Chants populaires de la Basse-Bretagne/Anne Le Bail

ANNE LE BAIL
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  Anne Le Bail de Saint Norvez[1]
(Est) la plus jolie paysanne qui marche (existe) :
C’est la fleur de toutes les jeunes filles,
Et le miroir des demoiselles.

  Anne Le Bail disait,
Un jour, à son père et à sa mère :
— Mon père et ma mère, si vous m’aimez,
Il faut que j’aille au pardon de Saint-Samson ?

  — Vous n’irez pas au pardon de Saint-Samson,
Vous êtes trop jolie et trop richement habillée ;
Vous êtes trop jolie et trop richement habillée,
Et vous seriez convoitée par les gentilshommes :

  Dans la ville de Lannion, au bord du quai,
Il y a beaucoup de gentilshommes à se promener.
Anne Le Bail répondit
À son père et à sa mère, quand elle les entendit :

  — S’en fâche qui voudra,
J’irai au pardon de Saint-Samson ;
Il y a trois ans que je promets d’y aller,
Et la quatrième, j’irai.

  Anne Le Bail disait,
À son amie, ce jour là :
— Mon amie, préparez-vous,
Il faut que j’aille au pardon de Saint-Samson.

  Son amie demandait
À Anne Le Bail, là, en ce moment :
— Anne Le Bail, dites-moi,
Quels habits mettra-t-on ?

  Si nous mettons nos robes de satin blanc,
Nous serons à Lannion comme deux fleurs ;
Si nous mettons nos robes de satin bleu,
Si nous perdons notre honneur, nous aurons du regret....


  Anne Le Bail disait
À son amie tout en marchant :
— Au nom de Dieu, mon amie,
Reste toujours fidèle à la Vierge ;

  Je vois là-bas sur le bord du quai
Beaucoup de gentilshommes qui se promènent ;
Beaucoup de gentilshommes qui se promènent,
Il ne leur faut que des jeunes filles.

  Anne Le Bail disait
À son amie, là, en ce moment :
— Mon amie, sois-moi fidèle,
Je vais devant pour les saluer.

  Et les gentilshommes demandaient
À Anne Le Bail, quand elle les saluait :
— Anne Le Bail, si vous nous aimez,
Vous viendrez avec nous à notre manoir ;

  Venez avec nous à nos manoirs,
Pour dîner à Lannion.
— Nous avons de l’argent assez dans nos poches,
Pour dîner à Lannion.

  — Anne Le Bail, si vous nous en croyez,
Ne vous fiez pas aux pèlerins ;
Ne vous fiez pas aux pèlerins,
Ce sont des gens sans scrupule.

  — Ce n’est pas pour mal faire
Que nous allons au pardon,
Mais pour nous confesser et communier,
Et gagner le pardon, si je le puis.

  Les gentilshommes disaient
Les uns aux autres, en ce moment :
— Laissons-les aller au pardon,
Nous les retrouverons, quand elles repasseront par Lannion.

  Anne Le Bail disait,
En s’agenouillant dans l’église de Saint-Samson :
— Seigneur Saint-Samson béni,
Feriez-vous un miracle en ma faveur ?

  J’ai cinq cents écus de rente,
Et je vous les céderai par contrat ;
Je vous les céderai par contrat,
Si vous faites que je retourne à la maison en vie.


  Anne Le Bail disait
À son amie, en revenant :
— Au nom de Dieu, mon amie,
Reste toujours fidèle à la vierge ;

  Je vois là-bas, au bord du quai,
Dix-huit gentilshommes qui se promènent :
D’un côté, est la grande mer,
De l’autre côté, sont dix-huit épées nues ;

  Mon amie, sois-moi fidèle,
Je vais devant, pour les saluer.
Anne Le Bail disait,
En arrivant sur le bord de la mer :

  — Vierge, je vous le demande,
Me jetterai-je dans la mer, ou ne le ferai-je ?
Si je me jette dans la mer, je serai noyée,
Et si je ne suis noyée, je serai tuée.

  Son amie disait
À Anne Le Bail, là, en ce moment :
— J’aime mieux aller avec eux,
Que de perdre la vie !

  Anne Le Bail disait
À son amie, là, en ce moment :
— Seigneur Dieu, mon amie,
Tu n’es pas fidèle à la Vierge !

  Les gentilshommes disaient
À Anne Le Bail, là, en ce moment :
— Taisez-vous, Anne, ne dites pas cela,
Vous viendrez aussi comme elle ;

  Vous viendrez aussi comme elle,
Ou bien vous perdrez la vie.
Quand Anne Le Bail entendit (cela),
Elle se jeta au milieu de la mer.

  Anne Le Bail disait,
En arrivant au fond de la mer :
— Seigneur Saint-Samson béni,
Voudriez-vous faire un miracle en ma faveur ?

  J’ai cinq cents écus de rente,
Et je vous en céderai deux cents par contrat.
Je vous en céderai deux cents par contrat,
Si vous me rendez dans l’église de Saint-Norvez.


  Elle n’avait pas fini de parler,
Qu’elle fut rendue dans l’église de Saint Norvez ;
Elle fut rendue dans l’église de Saint-Norvez,
Au moment de l’élévation, à la grand’messe !


Chanté par Derrien, surnommé le « petit tailleur, »
au bourg de Plouaret — 1863.






  1. Ancienne trève de la commune de Bégard, arrondissement de Lannion.