :
Et il entendit une voix comme si elle venait du ciel :
— Vas au pont de sainte Anne, et là tu la trouveras !

Arrivé près du pont, il la trouva morte,
Près d’elle la lanterne et la lumière dedans :
Et il se mit à crier, se frappant sur le cœur :
— Seigneur Dieu, disait-il, petite Perrine Le Mignon !

Seigneur Dieu, disait-il, petite Perrine Le Mignon,
Tu étais depuis sept ans dans ma maison, tu étais une honnête fille !…
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Je vous prie, pères et mères qui élevez des enfants.
Et vous aussi, maîtres et maîtresses, et tous ceux qui ont des serviteurs,
Ne les laissez pas aller se promener, la nuit,
Aller seuls, la nuit, surtout les filles ![3]


Chanté par Marguerite Philippe,
de Pluzunet — Côtes-du-Nord.




  1. Variante :

    En l’année cinq cents quatre-vingt et six
    Dans la ville de Lannion, un malheur est arrivé :
    Un malheur est arrivé dans la ville de Lannion,
    Qui désole beaucoup d’honnêtes gens.

    (Un malheur est arrivé) à une jeune fille qui servait
    Chez un commissaire au vin, dans une auberge.
    Celle-ci était une jolie fille, d’un visage agréable,
    Et qui était polie avec tous ceux qui lui parlaient.

    Dans le Barzaz-Breiz, il y a 1693, — presque toutes les dates des chants populaires un peu anciens sont arbitraires et fausses.
  2. Il y a contradiction : l’hôtesse vient de dire que la petite Perrine ne servirait les maltôtiers, et voici qu’elle le fait pourtant.
  3. Variante :

    À force de parcourir la Ville de Lannion,
    Il arriva dans la mer de Cupidon (?)
    Il la trouva morte dans le porche de Saint-Pierre,
    Avec la lanterne auprès d’elle, la chandelle encore allumée.

    La lanterne auprès d’elle, la chandelle encore allumée,
    Et sous elle une mare de sang !….
    La bénédiction de Dieu soit sur ton âme, Perrine Le Mignon,
    La meilleure servante qui fût dans la ville de Lannion !

    Chanté par Louis Loyer, — de Duault.

    Rapprocher de « L’Orpheline de Lannion » du Barzaz-Breiz — page 322 — 6e édition, 1867.