Chants populaires de la Basse-Bretagne/Marie Le Capitaine

Édouard Corfmat (1p. 247-253).


MARIE LE CAPITAINE.
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I

  Ecoutez tous, et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé ;

Un gwerz nouvellement composé,
C’est à Marie Le Capitaine qu’il a été fait ;

  A son frère le clerc comme à elle,
Car il a eu la même mort qu’elle.

II

  Marie Le Capitaine disait,
En quittant la maison :

  — Chère penherès, restez-là,
Moi, je vais faire une promenade ;

  Moi, je vais faire une promenade,
Je serai de retour dans trois jours. —

  Marie Le Capitaine disait,
En arrivant chez son frère le clerc :

  Bonjour et joie à tous, dans cette maison,
Où est mon frère le clerc ? —

  La petite servante répondit
A Marie Le Capitaine, en l’entendant :

  — Votre frère le clerc n’est pas à la maison,
Il est sorti depuis ce matin. —

Marie Le Capitaine ayant entendu cela,
Alla aussitôt au jardin ;


(1) En la commune de Ploanevez du Faou. Le Châteauneuf ou Kastell newez dont il est parlé dans cette pièce est aussi Châteauneuf du Faou dans le

Finistère, arrondissement de Châteaulin.


  Elle alla aussitôt au jardin,
Et donna le jour à un petit enfant ;

Elle donna le jour à un petit enfant,
Et le planta dans la terre …
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

III

  La penherès sanglotait
Et ne trouvait personne pour la consoler ;

  Et ne trouvait personne pour la consoler.
Si ce n’est sa marraine, celle-là le faisait :

  — Consolez-vous, ma filleule, ne pleurez pas,
Vous viendrez avec moi à Lanwenn[1] ;

  Vous viendrez avec moi à Lanwenn,
Et je vous mettrai en chambre avec mes demoiselles.

  — Taisez-vous, marraine, il fait beau dire,
Jusqu’à ce qu’il s’agit de voir.

  Je vais maintenant à la lande de Plounevez,
Pour savoir si ma mère est encore en vie ! —

  À chaque pas qu’elle disait,
Elle s’affaissait à terre.

  En arrivant à la lande de Plounevez,
Elle s’est agenouillée au pied de la potence ;

  Elle s’est agenouillée au pied de la potence
Et a demande pardon pour sa mère.

  — Monsieur le Sénéchal, laissez ma mère en vie,
J’irai à la mort à sa place ! —

  — Le jour n’est pas encore venu
Où l’un peut mourir pour l’autre. —

  — J’ai dix-huit mille francs de revenus,
Et autant en terre neuve ;

  Autant en terre neuve,
Et je vous donnerai tout cela. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Marie Le Capitaine disait
En mettant le pied sur le plus haut degré de l’échelle :


  — Mon frère le clerc se sera pas pendu,
Car celui-là n’est pas coupable ! —

  — Le trouve mauvais qui voudra,
Le clerc Le Capitaine sera pendu ! —

  Le clerc Le Capitaine disait,
En mettant le pied sur le plus haut degré de l’échelle :

  — Si c’était la volonté de Dieu
Qu’un arbre s’élevât au bout de trois jours

  Sur le pont de Châteauneuf,
Afin de manifester la vérité ! —

V

  La petite mineure de cinq ans disait.
En revenant de la lande de Plounevez :

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin !

  Ma mère a été pendue et brûlée,
Et mon pauvre père est lépreux ! —

  La petite mineure de cinq ans disait,
En arrivant sur le pont de Châteauneuf :

  — Gens de la justice, vous avez failli,
En pendant mon oncle le clerc !

  Je vois un arbre de trois jours
Sur le pont de Châteauneuf ! —

  La petite mineure de cinq ans disait,
En arrivant à la porte de son père :

  — Ouvrez-moi votre porte, mon père,
Pour que je vous change votre chemise ;

  Pour que je vous change votre chemise,
Il y a dix-huit mois que vous n’en avez changé. —

  — Chère penherès, retirez-vous de là,
Car si le vent change de côté,

  Si le vent change de côté,
Vous attraperez la lèpre par le trou de la serrure !

  Je suis ici mangé par les vers,
Bientôt ils m’entameront le cœur ! —

  — Que le vent souffle du côté qu’il voudra,
Je voudrais être morte !

Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant de chagrin que moi !


(1) C’est St-Michel-en-Grève, à deux kilomètres du bourg de Ploumilliau.

  Ma mère a été pendue et brûlée,
Et ses cendres ont été jetées au vent ! —

  — Quel crime a-t-elle donc commis,
Pour avoir mérité d’être brûlée ? —

  — Elle était allée chez mon oncle le clerc,
Hélas ! il n’était pas à la maison ;

  Elle donna le jour à un petit enfant,
Et le planta en terre, —

  — Et pourquoi a-t-elle fait cela ?
Elle pouvait rejeter la faute sur moi —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par Marie-Job Kado,
Plouaret, 1849.


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  1. Mot-à-mot la Lande-Blanche, correspondant aux Vurvenn et Gerwen des pièces précédentes.